UNE NOUVELLE HALLE AUX POISSONS A ALGER
C'est au pied des vieux, murs de la mosquée
et sous les imposantes voûtes soutenant le boulevard, que se place
aujourd'hui encore " la pêcherie " d'Alger. Jadis, la
mer y régnait et, sur les galets de la rade foraine d'El Djèzaïr,
les bateaux corsaires attendaient, en ces lieux, l'heure des courses tragiques
et fructueuses des pirates barbaresques. Chaque matin, maintenant, au
lever du jour, une animation fébrile et bruyante s'y constate.
C'est l'un des endroits les plus, pittoresques parmi ceux, innombrables,
qui font le charme de l'Alger moderne. Une foule dense et bariolée
s'y agite, tandis qu'une odeur caractéristique ce marée
emplit l'air et s'épand jusqu'aux, boulevards, à peu près
déserts.
Du quai, où accostent les bateaux de pêche, a cet endroit,
c'est un va et vient incessant. Des indigènes transportent sur
leur tête, de grands casiers de bois où sont rangés
les poissons, fruit de la pêche nocturne. Il n'est rien de plus
attrayant que d'assister à ce débarquement. Aux clartés
indécises de l'aube, scintillent de feux bleutés ou roses,
les écailles des poissons, en tas au fond des barques. De toutes
formes, de toutes couleurs, de toutes tailles, les habitants de l'onde
amère sont classés par catégories, par grosseur et
aussitôt apportés, dans la cour de la pêcherie.
Là, rangés, comme des soldats à l'exercice, les casiers
attendent le début de la vente à la criée. C'est
voix alors que se déroule une scène pittoresque. Le crieur
désigne les casiers et les prix demandés d'une forte et
se développant sur le : " A 135 francs li dû casiers
di poissôôôon "... et les enchères vont
bon train, jusqu'au moment où le fatidique " adjugé
" est prononcé par le mandataire. C'est, autour des casiers,
une bousculade sans nom. Un cercle se forme qu'il est impossible de franchir
et qui va se resserrant à mesure que les ventes et l'enlèvement
des poissons s'effectuent.
A l'écart, le vieux marchand de varech enveloppe dans des feuilles
de papiers usagés, ses vastes et translucides herbes marines, tandis
que les revendeurs placent sur les étals les marchandises qu'ils
viennent de s'adjuger. Sous les voûtes sombres, une forte odeur
de marée s'allie à celle, plus prenante encore, du désinfectant
épandu sur les dalles du parquet.
Ici, avec une agilité et une dextérité remarquables,
un marchand dépouille de gros " chiens de mer " ; là,
c'est une énorme raie que l'on éventre ; plus loin, les
rougets sont rangés en ordre parfait, tandis qu'à leur côté
un imposant mérot baille de toute son effrayante gueule jaune et
noire.
A l'un ces angles d'un pilier de voûte, pendent d'étranges
trophées. Ce sont des mâchoires de poissons carnassiers ou
de squales. Desséchées, tordues, ces reliques montrent des
dentitions extraordinaires. Certaines laissent voir plusieurs rangées
de dents acérées et de taille respectable. Sans doute les
pêcheurs qui ont tiré de leur élément ces monstres
dentus ont-ils eu beaucoup de mal peur éviter de terribles morsures.
Ce qui est encore remarquable, c'est la quantité de chats qui entourent
les éventaires et les casiers posés à terre. Il y
en a de toutes tailles et de tous poils. Sans montrer d'impatience, ils
attendent leur pitance quotidienne. Dès qu'ils sont servis, ils
se sauvent vers les profondeurs noires des voûtes, non sans avoir
montré griffes et crocs à leurs voisins trop affamés.
Et tout ce monde : poissons morts, chats étiques, hommes affairés,
compose un tableau vraiment captivant. Il y a bien, comme partout où
l'on travaille vite, quelques bousculades et de vifs échanges d'injures
d'autant plus savoureuses qu'elles sont dites en des langues différentes.
Mais, loin d'enlever du charme à la scène, ceci lui donne
encore plus de cachet local.
Bientôt tcut ceci ne sera plus que du passé. Nous ne nous
en plaindrons point, bien qu'ayant un faible marqué pour tout ce
que nos jeunes générations qualifient de vieux, de désuet,
d'antique. La pêcherie n'existera plus que dans le souvenir des
rares curieux qui, comme nous, n'ont point jugé inutile de s'intéresser
à la vie de la capitale, dut-il leur en coûter de se lever
très tôt. Et cela, au fond est un bien, une nécessité
même.
Le vieux marchand de vareclû
Se rendant compte des inconvénients réels résultant
de l'organisation actuelle de la venté en gros des produits de
la pêche, la Chambré, de Commercé et la Ville d'Alger
ont décidé, d'un commun accord et selon des modalités;
financières dent nous ne pouvons nous occuper ici, de déplacer
la pîcherie. Pour le plus grand bien de tous, une nouvelle halle
aux poissons, dont la constructien est aujourd'hui presque achevée,
a été édifiée sur le môle.de pêche
lui-même.
Si le pittoresque dcit.y perdre, l'hygiène et l'organisation rationnelle
d'un pénible -travail s'en trouveront beaucoup mieux. Il n'est
point d'esprit assez chagrin, ou trop ancré dans le sentiment de
l'ihrangibilité des organisations périmées, pour
trouver à redire à une aussi heureuse initiative.
La nouvelle halle aux poissons a été conçue et réalisée
d'après les nécessités du mode de vente en gros usité
à Alger et d'après la quantité du poisson mis aux
enchères.
C'est ainsi que les calculs ont montré qu'il y avait un arrivage
maximum journalier d'environ vingt tonnes, ce qui porte à près
de six mille tonnes le tonnage annuel en tenant compte des apports du
Maroc, des ports algériens et de la petite pêche.
Pour donner à la halle aux poissons des dimensions convenables,
on s'est basé sur ce fait que la vente s'exécute de gré
à gré, tous les mandataires venant en même temps/
ce qui exige que la marchandise soit entièrement étalée.
Au fur et à mesu-e des arrivées destinées à
la vente, le poisson sera resserré dans une chambre refroidie à
six degré, température suffisante pour une conservation
de vingt-quatre heures au maximum, mais ne permettant pas la conservation
pendant plusieurs jeurs.
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