Le développement
et les constructions de la ville d'Alger jusqu'en 1960
(troisième partie)
par Georges Mercier
Alger la Blanche vers le XXè siècle
En 1830 la royauté française
avait mis un terme à la piraterie barbaresque en Méditerranée.
La France avait pris pied sur la vieille cité d'El-Djezaïr
et s'efforçait de pacifier la partie centrale du Maghreb auquel
elle avait donné le nom d'Algérie.
Dans la seconde moitié du xixe siècle, le second Empire
avait fait sortir la cité de ses enceintes et étendu l'ancienne
darse à galères en un port de commerce florissant. La ville
s'étendait et s'équipait en recevant de nouveaux immigrants.
Il était certain qu'" Alger la Blanche " était
promise à un bel avenir une sorte de capitale française
de la Méditerranée côté Afrique du Nord.
En ce début du xxe siècle, le cur de ville ne se situait
plus sur l'ancienne " place d'Armes " ou " place du Gouvernement
". Il se déplaçait vers les quartiers est et on détruisait
les anciens remparts. " Alger la Blanche " attirait et elle
s'étendait.
A - L'époque de l'orientalisme
A la visite du président Loubet en 1903, succédait en 1905
celle du couple royal d'Angleterre, Edouard VII, fils de la reine Victoria,
accompagné de son épouse la reine Alexandra. Une visite
qui devait honorer et renforcer la petite communauté britannique
aisée d'Alger installée dans la zone de Mustapha. Ces Anglais
attirés par la douceur du climat étaient aussi séduits
par une qualité de vie que leur offrait le style architectural
néomauresque qu'ils avaient découvert et qu'ils avaient
fait mettre en " ouvrage " par quelques rénovations et
autres constructions de charme. Cet esprit " orientaliste "
se développait aussi depuis quelques années dans le domaine
artistique et littéraire de la ville, activé par le concours
de la presse et de certains intellectuels.
Le premiers numéro du journal Akbhar de mars 1902, ainsi que la
création de la " Société des artistes algérois
" (précurseur de la Villa Abd-el-Tif), ( Sur
la création de la Villa Abd-el-Tif, voir l'algérianiste
n° 65 et 81. La Villa sera classée monument historique en 1922,
mais cette institution ne semble pas avoir été conservée
après 1962.), puis
les Feuillets d'El-Djezaïr créés en 1905
par Henri Klein, et le " Comité du vieil Alger ", devaient
sensibiliser l'opinion sur le patrimoine de la ville et du pays. L'Ecole
algérianiste devait suivre avec Robert Randau comme chef de file
avec l'aide de Jean Pomier, dont l'esprit anime toujours notre Cercle.
Ces mouvements culturels étaient soutenus par les éditeurs
et imprimeurs de la ville, tels que Fontana, Barnier, Chaix, Soubiron
ou Charlot, ainsi que la Maison Valadier fondée en 1884 dans sa
spécialité de la restauration des peintures et gravures.
L'architecte Ballu aux " Monuments historiques " allait aussi
participer à la connaissance du style néo-mauresque en construisant
les pavillons de l'Algérie aux expositions de 1889 et 1900 à
Paris-Saint-Cloud et Marseille en 1906. Séduit par ces courants
" orientalistes ", et doté d'un budget spécial
pour l'Algérie par la loi du 19 décembre 1900, Charles-Célestin
Jonnart, gouverneur général allait contribuer au développement
du style architectural néo-mauresque. Il demanda aux constructeurs
et architectes de la ville d'étudier leurs projets et de les réaliser
dans ce style.
C'est ainsi qu'en 1904 seront édifiés par l'entreprise Vidal
l'immeuble du journal La Dépêche,
boulevard Laferrière, sur les emplacements des anciens
remparts, et la préfecture, boulevard Carnot, avec ses deux petites
coupoles. L'architecte Petit sera chargé de construire la "
Medersa
" située au-dessus du
jardin Marengo. Son confrère Gabriel-Marcel-Henri Darbeda,
qui s'était déjà fait remarqué en 1902 en
construisant le lycée de jeunes filles Delacroix
proche des " Facs " ainsi que la partie orientale du Musée
des antiquités, était chargé de rénover une
ancienne demeure turque du xvme siècle, la villa Abd-el-Tif, délicieux
lieu de calme dans un écrin de verdure qui devait être destinée
à héberger des artistes dans le but de développer
les courants artistiques en Algérie.
Jouissant de l'estime et de la confiance du gouverneur Jonnart l'architecte
Darbeda se vit ensuite confier en 1910 la rénovation du Palais
d'Été, une autre demeure prestigieuse de style mauresque
datant du XVIIIe siècle, ancienne résidence du Dey d'Alger,
entouré d'un magnifique parc délicieusement arboré,
de quatre hectares, destiné plus spécialement aux réceptions
officielles et fêtes. Darbeda sera secondé dans cette tâche
exaltante par son confrère Montaland. Spécialiste confirmé
du style néo-mauresque M. Darbeda sera ensuite attaché à
l'équipe d'architectes chargés d'édifier la "
Grande Poste " ( Edifiée
sur l'emplacement d'une ancienne chapelle anglicane, la Grande Poste restera
attachée au drame du 26 mars 1962, lorsque le gouvernement gaulliste
assènera le coup d'arrêt à l'Algérie française.
Lire l'algérianiste n° 97, 101, 117 et le présent numéro
p. 28. Après ce crime d'Etat la population française d'Algérie,
se sentant non seulement abandonnée mais prise entre deux feux
sanguinaires, devait entamer un exode sans même une assistance officielle.)
dont l'achèvement interviendra en 1913 à la veille de la
Grande Guerre sous la direction de Toudoire et Voinot.
Cet édifice public marquera le coeur de ville avec le square Laferrière,
la rue Michelet, les " Facs ", et plus tard le monument aux
morts de la Grande Guerre et son horloge florale. Un ensemble cohérent
et agréable au lieu et place des anciens fossés et remparts.
Malheureusement la liste des morts et disparus s'allongera après
le second conflit mondial et la guerre d'Indochine.
D'autre part sur le front de mer s'édifiait le Palais de l'Assemblée
Algérienne et au centre-ville, rue d'Isly, le grand magasin des
" Galeries de France " et bien d'autres commerces.
B - Situation avant la Grande Guerre
Vers 1913 la municipalité venait de terminer le Parc
de Galland en haut de la rue Michelet.
De mauvaises nouvelles parvenaient de la métropole sur la situation
en Europe où le conflit semblait inévitable avec l'Allemagne.
Cette situation allait entraîner un sérieux ralentissement
pour les projets de la municipalité d'Alger. Bien des problèmes
demeuraient en attente à la veille de la guerre alors même
que les premières dispositions de la mobilisation des hommes étaient
en cours. Voici la situation de la ville à la veille de la guerre
:
- Avec les communes suburbaines on allait atteindre
les 200 000 habitants or aucun plan cohérent de zoning ou "
zonage " (nom de l'époque pour désigner les secteurs
d'activités spécifiques) n'était possible tant que
l'autorité militaire ne consentirait pas à céder
de vastes terrains à la commune ( Le
Champ-de-Manoeuvres faisait 60 ha. S'y trouvaient le parc à fourrage,
les casernes de la cavalerie, du train, la cartoucherie, l'Arsenal et
le champ d'exercices) comme, par exemple, le secteur
du Champ-de-Manoeuvres et autres terrains vers Bab-el- Oued. Et enfin
le quartier vétuste de La Marine qui était à remembrer
d'urgence.
- Une autre zone restait à traiter, celle de Mustapha
qui avait été rattachée à la commune d'Alger
en 1904 et qui se trouvait dans un état de désordre complexe
entravant les communications et qui rendait très difficile la circulation.
En effet les rues privées et impasses y abondaient, bien souvent
établies suivant les tracés fantaisistes des particuliers
plus soucieux de leurs commodités que du bien public. Un très
gros travail de remembrement et de procédures d'expropriations
à entreprendre.
- Si, jusqu'en 1914, il y avait eu une véritable fièvre
de construire, les voieries et équipements publics avaient eu du
mal à suivre, et de graves problèmes d'évacuation
des déchets et d'assainissement ainsi que des évacuations
des eaux pluviales se posaient en raison de la nature déclive de
la presque totalité des rues.
- L'alimentation en eau potable de la ville allait devenir
très préoccupante bien que les plus grands espoirs soient
apparus par la reconnaissance en 1912 des nappes artésiennes et
eaux jaillissantes de la Mitidja qu'une commission de techniciens compétents
avait révélées.
- D'autre part, la ville ne possédait toujours pas
de halles centrales et les abattoirs de Belcourt trop exigus et d'une
hygiène toute relative méritaient d'être rénovés
et agrandis ou d'être transposés ailleurs. La poissonnerie
occupait toujours des entrepôts malodorants sous les voûtes
du boulevard Rampe-Anatole France sur le port ( La
ville ne possédait que les vieux marchés de la rue de la
Lyre, et de la rue Randon à la limite de la Casbah, puis sur l'ancienne
commune de Mustapha les marchés Clauzel et Meisonnier.)
- Enfin la topographie très en pente et en amphithéâtre
de la ville, imposait des voieries en lacets ou en escaliers bordés
d'immeubles pour rejoindre les hauteurs suburbaines. Un problème
qui allait s'aggraver avec l'apparition de l'automobile qui remplaçait
progressivement la traction et le transport hippomobiles. Une véritable
révolution pour la conception et l'organisation des voieries.
L'exemple des grandes cités européennes était à
suivre, et les élus et édiles en étaient parfaitement
conscients.
C - L'entre-deux guerres jusqu'à 1940
La paix revenue, le gouvernement votait la loi du 14 mars 1919 sur la
nécessité d'un plan d'aménagement, d'extension et
d'embellisement de la ville, ainsi que la rénovation du règlement
des voieries. Sommairement ces nouvelles dispositions étaient les
suivantes :
1 - Préciser les " zonings " d'urbanisme
en fonction des tendances d'activités animées par leurs
populations spécifiques.
2 - Le remembrement du quartier vétuste de La Marine
posait toujours les mêmes problèmes et préoccupations.
3 - Bien que les négociations de cession de terrains
avec l'autorité militaire soient toujours en cours, il était
urgent de se préparer pour aménager de nouveaux quartiers
comme au Champ-de-Manoeuvres ou encore à Bal-el-Oued y compris
les travaux d'enrochement pour gagner sur la mer.
4 - Il fallait développer les liaisons de voieries
tous azimuts et durablement pour la ville et surtout son port avec l'arrière-pays
tant vers le Sahel que vers Hussein-Dey à l'ouest que vers Saint-Eugène
à l'est.
5 - Il était nécessaire de réserver et
d'aménager des parcs et jardins ainsi que des terrains de sport
pour les loisirs de la population, et de développer ceux existants
y compris sur les localités des hauts d'Alger.
Un vaste programme pour un nouvel urbanisme de cet après-guerre.
Le temps était aussi venu de panser les plaies de la guerre car
les hommes d'Algérie avaient eux aussi contribué au prix
du sang. La ville décida donc d'honorer les héros et disparus
par des stèles du souvenir et monuments. Décision qui fut
d'ailleurs reprise par tous les villages d'Algérie.
À Alger on commença par le buste
de Guynemer, as des combats aériens, qui fut installé
boulevard Laferrière et dont le square qui fut aménagé
devait porter le nom du héros. Enfin le vieux projet du Jardin
d'Essai sera repris en 1920 par les architectes Régnier et son
beau-fils Guion qui traceront les aménagements définitifs
" à la française ".
En cet après-guerre, la municipalité reprend l'initiative
avec la foire-exposition de 1921 et l'exposition coloniale de 1922 à
Marseille où Jacques Guiauchain architecte réalisera le
" café maure " du pavillon de l'Algérie. Et ce
sera cette année-là que le président Millerand décida
de visiter Alger et ses environs. En ville les chantiers se multipliaient,
tant en logements qu'en commerces, donnant du travail à tous. Les
grands magasins tels que les " Deux
Magots " et " La Belle Jardinière " comblèrent
les familles algéroises. Le tourisme et le développement
des affaires donnèrent lieu à de nouveaux hôtels sur
le boulevard de la République comme celui de la Régence,
ceux d'Orient ou de l'Oasis. Les rencontres et réunions se passaient
aux cafés à la mode, le Coq Hardi ou le Tantonville à
côté de l'Opéra.
Alger suivait la " Belle Epoque " qui régnait à
Paris. La ville s'animait de plus en plus et générait toujours
de nouvelles créations et entreprises.
Hennebique, une entreprise qui connaissait une période florissante
en métropole et notamment à Paris va venir s'installer à
Alger. Elle diffusera même une revue sur un procédé
nouveau de construction, le " béton armé ". Comme
en métropole, beaucoup d'architectes locaux seront conquis par
cette nouveauté et notamment Petit et Garnier qui construiront
en 1921 les grands magasins du
Bon Marché, rue d'Isly, inaugurés en 1923. D'autre
part les architectes associés Régnier et Guion seront les
auteurs des immeubles Lafont au boulevard Saint- Saëns, du grand
garage Vinson rue Sadi-Carnot. Puis avec l'architecte Lugan, Hennebique
construira l'hôtel d'Angleterre et les immeubles des rues Denfert-
Rochereau et Clauzel, ceux des boulevards Victor-Hugo et Edgar-Quinet
où l'architecte élaborera un habitat original sur cour.
A citer aussi la fameuse Cité Bobillot à Mustapha construite
en 1926 réservée aux cadres moyens, et qui annonçait
les futurs HLM.
Et pourtant le " style Jonnart " ou " néo-mauresque
" conservera ses adeptes. C'est ainsi qu'en 1925, M. Titre architecte
de la commune d'El-Biar,
adoptera ce style pour la mairie.
Dix ans plus tard son confrère Charles Henri Montaland complétera
l'ensemble néo-mauresque de la place du village avec la poste et
l'école maternelle qu'il construira avec l'entreprise Vidal.
D'autre part ceux qui ont connu ce charmant village des " hauts d'Alger
" se souviendront sûrement du fameux " balcon Saint-Raphaël
" magnifique belvédère sur la baie d'Alger, son port
et l'immensité bleue de la mer. Une vue qui allait du Cap Matifou
à la Pointe Pescade et, plus à droite et au loin à
la jumelle, s'étendait la plaine de la Mitidja avec les villes
de Rivet et de l'Arba au pied du djebel Zerquela. Cet exceptionnel panorama
avait motivé le maître-maçon Barthélémy
Sébastien Vidal et ancien collaborateur de Sir Bucknall qui venait
de lui léguer ses archives, pour bâtir nombre de villas de
style, dont la villa Lefêvre-Laurens sur le site du balcon dont
certains se souviendront.
Le fils de Sébastien, Barthélémy-Vincent Vidal poursuivra
l'oeuvre familiale de l'entreprise en bâtissant en ville un grand
nombre d'immeubles collectifs rue Michelet et autres artères, ainsi
que la gendarmerie du boulevard de Verdun au dessus de la Casbah. La commémoration
du " Centenaire " approchait et la municipalité s'y préparait
activement. Un timbre commémoratif, rappelant la présence
du Président à Alger, était même diffusé.
En 1928 il était urgent de faire édifier le monument aux
morts et disparus de la Grande Guerre. Le site du square Laferrière
fut retenu sur les lieux et place des anciens remparts et fossés.
Le monument sera l'oeuvre des sculpteurs Landowski et Bigonnet et autres
artistes auxiliaires. Il sera implanté au milieu de jolis jardins
avec une magnifique horloge florale d'un diamètre de 5 m.
Par ailleurs, il était toujours question de construire un "
Palais du Gouvernement " (futur Gouvernement
général). La municipalité confiait le
projet à l'architecte Jacques Guiauchain assisté de son
confrère Rotival. Ces derniers s'attacheront en 1930 le concours
de l'entreprise des frères Perret spécialistes en béton
armé. Cette entreprise s'était déjà fait un
nom tant en métropole qu'en Algérie et au Maroc (Les
frères Perret, Auguste, Gustave et Claude s'étaient déjà
fait connaître à Alger en construisant le pavillon de l'Algérie
lors de l'exposition coloniale de 1906. Ils avaient aussi beaucoup construit
au Maroc et notamment à Casablanca. Ils s'installent à Alger
en 1930 pour la réalisation du Palais du " Gouvernement général
" sur le projet de l'architecte Guiauchain. L'entreprise réalisera
aussi le " Forum ".).
Cet énorme bâtiment coeur administratif de la ville et du
pays sera situé en haut du boulevard Laferrière, anciens
fossés et remparts transformés en jardins, esplanades et
escaliers où se trouvait d'ailleurs le monument aux morts. L'édifice
de style " Perret, ", implanté en terrain pentu, recevra
4 500 m2 de bureaux et salles diverses sur treize étages d'un côté
et huit de l'autre.
Vingt-huit ans plus tard dans la phase finale de l'Algérie française,
ce sera du balcon monumental dominant la vaste esplanade du Forum noire
de monde que De Gaulle achèvera son coup d'Etat sur la France en
lançant le 4 juin 1958 son fameux " Je vous ai compris "
dont le sens ambigu et trompeur subjuguera la foule algéroise désemparée
qui ne demandait qu'assistance pour être délivrée
du terrorisme (6Le 13 mai 1958 sera
pour tous les Français une nouvelle " journée des dupes
" qui ne grandira sûrement pas l'histoire de la France dans
le monde. D'ailleurs les conditions de la prise de pouvoir par De Gaulle
n'est jamais commémorée, ni remémorée par
les médias.). Cet énorme bâtiment deviendra
le G. G, c'est-à-dire le " Gouvernement général
" dans le langage courant des Algérois. Sa réalisation
demandera au long des années le concours de nombreux architectes
comme MM. Luyckx et Forestier et bien d'autres. Donc installés
à Alger, les frères Perret se verront aussi confier avec
l'architecte Guiauchain les constructions de la Maison de l'agriculture,
le Yacht-Club, le collège du Champ-de-Manoeuvres ainsi que certains
pavillons des hôpitaux Mustapha et El-Kettar.
En ces années 1928-1929, sur le boulevard Carnot en front de mer,
les architectes Auguste Bluysen et Joachim Richard se verront confier
la construction du Casino d'Alger jouxtant la préfecture avec l'Hôtel
Aletti. Avec le recul du temps on constate qu'une seule décade
devait séparer la célébration du Centenaire du déclenchement
de la Seconde Guerre mondiale. Or, en cette époque des années
trente, personne ne pouvait encore prévoir le prochain conflit.
Charles Brunel, maire d'Alger, confiait l'étude du " Plan
régional " de la ville aux architectes-urbanistes Maurice
Rotival, Henri Prost, puis René Danger sur une base photographique
de la Compagnie aérienne française.
Ce vaste plan d'urbanisme avait pour objectif de créer les liaisons
du centre ville avec la périphérie, le port et les communes
suburbaines, ainsi que les grandes voies allant vers l'est et l'ouest
en prolongeant le front de mer. Vers l'est pour desservir Hussein-Dey,
Maison Carrée, Fort de l'Eau, Aïn-Taya, etc., puis vers l'ouest,
tout en gagnant sur la mer par des remblais au bas des quartiers de Bab-el
Oued et de La Consolation, aménager les cimetières et les
quartiers de Saint-Eugène, puis poursuivre en corniche jusqu'au
village côtier et le port de Guyotville.
Les voies de bord de mer firent l'objet d'une très grande attention
afin d'inclure sur les chaussées les rails et lignes électrifiées
des futurs transports en commun destinés à remplacer les
fameux " coricolos " à chevaux.
Les fêtes du Centenaire passées, bien d'autres problèmes
allaient se poser aux élus et aux services techniques municipaux
toujours installés dans l'ancien hôtel d'Orient alors qu'un
concours avait été lancé pour la construction d'un
nouvel Hôtel de Ville.
Les principaux problèmes à résoudre étaient
les suivants:
- La ville, son port et l'immédiat arrière-pays
exerçaient une grande attirance pour les populations. Avec les
communes suburbaines les derniers recensements de 1933-1935, on atteignait
environ 365 000 habitants, ce qui plaçait l'agglomération
algéroise au quatrième rang des villes françaises
après Paris, Marseille et Lyon. Or le décret présidentiel
du 20 mai 1932 approuvait la création de la " Régie
Foncière " qui avait pour vocation de promouvoir des programmes
de construction de logements sociaux sous le contrôle des services
techniques de la ville conformément à une convention de
1931. Il était donc urgent de lancer ces programmes alors même
que la vétusté du quartier de La Marine avait déjà
entraîné des sinistres ainsi que des conflits ethniques entre
Musulmans et Juifs (Le pogrom de 1934
des musulmans sur le quartier juif de La Marine fut des plus sanglants.).
- Afin de développer les programmes de logements sociaux,
il fallait que les négociations avec l'autorité militaire
aboutissent pour enfin libérer et céder les terrains qui
étaient encore propriété de l'armée, et alors
même que les études du " Plan régional d'Alger
" étaient en cours dans les cabinets des architectes Rotival,
Danger et Prost. Si environ 35 ha avaient été déjà
libérés à Bab-el Oued, il restait encore en négociation
plus de 60 ha dans la zone de Mustapha et du Champ-de-Manceuvres. Enfin
il fallait " déclasser " définitivement les anciens
fossés et remparts et leurs portes qui devaient disparaître
pour permettre la libre extension de la ville. Ce sera chose faite en
1935.
- L'utilisation de l'automobile qui remplaçait peu
à peu les véhicules hippomobiles risquait de provoquer à
court terme la congestion des voies, et de plus il fallait aussi compter
avec l'installation des transports en commun par " tramways "
sur la partie basse de la ville.
- Si cette partie basse en front de mer était pratiquement
plate, il n'en était pas de même de la topographie vers les
hauteurs de la ville où les voieries étaient toutes en déclivité
plus ou moins accentuée et bien souvent en lacets. Cet état
topographique posait bien des problèmes pour les égouts
et les évacuations des eaux pluviales qu'il était urgent
de canaliser et de maîtriser. La station de refoulement des eaux
de l'Agha devait être achevée.
- Depuis quelques années le trafic portuaire commercial
et touristique augmentait au point qu'une véritable " gare
maritime " s'imposait. D'autre part il était urgent de réparer
les dégâts de la tempête
de 1931 ( L'algérianiste
n° 115. Texte de MM. Palomba et Scotti sur les désastres du
ressac des années 1931 et 1934.).
- Il fallait aussi activer le projet d'usine d'incinération
des déchets sur la commune d'Hussein-Dey dont la Compagnie générale
d'assainissement était en charge.
- Le ravitaillement de la ville devenait d'autre part problématique
en raison de l'accroissement de la population et la création de
nouveaux quartiers. Jusqu'à 1930 Alger ne possédait pas
de " halles centrales " pour réguler le marché.
Il fallait décider de les construire à l'emplacement des
anciens abattoirs de Belcourt et transporter ces derniers sur la commune
d'Hussein-Dey dans des locaux plus vastes et plus modernes. Quant aux
marchés existants de Bab-el Oued (La Lyre et rue Randon ) (note
du déjanté : ces deux marchés seraient plutôt
sur la Casbah) et ceux de Mustapha (Clauzel et Meissonnier)
ils devaient être réorganisés et agrandis. Et enfin
sur le port, les locaux nauséabonds de la poissonnerie sous les
voûtes du boulevard Anatole-France devaient être supprimés
pour être regroupés dans de nouveaux
locaux modernes sur les quais, et spécifiquement réservés
aux produits de la mer. - Le Central téléphonique de Belcourt
construit en 1929 donnait des signes de saturation. Une surélévation
du bâtiment s'imposait pour une extension des réseaux.
- Il fallait aussi améliorer et développer le
service hospitalier et clinique avec des équipements modernes.
- Le bien-être de la population et sa distraction devaient
voir se développer installations sportives ainsi que parcs et jardins.
- Et enfin le patrimoine du " Vieil Alger ", constitué
par certains musées comme celui des Beaux-arts, le Bardo et Franchey-d'Esperey,
ainsi que la mystérieuse Casbah dont il fallait conserver le caractère
original, permettait aux touristes épris d'orientalisme d'y ressentir
les émotions recherchées. Il fallait toutefois y maintenir
et améliorer le nettoyage, la salubrité et la restauration
des plus belles demeures ( Dans les
années 1930 des camions citernes du service de nettoiement déversaient
chaque nuit de l'eau de mer du haut de la ville. D'autre part, tôt
le matin, les petits ânes de service parcouraient les ruelles pour
évacuer les détritus.).
Devant la charge d'un tel programme, il faut reconnaître le mérite
de tous ceux qui faisaient d'Alger une ville moderne en ces années
trente, à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Cependant on
ne peut passer sur ces années trente à trente-trois, sans
rappeler que cette effervescence constructive avait attiré un opportuniste
très remuant, un certain Le Corbusier qui s'était déjà
fait connaître à l'occasion d'un voyage à Alger en
1929 par quelques " expos " et conférences. Ce dernier
poursuivait son action médiatique pour sensibiliser l'opinion algéroise
à ses idées, disons " révolutionnaires ",
dans sa conception de la vie urbaine et de l'habitat collectif. Il y faisait
miroiter sa solution pour un " Alger, ville radieuse "(L'algérianiste
n° 45. Texte de Louis Lataillade sur Le Corbusier à Alger.).
Si ses théories progressistes et modernistes devaient convaincre
et émerveiller certains confrères locaux qui resteront ses
" inconditionnels ", elles susciteront bien des doutes et méfiances
devant la réalité du pays et de la topographie de la ville,
et surtout devant les complexités d'un brassage des diverses couches
de populations de provenances ethniques et religions opposées.
Son utopie ne tarda pas à être stoppée par un opposant
de poids en la personne de M. Umbdenstock, professeur à Polytechnique
et à l'école des Beaux-Arts de Paris qui n'hésita
pas à traiter Le Corbusier de " charlatan " de l'architecture.
La fièvre algéroise médiaticopolitique de ces années
trente retomba et Alger échappa sûrement à des bouleversements
démesurés autant qu'utopiques. M. Umbdenstock deviendra
l'architecte de la Banque de l'Algérie et construira avec L. Pierre-Marie
et l'entreprise Vidal le siège général à Alger
boulevard Baudin (ossature métallique), ainsi que les succursales
d'Oran, de Philippeville et de Bougie. D'autre part Pierre-André
Emery chef de file des " inconditionnels " de Le Corbusier recevra
commande de l'usine d'incinération des déchets d'Alger dans
le secteur d'Hussein-Dey.
Bien que la fièvre " moderniste " ait marqué les
esprits créateurs de ces années trente qui suivaient le
centenaire, l'engouement pour le style " Jonnart " n'était
pas du tout éteint. Le charme de l'architecture néo-mauresque
demeurait dans bien des coeurs. Aussi persista-t-il avec l'architecte
Montaland qui sera chargé de construire le pavillon de l'Algérie
à l'exposition de 1931. Le style va persister aussi dans la rénovation
d'anciennes demeures turques transformées en musées, ainsi
que de nombreux particuliers qui firent bâtir leurs maisons en "
néo-mauresque ". Ce qui devait contribuer à un certain
charme de la ville et de ses environs. Depuis quelques années la
municipalité toujours à l'étroit à l'hôtel
d'Orient songeait à un nouvel " Hôtel de Ville "...
Un concours d'architecture fut donc ouvert en 1931 visant l'espace d'un
terrain libéré par l'autorité militaire. Les lauréats
en furent les architectes et frères Jean et Edouard Niermans, grands
prix de Rome de 1929. Ces derniers s'adjoignirent localement le concours
de leur confrère Jean-Louis Ferlié.
Le chantier qui ne devait s'ouvrir qu'en 1936 connut bien des aléas
et interruptions et notamment celle de la guerre. Aussi le complet achèvement
n'eut lieu qu'en 1951 à quelques finitions près. La cession
de la presque totalité des terrains du domaine militaire devait
libérer le lancement des programmes de constructions sociales (Le
déclassement définitif des fossés et remparts n'aura
lieu qu'en 1935. Il libérera notamment les terrains en pente du
bd Laferrière) , publiques et hospitalières dont
la ville avait un besoin urgent.
Ne seront citées que les opérations les plus marquantes
de la décade 1930-1940 :
- Avant la guerre la production de gaz et d'électricité
dépendait toujours de sociétés concessionnaires.
Or la politique de l'époque posait la question de l'unification
des énergies pour une meilleure distribution dans la région
visant l'industrialisation et une meilleure répartition.
- En matière de communications, le Central téléphonique
de Belcourt construit cinq ans auparavant par Marcel Christofle, architecte,
arrivait à saturation. Aussi était-il urgent d'augmenter
la capacité des réseaux par la surélévation
du bâtiment. Ce sera le fils du premier architecte Marcel-Henri
qui en reçut la mission. Ces travaux seront achevés en 1937.
- Dans l'axe du Jardin d'Essai il fut décidé
de construire un "
Musée des Beaux- Arts ". Ce sera l'oeuvre de Paul
Guion architecte qui recevra également commande de l'Ecole d'horticulture
dans le Jardin précité.
- A partir de 1931 après la cession de terrains militaires,
le Champ-deManuvres va se transformer. Les architectes Jean Bevia
et Xavier Salvador seront chargés de plus de 2000 logements sociaux.
Leur confrère Léon Claro recevra commande d'un Foyer Civique
et d'un groupe scolaire.
- Un peu plus haut vers le quartier de Mustapha, l'architecte
François Bienvenu réussira avec succès un habitat
" indigène " adapté au mode de vie de la communauté
musulmane.
- Quant au recasement de la population du quartier vétuste
de La Marine en cours de démolition pour être remembré,
il sera effectif entre 1932 et 1935 avec la réalisation du groupe
de logements sociaux H.B.M de Malakoff à Bab-el- Oued, oeuvre de
l'architecte Bienvenu. Ce dernier réalisera aussi la caserne des
" gardes mobiles " au quartier des Tagarins, y compris les logements
des familles de ces fonctionnaires.
- Au nouveau centre-ville les fossés et remparts venant
d'être déclassés et cédés à la
ville en 1935, les travaux du boulevards Laferrière en escaliers
jardins et esplanades deviendront un chantier permanent jusqu'à
l'espace du Forum qui deviendra célèbre vingt-sept ans plus
tard. Ces travaux étaient placés sous la direction des architectes
Jacques Guiauchain et Maurice Rotival.
- Ces années 1935-1940 verront un grand effort vers
les grands besoins en constructions hospitalières. Des architectes
comme J. Guiauchain et Xavier Salvador vont devenir de grands spécialistes
de ces équipements. Le premier réalisera le pavillon des
tuberculeux de l'hôpital de Mustapha, celui des contagieux à
l'hôpital d'El-Kettar, puis la pouponnière de l'assistance
publique à Mustapha supérieur, et le second désigné
comme conseiller de la santé publique réalisera de nombreux
bâtiments d'extension au sein de ces hôpitaux, ainsi que le
préventorium du Cap Matifou, l'Institut des sourds-muets et la
clinique infantile de l'hôpital de Mustapha. Cet hôpital civil
était devenu une véritable ville dans la ville, avant de
devenir hôpital universitaire.
- Les installations portuaires et ferroviaires ne cessèrent
de se développer en fonction du trafic du port d'Alger.
De 1936 à 1937 le dernier équipement avant la guerre sera
la construction
de la " poissonnerie " qui remplacera les anciens
locaux situés sous les voûtes du boulevard Anatole France
et les escaliers de la Pêcherie.
Les voûtes seront dès lors occupées par de fameux
restaurants à poissons.
(À suivre)
Dans le prochain numéro : Le tournant après la Seconde Guerre
mondiale.
|