Alger - l'Algérie
LES ORIGINES D'ALGER
Le développement et les constructions de la ville d'Alger jusqu'en 1960 (troisième partie)
extraits du numéro 129, mars 2010, de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
mise sur site : mars 2014

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Note du site : voir aussi
Feuillets d'El Djezaïr
LES ORIGINES D'ALGER - Conférence faite le 16 juin 1941 par Louis LESCHI. Deux plans (120 et 200 ko)
Alger et son Histoire : d'Icosium à el Djezair... Bref historique
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Partie 1
Partie2
Partie 4

Le développement et les constructions de la ville d'Alger jusqu'en 1960
(troisième partie)
par Georges Mercier

Alger la Blanche vers le XXè siècle

En 1830 la royauté française avait mis un terme à la piraterie barbaresque en Méditerranée. La France avait pris pied sur la vieille cité d'El-Djezaïr et s'efforçait de pacifier la partie centrale du Maghreb auquel elle avait donné le nom d'Algérie.

Dans la seconde moitié du xixe siècle, le second Empire avait fait sortir la cité de ses enceintes et étendu l'ancienne darse à galères en un port de commerce florissant. La ville s'étendait et s'équipait en recevant de nouveaux immigrants. Il était certain qu'" Alger la Blanche " était promise à un bel avenir une sorte de capitale française de la Méditerranée côté Afrique du Nord.

En ce début du xxe siècle, le cœur de ville ne se situait plus sur l'ancienne " place d'Armes " ou " place du Gouvernement ". Il se déplaçait vers les quartiers est et on détruisait les anciens remparts. " Alger la Blanche " attirait et elle s'étendait.

A - L'époque de l'orientalisme

A la visite du président Loubet en 1903, succédait en 1905 celle du couple royal d'Angleterre, Edouard VII, fils de la reine Victoria, accompagné de son épouse la reine Alexandra. Une visite qui devait honorer et renforcer la petite communauté britannique aisée d'Alger installée dans la zone de Mustapha. Ces Anglais attirés par la douceur du climat étaient aussi séduits par une qualité de vie que leur offrait le style architectural néomauresque qu'ils avaient découvert et qu'ils avaient fait mettre en " ouvrage " par quelques rénovations et autres constructions de charme. Cet esprit " orientaliste " se développait aussi depuis quelques années dans le domaine artistique et littéraire de la ville, activé par le concours de la presse et de certains intellectuels.

Le premiers numéro du journal Akbhar de mars 1902, ainsi que la création de la " Société des artistes algérois " (précurseur de la Villa Abd-el-Tif), ( Sur la création de la Villa Abd-el-Tif, voir l'algérianiste n° 65 et 81. La Villa sera classée monument historique en 1922, mais cette institution ne semble pas avoir été conservée après 1962.), puis les Feuillets d'El-Djezaïr créés en 1905 par Henri Klein, et le " Comité du vieil Alger ", devaient sensibiliser l'opinion sur le patrimoine de la ville et du pays. L'Ecole algérianiste devait suivre avec Robert Randau comme chef de file avec l'aide de Jean Pomier, dont l'esprit anime toujours notre Cercle.

Ces mouvements culturels étaient soutenus par les éditeurs et imprimeurs de la ville, tels que Fontana, Barnier, Chaix, Soubiron ou Charlot, ainsi que la Maison Valadier fondée en 1884 dans sa spécialité de la restauration des peintures et gravures.

L'architecte Ballu aux " Monuments historiques " allait aussi participer à la connaissance du style néo-mauresque en construisant les pavillons de l'Algérie aux expositions de 1889 et 1900 à Paris-Saint-Cloud et Marseille en 1906. Séduit par ces courants " orientalistes ", et doté d'un budget spécial pour l'Algérie par la loi du 19 décembre 1900, Charles-Célestin Jonnart, gouverneur général allait contribuer au développement du style architectural néo-mauresque. Il demanda aux constructeurs et architectes de la ville d'étudier leurs projets et de les réaliser dans ce style.

C'est ainsi qu'en 1904 seront édifiés par l'entreprise Vidal l'immeuble du journal La Dépêche, boulevard Laferrière, sur les emplacements des anciens remparts, et la préfecture, boulevard Carnot, avec ses deux petites coupoles. L'architecte Petit sera chargé de construire la " Medersa " située au-dessus du jardin Marengo. Son confrère Gabriel-Marcel-Henri Darbeda, qui s'était déjà fait remarqué en 1902 en construisant le lycée de jeunes filles Delacroix proche des " Facs " ainsi que la partie orientale du Musée des antiquités, était chargé de rénover une ancienne demeure turque du xvme siècle, la villa Abd-el-Tif, délicieux lieu de calme dans un écrin de verdure qui devait être destinée à héberger des artistes dans le but de développer les courants artistiques en Algérie.

Jouissant de l'estime et de la confiance du gouverneur Jonnart l'architecte Darbeda se vit ensuite confier en 1910 la rénovation du Palais d'Été, une autre demeure prestigieuse de style mauresque datant du XVIIIe siècle, ancienne résidence du Dey d'Alger, entouré d'un magnifique parc délicieusement arboré, de quatre hectares, destiné plus spécialement aux réceptions officielles et fêtes. Darbeda sera secondé dans cette tâche exaltante par son confrère Montaland. Spécialiste confirmé du style néo-mauresque M. Darbeda sera ensuite attaché à l'équipe d'architectes chargés d'édifier la " Grande Poste " ( Edifiée sur l'emplacement d'une ancienne chapelle anglicane, la Grande Poste restera attachée au drame du 26 mars 1962, lorsque le gouvernement gaulliste assènera le coup d'arrêt à l'Algérie française. Lire l'algérianiste n° 97, 101, 117 et le présent numéro p. 28. Après ce crime d'Etat la population française d'Algérie, se sentant non seulement abandonnée mais prise entre deux feux sanguinaires, devait entamer un exode sans même une assistance officielle.) dont l'achèvement interviendra en 1913 à la veille de la Grande Guerre sous la direction de Toudoire et Voinot.

Cet édifice public marquera le coeur de ville avec le square Laferrière, la rue Michelet, les " Facs ", et plus tard le monument aux morts de la Grande Guerre et son horloge florale. Un ensemble cohérent et agréable au lieu et place des anciens fossés et remparts. Malheureusement la liste des morts et disparus s'allongera après le second conflit mondial et la guerre d'Indochine.

D'autre part sur le front de mer s'édifiait le Palais de l'Assemblée Algérienne et au centre-ville, rue d'Isly, le grand magasin des " Galeries de France " et bien d'autres commerces.

B - Situation avant la Grande Guerre


Vers 1913 la municipalité venait de terminer le Parc de Galland en haut de la rue Michelet.

De mauvaises nouvelles parvenaient de la métropole sur la situation en Europe où le conflit semblait inévitable avec l'Allemagne. Cette situation allait entraîner un sérieux ralentissement pour les projets de la municipalité d'Alger. Bien des problèmes demeuraient en attente à la veille de la guerre alors même que les premières dispositions de la mobilisation des hommes étaient en cours. Voici la situation de la ville à la veille de la guerre :
   - Avec les communes suburbaines on allait atteindre les 200 000 habitants or aucun plan cohérent de zoning ou " zonage " (nom de l'époque pour désigner les secteurs d'activités spécifiques) n'était possible tant que l'autorité militaire ne consentirait pas à céder de vastes terrains à la commune ( Le Champ-de-Manoeuvres faisait 60 ha. S'y trouvaient le parc à fourrage, les casernes de la cavalerie, du train, la cartoucherie, l'Arsenal et le champ d'exercices) comme, par exemple, le secteur du Champ-de-Manoeuvres et autres terrains vers Bab-el- Oued. Et enfin le quartier vétuste de La Marine qui était à remembrer d'urgence.
  
  - Une autre zone restait à traiter, celle de Mustapha qui avait été rattachée à la commune d'Alger en 1904 et qui se trouvait dans un état de désordre complexe entravant les communications et qui rendait très difficile la circulation. En effet les rues privées et impasses y abondaient, bien souvent établies suivant les tracés fantaisistes des particuliers plus soucieux de leurs commodités que du bien public. Un très gros travail de remembrement et de procédures d'expropriations à entreprendre.

  - Si, jusqu'en 1914, il y avait eu une véritable fièvre de construire, les voieries et équipements publics avaient eu du mal à suivre, et de graves problèmes d'évacuation des déchets et d'assainissement ainsi que des évacuations des eaux pluviales se posaient en raison de la nature déclive de la presque totalité des rues.

  - L'alimentation en eau potable de la ville allait devenir très préoccupante bien que les plus grands espoirs soient apparus par la reconnaissance en 1912 des nappes artésiennes et eaux jaillissantes de la Mitidja qu'une commission de techniciens compétents avait révélées.

  - D'autre part, la ville ne possédait toujours pas de halles centrales et les abattoirs de Belcourt trop exigus et d'une hygiène toute relative méritaient d'être rénovés et agrandis ou d'être transposés ailleurs. La poissonnerie occupait toujours des entrepôts malodorants sous les voûtes du boulevard Rampe-Anatole France sur le port ( La ville ne possédait que les vieux marchés de la rue de la Lyre, et de la rue Randon à la limite de la Casbah, puis sur l'ancienne commune de Mustapha les marchés Clauzel et Meisonnier.)

  - Enfin la topographie très en pente et en amphithéâtre de la ville, imposait des voieries en lacets ou en escaliers bordés d'immeubles pour rejoindre les hauteurs suburbaines. Un problème qui allait s'aggraver avec l'apparition de l'automobile qui remplaçait progressivement la traction et le transport hippomobiles. Une véritable révolution pour la conception et l'organisation des voieries.

L'exemple des grandes cités européennes était à suivre, et les élus et édiles en étaient parfaitement conscients.

C - L'entre-deux guerres jusqu'à 1940

La paix revenue, le gouvernement votait la loi du 14 mars 1919 sur la nécessité d'un plan d'aménagement, d'extension et d'embellisement de la ville, ainsi que la rénovation du règlement des voieries. Sommairement ces nouvelles dispositions étaient les suivantes :
  1 - Préciser les " zonings " d'urbanisme en fonction des tendances d'activités animées par leurs populations spécifiques.
  2 - Le remembrement du quartier vétuste de La Marine posait toujours les mêmes problèmes et préoccupations.
  3 - Bien que les négociations de cession de terrains avec l'autorité militaire soient toujours en cours, il était urgent de se préparer pour aménager de nouveaux quartiers comme au Champ-de-Manoeuvres ou encore à Bal-el-Oued y compris les travaux d'enrochement pour gagner sur la mer.
  4 - Il fallait développer les liaisons de voieries tous azimuts et durablement pour la ville et surtout son port avec l'arrière-pays tant vers le Sahel que vers Hussein-Dey à l'ouest que vers Saint-Eugène à l'est.
  5 - Il était nécessaire de réserver et d'aménager des parcs et jardins ainsi que des terrains de sport pour les loisirs de la population, et de développer ceux existants y compris sur les localités des hauts d'Alger.

Un vaste programme pour un nouvel urbanisme de cet après-guerre. Le temps était aussi venu de panser les plaies de la guerre car les hommes d'Algérie avaient eux aussi contribué au prix du sang. La ville décida donc d'honorer les héros et disparus par des stèles du souvenir et monuments. Décision qui fut d'ailleurs reprise par tous les villages d'Algérie.

À Alger on commença par le buste de Guynemer, as des combats aériens, qui fut installé boulevard Laferrière et dont le square qui fut aménagé devait porter le nom du héros. Enfin le vieux projet du Jardin d'Essai sera repris en 1920 par les architectes Régnier et son beau-fils Guion qui traceront les aménagements définitifs " à la française ".

En cet après-guerre, la municipalité reprend l'initiative avec la foire-exposition de 1921 et l'exposition coloniale de 1922 à Marseille où Jacques Guiauchain architecte réalisera le " café maure " du pavillon de l'Algérie. Et ce sera cette année-là que le président Millerand décida de visiter Alger et ses environs. En ville les chantiers se multipliaient, tant en logements qu'en commerces, donnant du travail à tous. Les grands magasins tels que les " Deux Magots " et " La Belle Jardinière " comblèrent les familles algéroises. Le tourisme et le développement des affaires donnèrent lieu à de nouveaux hôtels sur le boulevard de la République comme celui de la Régence, ceux d'Orient ou de l'Oasis. Les rencontres et réunions se passaient aux cafés à la mode, le Coq Hardi ou le Tantonville à côté de l'Opéra.

Alger suivait la " Belle Epoque " qui régnait à Paris. La ville s'animait de plus en plus et générait toujours de nouvelles créations et entreprises.

Hennebique, une entreprise qui connaissait une période florissante en métropole et notamment à Paris va venir s'installer à Alger. Elle diffusera même une revue sur un procédé nouveau de construction, le " béton armé ". Comme en métropole, beaucoup d'architectes locaux seront conquis par cette nouveauté et notamment Petit et Garnier qui construiront en 1921 les grands magasins du Bon Marché, rue d'Isly, inaugurés en 1923. D'autre part les architectes associés Régnier et Guion seront les auteurs des immeubles Lafont au boulevard Saint- Saëns, du grand garage Vinson rue Sadi-Carnot. Puis avec l'architecte Lugan, Hennebique construira l'hôtel d'Angleterre et les immeubles des rues Denfert- Rochereau et Clauzel, ceux des boulevards Victor-Hugo et Edgar-Quinet où l'architecte élaborera un habitat original sur cour. A citer aussi la fameuse Cité Bobillot à Mustapha construite en 1926 réservée aux cadres moyens, et qui annonçait les futurs HLM.

Et pourtant le " style Jonnart " ou " néo-mauresque " conservera ses adeptes. C'est ainsi qu'en 1925, M. Titre architecte de la commune d'El-Biar, adoptera ce style pour la mairie.

Dix ans plus tard son confrère Charles Henri Montaland complétera l'ensemble néo-mauresque de la place du village avec la poste et l'école maternelle qu'il construira avec l'entreprise Vidal.

D'autre part ceux qui ont connu ce charmant village des " hauts d'Alger " se souviendront sûrement du fameux " balcon Saint-Raphaël " magnifique belvédère sur la baie d'Alger, son port et l'immensité bleue de la mer. Une vue qui allait du Cap Matifou à la Pointe Pescade et, plus à droite et au loin à la jumelle, s'étendait la plaine de la Mitidja avec les villes de Rivet et de l'Arba au pied du djebel Zerquela. Cet exceptionnel panorama avait motivé le maître-maçon Barthélémy Sébastien Vidal et ancien collaborateur de Sir Bucknall qui venait de lui léguer ses archives, pour bâtir nombre de villas de style, dont la villa Lefêvre-Laurens sur le site du balcon dont certains se souviendront.

Le fils de Sébastien, Barthélémy-Vincent Vidal poursuivra l'oeuvre familiale de l'entreprise en bâtissant en ville un grand nombre d'immeubles collectifs rue Michelet et autres artères, ainsi que la gendarmerie du boulevard de Verdun au dessus de la Casbah. La commémoration du " Centenaire " approchait et la municipalité s'y préparait activement. Un timbre commémoratif, rappelant la présence du Président à Alger, était même diffusé.

En 1928 il était urgent de faire édifier le monument aux morts et disparus de la Grande Guerre. Le site du square Laferrière fut retenu sur les lieux et place des anciens remparts et fossés.

Le monument sera l'oeuvre des sculpteurs Landowski et Bigonnet et autres artistes auxiliaires. Il sera implanté au milieu de jolis jardins avec une magnifique horloge florale d'un diamètre de 5 m.

Par ailleurs, il était toujours question de construire un " Palais du Gouvernement " (futur Gouvernement général). La municipalité confiait le projet à l'architecte Jacques Guiauchain assisté de son confrère Rotival. Ces derniers s'attacheront en 1930 le concours de l'entreprise des frères Perret spécialistes en béton armé. Cette entreprise s'était déjà fait un nom tant en métropole qu'en Algérie et au Maroc (Les frères Perret, Auguste, Gustave et Claude s'étaient déjà fait connaître à Alger en construisant le pavillon de l'Algérie lors de l'exposition coloniale de 1906. Ils avaient aussi beaucoup construit au Maroc et notamment à Casablanca. Ils s'installent à Alger en 1930 pour la réalisation du Palais du " Gouvernement général " sur le projet de l'architecte Guiauchain. L'entreprise réalisera aussi le " Forum ".).

Cet énorme bâtiment coeur administratif de la ville et du pays sera situé en haut du boulevard Laferrière, anciens fossés et remparts transformés en jardins, esplanades et escaliers où se trouvait d'ailleurs le monument aux morts. L'édifice de style " Perret, ", implanté en terrain pentu, recevra 4 500 m2 de bureaux et salles diverses sur treize étages d'un côté et huit de l'autre.

Vingt-huit ans plus tard dans la phase finale de l'Algérie française, ce sera du balcon monumental dominant la vaste esplanade du Forum noire de monde que De Gaulle achèvera son coup d'Etat sur la France en lançant le 4 juin 1958 son fameux " Je vous ai compris " dont le sens ambigu et trompeur subjuguera la foule algéroise désemparée qui ne demandait qu'assistance pour être délivrée du terrorisme (6Le 13 mai 1958 sera pour tous les Français une nouvelle " journée des dupes " qui ne grandira sûrement pas l'histoire de la France dans le monde. D'ailleurs les conditions de la prise de pouvoir par De Gaulle n'est jamais commémorée, ni remémorée par les médias.). Cet énorme bâtiment deviendra le G. G, c'est-à-dire le " Gouvernement général " dans le langage courant des Algérois. Sa réalisation demandera au long des années le concours de nombreux architectes comme MM. Luyckx et Forestier et bien d'autres. Donc installés à Alger, les frères Perret se verront aussi confier avec l'architecte Guiauchain les constructions de la Maison de l'agriculture, le Yacht-Club, le collège du Champ-de-Manoeuvres ainsi que certains pavillons des hôpitaux Mustapha et El-Kettar.

En ces années 1928-1929, sur le boulevard Carnot en front de mer, les architectes Auguste Bluysen et Joachim Richard se verront confier la construction du Casino d'Alger jouxtant la préfecture avec l'Hôtel Aletti. Avec le recul du temps on constate qu'une seule décade devait séparer la célébration du Centenaire du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Or, en cette époque des années trente, personne ne pouvait encore prévoir le prochain conflit.

Charles Brunel, maire d'Alger, confiait l'étude du " Plan régional " de la ville aux architectes-urbanistes Maurice Rotival, Henri Prost, puis René Danger sur une base photographique de la Compagnie aérienne française.

Ce vaste plan d'urbanisme avait pour objectif de créer les liaisons du centre ville avec la périphérie, le port et les communes suburbaines, ainsi que les grandes voies allant vers l'est et l'ouest en prolongeant le front de mer. Vers l'est pour desservir Hussein-Dey, Maison Carrée, Fort de l'Eau, Aïn-Taya, etc., puis vers l'ouest, tout en gagnant sur la mer par des remblais au bas des quartiers de Bab-el Oued et de La Consolation, aménager les cimetières et les quartiers de Saint-Eugène, puis poursuivre en corniche jusqu'au village côtier et le port de Guyotville.

Les voies de bord de mer firent l'objet d'une très grande attention afin d'inclure sur les chaussées les rails et lignes électrifiées des futurs transports en commun destinés à remplacer les fameux " coricolos " à chevaux.

Les fêtes du Centenaire passées, bien d'autres problèmes allaient se poser aux élus et aux services techniques municipaux toujours installés dans l'ancien hôtel d'Orient alors qu'un concours avait été lancé pour la construction d'un nouvel Hôtel de Ville.

Les principaux problèmes à résoudre étaient les suivants:
  - La ville, son port et l'immédiat arrière-pays exerçaient une grande attirance pour les populations. Avec les communes suburbaines les derniers recensements de 1933-1935, on atteignait environ 365 000 habitants, ce qui plaçait l'agglomération algéroise au quatrième rang des villes françaises après Paris, Marseille et Lyon. Or le décret présidentiel du 20 mai 1932 approuvait la création de la " Régie Foncière " qui avait pour vocation de promouvoir des programmes de construction de logements sociaux sous le contrôle des services techniques de la ville conformément à une convention de 1931. Il était donc urgent de lancer ces programmes alors même que la vétusté du quartier de La Marine avait déjà entraîné des sinistres ainsi que des conflits ethniques entre Musulmans et Juifs (Le pogrom de 1934 des musulmans sur le quartier juif de La Marine fut des plus sanglants.).

  - Afin de développer les programmes de logements sociaux, il fallait que les négociations avec l'autorité militaire aboutissent pour enfin libérer et céder les terrains qui étaient encore propriété de l'armée, et alors même que les études du " Plan régional d'Alger " étaient en cours dans les cabinets des architectes Rotival, Danger et Prost. Si environ 35 ha avaient été déjà libérés à Bab-el Oued, il restait encore en négociation plus de 60 ha dans la zone de Mustapha et du Champ-de-Manceuvres. Enfin il fallait " déclasser " définitivement les anciens fossés et remparts et leurs portes qui devaient disparaître pour permettre la libre extension de la ville. Ce sera chose faite en 1935.

  - L'utilisation de l'automobile qui remplaçait peu à peu les véhicules hippomobiles risquait de provoquer à court terme la congestion des voies, et de plus il fallait aussi compter avec l'installation des transports en commun par " tramways " sur la partie basse de la ville.

  - Si cette partie basse en front de mer était pratiquement plate, il n'en était pas de même de la topographie vers les hauteurs de la ville où les voieries étaient toutes en déclivité plus ou moins accentuée et bien souvent en lacets. Cet état topographique posait bien des problèmes pour les égouts et les évacuations des eaux pluviales qu'il était urgent de canaliser et de maîtriser. La station de refoulement des eaux de l'Agha devait être achevée.

  - Depuis quelques années le trafic portuaire commercial et touristique augmentait au point qu'une véritable " gare maritime " s'imposait. D'autre part il était urgent de réparer les dégâts de la tempête de 1931 ( L'algérianiste n° 115. Texte de MM. Palomba et Scotti sur les désastres du ressac des années 1931 et 1934.).

  - Il fallait aussi activer le projet d'usine d'incinération des déchets sur la commune d'Hussein-Dey dont la Compagnie générale d'assainissement était en charge.

  - Le ravitaillement de la ville devenait d'autre part problématique en raison de l'accroissement de la population et la création de nouveaux quartiers. Jusqu'à 1930 Alger ne possédait pas de " halles centrales " pour réguler le marché. Il fallait décider de les construire à l'emplacement des anciens abattoirs de Belcourt et transporter ces derniers sur la commune d'Hussein-Dey dans des locaux plus vastes et plus modernes. Quant aux marchés existants de Bab-el Oued (La Lyre et rue Randon ) (note du déjanté : ces deux marchés seraient plutôt sur la Casbah) et ceux de Mustapha (Clauzel et Meissonnier) ils devaient être réorganisés et agrandis. Et enfin sur le port, les locaux nauséabonds de la poissonnerie sous les voûtes du boulevard Anatole-France devaient être supprimés pour être regroupés dans de nouveaux locaux modernes sur les quais, et spécifiquement réservés aux produits de la mer. - Le Central téléphonique de Belcourt construit en 1929 donnait des signes de saturation. Une surélévation du bâtiment s'imposait pour une extension des réseaux.

  - Il fallait aussi améliorer et développer le service hospitalier et clinique avec des équipements modernes.

  - Le bien-être de la population et sa distraction devaient voir se développer installations sportives ainsi que parcs et jardins.

  - Et enfin le patrimoine du " Vieil Alger ", constitué par certains musées comme celui des Beaux-arts, le Bardo et Franchey-d'Esperey, ainsi que la mystérieuse Casbah dont il fallait conserver le caractère original, permettait aux touristes épris d'orientalisme d'y ressentir les émotions recherchées. Il fallait toutefois y maintenir et améliorer le nettoyage, la salubrité et la restauration des plus belles demeures ( Dans les années 1930 des camions citernes du service de nettoiement déversaient chaque nuit de l'eau de mer du haut de la ville. D'autre part, tôt le matin, les petits ânes de service parcouraient les ruelles pour évacuer les détritus.).

Devant la charge d'un tel programme, il faut reconnaître le mérite de tous ceux qui faisaient d'Alger une ville moderne en ces années trente, à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Cependant on ne peut passer sur ces années trente à trente-trois, sans rappeler que cette effervescence constructive avait attiré un opportuniste très remuant, un certain Le Corbusier qui s'était déjà fait connaître à l'occasion d'un voyage à Alger en 1929 par quelques " expos " et conférences. Ce dernier poursuivait son action médiatique pour sensibiliser l'opinion algéroise à ses idées, disons " révolutionnaires ", dans sa conception de la vie urbaine et de l'habitat collectif. Il y faisait miroiter sa solution pour un " Alger, ville radieuse "(L'algérianiste n° 45. Texte de Louis Lataillade sur Le Corbusier à Alger.).

Si ses théories progressistes et modernistes devaient convaincre et émerveiller certains confrères locaux qui resteront ses " inconditionnels ", elles susciteront bien des doutes et méfiances devant la réalité du pays et de la topographie de la ville, et surtout devant les complexités d'un brassage des diverses couches de populations de provenances ethniques et religions opposées. Son utopie ne tarda pas à être stoppée par un opposant de poids en la personne de M. Umbdenstock, professeur à Polytechnique et à l'école des Beaux-Arts de Paris qui n'hésita pas à traiter Le Corbusier de " charlatan " de l'architecture. La fièvre algéroise médiaticopolitique de ces années trente retomba et Alger échappa sûrement à des bouleversements démesurés autant qu'utopiques. M. Umbdenstock deviendra l'architecte de la Banque de l'Algérie et construira avec L. Pierre-Marie et l'entreprise Vidal le siège général à Alger boulevard Baudin (ossature métallique), ainsi que les succursales d'Oran, de Philippeville et de Bougie. D'autre part Pierre-André Emery chef de file des " inconditionnels " de Le Corbusier recevra commande de l'usine d'incinération des déchets d'Alger dans le secteur d'Hussein-Dey.

Bien que la fièvre " moderniste " ait marqué les esprits créateurs de ces années trente qui suivaient le centenaire, l'engouement pour le style " Jonnart " n'était pas du tout éteint. Le charme de l'architecture néo-mauresque demeurait dans bien des coeurs. Aussi persista-t-il avec l'architecte Montaland qui sera chargé de construire le pavillon de l'Algérie à l'exposition de 1931. Le style va persister aussi dans la rénovation d'anciennes demeures turques transformées en musées, ainsi que de nombreux particuliers qui firent bâtir leurs maisons en " néo-mauresque ". Ce qui devait contribuer à un certain charme de la ville et de ses environs. Depuis quelques années la municipalité toujours à l'étroit à l'hôtel d'Orient songeait à un nouvel " Hôtel de Ville "... Un concours d'architecture fut donc ouvert en 1931 visant l'espace d'un terrain libéré par l'autorité militaire. Les lauréats en furent les architectes et frères Jean et Edouard Niermans, grands prix de Rome de 1929. Ces derniers s'adjoignirent localement le concours de leur confrère Jean-Louis Ferlié.

Le chantier qui ne devait s'ouvrir qu'en 1936 connut bien des aléas et interruptions et notamment celle de la guerre. Aussi le complet achèvement n'eut lieu qu'en 1951 à quelques finitions près. La cession de la presque totalité des terrains du domaine militaire devait libérer le lancement des programmes de constructions sociales (Le déclassement définitif des fossés et remparts n'aura lieu qu'en 1935. Il libérera notamment les terrains en pente du bd Laferrière) , publiques et hospitalières dont la ville avait un besoin urgent.

Ne seront citées que les opérations les plus marquantes de la décade 1930-1940 :

  - Avant la guerre la production de gaz et d'électricité dépendait toujours de sociétés concessionnaires. Or la politique de l'époque posait la question de l'unification des énergies pour une meilleure distribution dans la région visant l'industrialisation et une meilleure répartition.
  - En matière de communications, le Central téléphonique de Belcourt construit cinq ans auparavant par Marcel Christofle, architecte, arrivait à saturation. Aussi était-il urgent d'augmenter la capacité des réseaux par la surélévation du bâtiment. Ce sera le fils du premier architecte Marcel-Henri qui en reçut la mission. Ces travaux seront achevés en 1937.
  - Dans l'axe du Jardin d'Essai il fut décidé de construire un " Musée des Beaux- Arts ". Ce sera l'oeuvre de Paul Guion architecte qui recevra également commande de l'Ecole d'horticulture dans le Jardin précité.
  - A partir de 1931 après la cession de terrains militaires, le Champ-deManœuvres va se transformer. Les architectes Jean Bevia et Xavier Salvador seront chargés de plus de 2000 logements sociaux. Leur confrère Léon Claro recevra commande d'un Foyer Civique et d'un groupe scolaire.
  - Un peu plus haut vers le quartier de Mustapha, l'architecte François Bienvenu réussira avec succès un habitat " indigène " adapté au mode de vie de la communauté musulmane.
  - Quant au recasement de la population du quartier vétuste de La Marine en cours de démolition pour être remembré, il sera effectif entre 1932 et 1935 avec la réalisation du groupe de logements sociaux H.B.M de Malakoff à Bab-el- Oued, oeuvre de l'architecte Bienvenu. Ce dernier réalisera aussi la caserne des " gardes mobiles " au quartier des Tagarins, y compris les logements des familles de ces fonctionnaires.
  - Au nouveau centre-ville les fossés et remparts venant d'être déclassés et cédés à la ville en 1935, les travaux du boulevards Laferrière en escaliers jardins et esplanades deviendront un chantier permanent jusqu'à l'espace du Forum qui deviendra célèbre vingt-sept ans plus tard. Ces travaux étaient placés sous la direction des architectes Jacques Guiauchain et Maurice Rotival.
  - Ces années 1935-1940 verront un grand effort vers les grands besoins en constructions hospitalières. Des architectes comme J. Guiauchain et Xavier Salvador vont devenir de grands spécialistes de ces équipements. Le premier réalisera le pavillon des tuberculeux de l'hôpital de Mustapha, celui des contagieux à l'hôpital d'El-Kettar, puis la pouponnière de l'assistance publique à Mustapha supérieur, et le second désigné comme conseiller de la santé publique réalisera de nombreux bâtiments d'extension au sein de ces hôpitaux, ainsi que le préventorium du Cap Matifou, l'Institut des sourds-muets et la clinique infantile de l'hôpital de Mustapha. Cet hôpital civil était devenu une véritable ville dans la ville, avant de devenir hôpital universitaire.
  - Les installations portuaires et ferroviaires ne cessèrent de se développer en fonction du trafic du port d'Alger.

De 1936 à 1937 le dernier équipement avant la guerre sera la construction de la " poissonnerie " qui remplacera les anciens locaux situés sous les voûtes du boulevard Anatole France et les escaliers de la Pêcherie.

Les voûtes seront dès lors occupées par de fameux restaurants à poissons.

(À suivre)
Dans le prochain numéro : Le tournant après la Seconde Guerre mondiale.