Géographie
de l'Afrique du nord
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C / LES VILLAGES DE COLONISATION On sait que parmi les 7 sous-préfectures de 1959,
Djelfa et Tablat
avaient été d'abord de simples villages de colonisation.
Sans compter ces deux cas particuliers sur lesquels je ne reviendrai pas,
et sans compter non plus les hameaux jamais promus communes, il a été
créé dans tout le Titteri, sauf erreur de ma part, 24 villages
européens entre 1848 et 1924.
Ce fut la période la plus favorable à la création de villages de colonisation : une quinzaine pour le seul Titteri et plus de 300 pour toute l'Algérie. Cette brutale accélération succéda au net ralentissement impérial de 1851 à 1864 ; puis à un arrêt volontaire à partir de 1864. Qu'est-ce qui a donc changé,
de ce point de vue, avec l'installation de la République ? Ensuite la nomination de gouverneurs généraux
désireux d'implanter des colons français sur l'ensemble
du territoire. Trois gouverneurs généraux ont mis la colonisation
rurale au premier rang de leurs préoccupations : Pour trouver les terres indispensables à la création de villages trois méthodes furent utilisées, le séquestre de terres prises aux tribus insurgées en 1871 (le Titteri fut très peu ou pas du tout concerné par ces séquestres), l'achat de gré à gré (la meilleure ; mais pas facile de trouver des vendeurs) et l'expropriation pour cause d'utilité publique. Et enfin pour la colonisation privée, c'est-à-dire pour les achats de terre par des particuliers, la nouvelle loi Warnier du 26 mars 1873 institua une nouvelle législation sur les licitations (ventes aux enchères d'un bien indivis comme celui de la plupart des tribus) très favorable aux acheteurs et aux spéculateurs, européens ou pas, cultivateurs ou pas. Cette loi entraîna de tels abus que son emploi fut freiné dès 1887 et qu'elle fut volontairement oubliée en 1891. Et en février 1897 une nouvelle loi empêcha qu'un seul copropriétaire puisse obtenir une licitation.
Les conditions d'attribution des concessions ont fait l'objet de trois décrets entre 1871 et 1904 ; les modifications allant dans le sens du durcissement.
Le problème du coût avait d'ailleurs fait
échouer en 1882 le projet du G.G. Tirman dit des 50 millions. Ce
projet prévoyait de créer avec ces 50 millions, 300 villages
de 50 feux sur 600 000 ha. Mais à Paris les députés
l'ont rejeté par 249 voix contre 211 au motif qu'il coûtait
trop cher et qu'il entraînerait trop d'expropriations et de mécontentements
dans les tribus concernées. Ce sont à 13 km Ben Chicao ; à 15 km Loverdo
; à 18 km Nelsonbourg ; à 29 km Champlain. Leur terroir a été presque entièrement défriché. Des forêts ou des broussailles originelles il n'existait plus après 1945 que des lambeaux sur des sommets ; et encore pas sur tous. Ils ont aussi en commun un village centre pas vraiment conforme au plan en damier carré habituel avec place centrale. Ce sont quasiment des villages rues allongés le long ou en bordure de la route départementale ou nationale qui les traverse. Ces villages sont devenus chefs-lieux de CPE en 1947 et de SAS en 1956. Particularités de la commune de Ben-Chicao L'origine du toponyme est le nom d'un minuscule oued qui
prend naissance près du village actuel. Ce nom a fini par désigner
beaucoup de choses, outre l'oued : Sur le caravansérail il est permis d'imaginer qu'il a été établi assez tôt et qu'il a été utilisé jusqu'à l'apparition de l'automobile. En 1858 son emprise couvrait 5 000 m² avec une grande cour et de nombreux bâtiments pour les gens et les attelages. Sur les cartes des années 1930 il est mentionné ancien caravansérail. Il était très près du col Sur la ferme école Roudil il y a quelques passages obscurs, mais l'essentiel est disponible.
Sur les moines cisterciens de la stricte observance qui arrivent à Ben-Chicao en 1934 il est difficile de faire le point sans remonter jusqu'à 1904. Leur présence dans la commune est un contre coup de la vente par les trappistes de Staouëli de leur domaine aux frères Borgeaud, précisément en 1904. Ces moines dépendaient de l'abbaye d'Aiguebelle, mais c'est en Italie, sur le lac de Garde, qu'ils s'étaient réfugiés, par crainte d'être spoliés par la législation anticléricale de l'époque. Il se trouve que d'autres moines cisterciens établis en Slovénie s'inquiètent de la même façon de l'attitude du gouvernement yougoslave orthodoxe de Belgrade qu'ils jugent hostile au catholicisme au début des années 1930. Ils décident de quitter la Yougoslavie et de tenter de recréer en Algérie un monastère qui reprendrait le flambeau abandonné en 1904. Mais le retour à Staouëli est impossible. Avec le soutien d'Aiguebelle ils trouvent un havre à Ben-Chicao. En 1934 ils quittent
leur monastère slovène dit de " Notre-Dame de la
délivrance ", passent saluer leurs collègues du
lac de Garde, puis ceux d'Aiguebelle. Ils débarquent à Alger
le 20 mars et montent aussitôt à Ben-Chicao. On les installe
très provisoirement dans une maison située à 8km
du village sur la route d'Ouled-Brahim un peu au nord du djebel Djemaa
Ressoul en un lieu appelé Ouled Triff. La maison, une ferme de
la Société d'Arboriculture du Titteri est isolée
(c'est excellent) mais fut jugée trop petite. Ils n'étaient
pourtant pas nombreux : deux moines et trois frères convers, pour
procéder à cette sorte de résurrection, au changement
de nom près, car le nouveau monastère s'appellera Notre-Dame
de l'Atlas. En 1938 enfin les moines, avec l'aide d'Aiguebelle, acquièrent la grande ferme de Tibharine dont il a été déjà question dans le paragraphe consacré au village de Lodi près de Médéa. Sur l'aérium il faut signaler sa naissance tardive car, si l'on en croit le supplément du dictionnaire Robert, le mot n'est apparu qu'en 1948. Avant on disait préventorium ou centre aéré. C'est un " établissement de repos, de vie au bon air, pour les convalescents et les enfants menacés de tuberculose ". Ce centre placé sur les hauteurs de Ben-Chicao constitue un bel hommage rendu à la salubrité du climat de montagne de l'Atlas tellien. Sur le village il n'y a rien de nouveau à dire, sinon que la gare dite de Ben-Chicao ouverte en 1892 est la plus haute de la ligne de Blida à Djelfa et qu'elle est un peu loin, à deux kilomètres au moins.
Particularités de la commune de Loverdo (ou Hassen ben-Ali) ou (Ouzera) Ce village a trois noms En 1874 lorsqu'il fut créé on l'appela Hassen ben-Ali, nom de la tribu locale à laquelle on avait acheté les terrains nécessaires à l'implantation des colons ; pour 42 000 francs et quelques compensations. Il se serait agi d'une transaction de gré à gré passée avec deux des douars de la tribu ; ceux situés près de la route de Médéa à Djelfa. C'est tout à fait possible, même s'il est difficile de se persuader qu'aucune pression des autorités n'ait facilité la vente. Il peut se faire aussi que le prix ait été supérieur à celui du marché, et donc bien tentant.
En 1877 le village
est rebaptisé Loverdo pour rendre hommage à un général
de division. Comme il y eut dans l'armée française en Algérie
deux officiers supérieurs portant ce nom, Nicolas et son fils Alexandre,
il faut préciser que c'est Nicolas qui est concerné car
c'est lui qui a participé au débarquement de Sidi-Ferruch
le 14 juin 1830 et à la conquête d'Alger à la tête
de la 2è des 3 divisions de l'expédition. La 1ère
était commandée par Berthezène et la 3è par
le duc d'Escars plus tard appelé duc des Cars (mais pas des autobus). En 1962 Loverdo devient Ouzera toponyme dont j'ignore l'origine. Le terroir de Loverdo touchant celui de Damiette (1848)
qui touche celui de Médéa qui touche celui de Lodi (1848),
c'est une zone de terres colonisées et viticoles continue qui s'étend
sur plus de 12km, de Lodi à Loverdo. Loverdo n'est pas un village
isolé comme souvent dans le bled. L'aspect du village
n'est pas du tout conforme au schéma classique du plan carré
en damier. C'est un village rue traversé par la RN 1 et longée
par la voie ferrée. Il est bâti à flanc de coteau.
Particularités de la commune de Champlain (ou El Omaria)
Quel rapport Champlain eut-il avec l'Algérie en général et avec le Titteri en particulier ? Aucun bien sûr. Ceux qui ont choisi ce nom pour un nouveau village ont pensé au fondateur de la " Nouvelle-France " (pour l'Algérie on disait plutôt " l'Autre France "). Ils ont oublié le triste destin des 15 000 Acadiens (Français de l'est du Canada) déportés par le " Grand dérangement " de 1755-1760 au cours des guerres franco-anglaises, et l'abandon définitif de tout le Canada français le 10 février 1763 au premier traité de Paris. Fâcheux précédent quand on connaît l'issue. La date de sa création,
par contre, n'est pas claire du tout. La date de 1921 parfois avancée
avec force détails est une erreur manifeste. Le village apparaît
dans le dictionnaire Joanne de 1908 avec la mention " village de
la commune mixte de Berrouaghia ". Il apparaît aussi dans une
liste de quatre villages publiée en 1904
et consultable sur le site des archives de Rennes ; il s'y trouve non
seulement le nom, mais aussi la distance à Médéa,
l'altitude, le nombre (30) et la taille des concessions (35ha)ainsi que
les cultures et les élevages pratiqués. Le cadre naturel est un peu différent de celui des trois autres villages de la commune mixte. Le terroir se trouve, pour l'essentiel, ainsi que le village, dans une petite plaine de montagne, et non sur une crête. Cette cuvette est à 800 m d'altitude à peine, et est dominée au nord, par des massifs de l'Atlas tellien où la France n'a installé ni villages, ni routes, ni pistes carrossables. Il n'y avait en 1935, vers le nord, que l'amorce de la piste tracée, après l'indépendance, jusqu'au col des deux-bassins au-dessus de Tablat. Cette cuvette à fond plat appartient au bassin de l'oued Isser. Les cultures principales étaient céréalières, mais avec un vignoble d'appoint pour des vins de qualité VDQS, même si le nom de Champlain évoque spontanément les arpents de neige du Canada plutôt qu'un cru de Médéa. L'élevage bovin était possible. Champlain se trouve sur une route secondaire qui double la RN 18. Pour y aller, il fallait le faire exprès. C'est peut-être pour cette raison que je n'ai trouvé aucune photo, ni dans les livres d'images, ni sur Internet, ni dans mes albums de famille. Je n'y suis jamais allé. Dommage. Le village n'est pas traversé par la départementale 23, il est longé par elle. Le rectangle allongé des lots à bâtir est au sud. Les autobus ne traversaient pas davantage le village : ils y avaient leur terminus. Ils venaient de Berrouaghia : en 1948 il y avait un aller-retour quotidien. La route de Berrouaghia passait tout près du camp militaire Paulinier, antérieur à la fondation du village et au sud duquel fut trouvé en 1906 un gisement préhistorique mésolithique tardenoisien. Elle passait ensuite à Ouled-Brahim. Berrouaghia est à 29km de Champlain. Le 4 avril 1948 il se produisit à Champlain un événement plus que fâcheux, mais qui ne prit toute sa signification qu'avec le recul du temps. C'était jour d'élections : celle du premier tour pour la désignation des députés à l'assemblée algérienne. Il y eut une émeute avec attaque d'un poste de contrôle qui fit trois morts. Particularités du village de Nelsonbourg (ou Aïn-Tsarès) (ou Si-Mahdjoub)
Je ne puis commenter que le toponyme Nelsonbourg dont la terminaison en bourg est inhabituelle pour un village d'agriculteurs. Evidemment Nelsonbourg ne doit pas son nom à un amiral anglais. C'est la première partie du nom d'un algérois, né en 1847 et qui fit une belle carrière dans l'administration et dans la banque. En 1907 il avait 60 ans : il était préfet honoraire (il avait été préfet du département d'Alger) et ancien directeur général de la banque d'Algérie. Il était à la retraite, mais avait conservé le goût d'entreprendre. Son nom complet est Félix Nelson-Chierico (voir square Nelson à Alger). Il n'est pas impossible qu'il ait participé au projet de création du village, ne serait-ce qu'en y achetant une concession. Auquel cas il ne s'y serait pas intéressé longtemps car en 1915 (on l'a déjà vu avec Sidi-Aïssa) il entreprend la mise en exploitation du gisement de pétrole de l'oued Guétérini. Toujours est-il, que pour nommer le nouveau village, Nelsonbourg sonnait mieux aux oreilles française de l'époque que Nelson-Chierico. Mais pourquoi tenait-on tant à associer ce nom au village ? Je l'ignore. En 1907 commencent des travaux de voirie vers la colline d'Aïn-Tsarès. En 1910 est signé le décret de création du nouveau centre de colonisation. En 1911 arrivent les colons :15 familles dont 13 d' " immigrants ". Ce village étant apparu postérieurement au décret 13 septembre 1904, ces colons ont dû acheter leur concession. Les lots étaient vastes : 70 ha. Ils avaient donc les moyens de mettre en valeur leurs terres, c'est-à-dire à cette date de planter des vignes. En 1922 le village, qui dépendait de Médéa, est rattaché à la commune mixte de Berrouaghia. En 1947 il est promu chef-lieu de CPE
En 1952 une nouvelle
mairie est inaugurée le même jour que celle de Loverdo, le
4 novembre, par une pléiade de personnalités politiques
et religieuses. Les politiques sont notamment le Président de l'Assemblée
(Laquière), le Président du Conseil général
(Farès) déjà rencontré à Berrouaghia,
le Préfet d'Alger (Trémaud) et les maires de treize communes
du Titteri ; le maire venu de plus loin étant celui de Letourneux.
A peu près 80 européens devaient, à cette date, vivre dans la commune : une douzaine de familles de colons propriétaires, trois gérants, un hôtelier-cafetier et des fonctionnaires. Le cadre naturel est
franchement montagneux, entre 800 et 1000 m d'altitude. Le climat y est
très favorable à la vigne. Les vins y étaient de
qualité supérieure. Le relief, ainsi qu'on le voit sur le petit extrait de la carte au 1/50 000, est marqué par l'encaissement profond de 300 m de l'oued qui se jette au sud dans la vallée de l'oued Sahari, tributaire du Chélif. Le village a été construit sur un dos de terrain dominant cette vallée. Il a l'aspect d'un village-rue, tout en longueur comme son voisin Ben-Chicao situé à 18 km plus à l'est. Soyons sincère, le village avait deux rues parallèles à la route, avec de belles maisons à étage qui s'expliquent, et par la date tardive de la fondation du centre, et par le mode d'attribution des lots qui avait sélectionné des familles aisées, et par la taille des lots. Cette image est celle d'un village qui paraît prospère. Les arbres y sont nombreux derrière les maisons. La végétation naturelle était forestière. Un seul service d'autocar reliait une fois par jour, dans chaque sens, le village à la gare dite de Ben-Chicao, mais qui est assez loin du village du même nom. Il n'y avait aucun service direct vers Médéa à 28 km ou vers Berrouaghia à 18 km.
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