La
pêche et les pêcheurs en Algérie
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........Monsieur
Joseph Palomba m'a fait parvenir un second livret, avec photos,
dessins et glossaire. Il l'a écrit en collaboration avec
monsieur Edgar Scotti. "Vous pouvez en disposer à votre
convenance", écrivait-il. Eh bien, voilà. Je
vous en fais profiter...
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Avant propos -------En 1962, avant l'indépendance du pays, les départements français en Algérie comptaient sur les 1000 kms de côtes de son littoral, dix huit ports de pêche où s'exerçaient les métiers du chalut, palangriers, petits métiers, trémails, lamparos, corail et autres, sans oublier l'industrie annexe avec plus de 40 usines et ateliers de conserves de sardines et thons ainsi que de salaisons d'anchois qui faisaient vivre 1500 familles de pêcheurs européens et environ 4000 familles de pécheurs musulmans. -------Il n'en fut pas toujours ainsi. Avant la venue des français, il y avait certes des marins parmi les autochtones, mais sous la Régence, beaucoup allaient en mer plus pour la piraterie que pour pratiquer la pêche. -------Il est certain que la présence sur les côtes algériennes de baies sommairement protégées des vents dominants ainsi que le manque de ports, peuvent expliquer l'absence de tradition maritime et d'attachement des populations locales aux métiers de la mer. -------Bien avant
1830, des pêcheurs venus du pourtour méditerranéen,
principalement d'Italie, fréquentaient déjà la côte
algérienne. Des bateaux Sardes, Napolitains, Toscans, Siciliens
venaient nombreux pêcher sur le littoral, surtout à l'Est
d'Alger sur des sites bien connus de ces marins pêcheurs, y compris
les nouveaux bancs de coraux près de la frontière tunisienne. L'émigration des pêcheurs à Alger -------Venus de tout le pourtour méditerranéen : Espagne, Italie, Majorque, Malte, Sicile et autres, des marins pêcheurs furent attirés par l'Algérie dés le début de la colonisation française. Beaucoup parmi eux connaissaient déjà la côte algérienne comme nous le signalons dans le préambule, pour l'avoir pratiquée avant 1830. Nous les évoquerons dans cet article et principalement ceux qui se fixèrent à Alger. -------Originaires pour la plupart du Mezzogiorno, ce sud de la péninsule italienne, ils venaient majoritairement des îles de Capri, Ischia, Procida et des villes comme Gaèta, Torre-del-Gréco, Cetara, Salerne ou Amalfi. Contraints de quitter leur pays, venant d'une même région, parlant une langue commune, souvent parents d'une même famille et ne pratiquant que les métiers de la mer, ils se retrouveront près du port dans le quartier de la marine à Alger. -------Marins pêcheurs " ils reprirent aussitôt la voile, les tartanes, les bateaux boeufs qui se déplaçaient au gré du vent, par couple en traînant le filet et pratiquèrent plus tard la pêche au gangui et au chalut le long des côtes inhospitalières désignées sous le nom de barberie ". (Gérard Crespo : les italiens en Algérie) -------Exilés
d'un golfe " béni des Dieux " ces hommes se retrouvèrent
jetés sur une côte bien aride. Et comme dit Gérard
Crespo " où ces hommes laborieux et durs au travail vivaient
et dormaient dans leurs barques ou dans des cabanes qualifiées
à l'époque par les fonctionnaires français, de Gourbis
" (Gérard Crespo : les italiens en Algérie) -------Au début de la colonisation la pêche n'était pas réglementée et pour cause. Dans les premiers convois " civils " arrivés de France, on ne trouvait pas de marin pêcheur. Sur place chez les autochtones, il y avait des marins mais pas du tout intéressés par le métier de la pêche. Ils y viendront lentement plus tard et par la force de la situation, iront crescendo après l'indépendance. -------Alors, les pêcheurs n'étant ni français, ni arabes, on fut ravi en " haut lieu " d'accueillir des pêcheurs étrangers ... et ils ne manquaient pas. Mais ceux ci, pas encore français, furent ballottés comme sur la mer, dans un inextricable maquis de procédure, décrets, ordonnances, sénatus-consulte et autres pour aboutir à la loi de 1888 réservant le droit de pratiquer la pêche en Algérie aux seuls citoyens français ! -------A Alger, cette loi de 1888 augmentera considérablement le nombre de demandes de naturalisation parmi les pêcheurs d'origine italienne. Déjà un grand nombre d'entre eux étaient favorables à l'acquisition de la nationalité française. Ayant abandonné définitivement leur pays qui ne pouvait plus les faire vivre, ils aimèrent cette nouvelle terre où malgré toutes sortes de difficultés, beaucoup avaient déjà fondé une famille. -------On avait besoin d'eux, mais les démarches administratives ne furent pas facilitées pour autant. En ce temps là on ne savait pas trop " sur quel pied danser " tant la " musique " paraissait différente entre Paris et ses représentants à Alger. -------Ce n'était pas nouveau. Ici, un gouverneur avait même ébauché une tentative de création de villages marins réservés aux seuls pêcheurs français. Ce fut semble t- il une gageure, pour ne pas dire un échec, tant ceux-ci étaient peu nombreux ... alors on activa les naturalisations ! -------De ce jour, beaucoup de pêcheurs étrangers surtout italiens, obtinrent la nationalité française. Avec l'épouse et les enfants mineurs, cela en fera un grand nombre. Alors, pour ces hommes la situation changera et ils étaient naïvement fiers d'exhiber leur nouveau livret d'inscrit maritime en proclamant : " j'ai le livret, je suis français " . -------Mais ne déchanteront ils pas par la suite ? Car malgré leur naturalisation (volontaire ou forcée) ils seront longtemps injustement considérés comme de " néo " ou de français de seconde zone. Pourtant, loyalement ils firent leur devoir quand la patrie fut en danger. Marins, ils servirent dans la " coloniale " ou dans la " royale " aussi bien sur la Marne ou à Verdun qu'aux Dardanelles. Mais hélas, encore en 1926, certains (pas très intelligents) les traiteront " d'hommes inférieurs, misérables, illettrés, issus de la plèbe maritime venus d'Espagne et d'Italie et voués à l'échec total dans leur métier ". -------Ces marins pêcheurs méritaient-ils ce jugement tendancieux et injurieux ? Nous pensons que c'était là une calomnie gratuite et véritablement une erreur de jugement. -------Concernant la prédiction de " l'échec total " pour ces marins dans leur métier, cette idée se heurta, ne serait ce que pour la pêche au chalut à Alger, à l'évolution favorable et au développement spectaculaire des bateaux, engins de pêche et méthodes de travail que connurent les chalutiers d'Alger, qui jusqu'à l'exode de 1962, les classeront au premier rang des ports de pêche français en Méditerranée -------Dans un autre
domaine et pour la justice que nous devons à ces hommes de mer,
analysons l'appellation péjorative " d'illettrés "
employée à leur encontre. Oui beaucoup de marins pêcheurs
que nous avons connus à Alger, même des maîtres de
pêche, étaient illettrés ne sachant ni lire ni écrire
. Ils étaient analphabètes par le fait qu'ils n'eurent jamais
de temps pour pouvoir fréquenter une école. -------Le manque de scolarité était pour ces hommes une frustration qui gardèrent toute leur vie. Pourtant, eux qui signaient leur nom en traçant une croix sur les documents officiels, ne manquaient pas d'intelligence. Ils possédaient la science naturelle de la vie apprise sur le tas. Ils connaissaient de par leur métier profondément la mer et tous ses mouvements. De même pour les changements de temps, comme les paysans, ils se trompaient rarement dans leurs jugements. Sans avoir fait d'études, la navigation n'avait pas de secret pour eux. Les maîtres de pêche de chalutiers avaient un tel sens d'orientation et une si grande connaissance des fonds marins, que cela semblait mystérieux. Dans la tempête ou par profond brouillard, ils retrouvaient toujours leur route. La côte algéroise, d'Ouest en Est, leur était familière dans ses moindres contours et ils connaissaient parfaitement l'emplacement des rochers ou des épaves qui en garnissaient le fond. Traînant leur chalut à l'Ouest de la capitale, de Guyotville à Cherchell, ils exploitaient de même le golfe d'Alger ainsi que la côte Est, du Cap Matifou au Cap Djinet, lieux de pêche privilégiés. -------Oui, hommes illettrés mais de grande valeur. Bien avant l'avènement du sondeur électrique sur les bateaux, ils se servaient du compas et de la sonde à mains (boule de plomb au bout du filin) et de l'alignement des amers ou signes, transmis de père en fils et jalousement gardés, qui leur permirent pendant des décennies de pouvoir chaluter de long en large sur tout le littoral algérois. Avec obstination et acharnement, jour après jour, ils portèrent les fonds chalutables de la côte ouest, entre Castiglione et le Chenoua, de 80 à plus de 400 mètres où depuis la nuit des temps jamais aucun filet n'était passé sur ces fonds. Et cela à l'époque où les scientifiques et les océanographes n'avaient pas encore établi la carte des fonds marins de ce secteur. Retard préjudiciable dans ce domaine où il faudra attendre l'après guerre 14-18 pour voir la naissance d'unités de recherches, d'études des fonds marins, de cartographie et de biologie marine appliquée. Travaux bénéfiques pour l'ensemble de la pêche principalement aux chalutiers. -------Ici nous ajouterons un mot concernant la profession de maître de pêche de chalutier. -------Pour notre
esprit de latin, la pêche se pare toujours un peu d'un prestige
mystérieux et confus comme un rite religieux. Elle est souvent
présente dans l'évangile des chrétiens et avec la
Croix, le poisson fut le premier symbole de la Chrétienté.
Les Grecs qui étaient des marins n'ont pas su trouver un dieu pour
les pêcheurs, mais le Christ en fit ses premiers disciples... et
Pierre, le premier homme qui le représentera était un pêcheur
! -------Mais la pêche
est surtout un métier que l'on ne peut aborder qu'au bout d'un
long apprentissage et qui ne cesse de se perfectionner depuis la nuit
des temps. Si les pêcheurs se penchent toujours, comme sur les bas
reliefs assyriens sur le plat bord des bateaux pour tirer le filet, ils
ne le halent plus de leurs mains. C'est le treuil qui s'en charge et c'est
l'hélice qui pousse le bateau à jouer à saute mouton
avec les vagues. Cependant, le filet reste le symbole immuable de la pêche. -------Images particulièrement familières pour nous du fait que nous sommes algérois et que les chalutiers étaient aimés à Alger. Ce qui fit dire à Jean BRUNE dans son journal d'Exil : " Et tous regardent rentrer les chalutiers qui dansent dans les vagues hargneuses des crépuscules d'hiver, parce que le chalutier représente toujours pour ces latins qui naissent avec les cheveux teintés par l'iode et les lèvres déjà salées, le fabuleux bateau des pêches miraculeuses ! " -------Ayant qualifié les maîtres de pêche d'un savoir mystérieux, il nous faut dire aussi comment pouvait-on acquérir ce savoir ? -------D'abord,
fruit d'un apprentissage exercé depuis le plus jeune âge,
il était surtout la somme de connaissances, voir de " secrets
" que les patrons de pêche se transmettent de père en
fils et qui tiennent souvent du miracle. Ce n'est pas le hasard si ces
hommes qui n'ont jamais vu les fonds de la mer de leurs yeux, les connaissent
cependant dans les moindres détails, comme ces aveugles qui, à
force de toucher les plus petites aspérités d'un banc ou
d'une table, pouvaient en dresser une liste scrupuleuse et n'en oublier
aucune. -------L'interprétation des repères immuables sur la côte lointaine : repères que les pêcheurs appellent " signes " en Méditerranée et " amers " en Bretagne, sera toujours la base principale du savoir d'un bon maître de pêche et en fera sa notoriété. Car cette connaissance lui permettait de mener à bien la traîne du filet chalut sur le fond de la mer en évitant les embûches naturelles et parfois les nombreuses épaves semées le long du parcours. -------Elle lui donnait en plus et surtout la satisfaction en fin de calée de remonter le filet sans aucun dommage et le sac rempli de poissons. -------Il est incontestable que le métier de la pêche le plus répandu à Alger était celui de chalutier. Pratiqué jusqu'en 1914 par des balancelles à voiles sous le nom de " pêche aux boeufs " c'est à dire deux bateaux attelés au même filet pour le tracter sur le fond. Il faudra attendre l'après guerre en 1920/1922 pour voir apparaître les chalutiers à vapeur, qui exploiteront encore ce mode de pêche jusqu'à l'avènement du panneau de pêche vers 1930, qui permit le chalutage individuel et l'abandon du filet boeufs en Méditerranée. -------Cette pêche au filet boeufs était très difficile à pratiquer. Elle alliait deux bateaux d'égale puissance, montés par des équipages expérimentés dont la réussite était liée à la capacité du maître de pêche. C'est lui qui décidait de la route à suivre, du choix des lieux de pêche et des manoeuvres à exécuter. Responsable du travail, il avait sous ses ordres un patron dirigeant le second bateau. Chaque bateau avait un équipage de sept hommes dont un mécanicien et deux hommes de chauffe. -------Arrivé sur le lieu de pêche, le filet était mis à l'eau, relié à chaque bateau par une fune en corde mixte fixée sur les deux ailes latérales du chalut. Le temps pour celui-ci d'atteindre le fond, débutait alors la partie la plus délicate de l'opération ; la traîne. Les deux bateaux devaient avancer du même pas peut on dire et d'une façon constante et parallèle pour éviter que le filet grattant le fond de la mer ne se déchire. -------C'est dans ce contexte difficile, bien avant l'apparition du chalutage individuel et des moyens de détections modernes qui suivront, que des maîtres de pêches, peut-être illettrés mais de grande notoriété dans la profession, réussirent à élargir le champ d'exploitation du plateau continental au large du village de Bou-Haroun allant bien au delà de 200 mètres de fond, fonds qui par la suite s'avérèrent bien riches des grosses crevettes rouges tant appréciées des algérois. -------A cette époque, ils étaient environ dix paires de chalutiers à exploiter ce genre de pêche à Alger. Pour avoir un aperçu du résultat de ce labeur, sachez qu'une statistique de 1926 fait état de 1 547 000 kg de poissons pêchés par ces bateaux entre le ler octobre 1923 et le 31 mars 1924, commercialisés à la pêcherie d'Alger, soit une moyenne de plus d'une tonne de produit journalier par paire de bateaux. (A. Gruvel : " Les pêches maritimes en Algérie ") -------Entre 1930
et 1935, l'extension du chalutage individuel, dû à l'usage
nouveau des panneaux de pêche qui supprimeront la nécessité
d'avoir deux bateaux pour draguer un seul filet, libérera une dizaine
de chalutiers, ce qui portera le nombre de la flottille du port d'Alger,
à plus de vingt unités. -------En 1930, les pêcheurs émigrés, malgré leurs difficultés rencontrées par leurs pères au début de la colonisation, continuèrent à exercer avec succès leurs activités dans les lieux traditionnels. Mais, alors que du point de vue légal ils étaient citoyens français, ils furent toujours reconnus sous le nom de napolitain. -------Un recensement
de la population maritime de l'Algérie à cette date, donnait
d'après Gérard Crespo (Gérard Crespo
: les italiens en Algérie) les renseignements suivants : Alger : retour de pêche des chalutiers -------Après une longue journée de chalutage par fonds de plus de deux cents mètres sur une zone à l'Ouest allant du Chenoua au Cap Caxine, la dernière calée mise à bord, les panneaux arrimés, filets bien amarrés au mât, rivalisant de vitesse, les chalutiers se hâtaient vers le port passant devant la colline de Notre Dame d'Afrique, escortés de nuées de mouettes affamées, poussant leurs cris aigus, virevoltant, plongeant sur le moindre déchet évacué par les sabords, sous la pression des manches à eau. -------Après avoir doublé le " Kassour " et la longue jetée Nord, les bateaux franchissaient la passe se dirigeant vers le môle de pêche du quai Jérôme Tarting. Ces arrivées étaient toujours un beau spectacle. Spectacle qui enchantait les nombreux algérois se pressant sur le boulevard dominant la pêcherie ainsi que la foule de curieux et de professionnels qui attendaient sur le quai. -------Dès l'accostage, aussières engagées sur les bollards, les commis et les portefaix du mandataire arrivaient avec des longs charretons sans ridelle à roues ferrées, pour procéder au déchargement du produit de la pêche sous le regard de l'armateur ou de son représentant, toujours présent. Bien rangés contre le plat bord, les casiers de poissons passaient de bras en bras depuis le bord, aussitôt saisis et empilés avec précaution sur les charretons. Alors, sous les yeux admiratifs des curieux, défilait toute la variété de poissons de " chez nous ". -------D'abord parfaitement triés, impeccablement présentés, bien " acabés " par catégories, les poissons " nobles " : rougets barbets, ouïes frémissantes, dorades, pageots marbrés, loups étincelants appelés aussi bars, soles et turbots, gros merlans aux reflets brillants, rascasses, vives appelées araignées de mer, grondins majestueux, tous, poissons rois d'une bonne bouillabaisse, baudroie ou lotte à large gueule, que les pêcheurs espagnols désignent du nom de " bocca dé rappa " suivis des poissons de catégories différentes comme les sépias ou seiches et aussi les petits supions si délicieux cuisinés avec son encre, les raies de toutes sortes, les gros poulpes, encore vivants qui tentent de s'échapper du casier, le chien de mer ou émisole royal et ses petits catarelles ou roussettes. -------Puis arrivent les casiers de " mouraille " le vrac : maquereaux, galinettes, sars, saourels, saupes ou tchelbas appelés poissons juifs par les algérois, bogues, murènes, congres et bien d'autres. Certains jours, s'ajoutent sur le haut de la pile, les casiers de " grosses pièces " ombrines aux riches écailles, mérous ou mérots, ventrus teintés d'arc en ciel et parfois, de belles langoustes antennes dressées ! -------Mais pour couronner le tout, les casiers de grosses crevettes rouges pêchées au large de Castiglione, ainsi que les belles crevettes blanches tant recherchées le samedi par les amateurs de pêche à la ligne. Belles et grosses, crevettes rouges de nos grands fonds. Récompense des recherches de nos anciens maîtres de pêche. De tailles et de teintes différentes selon leurs provenances d'Alger, d'Oran, de Mostaganem, Arzew, Bougie ou Philippeville. Désignées souvent à tort sous le nom de " gambas " à ne pas confondre avec la " caramote " ou bien le " matsagoune "des Bônois, que l'on pêche en abondance à l'embouchure de la Seybouse à Bône. -------Ce déchargement
terminé, la foule plus dense et toujours curieuse se déplaçait
d'un chalutier à l'autre pour assister au même cérémonial,
au fur et à mesure de leurs accostages. Pour autant, après
le débarquement du poisson, le travail n'était pas encore
terminé pour l'équipage. Alors que le patron de pêche
mettait en panne le moteur qui s'arrêtait dans un dernier soubresaut,
marquant la fin d'une journée commencée dés trois
heures du matin, il fallait encore faire le plein de glace en poudre pour
le lendemain et souvent procéder à l'échange d'un
filet ou d'un cordage détérioré. -------Mais le maître de pêche n'en avait pas fini pour autant. Après avoir refermé la porte de sa cabine, il rejoignait l'armateur sur le quai pour rendre compte de la journée de pêche. En discutant lentement, les deux hommes suivaient d'un air grave le charreton se dirigeant vers l'intérieur de la halle aux poissons, porteur des espoirs de toutes les familles de ces marins. C'était pour certains facétieux, l'occasion de dire qu'ils suivaient le " corbillard ". LA HALLE AUX POISSONS -------A partir
de là, admis dans la halle, les casiers soustraits à la
curiosité des badauds, étaient soumis à la pesée.
Un contremaître assermenté annonçait à un aide,
le poids et l'espèce dei poisson qui était alors enregistré
sur un carnet à souches, sans oublier d'y joindre un numéro
d'ordre figurant sur une planchette déposée sur le casier,
afin de l'identifier lors de la vente. -------Au cours des dernières décennies, avant 1962, la vente du poisson en gros, dite vente à la criée, ne correspondait plus à cette appellation. En effet, dès l'ouverture de la halle, fixée le matin à 6 heures en hiver et 5 heures en été, les poissonniers accrédités envahissaient bruyamment la pêcherie pour avoir rapidement un aperçu sur le contenu des carreaux des mandataires où étaient exposés les casiers mis en vente. C'était alors le moment où s'affirmaient les très anciennes relations amicales, voire même familiales, d'hommes originaires du même milieu ou d'autres plus récentes, issues d'une longue pratique commerciale. -------Le chef vendeur, parfois le mandataire lui-même, établissait lors d'un échange discret, avec l'acheteur éventuel, un accord sur le prix du produit recherché. -------Lorsque le
résultat était positif, le vendeur retirait la planchette
de bois portant le numéro d'ordre et la donnait à l'employé
de service, avec le prix de vente inscrit sur le bulletin portant le numéro
du lot, sans oublier le nom de l'acheteur. La vente du matin était
réservée uniquement aux poissonniers de la ville détenteurs
d'une carte professionnelle délivrée par les services municipaux. -------En dépit
de cette ambiance apparemment désordonnée, il convient de
souligner que les circuits de la mise en marché du poisson, étaient
strictement contrôlés, tant au point de vue de l'état
de fraîcheur, que du prix de vente au détail. -------Tel était
le retour de pêche des chalutiers un soir de semaine dans le port
d'Alger. Toutefois, nous devons signaler que le chalutier représentait
pour les marins pêcheurs de ce port, le " haut de gamme "
de la profession. Il était très difficile d'obtenir un embarquement
sur ces bateaux, particulièrement sur ceux dont les armements étaient
solides et les maîtres de pêche de grande notoriété. -------Dans ce métier, le marin de chalutier était considéré comme un " fonctionnaire" par ses pairs. Il avait un emploi stable et assuré par une rémunération mensuelle sur une base définie par contrat inscrit sur le rôle d'équipage, ainsi que le droit à une part journalière de poissons, variable selon la pêche du jour. Cette part de poissons deviendra un revenu substantiel quand l'usage de la vente " au couffin " s'étendra le soir, du môle de pêche au marché des trois horloges à Bab-el-Oued ! -------Avant de clore cet article sur les chalutiers, sachez aussi que " acaber " le poisson dans un casier est tout un art. Dérivé italien du mot acabi ou du patois napolitain cabé, qui veut dire tête, il reste affaire de spécialiste et chaque chalutier avait le sien. Cela consiste à mettre côte à côte des poissons de même taille et de même espèce, les têtes dans le même sens, afin de présenter un bel assortiment que la ménagère retrouvera le lendemain sur les étals des poissonniers. Des métiers et des hommes -------Jusqu'ici, évoquant les métiers de la pêche, nous avons surtout cité les chalutiers. Or, sur nos côtes beaucoup d'autres métiers furent pratiqués, au premier rang desquels celui de lamparo. -------Habituellement on désigne sous ce nom, indifféremment le bateau ou le filet employé pour la pêche à la sardine. Dans le passé, cette pêche s'appelait également " pêche au feu " pour la raison qu'elle nécessitait l'emploi d'une barque annexe équipée de grosses lampes à abat-jour alimentées à l'acétylène, qui la nuit diffusaient une forte lumière sur la surface de l'eau, attirant ainsi le banc de sardines sous la barque où elles seront cernées et piégées par le filet déployé par le lamparo. -------Pratiqué
de nuit, ce métier fut importé d'Italie à Alger par
des pêcheurs venus des villes de Céfalu en Sicile et de Cétara
dans le golfe de Naples. Il avait atteint son apogée après
1945 tout au long de la côte algéroise, de Ténès
à Dellys
en passant par les plages Bou-Haroun, Chiffalo et Courbet-Marine. -------Oui, une importante main d'oeuvre était en effet nécessaire pour traiter dans les meilleurs délais sardines et anchois dès l'arrivée des lamparos. -------Le mélange des odeurs de poisson frais et d'huile frite caractérisait l'approche de la coopérative sardinière de Bou-Haroun, dont le directeur réunissait tous les ans l'ensemble des membres du personnel avec leurs enfants. Il en était de même dans le village voisin de Chiffalo où toute la population ou presque était au service de l'usine de conditionnement des sardines, qui portait comme un drapeau en grosses lettres sur le toit, le nom de son créateur : PAPA FALCONE !
-------Une main d'oeuvre nombreuse et qualifiée traitait et conditionnait le poisson dès la mise à terre de la pêche journalière. Ce qui explique la dissémination de ces ateliers dans tous les ports et plages qui abritaient les lamparos. -------Intéressés
par l'offre d'un produit de première fraîcheur et de belle
qualité, des industriels s'installeront sur toute la côte
dans le souci de se rapprocher des points de débarquement des sardines,
sardinelles et anchois ainsi que d'une main d'oeuvre familiarisée
avec les activités maritimes. Sans pouvoir tous les citer, disons
qu'ils furent nombreux à Ténès, Bou-Haroun, Castiglione,
Chiffalo, Guyotville à l'Ouest d'Alger et à Hussein-Dey,
Courbet-Marine et Dellys sur la côte Est. -------Mais arrêtons nous un instant sur le centre de pêche au lamparo de la plage de Courbet Marine -------Située à l'Est d'Alger, entre le village du Figuier et le Cap Djinet, cette plage fut pendant des décennies à la tête des ateliers de salaisons d'anchois du département par l'importance de sa production. -------Lieu où des familles de pêcheurs originaires de la ville de Cétara dans le golfe de Naples, furent dès les premières années de la colonisation, les précurseurs de l'implantation des nombreux ateliers de salaisons, surtout de l'anchois, avant de se destiner au conditionnement de la sardine. -------Venant par
la mer depuis Alger au temps où le transport routier n'avait pas
encore vu le jour, ils arrivaient pour la saison favorable de la pêche
à l'anchois, de février à fin juin, qui était
le mois où les " balancelles " venues de leur
pays natal pouvaient à moindre risque " atterrirent "
sur la plage très dangereuse, pour prendre livraison des barils
d'anchois salés dont le nombre variait selon l'importance des pêches
saisonnières. -------Oui, métier de la sardine mais métier riche d'emplois fournis à de la main d'oeuvre qualifiée, tant maritime que terrestre. Des familles entières et des grandes, y consacrèrent leurs vies pour en assurer la réussite et cela se poursuit encore aujourd'hui de ce côté ci de la Méditerranée. -------Même s'il est parfois dommage que l'avancé rapide du progrès vienne bousculer l'ordre établi par nos anciens au sein de cette corporation et sans être trop nostalgique du temps de " la lampe à huile ", on ne peut que le regretter. -------Au cours de la présence française, l'évolution de la pêche artisanale en Algérie rejettera au fil du temps beaucoup de " petits métiers " aujourd'hui bien disparus. -------Qui peut encore se souvenir du métier de la Senne ou Bouliche, si populaire sur les plages des " Sablettes " à Hussein-Dey ou de " la Consolation " à Bab-el-Oued. Du Tartanon, du Retz volant, du Bagdassou, du filet mugière, du Boguière et du Gangui, ancêtre du chalut encore en usage sur la côte varoise, des Thonnaires et des Bonitières, toutes sortes de filets flottants, maintenant rangés au fin fond de nos souvenirs. Parmi ces métiers, seul subsiste à ce jour le filet Trémail ou trois mailles dont nous ne parlerons pas et la pêche à la palangre dont nous dirons un mot. -------La palangre est un cordage très long auquel on suspend perpendiculairement par intervalles réguliers de courtes lignes avec hameçons à leurs extrémités. Elle servira à la pêche pratiquée sur une barque motorisée nommée palangrier. -------On désigne patron palangrier, le marin propriétaire de cette embarcation qui pratique le métier de la palangre et aussi la pose de nasses sur les fonds rocheux à la recherche de quelques problématiques langoustes. -------Cette fonction était dans le passé, de très grande importance pour l'aide fournit par ces hommes au développement de la pêche au chalut. En effet, le patron d'un palangrier, de par la nature de son métier, connaissait la position des roches éparses sur le fond de la mer, pour y avoir souvent accroché ses lignes. Il connaissait les fonds disait-on "" les yeux fermés ". Ce savoir transmis au maître de pêche d'un chalutier, souvent un parent ou un ami, permettait à celui-ci d'établir avec sûreté un parcours de traîne sans danger pour son chalut. -------Ce métier riche de sa production de beaux et gros pageots, dantis, cars, dorades, mérous, badèches, ombrines, rascasses, voir congres et missoles, fut importé sur le littoral algérois par les premiers pêcheurs venus de Sicile, comme à Castiglione, ou de Ischia et Gaèta à Alger. Cette pêche était aussi très développée sur la côte de la petite Kabylie où de Bougie à Djidjelli, les pêcheurs musulmans étaient les premiers à la pratiquer. Nous avons encore souvenir du retour de pêche dans ce dernier port, des palangriers locaux chargés à ras bord de gros mérous et de badèches dépassant couramment les 60 et 80 kgs. -------Mais on ne peut clore un article sur les métiers de la pêche en Algérie sans évoquer la pêche au corail. Pratiquée bien avant la venue des français en 1830 et encore longtemps après, cette pêche fut exploitée majoritairement par des pêcheurs italiens. -------Depuis bien des décennies ils venaient pêcher le corail à Tabarka, à la frontière tunisienne et aussi plus à l'Ouest sur la côte Bônoise, voir Collo et Djidjelli. Venus d'Italie en saison pour six mois de campagne, leur produit très prisé et recherché était exporté dans leur pays, à Venise, Gênes, Naples et aussi Livourne où la main d'oeuvre spécialisée était employée à sa transformation. -------Après
la conquête, ce travail s'intensifiera et en 1846 le port abri de
La Calle en deviendra le centre. Dans une étude mémorable,
Gérard Crespo raconte : " sur un
gisement vierge découvert à Collo, 3500 kgs de coraux énormes
furent pêchés en 15 jours par sept bateaux coralines, ce
qui fit la fortune des équipages marins et patrons "
(Gérard Crespo : les italiens en Algérie) A Alger : les Scientifiques et la Pêche -------Sous bien des aspects, l'administration fut dépassée en Algérie où elle sera beaucoup plus préoccupée de la colonisation agricole (et c'était normal au début) en délaissant totalement la colonisation maritime qui s'avérera par la suite très importante dans un pays bordé sur plus de 1 000 kms de côtes par la mer Méditerranée. -------Il faudra attendre plusieurs décennies pour que des moyens soient mis à la disposition de nombreux scientifiques, enseignants, chercheurs, hydrographes, océanographes et autres, attachés au développement de la pêche maritime. -------En ce qui
concerne la station expérimentale d'aquiculture et de pêche
de Castiglione (à 40 kms à. l'Ouest d'Alger), ce ne fut
qu'après la grande guerre en 1921, qu'eut lieu son ouverture. Beaucoup
de personnalités s'y illustrèrent, ne pouvant les citer
tous, nous évoquerons tout de même les noms de certains de
ces hommes. -------Son successeur sera le professeur Louis Boutan, dont un bateau de l'office des pêches portera le nom. Il concentrera entre ses mains, comme le faisait son prédécesseur, à la fois les études techniques et les recherches appliquées à la pêche, mais il disposera pour cela, outre son laboratoire de la faculté d'Alger, d'un laboratoire d'étude de biologie marine sur la jetée nord du port, où viendront travailler ses nombreux étudiants. -------Par la suite, seront à la tête de la station : Mr André Curtes de 1932 à 1933, puis le Docteur R. Dieuzeide auteur de nombreuses études sur les fonds de pêches en Algérie qui font toujours autorité dans les milieux scientifiques en Méditerranée. -------Nous n'oublierons pas le Professeur A. Gruvel du muséum d'histoires naturelles, qui publiera un livre sur le sujet en 1926 à Alger, ni tous ceux qui par leurs travaux ont permis de mieux connaître la biologie maritime de nos côtes, comme Messieurs Goeau-Brissonniaire, Georges Aimé, Muraour, Rose, Seurat, Gaston Betier, J. P. Goulet, Robert Laffite et Lucien Leclaire, M. Novella, auteur d'un dictionnaire des spécimens de la faune de tout le littoral algérien, sans oublier les travaux de Madame G. Hollande. -------Notons aussi
la publication par M. André Rosfelder en octobre 1954 des
courbes hypsométriques et des rivages tracés d'après
la carte 1/500 000° de l'Institut Géographique National. Cette
carte provisoire fait apparaître de profondes vallées sous-marines
que les maîtres de pêche désignaient sous les noms
de " trous de fonds " ou de " fosses " qui prolongeaient
le relief terrestre. -------La situation géographique particulière de l'Algérie et sa position sur le littoral marin de l'Afrique du Nord, ne pouvait que contraindre les chercheurs et spécialistes des travaux maritimes à mettre en valeur ce précieux patrimoine. -------Même, malgré des lacunes, la vocation maritime de ce pays ne pouvait échapper à ces hommes tournés vers la mer. Concernant la grande navigation, n'oublions surtout pas que dès le début du XXè siècle, une école préparatoire aux carrières de la marine marchande fut créée à Alger, suivie plus tard d'une école d'hydrographie. De cette école qui deviendra par la suite Ecole Nationale, sortiront les nombreux officiers et capitaines des armements de navigations maritimes, créés et en activité en Algérie jusqu'en 1962. Cela aussi il fallait le dire. L'esprit religieux chez nos pêcheurs -------Pour parfaire
le portrait des marins pêcheurs que nous évoquons dans cet
article, il faut nous attarder un instant sur l'aspect religieux de ces
hommes. Par nos souvenirs familiaux, pour les avoir connus et côtoyés
sur le port ou dans leurs quartiers d'habitations, et aussi pour avoir
bien souvent assister aux cérémonies religieuses propres
à leur métier, nous conserverons toujours le souvenir de
l'expression bien particulière de la foi profonde manifestée
par ces hommes. -------Certes, dans l'ensemble, l'homme de mer est croyant, à fortiori quand celui-ci est latin et plus encore napolitain. Certains diront que la croyance de ces hommes était sans conteste teintée de naïveté et de superstition, avec toutefois des circonstances atténuantes pour eux, dont les pères dormaient au pied du Vésuve et dont les ancêtres dansaient à Pompèi. -------Les pêcheurs à Alger, avaient une façon particulière d'être chrétien. Plus souvent voués à la Vierge Marie qu'à son fils Jésus, ils adoraient les Saints qui faisaient partie de leur vie quotidienne. Mais en bon napolitain, quand ils apprenaient que le sang de San Gennaro (Saint Janvier) patron de la ville de Naples, ne se liquéfiait pas le jour de son anniversaire comme de coutume ... il n' était pas sourd le pauvre ! -------Pêcheurs, ils remerciaient Saint Pierre quand la pêche était fructueuse : " Gracé a Santo Pietro " mais n'hésitaient pas à l'insulter si elle était mauvaise : " Stou cournoute a San Pietro " (ce connard de Saint Pierre) ! -------Dans les familles (bien nombreuses) tous les enfants devaient garder autour du cou une médaille religieuse, avec aussi sur la même chaîne, une petite corne, genre poivron en corail rouge pour éloigner de soi le " mal occhio ", le mauvais oeil. Remarquez que ce petit fétiche n'était pas incongru en Algérie car les petits musulmans et les petits juifs portaient dans le même but, pendue au cou, la breloque " cinq dans tes yeux " de la main de Fatma. -------Le pain prenait une grande part dans ces croyances. Dur à gagner, il était sacré. On ne coupait jamais un pain sans y avoir au préalable tracé une croix avec la pointe du couteau. Sur la table, il ne devait jamais être posé à l'envers. Lorsque l'on devait jeter un morceau trop dur ou pour d'autres raisons, il fallait l'embrasser auparavant. A la fin de chaque repas le père disait toujours : " Grazie a Dio, a me fatte naltra mangeate " (grâce à Dieu, nous avons fait un autre repas). Dans son travail, toujours le maître de pêche d'un chalutier faisait précéder l'ordre de mettre le filet à l'eau par le traditionnel : " Mole a mare, el nommé de Dio " (au nom de Dieu, jetez le filet à la mer). En référence au récit de l'Evangile et aux paroles de Saint Pierre : " Seigneur, nous n'avons rien pris toute la nuit mais sur ta parole nous jetterons le filet ". -------Dans un autre
domaine, non dépourvu d'humour, les plus vieux sous des dehors
respectueux, se moquaient souvent de leur curé. Pour preuve, l'histoire
du batelier de l'lle de Procida chargé d'aller quérir l'Evêque
de Naples un jour de fête et ne l'ayant pas trouvé sur le
quai, avait ramené dans sa barque un paysan et son âne. De
loin, les habitants de l'Ile, massés sur les remparts, confondirent
les oreilles de la bête avec la mitre du prélat et déclenchèrent
cloches, fanfares et feux d'artifice, alors que le batelier s'étranglait
à crier : " ne tirez pas, c'est un
tchoutche (âne en patois napolitain) et non l'Evêque "
! -------On peut sourire de ces petits travers, sans toutefois mettre en doute la foi profonde de ces marins, même si parfois elle semble un peu naïve. Les rares instants où ils n'étaient pas en mer, leur seule sortie était l'église et l'assistance de la messe. Certains ne connurent jamais un spectacle ou un cinéma. Beaucoup n'eurent pour seule vacances que le pèlerinage diocésain annuel qui d'Alger, se rendait à Lourdes. -------A ce sujet, nous devons préciser que beaucoup de pêcheurs eurent l'occasion d'accomplir ce pèlerinage au sein de la confrérie des " fratielli " à laquelle ils appartenaient. -------Quid des " fratielli " ? -------Nous ne pouvons passer sous silence ces confréries au nombre de trois, attachées à la paroisse de la cathédrale Saint Philippe d'Alger, dont dépendait le quartier de la marine et ses alentours. -------A cette époque, ces confréries très folkloriques, héritage de coutumes napolitaines, étaient constituées chacune d'une trentaine de marins pêcheurs et de sympathisants représentant un métier, un quartier ou une région. Elles avaient leur siège à même l'église et se distinguaient l'une de l'autre par la statue et les bannières différentes selon le Saint vénéré. -------Elles prenaient part aux fêtes votives et aux processions religieuses célébrées dans la Cathédrale ou à Notre Dame d'Afrique et participaient souvent au pèlerinage annuel qui se rendait à Lourdes. -------Lors des
cérémonies, ces hommes portaient une longue soutane, de
couleur différente selon la confrérie (blanche, violette
ou rouge) recouverte d'un surplis immaculé et soutenu par un cordon
passé autour du cou, un important médaillon de cuivre à
l'effigie du Saint honoré. Ils étaient appelés "
coumpar" compère ou " fratielli "
frère en napolitain. -------Si comme nous le disions, la piété de ces hommes de mer paraissait bien naïve, il n'en reste pas moins qu'elle était sincère et profonde. -------Sans être
comparable aux " Pardons " des pêcheurs bretons, les belles
manifestations religieuses des pêcheurs d'Algérie, que ce
soit à Alger, Oran, Mers-el-Kébir, Bou-Haroun, Chiffalo,
Stora, Philippeville, Bône ou La Calle, se déroulaient toujours
avec recueillements et solennités. -------Même après des années d'exode, ces fêtes et ces Saints restent encore honorés de ce côté ci de la Méditerranée. Comme le prouvent les grands rassemblements annuels de Santa-Cruz à Nîmes et de Notre Dame d'Afrique à Carnoux ou à Théoule et d'autres Saints ou Vierges fêtés au sein de nombreuses amicales de " rapatriés " dans toute la France. -------Avant de clore cet article, il nous faut revenir sur l'esprit religieux des confréries créées par nos pêcheurs à Alger qui avaient chacune un Saint de prédilection. -------Les "
Cétarèses " descendants de la petite ville de
Cétara, la ville aux citrons dans le golfe de Naples, étaient
voués à Saint Pierre. Celui-ci était représenté
dans la cathédrale d'Alger par une belle statue où assis
sur un trône, il offrait à la foule son pied droit déchaussé,
en métal doré à l'or fin, que l'on baisait dévotement.
Cette belle confrérie était surtout représentée
par les pêcheurs au lamparo de tout le département. Signalons
pour mémoire qu'une statue identique se trouve dans la crypte entre
les deux niveaux de la Basilique à Lourdes. -------Les héritiers des îles de Ischia et de Procida et de la ville de Gaëta, toujours dans le golfe de Naples, avaient eux pour Saint Patron l'archange Saint Michel. Lui aussi avait une belle statue en pied et toute dorée, le bras droit dressé tenant un sabre étincelant, avec lequel il menaçait un serpent écrasé sous son pied, tandis que de la main gauche il tenait une petite balance à fléau dont la signification n'est pas très bien définie. Cette confrérie regroupait tous les pêcheurs du port exploitant la pêche " aux petits métiers ". -------Mais la plus belle, la plus lourde aussi, était sans conteste la statue de la Vierge Marie. Toute auréolée, assise sur le trône, elle tenait sur ses genoux un enfant Jésus tout joufflu. A ses pieds, une multitude d'angelots d'une beauté radieuse, levaient les yeux souriant vers le ciel. Il fallait bien une douzaine de solides gaillards pour porter cette statue les jours de procession. Elle était la propriété de la confrérie des " Touraises "., c'est-à-dire ceux dont les aïeux avaient fondé la ville de Torré del Gréco, au pied du Vésuve. Ville célèbre pour ses pêcheurs et ses corailleurs qui avait fourni la plus grande part des émigrés du port d'Alger, exploitant la pêche aux chalutiers. -------Voici ce
que nous avions à dire brièvement sur la pêche et
les pêcheurs en Algérie. Nous reviendrons sur le sujet avant
la fin de cet ouvrage. Ne serais-ce que pour évoquer leur exode
de 1962 et la perte d'un pays, qu'après leurs pères, ils
contribuèrent largement à mettre en valeur par leur travail
assidu. EN CONCLUSION -------En I830 après
l'arrivée des Français, l'Algérie n'a pas de marins,
les matelots des capitan-raïs, émirs de la mer , princes de
la piraterie sont partis dans leurs douars. Les auteurs.
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