Le plan d'aménagement
La Ville d'Alger, dès 1931 avait fait établir par les
frères Danger son plan d'aménagement, d'embellissement
et d'extension, approuvé et déclaré d'utilité
publique conformément à la délibération
du 12 juin 1931.
Il fut suivi de deux plans rectificatifs, en janvier 1932 et en avril
1932, établis par MM. Prost et Rotival.
Il n'y avait plus qu'à mettre ces plans en application. Le Service
Municipal d'Urbanisme créé en 1930 en fut chargé.
Les plans d'alignement résultant du plan d'aménagement
se succédèrent régulièrement. Toutefois
quelques directives trop onéreuses furent rapidement abandonnées,
tel le tunnel hélicoïdal qui devait joindre l'avenue Pasteur
aux Tagarins.
De même l'élargissement de la rue Michelet et celui de
la rue Sadi
Carnot qui auraient coûté des sommes astronomiques.
Cette expérience prouva que la " remodélation "
d'une Ville, expression chère à l'urbaniste Agache, est
une opération pratiquement impossible et que l'urbanisme pratique
ne peut s'exercer que sur les terrains non bâtis.
Néanmoins, la Ville par des plans d'alignement modérés,
réalise morceaux par morceaux, son plan d'aménagement.
L'élargissement des rues au fur et à mesure de leur construction
ou de leur reconstruction est obtenu sans bourse délier grâce
à l'article du règlement de Voirie qui permet aux constructeurs
de gagner de la hauteur en se reculant jusqu'à 6 m. de l'axe.
Le plan d'aménagement d'Alger date maintenant de vingt ans. Comme
tous les plans d'aménagement, il doit être remanié
périodiquement sous peine de ne plus être à l'image
de la réalité mouvante qu'est une ville, surtout Alger,
ville en pleine croissance et en transformations perpétuelles.
De toute façon il faut adapter le plan d'aménagement aux
nouvelles dispositions du Plan Régional. Il faut aussi adapter
le zoning à la poussée de la construction que nous étudierons
plus loin.
Cette étude est en cours.
La transformation du quartier de l'ancienne Préfecture -
Cette belle opération d'urbanisme, qui était la clef de
voute du plan d'aménagement, a été poursuivie par
les différentes municipalités avec un remarquable esprit
de continuité.
On sait qu'elle comportait quatre étapes :
- 1° La construction d'immeubles de recasement pour les 18.000 habitants
du quartier.
-2° Le dérasement du quartier de taudis qu'était devenue
l'ancienne ville barbaresque dans sa partie basse (12 hectares).
- 3° L'établissement d'une voirie moderne.
- 4° La construction d'un quartier moderne.
Ces 4 étapes ont démarré à peu près
simultanément, pour gagner du temps. Il y a eu ,toutefois, au
début, les inévitables réactions, qui ont freiné
pendant quatre années les expropriations pour cause
d'insalubrité. Pendant ce temps, toutefois, la Régie Foncière
construisait les premiers immeubles de recasement qui furent bien accueillis.
On put ainsi commencer les démolitions, puis construire l'Avenue
centrale, dénommée depuis Avenue
du 8 Novembre, et l'on put alors mettre en vente les terrains
devenus disponibles.
La guerre arriva, qui arrêta net cet élan. On reprit après
l'armistice, et les opérations se poursuivent aujourd'hui normalement,
c'est-à-dire suivant les possibilités d'emprunt de la
Régie Foncière.
Un point noir subsistait cependant. On aurait pu croire que la construction
privée se serait précipitée sur les nouveaux terrains
bien exposés, bien urbanisés, qui vont constituer en somme
le plus beau quartier d'Alger. D'autant plus que la crise du logement
battait son plein, et que la Ville d'Alger cédait ces terrains
à un prix relativement bas : 10.000 francs le mètre carré,
alors que les terrains du Télemly
dépassent 25.000 francs. Or, pratiquement, un seul immeuble en
copropriété avait été construit en 1952.
Il semble que cette réticence des constructeurs provenait de
la présence de vieux immeubles encore non démolis, où
se loge toute une population hétéroclite dont le voisinage
inquiétait les futurs copropriétaires. Cet inconvénient
disparaîtra quand toutes les démolitions auront été
effectuées.
Pour l'instant, le quartier se garnit de bâtiments administratifs
ou pseudo-administratifs - Hôtel du Trésor, Central P.T.T.,
Cités de fonctionnaires, bâtiment pour l'E.G.A., bâtiment
de la CASIDA. Il est à peu près certain que la construction
privée suivra dans quelques années.
Là aussi il y eut une âpre lutte contre le plan initial
établi par MM. Prost et Socard ; depuis que l'on construit, les
servitudes architecturales imposées par ce plan sont violemment
combattues. Plan et servitudes ont tenu bon jusqu'à présent.
La transformation du quartier de l'Ancienne Préfecture est donc
une réussite. Elle avait cependant démarré avec
l'appréhension d'un risque grave : la Ville de Marseille avait
tenté une opération analogue au quartier de la Bourse,
et cette opération s'était traduite par un échec.
Cette réussite d'Alger, pour la partie basse d'El-Djezaïr,
fait bien augurer d'une opération devenue nécessaire :
la transformation de la partie haute de la même ville barbaresque,
que nous appelons la Casbah.
Opération devenue non seulement nécessaire, mais urgente,
en raison de la vitesse avec laquelle se détruisent par vétusté
le$ immeubles de la Ville haute.
L'application du Plan Régional -
Rappelons que dès 1932 la Ville d'Alger avait commencé
l'élaboration du Plan Régional, en utilisant l'équipe
Coquerel qui venait de terminer le plan d'aménagement. Lorsque
parut le décret de 1935 sur les Plans Régionaux, ce Service
passa, comme il était légal, à la Préfecture
d'Alger, où il fut repris par M. Coquerel d'abord, puis par MM.
Wattez et de Maisonseul.
Un comité de direction fut institué, dont la cheville
ouvrière fut l'Ingénieur en Chef des Ponts et Chaussées
Pierre Renaud. MM. Prost, Rotival et Le Corbusier participèrent
à ses débuts.
Ce plan, terminé et mis à l'enquête en 1949, n'est
pas encore approuvé ni déclaré d'utilité
publique. Il a été en effet impossible jusqu'à
présent de mettre d'accord les 18 communes qui en font l'objet.
Mais en ce qui concerne la Ville d'Alger, l'application en est commencée
par la voie des Plans d'alignement, qui seront suivis d'un remaniement
du Plan d'aménagement actuellement en préparation.
C'est ainsi qu'est en cours de réalisation la Corniche des Hauts
d'Alger, destinée à doubler le Télemly, définitivement
perdu comme vue touristique et qui, ancienne servitude d'aqueduc suivant
fidèlement les méandres des ravins, est rectifiée
à grands frais au moyen de viaducs et de tunnels. La nouvelle
corniche, qui sera une voie de grande circulation, comportera des servitudes
de vue qui en feront la rivale des Corniches de Nice.
La route des Tagarins remplacera le labyrinthe que présentaient
l'extrémité du Télemly et la route en épingle
à cheveux des 4 Canons. Elle permettra une entrée rapide
en plein coeur d'Alger aux automobiles en provenance d'El-Biar
et du Sahel.
La voie J, bretelle intéressante entre le Télemly et la
Colonne Voirol, se borde déjà de hautes maisons, bien
avant sa construction.
Citons enfin l'aménagement du
Ravin de la Femme Sauvage en voie de grande circulation,
par couverture
de l'Oued Kniss, aménagement qui, réalisé
avec beaucoup de goût a fait de cette artère la plus belle
" entrée " d'Alger.
Les travaux de chômage -
De tous temps, de grands travaux d'urbanisme ont été exécutés
pour remédier au chômage. Péricles lança,
dit l'histoire, les chantiers de l'Acropole pour occuper les tailleurs
de pierre et les sculpteurs d'Athènes qui manquaient de travail
par suite d'une grave crise économique et sociale. Alger n'a
pas failli à la tradition.
Dès 1935, un important chômage s'était révélé
dans la région algéroise, car la crise économique
qui battait son plein dans la Métropole en 1930 avait fini par
atteindre l'Algérie. Le Conseil Municipal organisa en chantier
de chômage le chantier de terrassement que l'on avait commencé
pour l'aménagement du Forum. Ce chantier terminé, il fallut
bien en commencer un autre, ce fut alors qu'on proposa de démolir
les fortifications de 1845 et d'aménager leur emplacement. Ce
qui fut fait. Le total des chômeurs employés s'éleva
jusqu'à 1.200.
Ces chantiers durèrent de 1935 à 1939 avec des vicissitudes
diverses. Il y eut même des grèves Dans l'ensemble ils
donnèrent des résultats intéressants et leur rendement
fut bien meilleur que ce que l'on aurait pu supposer. Dans le nombre
des chômeurs étaient beaucoup d'employés de bureau,
qui n'avaient jamais manipulé qu'un porte-plume. Quand on leur
confia une pioche, leurs mains saignèrent tout d'abord. On les
mit à un travail plus doux et en quelques semaines, les callosités
obtenues étaient suffisantes pour leur permettre d'être
de bons terrassiers. Pour beaucoup, cette vie physique au grand air
fut le commencement de la santé.
C'est par les chômeurs que furent créées la promenade
des 4
Canons, les stades de la Rampe Valée, le boulevard
Clémenceau, etc... et que la Ville fut dotée d'une promenade
circulaire de Tafourah à Bab-el-Oued, comme toutes les anciennes
villes fortifiées. Cette promenade qui devait être à
l'origine une suite de parcs fut malheureusement bouchée ultérieurement
par la construction des casernes de gardes mobiles qui en occupèrent
la plus belle partie.
Un détachement de 900 hommes construisit l'assiette des routes
de la propriété du Climat
de France.
Les chantiers de chômage se dispersèrent tout naturellement
dès les premières mobilisations de 1939.
Ils furent repris sous une autre forme à l'armistice de 1940.
Craignant le retour des démobilisés dans une économie
bouleversée et le manque de travail pour un grand nombre, le
Gouvernement Général donna l'ordre de " sortir "
tous les grands projets existant dans les cartons des administrations
et de les lancer immédiatement, avec des crédits algériens.
C'est ainsi que furent lancés immédiatement : la couverture
de l'oued K'niss - le tunnel des Facultés - la piscine de Bab-el-Oued
- le parc des Sports - les grands égouts collecteurs d'Alger
- le détournement de l'oued M'Kacel - la
rampe Polignac.
Tous ces travaux furent entrepris du jour au lendemain sans formalité
et occupèrent en effet
un grand nombre d'ouvriers jusqu'en 1942. Au débarquement des
Alliés, ils furent tous arrêtés par suite de la
nouvelle mobilisation algérienne, et furent repris avec des fortunes
diverses, dès que les circonstances furent plus favorables.
A l'heure actuelle certains sont terminés (tunnel des Facultés,
détournement de l'Oued M'Kacel, le collecteur Nord est terminé
depuis le Kassour jusqu'au square Briand). Les autres sont en cours.
Ils n'ont pas conservé jusqu'au bout le nom de " Grands
Travaux destinés à lutter contre le chômage "
qui leur donnait l'avantage pour la Ville d'être exécutés
entièrement sur les crédits de l'Algérie. Ils sont
continués en participation entre la Ville et le Gouvernement
Général. Le modus vivendi généralement admis
est de 20 % pour la Ville, 80 % pour l'Algérie.
Les bidonvilles -
La question éternellement pendante de la suppression
des bidonvilles avait été vigoureusement prise
en mains en 1940, par le Gouvernement Général, pour combattre
la propagande de l'Axe.
On posait en principe que, pour pouvoir détruire un bidonville,
il fallait d'abord reloger les habitants de ce bidonville, en raison
de la crise du logement.
En conséquence, on envisageait pour chaque bidonville la création
d'une cité correspondante, de maisonnettes à très
bon marché.
C'est ainsi qu'une cité Nord (architecte : M. Socard) fut commencée
sur la propriété du Climat de France, appartenant à
la Ville d'Alger, pour reloger les bidonvilles d'El-Kettar, Noiré
et Gambetta ; une cité Sud, (architectes : MM. Bienvenu et Lathuillière),
à la propriété Scala, appartenant à l'Office
d'Habitations à Bon Marché, pour reloger les bidonvilles
Mahieddine, Sésini, Laurent Pichat, Salembier,
etc...
Le type de construction adopté était la rhorfa, mise à
l'ordre du jour par la campagne du Sud de la Tunisie. Elle ne nécessitait
ni bois, ni fer, matériaux dont on manquait absolument à
cette époque, mais comportait uniquement de la brique.
La construction de ces cités fut commencée par l'Office
d'H.B.M. Cinq rhorfas au Nord, cinq rhorfas au Sud, furent inaugurées
par le Général Weygand en 1942.
Puis vint le débarquement allié ainsi que la nouvelle
mobilisation et tout travail cessa.
La question fut reprise en 1945. M. le Préfet Périllier
constitua le " Comité de lutte contre le taudis " où
intervenaient le Département, la Ville d'Alger, les H.B.M. et
diverses personnalités techniques et syndicales.
La rhorfa était abandonnée, elle présentait des
difficultés d'étanchéité et d'autre part,
on ne pouvait plus avoir de briques.
Les architectes se mirent au travail pour " inventer d'autres modèles
de construction possibles avec les rares matériaux qui subsistaient.
Une sorte de laboratoire était installé au Nador, où
différents prototypes furent construits. Il y eut même
une maison en toub (qui existe encore).
Différentes cités furent construites au Clos Salembier
et au Climat de France avec ces procédés. Mais le Comité
de lutte contre le Taudis cessa de fonctionner en 1947, et la question
des bidonvilles resta une fois de plus non résolue, les cités
ayant servi à recaser par priorité des personnes qui s'étaient
installées d'autorité dans les H.B.M. en construction,
ou les anciens combattants, comme ce fut le cas, à la cité
en préfabriqué du Climat de France.
Pratiquement, un seul bidonville a été recasé,
celui de la Villa Sésini, qui était menacé par
l'éboulement de la falaise. Tous les autres ont subsisté
et ont même proliféré, malgré une police
spéciale qui s'efforce d'empêcher la construction de nouvelles
baraques.
Actuellement la question est reprise par l'Assemblée Algérienne
d'une façon plus générale. Un arrêté
du 2 mai 1952 accorde aux communes une importante participation et sur
l'achat des terrains nécessaires (50 %), sur les dépenses
de construction (66 %) et sur les travaux de viabilité (66 %).
Le mouvement de la construction -
La dernière année de construction normale avait été
1934, avec 401.515 mètres carrés de plancher bâti.
Les années suivantes donnent comme autorisations de bâtir
(en m2 de plancher) :
1935 - 138.978
1936 - 133.871
1937 - 137.598
chiffres relativement constants, mais qui indiquent la crise. Puis viennent
les années de guerre. La construction s'arrête progressivement
:
1938 - 63.329
1939 - 45.651
pour tomber pratiquement à zéro en 1940, reprendre légèrement
après l'armistice :
1941 - 52.265
1942 - 44.822
retomber à zéro après le débarquement anglo.
américain et jusqu'en 1945.
De 1945 à 1948, la construction reprend timidement.
1946 - 28.918
1947 - 26.135
1948 - 68.543
Ce n'est qu'à partir de 1949 que la construction reprend un volume
comparable aux années d'avant-guerre.
1949 - 101.477
1950 - 209.720
1951 - 174.906
1952 - 268.866
Le règlement de Voirie et le zoning
-
Ces ralentissements et arrêts de la construction jouant sur une
période de 10 ans firent que, après la guerre on constata
à Alger une très grande pénurie de logements. On
calcula qu'il en manquait à Alger 20.000 environ (1/2 pour la
population européenne, 1/2 pour la population indigène).
Cette crise du logement aurait dû amener une reprise formidable
de la construction.
En fait, la construction, comme on a pu le voir plus haut, reprit d'abord
timidement, les matériaux étant chers et rares, la main-d'uvre
spécialisée avait disparu. D'autre part la formule de
l'immeuble à loyers semblait définitivement morte. On
se mit à bâtir pour soi, des villas et des immeubles en
copropriété.
Dès 1945, vu les difficultés de la construction, on parle
de favoriser les surélévations, moins onéreuses.
Il était au début question de surélever les immeubles
qui n'avaient pas atteint le gabarit réglementaire. Puis on proposa,
vu l'importance de la crise, de donner une dérogation générale
d'un étage à tous les immeubles. Toutefois, après
discussion, on convint qu'une dérogation trop générale
pourrait amener de graves inconvénients dans certains cas particuliers
et que les dérogations au règlement devaient plutôt
faire dans chaque cas l'objet d'une étude spéciale.
On sait que les gabarits de la construction sont fixés à
Alger, par le règlement de Voirie et les servitudes de zoning,
rattachés au Plan d'Aménagement de 1931 et approuvés
en même temps que lui. Ce règlement avait prévu
des dérogations pour des motifs d' " art, de science, d'industrie
ou d'utilité publique ". Ces dérogations devaient
faire l'objet d'études et d'avis par une commission extra- municipale
dénommée " Comité de Voirie " et où
étaient représentés l'ordre des architectes, les
urbanistes officiels et privés, l'association des propriétaires,
etc...
L'ampleur de la crise du logement fit considérer l'habitat comme
le problème n° 1 de l'après- guerre, et l'expression
d' " utilité publique " vint naturellement à
l'esprit, c'est-à-dire une circonstance qui autorisait des dérogations
de règlement de voirie et du zoning.
Cette attitude fut d'ailleurs officialisée par le M.R.U. qui
fit construire un immeuble de 14 étages au Champ de Manoeuvre
(d'ailleurs avec de larges prospects) et fit autoriser par le Préfet
d'Alger le groupe de
l'Aéro-Habitat, considérable dérogation
au règlement de la zone des coteaux.
Finalement le Comité de Voirie, sous la poussée des besoins
de logements ouvrit la porte aux dérogations de plus en plus
importantes, si on peut encore appeler " dérogations "
des autorisations qui multiplient par 3 les hauteurs permises par le
règlement, et ce, sans qu'il soit plus question de prospect.
On peut évidemment dire que c'est grâce à cette
" largeur de vue " que la construction a pu reprendre à
Alger un essor comparable à celui des années d'avant-guerre.
On fait actuellement depuis 3 ans, bon an mal an, 1.000 logements par
an à Alger ; cette allure est en train de doubler de vitesse
; on peut donc apercevoir la fin de la crise du logement, si aucun événement
défavorable ne survient.
Mais on ne peut laisser plus longtemps la construction se passer de
règles précises et officielles, et c'est pourquoi la Ville
d'Alger va étudier, quartier par quartier, un nouveau règlement
qui permettra le maximum de hauteur compatible avec l'hygiène
et la préservation du site.
La montée du centre de la Ville -
Pendant cette période s'est confirmé le déplacement
du Centre de la Ville. Ce Centre, en 1890 était la Place
du Gouvernement. Il s'est déplacé au square
Bresson, puis à la Place
Bugeaud, puis au Boulevard
Laferrière. Ce dernier est déjà dépassé.
On voit monter petit à petit vers Mustapha
tout ce qui caractérise le Centre, les magasins de luxe, les
grandes maisons d'automobiles, les librairies, les grands cafés
et le meilleur signe : la promenade de 18 h. 30 de toute la jeunesse
qui se tenait autrefois sous les arcades Bab-Azoun,
s'est déplacée d'un mouvement continu jusqu'au droit des
Facultés où la largeur du trottoir la retiendra longtemps,
parce qu'il n'y a rien de semblable plus haut.
Corrélativement, la population bourgeoise abandonne les quartiers
bas, qui sont progressivement occupés par les musulmans. Le square
Bresson, qui fut un centre de mondanité, n'est plus que le jardin
public de la Casbah.
Et, chose tragique, le Centre se dirige vers un quartier qui n'est nullement
préparé pour le recevoir.
L'Alger de 1890 était une petite capitale bien ordonnée.
Elle avait sa place publique, la Place du Gouvernement, son jardin public,
le square Bresson, son Théâtre, en plein centre. Son artère,
grande pour l'époque, la rue d'Isly, bien bâtie, bien proportionnée,
de même que les boulevards, largement suffisants pour une circulation
de calèches (on avait traité de mégalomanes les
auteurs du plan de 1845 qui a créé le quartier d'Isly).
Qui ne se rappelle, il y a encore 40 ans, les grandes terrasses de cafés
de la Place du Gouvernement, où toute la population se rassemblait
à la fin de la journée et les rassemblements mondains
autour de la musique des Zouaves. On a dit qu'Alger ressemblait alors
à une petite Préfecture de France. D'accord, mais tout
cela était bien proportionné, bien équilibré,
adapté à l'importance qu'avait Alger en cette fin du 19ème
siècle.
Mais trouvons-nous ces éléments dans le quartier qui va
devenir le Centre ?
Où sont en effet, les rues de 50 mètres, les avenues de
100 mètres, les places publiques d'un hectare que mérite
l'Alger de 1950, et dont Lyautey a doté les jeunes villes marocaines,
il y a déjà trente ans ?
La rue du Centre, c'est maintenant
la rue Michelet, quotidiennement embouteillée par
la circulation automobile (que sera-ce dans 10 ans ?), aux trottoirs
deux fois trop petits pour la circulation piétonnière
actuelle. Aucune place publique n'existe. Le carrefour Saint-Saëns,
qui devrait être notre Place de la Concorde, est ridiculement
petit (bien que son sous-sol ait été utilisé au
maximum et avec beaucoup de goût). Impossibilité absolue
de créer un seul parc de stationnement pour les automobiles.
Aucune possibilité de grande terrasse de café. Aucun monument
public.
Ne parlons pas des rues latérales. La rue de Mulhouse (4 m. de
chaussée) qui devient, ô dérision, une rue centrale.
Le Boulevard Saint-Saëns, qui après un départ
majestueux se continue par un boyau impossible à élargir
et qu'on va être obligé de mettre à sens unique,
en creusant une dérivation sous le Télemly, la rue du
Languedoc, et le Chemin de la Solidarité. Voilà ce qui
va devenir le Centre d'Alger !
Vue d'ensemble -
L'urbanisme de cette période 1935-1952 à Alger est caractérisé
par 3 phases bien distinctes.
1°:Un départ planifié et discipliné de 1935
à la guerre.
2°/La coupure de la guerre.
3° Après la guerre, une période bouleversée
à la recherche d'un équilibre nouveau tenant compte des
nouveaux éléments apparus (augmentation de la population,
crise du logement résultant de l'arrêt de la construction,
développement de l'automobile, montée du Centre vers Mustapha,
création du Plan Régional).
Cette dernière phase, en cours, est une période de véritable
désarroi. Nous avons vu qu'une poussée irrésistible
de la construction a bousculé les règlements de voirie,
crevé les plafonds des gabarits, envahi les zones de villas par
des " gratte- ciel ", tout celà sans règle bien
précise. Il n'est que temps de régulariser tout cela,
en remaniant le règlement de voirie et le zoning, vieux de 20
ans, en les adaptant à une situation très différente
de celle de 1930, mais en préservant autant que possible le site
algérois.
Il faut également adapter le Plan Urbain au Plan Régional.
Il faut enfin prévoir l'extension d'Alger, soit par la création
de villes satellites, soit par la création de quartiers nouveaux
dignes de la Capitale de l'Algérie. Alger, ville chantpignon,
se transforme et se développe comme un enfant qui grandit trop
vite et dont les parents n'arrivent jamais à lui fournir en temps
voulu des vêtements à sa taille et à sa convenance.
Souhaitons que la prochaine période urbanistique rattrappe définitivement
le retard constaté aujourd'hui.
Pierre MOLBERT,
Ingénieur en Chef de la Ville d'Alger.