Géographie de l'Afrique du nord
Le Titteri des Français
1830-1962
DEUXIEME PARTIE : LES LOCALITES
C / LES VILLAGES DE COLONISATION
3 / Sous la troisième république avant 1914
Villages dispersés : Letourneux (ou Derrag), Borély-la-Sapie (ou Ouamri), Masqueray (ou Djouab), Stéphane Gsell, Reibell
Documents et textes : Georges Bouchet

mise sur site le 25-4-2009
une copie ici : oct. 2016

400 Ko
retour
 

C / LES VILLAGES DE COLONISATION

On sait que parmi les 7 sous-préfectures de 1959, Djelfa et Tablat avaient été d'abord de simples villages de colonisation. Sans compter ces deux cas particuliers sur lesquels je ne reviendrai pas, et sans compter non plus les hameaux jamais promus communes, il a été créé dans tout le Titteri, sauf erreur de ma part, 24 villages européens entre 1848 et 1924.

Leur répartition régionale est éloquente : aucun dans l'Atlas saharien des monts Ouled-Naïl
                                                            3 sur les hautes plaines
                                                            21 dans l'Atlas tellien, plutôt au nord qu'au sud

Sur ces 21 villages telliens, 7 sont proches de Médéa
                                         5 sont dans la plaine des Aribs
                                         3 sont alignés sur la RN 1 dans la vallée de l'oued Akoum
                                         6 sont plus isolés, à l'écart des axes majeurs des RN 1 et RN 8

 Ces localisations seront rappelées aussi souvent que nécessaire mais ne seront pas utilisées pour structurer mon étude. Pour mon exposé je préfère choisir un plan chronologique appuyé sur les 4 périodes que voici :
       IIè République Lodi (ou Draa Esmar) et  Damiette (ou Aïn Dhab)
        Second Empire
Bir-Rabalou (ou Bir-Ghabalou) et Sidi-Aïssa
  Berrouaghia
        IIIè République avant 1914 Les quatre villages de colonisation de la commune mixte de Berrouaghia ( Ben Chicao, Loverdo,  Nelsonbourg, Champlain)
  La commune mixte d'Aïn-Bessem et ses trois villages annexes.
  villages dispersés
       IIIè République après 1918 Maginot, De Foucauld, Aïn-Boucif,
       Trois cas particuliers Taguine, El-Hamel, Tadmit


3 / Sous la troisième république avant 1914

Ce fut la période la plus favorable à la création de villages de colonisation : une quinzaine pour le seul Titteri et plus de 300 pour toute l'Algérie. Cette brutale accélération succéda au net ralentissement impérial de 1851 à 1864 ; puis à un arrêt volontaire à partir de 1864.

Qu'est-ce qui a donc changé, de ce point de vue, avec l'installation de la République ?
D'abord la mise à l'écart progressive des officiers des bureaux arabes qui avaient eu le souci de protéger les indigènes contre d'éventuels abus et spoliations. Ils sont vite remplacés par des administrateurs civils de commune mixte dans toutes les régions telliennes, les seules vraiment propices à l'installation d'agriculteurs européens. La formule des communes mixtes avait été imaginée en 1868, mais réservée aux territoires sous administration militaire. C'est l'arrêté du 24 novembre 1871 qui rendit son extension possible aux territoires civils, avec pour chef-lieu, toujours, un village européen : Berrouaghia, Aumale, Aïn-Bessem ou Reibell par exemple dans le Titteri.

Ensuite la nomination de gouverneurs généraux désireux d'implanter des colons français sur l'ensemble du territoire. Trois gouverneurs généraux ont mis la colonisation rurale au premier rang de leurs préoccupations :
               le vice-amiral comte Louis de Gueydon 1871-1873
               le général de division Antoine Chanzy 1873-1879
               le conseiller d'Etat Louis Tirman 1881-1891

Pour trouver les terres indispensables à la création de villages trois méthodes furent utilisées, le séquestre de terres prises aux tribus insurgées en 1871 (le Titteri fut très peu ou pas du tout concerné par ces séquestres), l'achat de gré à gré (la meilleure ; mais pas facile de trouver des vendeurs) et l'expropriation pour cause d'utilité publique.

Et enfin pour la colonisation privée, c'est-à-dire pour les achats de terre par des particuliers, la nouvelle loi Warnier du 26 mars 1873 institua une nouvelle législation sur les licitations (ventes aux enchères d'un bien indivis comme celui de la plupart des tribus) très favorable aux acheteurs et aux spéculateurs, européens ou pas, cultivateurs ou pas. Cette loi entraîna de tels abus que son emploi fut freiné dès 1887 et qu'elle fut volontairement oubliée en 1891. Et en février 1897 une nouvelle loi empêcha qu'un seul copropriétaire puisse obtenir une licitation.

     NB

Le lecteur désireux d'en savoir plus doit s'intéresser à la loi Warnier, au droit de chefâa et à sa réforme par la loi du 16 février 1897, ainsi qu'aux articles 815 et 827 du code civil français. Entre 1873 et 1897 il suffisait de soudoyer un fellah copropriétaire pour qu'il demande à un juge complaisant d'autoriser ou d'ordonner une vente par licitation. Ces ventes par licitation se firent au profit d'acheteurs européens et musulmans. Un site Internet algérien précisait en 2006 : 55% aux colons et 45% à de riches familles musulmanes.

Les conditions d'attribution des concessions ont fait l'objet de trois décrets entre 1871 et 1904 ; les modifications allant dans le sens du durcissement.

   ·      

Décret du 10 octobre sous le G.G. Gueydon
- Il faut être français, mais pas forcément " immigrant ", c'est-à-dire métropolitain. Les colons et les fils de colons peuvent solliciter une concession. Gueydon pensait que la présence de colons ou de fils de colon était souhaitable car " cultivateurs laborieux et entendus, ils sont
un excellent exemple pour les nouveaux venus ".
- la concession est gratuite comme avant 1864
- l'obligation de résidence est de 5 ans pour recevoir le titre de propriété

   ·     Décret du 30 septembre 1878 sous le G.G Chanzy.
C'est le principal car il fut appliqué durant 25 ans. La concession reste gratuite , mais l'obligation de résidence est ramenée à 3 ans sous condition d'avoir investi au moins 100 francs par hectare. Les concessions seront agrandies : 40 ha au maximum. En 1892, le G.G Cambon garda la gratuité de la concession, mais exigea que le demandeur possède un capital de 5 000 Francs. On ne voulait pas attirer de pauvres gens, mais des cultivateurs capables d'investir.
   ·       
Décret du 13 septembre 1904 sous le G.G Célestin Jonnart.
Il prévoit quatre modes d'attribution.
Un " normal " : vente à prix fixe à bureau ouvert (à Alger pour le Titteri).
Un " secondaire " pour les fermes isolées : vente aux enchères par adjudication publique.
Et deux exceptionnels : vente de gré à gré ou concession gratuite. La gratuité n'est donc pas abandonnée, mais elle coûte trop cher et on souhaite s'en passer. Par ailleurs l'obligation de résidence est allongée à 10 ans et il est interdit de vendre, avant 20 ans, à un indigène ou à un non-cultivateur. Il y avait eu trop d'exemples de colons qui revendaient leurs terres et quittaient le village aussitôt que possible.

Comme on commence à aborder les hautes plaines steppiques la concession peut atteindre 200 ha. Les 2/3 des lots sont réservés à des immigrants, car le but n'est pas de déplacer des colons, mais d'en attirer de nouveaux.

Le problème du coût avait d'ailleurs fait échouer en 1882 le projet du G.G. Tirman dit des 50 millions. Ce projet prévoyait de créer avec ces 50 millions, 300 villages de 50 feux sur 600 000ha. Mais à Paris les députés l'ont rejeté par 249 voix contre 211 au motif qu'il coûtait trop cher et qu'il entraînerait trop d'expropriations et de mécontentements dans les tribus concernées.

Les villages dispersés

Cet ultime chapitre concernant la période 1870-1914 vous paraîtra sans doute un peu fourre-tout car il est destiné aux villages inclassables dans les catégories précédentes. Ils ne sont

   ·        

ni associés à leurs voisins dans un cadre naturel commun, type plaine ou vallée, ou plateau

   ·      ni échelonnés sur l'une des deux routes majeures ; la RN 1 et la RN 8
   ·     ni très proches d'une ville.

Ils sont donc plus isolés que les autres ; et moins connus car pour y aller il fallait le faire exprès.

Il me paraît utile de mettre en exergue de ce chapitre un extrait de la plus banale des cartes Michelin, pour les lecteurs qui n'auraient pas en tête la carte du Titteri tellien. Que les autres m'excusent pour cette précaution superflue.

Cliquer sur l'image pour l'agrandir ( 128 ko )
Les villages dispersés

Cette carte a le mérite de montrer l'isolement de ces centres par rapport aux grandes routes ou par rapport aux villes. Maginot est bien plus éloigné de Sidi-Aïssa que Boghar de Boghari ; Borély-la-Sapie en bien plus éloigné de Médéa que Lodi ou Damiette.

Les cercles entourent aussi bien les noms des centres créés avant 1914 (en rouge) que ceux qui ne sont apparus qu'après 1918 (en bleu) ainsi que ceux qui ne sont que cités comme repères (en noir). Je dois aussi préciser que pour Maginot et Stéphane Gsell, les dates que l'ai trouvées sont si manifestement fausses, que j'ai préféré privilégier une logique géographique en étudiant Stéphane Gsell à la suite de Masqueray (créé en 1907) et Maginot à la suite d'Aïn-Boucif (créé en 1919).

Deux villages n'ont été rattachés au Titteri que bien après leur création.
Il se trouve, assez logiquement, que ces deux centres sont proches des limites qui furent celles de l'arrondissement, puis du département de Médéa, du côté du département d'Orléansville.

Letourneux (ou Derrag).

Cliquer sur l'image pour l'agrandir ( 112 ko )

letourneux

L'origine du nom de ce village est le patronyme d'un magistrat ayant exercé en Algérie : Aristide Horace Letourneux. Ce magistrat travailla notamment en Kabylie ; et il ne se contenta pas d'y faire de la jurisprudence. Il fit montre de curiosités multiples, avec succès, car on lui a reconnu des connaissances estimables dans des domaines aussi divers que le droit, l'archéologie, l'amazighité (langue et coutumes berbères) et même la botanique.

Il s'est si bien intéressé au droit et aux parlers berbères qu'il a pu rédiger et publier en 1872, en collaboration avec le futur général Hanoteau, trois gros volumes sur " Les Kabyles et les coutumes kabyles ".

Le village auquel on a donné son nom, un an après sa mort, n'est pourtant pas situé en Kabylie, mais dans le massif de l'Ouarsenis. Il se trouve que dans cette région de l'Ouarsenis oriental, les tribus Matmata qui vivaient là parce qu'elles avaient été refoulées dans les montagnes par les nomades arabes des steppes, n'étaient pas encore totalement arabisées en 1830. Il y avait donc des survivances berbères. Après la conquête les Français appelaient d'ailleurs kabyles, tous ces montagnards de l'Atlas tellien proche d'Alger. En 1897 ces douars montagneux étaient pauvres et les habitants cherchaient des compléments de revenus en allant travailler dans les plaines du nord à l'époque des moissons ou des vendanges, et fabriquaient l'hiver du charbon de bois.

Lorsque le centre de colonisation a été créé en 1891, il n'a pas été rattaché à l'arrondissement de Médéa, mais à celui d'Orléansville ; et plus précisément à la commune mixte de Teniet el-Haâd (le col du dimanche) dont l'emplacement avait été choisi en 1843 pour le premier camp militaire, puis en 1858 pour le premier village de colonisation de l'Ouarsenis. En 1887 avait été fondé, dans cette même commune mixte, le village de Trolard-Taza à 19 km du site de Letourneux et à l'emplacement de l'un des deux arsenaux d'Abd el-Kader (l'autre étant à Boghar). La création de Letourneux 4 ans plus tard a été logiquement conçue comme la poursuite de la colonisation de l'Ouarsenis oriental dépendant de Teniet el-Haâd.

L'accès à Letourneux est plus facile à partir de Teniet el-Haâd qu'à partir de Boghari. Entre Boghar et Letourneux il faut franchir deux cols à 1320 m (col de Birin) et 1300 m (col de Kerba). Le village a été implanté dans une vallée de montagne entourée de massifs boisés, et à 1159 m d'altitude. Il y neige tous les ans.

Letourneux fut un village à activités exclusivement agricoles, malgré la présence d'un modeste hôtel-café-restaurant. Les seules cultures commerciales possibles étaient les céréales, blé et orge. Certains colons devaient y ajouter des revenus liés à l'élevage de moutons, voire de bovins. Un marché au bétail se tenait d'ailleurs près du village le Vendredi.

Parmi les colons il en est un qui a laissé une trace dans l'histoire de l'Algérie, et sur les cartes du Titteri entre 1935 et 1962, c'est Paul Cazelles. Nous avions rencontré ce monsieur à Aïn-Oussera où il avait tenu le caravansérail de 1885 à 1889. On le retrouve à Letourneux dès le début du village. Il ne se contenta pas de semer du blé, il prit une part active à la vie locale et à l'activité politique. En 1895 il est élu maire de Letourneux et en 1901 conseiller général à Alger. Désormais son temps est partagé entre Letourneux et Alger. Il meurt en 1931. Il avait sans doute laissé d'excellents souvenirs car ses collègues obtinrent du gouverneur général Paul Carde qu'il débaptise Aïn-Oussera, désormais appelé Paul-Cazelles. Ce nom ne survécut pas à l'indépendance.

Malgré son rattachement à l'arrondissement de Médéa, à une date que j'ignore, Letourneux est resté davantage tourné vers Teniet el-Haâd (à 54km) que vers Boghari (à 55km). Le guide bleu de 1950 indiquait un service quotidien d'autobus vers Affreville, par Trolard-Taza et Teniet el-Haâd ; tandis que vers Boghari il n'y avait que trois aller-retour hebdomadaires. Comme on ne pouvait aller et revenir dans la même journée, l'hôtel de la Place devait recevoir quelques clients contraints.

maisons de colons

Le terme " La Place " ne doit pas faire illusion : l'aspect du village n'était pas classique. Il y avait effectivement de la place devant des maisons dispersées dans un environnement boisé, mais pas de place avec kiosque et bâtiments publics. En 1954 il y avait, dans la commune, 158 européens sur 1792 habitants. Malgré son isolement ce n'était pas un village en voie de dépérissement.

Borély-la-Sapie (ou Ouamri)

Ce village n'a été intégré que très tardivement au département de Médéa, très exactement le 3 septembre 1959. Auparavant il avait été l'un des centres dépendant de la commune mixte du Djendel (chef-lieu Lavigerie) dans l'arrondissement de Miliana, rattaché lui-même au département d'Orléansville en 1957.

L'origine de ce toponyme est un hommage rendu tout à la fois à un grand colon et à un des colonisateurs de la Mitidja dans les années 1840/1880.

   ·        

1813 Pierre Martin Borély-la-Sapie naît à Seyne dans une famille suffisamment aisée pour lui payer des études secondaires au lycée d'Avignon. Seyne est dans les Basses-Alpes, pauvre département, l'un des rares départements français d'émigration. Contrairement à la majorité des partants, Borély-la-Sapie n'a pas choisi le Mexique, mais l'Algérie.

   ·      1843 Il obtient je ne sais comment une concession de plus de 400ha à l'est de Boufarik, sous la condition d' implanter sur ses terres vingt familles françaises. Son domaine est situé au lieu-dit Souk
ferme souk-ali
Ali sur la route de Chébli. En 1843 la menace hadjoute avait été définitivement écartée, mais les moustiques et le paludisme étaient encore là. Borély-la-Sapie assécha et mit en culture le domaine grâce à 40 employés européens et 40 khammès. A l'époque les revenus des colons étaient fournis d'abord par les fourrages vendus à l'intendance militaire. Borély-la-Sapie innova volontiers en semant du blé, et surtout en plantant des vignes, des orangers, des mûriers, du tabac… et du coton. Il croyait ferme à l'avenir de cette culture " le coton est la plante qui doit populariser l'Algérie, qui doit l'enrichir et l'unir à jamais à la France ". Il ne fut pas le seul à se tromper car nombreux étaient alors ceux qui imaginaient un territoire quasi tropical où planter coton et canne à sucre.

A ses activités d'entrepreneur agricole, il ajouta des responsabilités sociales et politiques.
   ·     1849 Il est élu Président du premier Comice agricole de la province d'Alger ; et peu après il devient le premier maire de Boufarik.
   ·      1867 Il devient maire à Blida, où il se démène, en 1867/1868 pour fournir des secours aux mesquines (pauvres indigènes) victimes des années de famine (1866 à 1869), due à la sécheresse, à des vols de sauterelles et à des poussées de choléra. Il ouvre des chantiers de charité qui ont permis d'aménager, à Blida, près de l'oued el Kebir, le jardin Bizot.
   ·      1872 Il est promu Grand Officier de la Légion d'Honneur.

Cliquer sur l'image pour l'agrandir ( 119 ko )
Borely-la-sapie

Lorsque le village est créé en 1905, le choix de son nom est motivé par le souci de récompenser des mérites multiples : ceux du colon, du colonisateur, de l'homme public et du bienfaiteur.

Le village est à 5 km au nord de la RN 18 qui descend la vallée de l'oued Harbil vers le Chélif.

Il est dans une zone de collines à 300 m au-dessus de cette vallée affluente du Chélif. Il est dominé par les 850 m du djebel Guelala. On y accède par deux routes parallèles qui s'arrêtent toutes deux au village. C'est donc un village en cul-de-sac amélioré par le choix de la route.

Comme à Letourneux, les activités sont purement agricoles. Mais à l'avantage de Borély-la-Sapie il faut noter la présence de vignes donnant des vins dont la qualité de VDQS fut reconnue officiellement en 1947. Est-ce la raison qui a motivé la décision de rattacher la commune à Médéa ? Peut-être, car les villages voisins de la plaine du Chélif avaient d'autres futurs possibles ; surtout après la construction du barrage du Ghrib qui n'a en rien concerné Borély-la-Sapie.

En 1950 il n'existait aucune desserte de ce village par un service de transport public.


rue pricipale
mairie
En 1954 il y avait dans la commune 134 Européens sur 6 213 habitants.

Deux villages sont sur la route de Berrouaghia à Aumale (la RD 20)
Masqueray (ou Djouab)

L'origine du nom de ce village est le patronyme d'un professeur d'histoire du lycée Bugeaud, le seul lycée d'Alger à l'époque.

Quelques dates de la vie d'Emile Masqueray

1843

Il naît près de Rouen

 1869 Il est reçu à l'agrégation d'histoire et nommé à Bastia
1872 Il choisit d'être muté à Alger plutôt qu'à Versailles
1875 Il s'intéresse aux ruines romaines de Timgad
1880 Il est chargé d'organiser un enseignement supérieur de lettres en Algérie. Il crée l'Ecole supérieure de Lettres d'Alger, qui est l'embryon de la future université. Il en est nommé Directeur ; poste qu'il conserva jusqu'à sa mort en 1894.
1881 Il persuade Jules Ferry de créer les 4 premières écoles en Kabylie, aux Beni-Yenni. Il s'agit seulement d'écoles de garçons.

Mais ce sont sûrement ses activités extra scolaires qui expliquent le choix de donner son nom à un village 13 ans après sa mort : à savoir,

   ·

ses voyages d'exploration vers le grand sud, et notamment à Négrine, et à Ghardaïa où il allé vêtu en arabe ;

   · ses fouilles archéologiques à Timgad et Madaure ;
   · son intérêt pour les langues locales et surtout pour les parlers berbères, qui débouche sur une soutenance de thèse de doctorat à Paris, en 1886. Sa thèse a pour titre " La formation des cités chez les populations sédentaires d'Algérie (Kabyles, Chaouïas et Mozabites) ". Il entreprend aussi la publication du premier dictionnaire Français-Touareg, qu'il n'eut pas le temps de terminer, tant il mourut jeune, à 51 ans.

Ce fut donc un éminent professeur et l'un de nos premiers berbérisants. Mais on donna son nom à un village établi en région arabophone.

La création du village est de 1907. Il fallut le reconstruire en partie en 1910 à cause des dégâts provoqués par un séisme régional. Ce centre est modeste : 700ha pour 12 concessions de 50 à 70ha dans une région où seuls la céréaliculture et l'élevage des moutons sont possibles. Ce centre n'eut pas d'autre activités qu'agricoles, si ce n'est la tenue d'un marché hebdomadaire (le mardi) en liaison avec les productions agricoles et les besoins des fellahs.

Les terres et les village sont situés dans une assez large vallée, celle d'un oued Melah (encore une rivière salée !) sous affluent de l'Isser. L'oued coule entre deux rides montagneuses boisées pas très élevées ; au nord le djebel Dar-en-Naga (1403m) et au sud le djebel Bou Sedar (1389).

La région reçoit assez de pluies pour que les récoltes soient assurées tous les ans ; mais avec des rendements irréguliers en fonction notamment des pluies de printemps. Il neige un peu tous les ans car Masqueray est à 850 m d'altitude.

masqueray

L'aspect du village est celui d'une petite agglomération toute en longueur dont la rue principale est en fait la route départementale N° 20 qui relie Aumale à Berrouaghia. Les grands bâtiments les plus distincts de la photo sont la gendarmerie qui ne fut construite qu'à la fin des années 1950 et le bordj de la SAS de 1956. Cette photo date sans doute de la période 1958-1962.

Ce centre n'est pas un bout du monde puisqu'il est traversé par une route parcourue, de surcroît, par des services quotidiens d'autobus en provenance d'Aumale, de Berrouaghia, et même d'Alger avant 1954 et la montée de l'insécurité. C'était la société Auto-Traction de l'Afrique du Nord qui assurait ces liaisons. Mais il n'empêche : Masqueray est un îlot européen en région arabe. Il y a 33 km de Masqueray à Aumale, et 54km de Masqueray à Berrouaghia. Le guide bleu qualifie de pittoresque la route d'Aumale, ce qui une façon de souligner qu'elle est incommode avec deux petits cols à franchir, celui des ouled Ferha à 1200 m et celui des ouled Merien à 1120 m.

Cliquer sur l'image pour l'agrandir ( 88 ko )

masqueray

Le village appartenait à l'arrondissement d'Aumale et à la commune de Djouab. En 1954 il n'y vivait plus que 21 européens. Et ensuite l'insécurité interdit rapidement tout travail agricole régulier. Les colons partirent. Ce village de colonisation n'eut plus de colon avant le grand exode de 1962. En 1958 il restait deux familles françaises qui tenaient une épicerie et un café ; pour peu de temps.


A proximité se trouvaient les ruines romaines de Rapidum (ou Sour Djouab)

ruines romaines de Rapidum (ou Sour Djouab)
ruines romaines de Rapidum (ou Sour Djouab)

plan de Rapidum

Seuls les archéologues patentés peuvent imaginer, en regardant ce champ de pierres dressées, l'allure qu'avait cette toute petite ville de vétérans de la province de Maurétanie Césarienne. La colonie de vétérans avait succédé à un Castra Rapida qui avait été créé en 122 sous Hadrien pour une cohorte de 600 soldats, peut-être venus de Sardaigne à l'origine, et abandonné moins d'un siècle plus tard, la sécurité de cette voie reliant Tirinadi (Berrouaghia) à Auzia (Aumale) paraissant assurée.

Le site fut fouillé en 1912 et surtout en 1927 par Albertini, puis en 1951 par mon professeur d'histoire à Bugeaud, Marcel Leglay ; jamais par Masqueray.

Si vous avez remarqué sur la carte Michelin deux fois le symbole signalant des ruines proches appelées Rapidi et Sour Djouab, c'est une erreur. Rapidum, Rapidi ou Sour Djouab sont les trois noms utilisés pour désigner le même champ de ruines. Contrairement à Timgad, Djemila ou Tipaza, Rapidum ne devint jamais un lieu touristique et il n'y eut pas d'hôtel à Masqueray ; juste un café.

Quelques mots pour accompagner le plan de Rapidum

Origine de ce plan : je l'ai trouvé dans un ouvrage splendide paru en 2003 et réédité en 2008.
Cet ouvrage est intitulé " L'Algérie antique : de Massinissa à Saint-Augustin ".
L'auteur en est Serge Lancel.
Les éditions s'appellent Place des Victoires 6 rue du Mail 75 002 Paris. Cette deuxième édition a été imprimée en Chine !

Cet ouvrage a 258 pages grand format (26x31cm.)
Il est très érudit, magnifiquement illustré et au total très remarquable.

C'est sous les Antonins (96-192) que ce camp avait été créé pour assurer la sécurité sur l'axe principal des communications entre l'ouest et l'est de la Maurétanie romaine ; celui qui par Thanaramusa castra (Berrouaghia) et Auzia (Aumale) reliait la vallée du Chélif et les plateaux de Sitifis (Sétif).

Sous les Sévères (193 à 235) il était devenu un centre de peuplement et de cultures réservé à des vétérans des légion romaines ayant terminé leurs 20 ou 25 ans de bons et loyaux services. Entre temps la sécurité avait été établie de façon satisfaisante, et un deuxième limes légèrement fortifié installé plus au sud au pied de l'Atlas, à la limite nord des hautes plaines.

Rapidum était rattaché à la Maurétanie césarienne et dépendait donc de Caesarea (Cherchell).

Commentaires.

Vous avez déjà remarqué que le plan est strictement orienté : Decumanus franchement est-ouest et Cardo franchement nord-sud.

Mais le decumanus vient buter sur un bâtiment : ce bout de decumanus porte le nom de voie du chef, même si l'Etat-Major militaire est logé sur le cardo appelé ici via principalis.

Via principalis = voie du princeps, donc ici voie de l'empereur ou de son légat ; et non voie principale.

Principia désigne habituellement une place d'armes face au logis du préteur mais ici c'est apparemment une espace bâti face à la voie du préteur (magistrat chargé de rendre la justice). Ces bâtiments pourraient être ceux d'un tribunal important.

Malgré la coupure en deux du decumanus, il y a bien une " porta decumana " située du côté le moins sûr à l'époque du camp militaire. Et une porte prétorienne du côté le plus sûr qui est aussi celui d'où arrivent les chefs et les légionnaires venus de Rome.

Cette coupure empêche la ville d'être partagée en quatre carrés, ou quadrants, comme c'est le cas sur les plans théoriques.

La place tenue par les casernements est immense. Il est très probable que le petit casernement au sud-ouest est celui des officiers, qui est toujours séparé de celui ou de ceux de la troupe.

Notons enfin pour terminer l'existence des thermes dont toute agglomération doit se doter pour être dans la norme romaine.

Rapidum a la forme d'un carré de dimension modeste : environ 125x125m ; soit bien moins de 2 hectares.

Stéphane Gsell (ou Hakimia)

Ce village sera le village sinistré de mon travail, car autant il est facile de trouver des informations sur la personne de Stéphane Gsell, autant il est difficile d'en trouver sur le village : le guide Michelin l'ignore et le guide bleu paraît le confondre avec Souagui qui n'est pas un centre de colonisation. Heureusement qu'il est mentionné par toutes les cartes ; sinon on pourrait douter de son existence.

Son nom a pour origine le patronyme d'un archéologue passionné par l'étude des ruines romaines, de toutes tailles, éparses dans toute l'Algérie.

Stéphane Gsell
est né à Paris en 1864 dans une famille alliée à celle de Louis Pasteur. Il fut un brillant élève qui intégra l'Ecole Normale Supérieure de la rue d'Ulm et en sortit agrégé d'histoire tout comme Masqueray. Il fut ensuite nommé à Rome.

Il arriva à Alger en 1890, non comme professeur de lycée, mais comme professeur à l'Ecole supérieure des Lettres que Masqueray avait créée à Alger en 1880. Pendant 4 ans Masqueray fut donc le chef de Stéphane Gsell.

Le jeune professeur dépassa son directeur d'Alger car il finit sa carrière à Paris avec une double casquette associant deux postes prestigieux :
          - Inspecteur des Antiquités et Musées d'Algérie,
          - Professeur au Collège de France.

Au Collège de France on avait créé pour lui la chaire d'Histoire de l'Afrique du Nord.

Il ne resta donc pas à Alger jusqu'à l'âge de la retraite. Mais il y revint tous les ans en mission de fouilles qu'il conduisit de façon scientifique, s'efforçant de faire le tour de tous les sites et de déchiffrer les inscriptions trouvées sur les monuments ou sur de simples pierres gravées ; à commencer par les bornes milliaires comme celle donnant la distance de Rapidum à Auzia.

Entre 1893 et 1928 il a publié de nombreux livres sur l'Algérie dans l'Antiquité. Ses deux ouvrages majeurs sont :
          - en 1911 un Atlas archéologique de l'Algérie,
          - de 1913 à 1928 une Histoire ancienne de l'Afrique du Nord en huit volumes.

Il fut le principal archéologue de l'Algérie. L'Algérie a récompensé ce travail de toute une vie en donnant son nom à
          - un musée à Alger ( Antiquités romaines et Art musulman) (voir le musée)
          - un lycée à Oran
          - un village de colonisation dans le Titteri
          - un pénitencier agricole !

Le pénitencier était à 2 km de Berrouaghia sur la route du futur village de Stéphane Gsell. Je connais la date de création du pénitencier (1879), absolument pas la date de fondation du village. Il est sûr qu'il a été créé entre 1908 et 1927. C'est vague : si un lecteur a des précisions à apporter, B.Venis et moi sommes preneurs. Je pense que la date de 1933 trouvée parfois est celle du choix d'un nouveau nom pour un centre plus ancien, Stéphane Gsell étant décédé à Paris en 1932. Ca ne peut pas être celle de la naissance du village.

Le village a été établi sur la route d'Aumale à Berrouaghia à 15km de Masqueray à un carrefour avec une route très secondaire reliant la départementale 20 et la RN 18 distantes de 9km. Il est à 3km à l'est du village indigène de Souagui. Il est dans la même situation que Masqueray, une plaine de montagne à plus de 850m d'altitude et encadrée par des alignements de collines boisées culminant à 1103m au sud. C'est une région de céréales et d'élevage bovin.
L'impossibilité de trouver des renseignements sur le devenir de ce centre de colonisation fait supposer qu'il n'a pas dû être plus brillant que celui de son voisin Masqueray. Je n'ai pas d'autre document qu'un extrait de la carte au 1/200 000 : le voici.

Cliquer sur l'image pour l'agrandir ( 105 ko )

Stephane-Gsell


En 1954 le village dépendait administrativement de la commune de Souagui et de l'arrondissement de Tablat. On y trouvait seulement 40 européens sur 9903 habitants.
Il était desservi par les cars, un par jour, de la ligne Berrouaghia-Aumale.

Un village au centre de la steppe d'alfa : Reibell-Chellala

Reibell est le nom français d'un village de colonisation devenu ensuite chef-lieu de commune mixte
Chellala est le nom arabe d'un bureau arabe remplacé par la sus-dite commune mixte.

On disait plutôt Reibell que Chellala ; mais ces deux toponymes avaient des emplois un peu différents. On allait à Reibell en traversant la commune de Chellala.

L'origine du nom français Reibell est des plus logiques puisque René Reibell, alsacien de naissance et français par choix après la défaite de 1870, fut le chef du bureau arabe de Chellala durant douze années d 'affilée.

Quelques dates de la carrière de René Reibell

1870

Il débarque en Algérie et est nommé adjoint au bureau
arabe de Laghouat

 1874

Il est l'adjoint du chef du bureau arabe de Bou-Saâda

1875

Il est l'adjoint du chef du bureau arabe de Djelfa

1876

Il est nommé adjoint aux affaires indigènes à Médéa

1880 à 1892

Il est le chef du bureau arabe de Chellala. Il est promu capitaine

1894

Il est chef du service des affaires indigènes au G.G. à Alger

1898

Il prend sa retraite avec le grade de commandant

1901

Il meurt à Alger

Il a donc fait toute sa carrière dans le Titteri ; et la plupart du temps dans les territoires militaires du sud où la IIIè république avait maintenu les bureaux arabes, provisoirement.

 

Ne pas confondre le commandant et le général Reibell

Je ne sais pas s'ils étaient parents, mais ils ont tous deux servi en Algérie. Le futur général, après la campagne de 1895 à Madagascar, avait participé à la mission Foureau-Lamy qui de 1898 à 1900 traversa le Sahara jusqu'au Tchad, en partant d'Alger.
Un village porta le nom du commandant.
Une grande rue de
Birmandreïs, dans la banlieue d'Alger, porta le nom du général. Cette rue prolongeait, de la Colonne Voirol jusqu'au centre de Birmandreïs, l'avenue Foureau-Lamy d'Alger


Quelques pages d'histoire

Avant 1830 il existait, au nord du djebel Hammade, au niveau des sources, deux modestes mechtas d'une trentaine de sédentaires chacune, appelées Chellala et Ben Hammade.
En 1843 les troupes du duc d'Aumale à la recherche de la smala d'Abd el-Kader ont suivi l'oued Touil et ont évité de s'approcher de ce djebel. Mais après l'occupation de Laghouat en 1852 il fallut sécuriser toute cette région de steppes parcourues par des nomades : un poste militaire fut implanté à Chellala. Il dépendait alors du cercle de Boghar. Ce poste connut des jours difficiles en 1864 lorsque la révolte des Ouled Sidi Cheikh d'Oranie s'approcha du Titteri.

Un bureau arabe fut ajouté pour administrer le territoire et surtout gérer les conflits inévitables entre les tribus sahariennes qui, au printemps, passaient là quelques semaines près de l'Oued Ouerk. Sous Napoléon III un sénatus-consulte en 1863 s'efforça de préciser les droits de chaque tribu et de protéger les rares cultures dans les bas-fonds humides des bords de l'oued Ouerk. Les nomades transhumant vers le Sersou et les steppes au sud de l'Ouarsenis étaient les Larbaâ de Laghouat et les Saïd Atba d'Ouargla tous les ans. Les années sèches, des Ouled Naïl s'y joignaient.
Des commerçants français aventureux vinrent s'installer à côté des militaires. En 1891 ils étaient, paraît-il, déjà 29.

En 1902 un centre de colonisation fut créé près de la mechta Chellala : on l'appela Reibell. Cette création m'étonne beaucoup car je ne vois pas à quelles activités lucratives non commerciales pouvaient s'adonner les colons. En l'absence de ressources minières on ne peut songer qu'à la récolte de l'alfa, à l'élevage ovin et à des cultures aléatoires de blé ou d'orge dans les dayas et les madhers. L'alfa n'a été exploitable qu'après le prolongement du chemin de fer au-delà de Boghari après 1918. L'élevage ovin ne pouvait être qu'extensif et semi nomade : cela supposait un savoir-faire inusité en Europe. Il en allait de même pour les cultures de céréales dans les bas-fonds.
Bien sûr on pouvait mieux utiliser les sources près du village, les résurgences 5km plus au nord, et les rives inondables et par endroit marécageuses de l'oued Ouerk une dizaine de kilomètres plus loin. Je ne sais pas ce qui fut fait à l'époque.

En 1905 une commune mixte vint remplacer le bureau arabe supprimé. Cette commune était immense puisqu'elle englobait le caravansérail d'Aïn-Oussera, à 64km par la piste la plus courte, celle qui contourne le djebel Ahmar Kradou par le sud.
Reibell-Chellala eut ensuite une vie sans problèmes notables, jusqu'à la défaite de 1940 et la montée des mouvements indépendantistes, notamment celui du PPA (parti du peuple algérien) dont Messali Hadj était un membre éminent.

En 1945 les incidents du 18 avril sont comme un signe avant coureur des émeutes de Sétif et du Constantinois trois semaines plus tard.

Messali Hadj
, né à Tlemcen en 1898, et marié à une française, se fait connaître dès la fin des années 1920 en prenant la direction du groupe nationaliste le plus virulent. Il fait inscrire la revendication d'indépendance, dès février 1928, dans les statuts de l'organisation " l'Etoile Nord-Africaine ". En 1941 la propagande des alliés et la Charte de l'Atlantique favorables au " libre choix par les peuples de leurs institutions " encouragent les mouvements nationalistes.

Par précaution, durant la guerre, Messali Hadj a été détenu ou assigné à résidence surveillée à Lambèse, Boghar et In-Salah. En 1944 il est en résidence surveillée à Reibell lorsque Ferhat Abbas prend contact avec lui pour fonder le groupe des AML (Amis du manifeste et de la liberté). Messali Hadj qui, à Paris, avait flirté avec le parti communiste lui donne une orientation de gauche.

Le 18 avril c'est la fête de l'Achaba (fête de la transhumance de printemps) et il y a beaucoup de monde dans la bourgade et tout autour. Quatre messalistes sont arrêtés pour je ne sais quelle raison. Il s'ensuit une intervention de la foule qui délivre les prisonniers. Il n'y a pas de mort, mais c'est une sérieuse perte de prestige pour les autorités qui répliquent en envoyant Messali Hadj à El Goléa, puis à Brazzaville. L'atmosphère est à la révolte.

En 1956 Reibell eut droit à sa SAS comme tous les bourgs d'Algérie.


Le cadre naturel fait de Reibell une exception. C'est le seul centre de colonisation situé en plein milieu des hautes plaines steppiques de l'Algérois. La commune s'étend sur une steppe à alfa (stipa tenacissima) et à chih (armoise blanche : artemisia herba alba) où seul l'élevage extensif est possible loin des sources et des bas-fonds humides. C'est une zone de remblaiement alluvial très épais qui a ennoyé presque tous les reliefs ; région extrêmement monotone où seules émergent quelques rides montagneuses. Près de Reibell il y en a deux qui culminent à 1303 et 1123 m. Ces hauteurs ont le mérite d'accrocher les nuages et de recevoir quelques pluies et neige qui alimentent un inféro-flux qui passe sous les alluvions les plus grossières et réapparaît 5 km plus au nord sous forme de grosses sources qui permettent quelques cultures permanentes quand l'hiver est fini. Car il fait froid l'hiver sur ces hautes plaines venteuses. Il tombe environ 300mm de pluies par an avec un maximum décalé vers le printemps, ce qui est une nuance continentale classique du climat méditerranéen.

Cinq kilomètres plus au nord encore les points bas sont occupés par les marécages saisonniers de l'oued Ouerk qui est un affluent du Nahr Ouassel (nom de la partie amont du Chélif).

Cliquer sur l'image pour l'agrandir ( 99 ko )

reibell

Commentaires
La rocade sud a été aménagée par les soldats américains en 1943.
De Foucauld est le village de colonisation le plus proche. Il date de 1923.
Reibell est à 98km de Boghari ;
               à 64 de Paul-Cazelles ;
               à 40km de De Foucauld
               à 74km de la gare la plus proche, Boughzoul, sur la ligne de Djelfa
               et à 150km de Médéa, chef-lieu du département.
La ligne rouge est la limite du département de Tiaret.


Les activités principales des 121 européens qui vivaient là en 1954 (sur 4011 habitants) n'étaient agricoles que pour une minorité.

centre administratif

Reibell était d'abord un centre administratif avec tous les fonctionnaires d'un immense commune mixte. Le bâtiment de la photo est celui des bureaux de la commune mixte. C'est déjà un immeuble assez grand.

Au nombre des fonctionnaires inhabituels, il faut compter ceux de l'assistance médicale sous la direction d'un " médecin de la colonisation " isolé, bien loin du premier hôpital. Il avait à soigner, à gérer un petit stock de médicaments, et à vacciner. Il était le responsable de la santé. Je ne serais pas étonné d'apprendre qu'on le consultait aussi pour des services vétérinaires. Le premier d'entre eux, Constantin Alquier est resté en poste jusqu'en 1923. Il fallait avoir une vraie vocation.

Il y avait aussi une école ouvroir où on apprenait aux demoiselles à tisser des tapis de haute laine.
Et à une quinzaine de km, sur la piste de Paul-Cazelles par le sud, on avait ouvert une ferme école consacrée à l'amélioration des pratiques de l'élevage ovin. Les maladies les plus fréquentes, traditionnelles, étaient des parasitoses (strongyloses) et des gastro-entérites, dues le plus souvent aux eaux infectées des marais de l'oued Ouerk. Sur les cartes cette école est appelée Aïn-Radja.

Reibell était un centre commercial fréquenté par les sédentaires du coin, et par les nomades de passage. C'est au printemps et à la fin de l'été qu'il y avait foule au souk ed-Djemma (marché du vendredi). Les nomades en route vers les estives du Sersou y vendaient leurs moutons en trop et de la laine. Mais Reibell n'avait pas, comme Paul-Cazelles des entrepôts frigorifiques, une gare et un aéroport.

Reibell eut aussi un rôle militaire à éclipses, et son isolement lui valut de servir de lieu de relégation pour des personnes que l'on voulait éloigner des villes, pour raisons politiques, sans les emprisonner.

L'aspect du village est celui d'une agglomération en pente sur le bas du versant nord du djebel. Il avait, grossièrement, la forme d'un triangle : la base au sud et la pointe du triangle au nord avec quelques maisons en plus le long de la route principale. Le village était entouré d'arbres et de jardinets grâce aux sources. Son altitude est de 850/860 m.


Reibell, vue générale
La création du village ayant été tardive les maisons ont une allure plus moderne que dans les villages créés 50 ans plus tôt.
La mosquée avec son minaret carré est d'un grand classicisme maghrébin. Par contre l'église est très originale. Elle n'est pas bien grande et, surtout, elle a une architecture quasi saharienne. Elle a été sûrement élevée bien avant la mosquée.
église


La desserte de Reibell par les transports en commun fut assurée par la société Delaunay, puis par les autocars blidéens. Mais il n'y avait pas de ligne directe pour Alger ; seulement pour Boghari, en correspondance avec les trains de Djelfa. A noter que de Boghari à Boughzoul le train et les cars suivaient un itinéraire strictement parallèle. Le car était plus rapide.