DJELFA
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C'est une création française
ex nihilo |
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C'est le seul village de colonisation
implanté dans l'Atlas saharien |
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C'est un centre des territoires
du sud, dans les Monts des Ouled-Naïl qui fut le siège
d'un bureau arabe, d'une annexe militaire, d'une commune mixte et
finalement d'une sous-préfecture |
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En 1954, dans cette immense CM vivaient
110 000 hab. dont 1231 Européens, presque tous au chef-lieu
qui était aussi le siège d'une CPE |
L'origine du nom
Dans le patois local il semble que djelf désignait un terrain inondable,
ce qui est le cas ici. Les Français ont prononcé ce nom
en ajoutant la désinence "A" qui est la plus fréquemment
utilisée à la fin des toponymes des centres algériens.
Ne fallait-il pas, avant d'arriver à Djelfa, avoir traversé
Birtouta, Blida, Médéa, Berrouaghia, Aïn-Oussera, Bou
Cedraïa, Hassi-Baba et S'Mila ? Au début on ajoutait souvent
AH plutôt que A ; puis ce H inutile pour une prononciation française,
a disparu presque partout.
L'origine du centre
Elle est purement française. Avant 1852 il n'y avait aucun établissement,
pas même un rendez-vous pour un marché hebdomadaire. Pour
dater l'origine il y a, non pas une, mais deux dates possibles :
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24 septembre
1852 création d'un camp militaire par des soldats
de Yusuf |
·
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février
ou mars 1861 décret de Napoléon III portant
création d'un village de colonisation |
En vérité ces deux dates ne sont que l'aboutissement
d'un temps d'approche du site qui avait duré 10 ans. Ce qui a entraîné
nos soldats jusqu'en ce lieu en 1843, c'est la lutte contre les partisans
d'Abd el-Kader, après la proclamation du Djihad (1839) et la prise
de Médéa (1840), puis de Boghar (1841).
La tribu des Ouled Naïl avait pris parti pour Abd el-Kader qui avait
promu l'un de ses cheikhs, Si Chérif ben
Lahrèche, Khalifa des Ouled-Naïl.
En 1843, après
la prise de la Smala d'Abd el-Kader, le général Marey-Monge
passa par là pour recevoir, sans avoir à combattre, la soumission
quasi volontaire, du cheikh de Laghouat.
En 1844 Marey-Monge revint pour aller
réprimer, à Zenina (El Idrissia aujourd'hui) la révolte
de l'un des aghas de ben Lahrèche.
En 1847, après
la reddition d'Abd el-Kader, ben Lahrèche se soumit. Il est alors
interné à Boghar.
En 1850 il est libéré
après s'être entendu avec les Français afin de permettre
aux Ouled-Naïl d'envoyer leurs troupeaux estiver dans le nord comme
avant. Les Ouled-Naïl, du moins les Ouled- Naïl Gheraba qui
avaient dépendu du Beylik du Titteri, n'étaient plus des
adversaires. Mieux encore : ben Lahrèche est nommé par la
France, en 1852, bachaga des Ouled-Naïl
avec résidence à Djelfa. Puisque Allah avait donné
la victoire à la France, il en avait tiré les conséquences
et sa famille nous servit fidèlement. Un de ses petits-fils, Si
Ahmed ben Chérif, fut élève au lycée
Bugeaud, puis à Saint-Cyr. Sorti sous-lieutenant en 1899 il devint
officier d'ordonnance du gouverneur général Jonnart. En
1905 il fut promu lieutenant et caïd d'un tribu ouled-naïl.
Il participa à la guerre de 1914-1918, et au retour, retrouva son
caïdat avec le grade de capitaine. Il mourut du typhus en 1921.
Djelfa à l'époque française
1852-1962
La photo montre
la hauteur du mur et un bastion d'angle sans tour de guet .
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En 1852 le général
Yusuf, en route pour Laghouat, installe un camp militaire légèrement
fortifié, qui tint plus du caravansérail bien protégé
que d'une vraie forteresse. Il aurait suffi de 40 jours aux soldats laissés
sur place, pour édifier un mur de clôture peu élevé
et surmonté par quelques tours de guet.
En 1853, juste après la prise
de Laghouat en décembre 1852, le territoire de Djelfa est incorporé
au nouveau cercle militaire de Laghouat dont il devient une annexe. La
même année le régiment du colonel Pein passe à
Djelfa pour aller réprimer, 78 km plus loin vers le sud-est, le
soulèvement de Messaâd.
En 1854 est créé
un bureau arabe.
Notule sur les Bureaux arabes
C'est une institution
prévue, dès 1833, par Lamoricière, pour administrer
les régions sans peuplement européen. Mais son supérieur
avait torpillé le projet.
L'idée est
reprise 11 ans plus tard ; et les Bureaux arabes sont recréés
par un arrêté ministériel du 1er
février 1844. Leur organisation est confiée
au général Daumas.
Fonctionnement
du bureau de Djelfa
Personnel
: un capitaine et deux lieutenants français
un
interprète
deux
secrétaires copistes, un en français, un en arabe
(khodja)
un
médecin militaire ; gratuit pour les indigènes et
les soldats
un
chaouch (planton)
huit
spahis et un makhzen de 10 supplétifs
Rôles : le renseignement
avant tout grâce à des tournées dans les douars
;
il
faut voir et se faire voir
le
recensement des gens et des productions, prélude à
l'impôt
l'établissement
des rôles d'imposition
la
tenue d'un registre des plaintes ; et les enquêtes éventuelles
En 1870 il y avait
en Algérie 49 bureaux arabes. Ils furent tous démantelés
après la chute de l'Empire ; à tort pense-t-on aujourd'hui.
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Des civils européens sont très vite venus
spontanément s'installer près du camp dans l'espoir de travailler
avec l'armée, soit comme cabaretiers ou aubergistes, soit comme
entrepreneurs de transport. Certains essaient même d'acquérir
des terres ; mais c'est juridiquement quasi impossible car ces terres
sont arch (tribales et indivises).
Seules les terres melk (familiales) pouvaient être vendues
officiellement par une transaction enregistrée par le bureau arabe.
En 1855 est bâtie la résidence
du Bachaga nommé par la France pour l'aider à administrer
les Ouled-Naïl.
Petit glossaire des termes turco-rabes
pour les fonctions d'autorité en Algérie
Dey
(turc) titre honorifique
accordé en 1650 aux chefs des Janissaires qui détenaient
le pouvoir à Alger. Nous disions alors dans la " Régence
d'Alger "
Bey
(arabe du turc beg). Vassal du dey, nommé et destitué
par lui. Il y en eut toujours trois, dont celui de Médéa.
Ils furent plus stables que les deys dont beaucoup moururent assassinés.
La France a tenté de gouverner par beys interposés,
parfois choisis en Tunisie. Ce fut un échec complet ; ces
beys paraissant " parachutés ".
Khalifa
(arabe) Principal représentant dans un territoire
assez vaste, d'un bey, puis d'Abd el-Kader. Avant 1870 la France
en a nommé quelques uns pour s'attacher la fidélité
des grands dignitaires locaux et alléger ses tâches
de maintien de l'ordre et d'administration. La République
a eu sûrement tort d'y renoncer.
Bachaga
(turc) Adjoint du bey, puis sorte de fonctionnaire français
en charge des populations indigènes d'un territoire moins
étendu que celui d'un khalifalik. La France a nommé
des bachaga jusqu'au bout. L'un d'entre eux, Boualem, fut Vice-Président
de l'Assemblée Nationale, à Paris, de 1958 à
1962.
Caïd
(arabe) Adjoint du bachaga dans un outhan (turc) ou
dans une commune mixte (française). Il est rétribué.
Cheikh
(arabe) Adjoint du caïd dans une tribu. Fonction
honorifique non rétribuée.
Hakem
Adjoint du caïd dans une ville ; sorte de maire.
Le nom et la fonction disparaissent à l'époque française
qui n'utilise que les termes de maire, d'officier ou de président
d'un conseil.
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En 1856 célébration
de la première messe de Noël dans une église neuve,
en bois. Cette construction paraît constituer un encouragement à
l'arrivée de nouveaux " colons " sans terre, mais qui
commencent à en réclamer. Le prêtre était un
aumônier militaire.
Des civils continuent à venir ; l'un d'entre eux, sans doute bon
charpentier, construit même un moulin sur l'oued qui longe le camp.
Ils demandent avec insistance la création d'un centre de colonisation
comme il y en a tant d'exemples dans le nord, et jusqu'auprès de
Médéa. Ils font valoir que des terres libres à récupérer
sur des fonds marécageux près de l'oued mellah, seraient
bonnes. Une commission d'études est nommée ; elle remet
un rapport ambigu : son avis est favorable avec des attendus défavorables
qui soulignent que " la sécurité n'est pas vraiment
assurée et qu'elle doute qu'il se trouvera assez de volontaires
pour venir s'établir en un lieu si éloigné et si
froid ". Le gouverneur général décide qu'il
faut attendre et ne donne aucune suite.
Mais les demandeurs ne se résignent pas, car il y a déjà
144 Européens à Djelfa.
En 1860 Amable Pélissier, duc de Malakoff, qui
avait combattu dans la région, est nommé gouverneur général
en novembre. Il accepte le principe de cette création et finit
par obtenir de son chef Randon, secrétaire d'Etat à la guerre,
qu'il intervienne auprès de l'Empereur. Dans une lettre adressée
le 20 février 1861 à
Napoléon III Randon fait valoir la tranquillité du pays,
sa salubrité, la grande fréquentation du marché par
les arabes et l'essor du transit sur la route de Médéa à
Laghouat. Il cite aussi, à la fin, sans insister, les bonnes conditions
agricoles. Il conclut en demandant la création d'un village de
55 feux pourvu d'un territoire de 1776 hectares. Il joint un projet de
décret. Napoléon III, malgré sa réticence
à créer des villages européens loin de la côte,
accepte de signer le décret.
Dans la liste des concessionnaires apparaissent dix patronymes musulmans
; faut-il croire qu'on a manqué de volontaires chrétiens
? Possible.
On distribua finalement 46 lots de 24 hectares et 9 lots
" urbains " pour des commerçants et des artisans. Le
budget alloué était de 119 000 francs. Il prévoyait
explicitement la construction d'une église, d'une école,
d'une mairie et d'une adduction d'eau grâce à un barrage.
Tout comme pour les villages créés dans le Sahel vingt ans
plus tôt, l'armée aménagea la voirie, avec plan en
damier et trottoirs. Une fois le décret signé les travaux
furent rondement menés et le village fut bientôt équipé
ainsi que le montre la chronologie des inaugurations, malgré une
tentative d'attaque par une petit groupe mal armé, en 1861,
qui fut aisément repoussée. Mais ce village est surajouté
à un noyau semi urbain qui avait déjà 9 ans d'âge,
des casernes et des bâtiments publics.
En 1862
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Inauguration de l'église, du presbytère
et du télégraphe vers Boghari et vers Laghouat
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En
1863
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Ouverture d'une école de garçons.
Pour celle de filles il fallut attendre 1912 |
En 1864
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Première conduite d'adduction
d'eau à partir d'un petit barrage sur un oued proche
Il y en eut deux autres par la suite |
En 1868 |
Ouverture d'une école-ouvroir
pour les fillettes musulmanes ; bien avant celle de Médéa |
En 1869 |
Création d'une Commune de plein
exercice et d'une Commune mixte immense |
En 1874 |
Inauguration d'une nouvelle mairie.
Création d'une justice de paix avec un cadi pour les musulmans
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En 1877 |
Inauguration d'une mosquée |
En
1889 |
Rejet d'une demande d'extension du centre.
Après enquête, l'administration centrale fut persuadée
que les terres distribuées n'auraient pas été
cultivées par les colons, mais louées par eux à
des métayers musulmans. Dès cette époque il était
clair que, si le centre de Djelfa grandissait, ce n'était pas
en tant que centre agricole : quelques colons avaient déjà
quitté leur concession et cessé de cultiver. |
En 1902 |
Djelfa est rattaché aux "
Territoires du sud " créés par la loi du 24 décembre.
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Notule sur
les territoires du sud
En 1902
il y en avait 6. En 1905
il n'en resta que 4 :Aïn-Sefra, Ghardaïa, Touggourt
et Ouargla. Djelfa dépendait de Ghardaïa.
A leur tête, un général ou un colonel.
Subdivisions militaires : annexes (Djelfa) et postes, tenus par
des officiers
Subdivisions civiles : Commune mixte (Djelfa) et Communes indigènes.
Avec sa CPE due à son peuplement européen Djelfa
est une exception.
Jusqu'en 1932 les CM et les CI eurent pour maire un officier.
Tout cela disparut avec la départementalisation en 1957-1958.
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En 1921
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Inauguration de la voie ferrée
venue de Blida, par Médéa, Boghari et Aïn-Oussera |
En 1931
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Inauguration d'une centrale électrique.
On pourra mettre au placard les lampes à carbure ou à
pétrole et brancher un poste de radio |
En 1936
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Inauguration de la nouvelle poste |
En 1940
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Ouverture par Vichy, d'un camp de détention
administrative, (fermé en 1943) |
En 1957 |
Rattachement de Djelfa au département
de Médéa, par le décret du 7 août
L'ancienne commune mixte devient un arrondissement avec son sous-préfet |
Le cadre naturel et ses aptitudes
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Djelfa est certes dans les monts des Ouled-Naïl,
mais lorsqu'on y arrive, en remontant la large vallée de
l'oued Mellah on n'éprouve pas vraiment l'impression de pénétrer
dans une montagne. Et moins encore quand on est en ville. Les djebels
Sahari et Djellal sont trop loin. On n'aperçoit bien que
le djebel Senalba couvert de claires forêts de pins d'Alep,
de chênes verts et de genévriers. Mais comme il culmine
à 1475m et que Djelfa est à 1160m, la différence
d'altitude de l'ordre de 300m lui confère l'allure d'une
longue colline.
Le djebel Senalba a tout de même le mérite
de recevoir un peu plus de pluie et de neige que le fond de la cuvette,
et donc d'alimenter l'oued Mellah (appelé Msekka en amont
de Djelfa).
Djelfa a été bâti dans une large
gouttière synclinale bourrée d'alluvions. Les sols
y sont corrects près des oueds et médiocres dès
que l'on s'en écarte un peu
|
Le climat, lui, est franchement médiocre : à
plus de 1100m il fait vraiment froid l'hiver (pas de palmier-dattier)
et la pluviométrie est à la fois faible et très irrégulière
d'une année à l'autre. Les moyennes calculées sur
trente ans, oscillent entre 300mm et 350mm.
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Comme le graphique ombrothermique le montre clairement
le régime reste méditerranéen par sa sécheresse
estivale, mais avec une forte nuance continentale marquée
par un printemps aussi humide que l'hiver.
Pour les récoltes éventuelles les
pluies de mars-avril sont les plus favorables ; les orages de juin
sont, au mieux, inutiles. Pour les pâturages ils sont par
contre très utiles.
Le total annuel peut varier du simple au double
selon les années.
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Le cadre naturel, avec la vallée de l'oued Mellah
et le col des caravanes à peine 100m au-dessus de la ville (on
le franchit sans s'en apercevoir) offre la meilleure voie de traversée
nord-sud des monts Ouled-Naîl ; et la mieux située en longitude,
juste à l'aplomb de Médéa au nord et de Laghouat
au sud. La cuvette de Djelfa est bien située également pour
devenir un jour un carrefour de pistes, puis de routes.
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Ces deux photos prises en 1959
à l'approche de Djelfa illustrent les aptitudes agricoles
de la région.
A gauche la vallée de l'oued Mellah et ses alluvions fertiles
s'il pleut. Mais les champs proches du lit de l'oued ne sont pas
à l'abri de l'érosion des rives en cas de crue brutale.
A droite les terres caillouteuses éloignées de l'oued
que l'on égratigne plus qu'on ne les laboure ; et sur de
minuscules parcelles.
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Dans cet environnement géographique le Djelfa des
Français connut plusieurs activités, pas toutes brillantes.
En tant que village de colonisation il connut un échec rapide ;
par contre en tant que centre de peuplement européen ce fut plutôt,
si loin de la côte, un succès.
Djelfa fut un village de colonisation
qui échoua
Les lots de 24ha, étaient trop petits pour que les rendements permettent
à des agriculteurs européens de prospérer. Même
les plus tenaces qui récupérèrent les concessions
des premiers partis, ne purent s'en sortir. Ils essayèrent, à
la fin du siècle, la technique du dry farming. Mais rien n'y fit.
Certains se reconvertirent vers des activités moins aléatoires,
ou des régions agricoles aux récoltes plus prévisibles
; Sahel ou Mitidja notamment. En 1930 il ne serait resté que trois
maraîchers espagnols installés tout près du centre.
En 1954 il n'y avait plus de colon cultivateur. On peut noter que les
colons ne se sont pas tournés vers l'élevage qui est resté
la spécialité des indigènes.
Quelques artisans français, avant 1921, travaillaient
pour les militaires ou les rouliers, plutôt que pour les colons,
dans des métiers comme celui de maréchal-ferrant ; d'autres
ont pu s'occuper après 1921, du conditionnement des bottes d'alfa
de 170kg et de leur transport vers Alger par le train.
Il y eut aussi une modeste entreprise de sparterie qui
utilisait les tiges d'alfa bien sèches, pour fabriquer cordes,
paillassons et lavettes.
Djelfa fut un grand marché
aux bestiaux qui réussit, (pour les moutons surtout).
Djelfa est à la limite des tribus semi-nomades dont les troupeaux
bougeaient à la recherche de pâturages sans sortir de la
région, et des tribus nomades plus au sud.
On a parfois qualifié Djelfa de capitale du mouton, avec un brin
d'exagération sans doute. Il est sûr cependant que le marché
qui, en certaines saisons, durait deux jours (en général
samedi et dimanche) attirait beaucoup de monde. Je n'ai pas trouvé
trace, comme à Paul-Cazelles, d'entrepôt frigorifique, ni
de transport par avion, malgré l'existence avant 1951 d'un aérodrome
de classe C (importance régionale). Les moutons ont dû jusqu'au
bout prendre le train pour être conduits aux abattoirs du nord.
La France avait établi à Tadmit,
40 km plus au sud-ouest, une station expérimentale pour l'élevage
ovin, succédant à un pénitencier agricole indigène
fermé.
Djelfa fut une petite ville de
garnison
Bien que ce rôle ait été à l'origine de la
création du centre, il perdit de son importance avant la fin du
XIXè siècle. Mais il y eut cependant toujours quelques tirailleurs
et quelques spahis.
Djelfa fut un centre administratif
important
Les administrations implantées à Djelfa ont pu changer selon
les époques, mais il a toujours fallu quelques fonctionnaires.
La moins gourmande en hommes fut le bureau arabe supprimé après
1870. Ensuite il fallut fournir en personnel la Commune de plein exercice,
la Commune mixte et la Sous-Préfecture. Il est vrai que ce personnel
n'était pas composé de résidents forcément
stables, mais ils avaient de bons salaires et constituaient une clientèle
qui avaient l'estime des commerçants.
On peut ajouter à la liste des bons clients les familles des gendarmes
et les employés du tribunal, de la recette des contributions et
de la poste.
Sans être un grand centre d'enseignement Djelfa avait des écoles
de garçons et de filles, y compris une école-ouvroir spécialisée
dans l'apprentissage de la fabrication de tapis en laine, tenue par des
surs. Il y eut, à la fin, un cours complémentaire.
Djelfa devint un carrefour et
un lieu de passage importants
Les pistes du début devinrent parfois des routes ; et l'arrivée
du train en 1921 consolida ce rôle en faisant de Djelfa le point
de départ des cars qui desservaient l'oasis de Messaâd à
78km (l'oasis la plus proche de Djelfa), Bou-Saâda (à 117km
au nord-est), et bien évidemment tous les ksars situés le
long de la route de Laghouat.
En vérité les sociétés d'autocars
Delaunay et Boukamel n'avaient pas attendu l'arrivée du train pour
ouvrir ces lignes qui, après 1921, prolongèrent vers les
ksars des Ouled-Naïl les services ferroviaires et ceux des autocars
blidéens ; et apportaient le courrier dans les principaux ksars.
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Les diligences , puis les autocars
s'arrêtent le long des mêmes trottoirs plantés
d'arbres
La première poste a un étage ; la plupart des maisons
n'ont que le rez-de-chaussée.
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Après 1945 le développement des recherches
de gaz et de pétrole au Sahara, ayant fait de la RN 1 la principale
voie d'accès pour le matériel et les produits de forage,
la rue principale de Djelfa, confondue avec la RN 1, vit passer chaque
jour, une noria de gros camions. Même si la plupart ne s'y arrêtaient
pas pour y passer la nuit, les deux ou trois modestes hôtels de
Djelfa ont vu leur clientèle accrue.
Djelfa était admirablement située pour profiter de ce nouveau
trafic qui s'ajouta aux anciens, du moins jusqu'en 1955. Ensuite l'insécurité
eut deux conséquences opposées : forte augmentation des
trafics et des clientèles militaires, disparition des flux touristiques
vers Laghouat et le Sahara.
L'aspect de la ville de Djelfa
Djelfa est bien plus grand qu'un banal village de colonisation.
Pourtant le plan et les rues de cette ville, et cela jusqu'en 1962, ont
vraiment les caractéristiques que l'on retrouve dans tous les centres
créés de toutes pièces par la France lorsque le terrain
était assez plat pour ne pas perturber les habitudes de nos constructeurs.
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Un plan en damier, avec juste deux rues
en oblique et symétriques par rapport à l'axe de la
rue de l'église. |
·
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Des rues droites, sans coude, et bordées
de trottoirs bien tracés et plantés d'arbres. Une différence
néanmoins avec le village de base : certaines rues sont nettement
plus larges. |
·
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Des maisons " de colons
" basses, jointives sur la rue et prolongées, à
l'arrière, par un espace que le climat ne permettait pas de
transformer aisément en jardinet. |
· |
Une grande place, mais pas
centrale, il est vrai, avec un long bassin alimenté en eau.
Ce bassin est la première façon de fournir en eau potable,
les villageois. Bien sûr par la suite des conduites d'eau ont
desservi toutes les maisons. Le bassin est resté ; il a cessé
de servir de lavoir, mais a continué à servir d'abreuvoir. |
· |
Des bâtiments publics
pour le confort des citoyens et le service de Dieu. A l'église,
de tradition partout, a été vite ajoutée, dans
cette région où le chrétien a toujours été
rare, une mosquée. |
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Cliquer sur
l'image pour agrandir
|
Cette vue aérienne dont j'ignore la date
précise, est antérieure à l'inauguration du monument
aux morts construit à l'avant du bosquet qui se trouve devant
l'église. Vous pouvez y voir l'illustration de ce qui a été
dit ci-dessus, tant pour le plan que pour l'architecture des maisons
: un étage au maximum. La muraille, à peine perceptible
au fond est celle de 1882 qui a été rasée en
1950.
Dans la traversée de Djelfa la RN 1 prend le nom de rue de
Boisguilbert.
On ne peut pas distinguer la gare qui a été implantée
un peu en dehors de la ville.
C'est sur la place du M'Zab que se trouve le bassin.
Le mot chefferie concerne deux bâtiments du service forestier
étranges avec leur toiture et leurs tourelles couvertes de
tuiles noires. Ils ne paraissent pas à leur place dans ce décor
semi saharien. |
Pour préciser certains détails, je joins
quelques photos supplémentaires.
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Ces trois photos ont été prises
en septembre 1959. La rue de l'église a le mérite
de montrer le clocher de l'église et une mosquée ainsi
qu'un gros camion Willème portant un container destiné
à un chantier de recherches d'hydrocarbures. Devant l'église
la tache marron presque imperceptible est celle du monument que
la ville a dédié " à ses enfants morts
pour la France ". Ce monument mérite qu'on s'y arrête
: ce n'est pas, comme presque partout ailleurs, une statue achetée
sur catalogue et placée sur un piédestal banal. C'est
un monument original avec deux combattants djelfawis, un Français
et un Ouled-Naïl. Les inscriptions centrales et latérales
sont bilingues.
Le marché du centre-ville est banal. Mais
sa présence prouve que Djelfa est plus qu'un village
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La gare dans
les années 1945-1950.
Notez que le bâtiment est bien plus important
que celui de la gare de Médéa ouverte en 1892.
Le car Chausson est celui de la société
des autocars blidéens. Il permet de situer la photo dans
le temps d'après guerre..
C'est la place du M'Zab avec son bassin-abreuvoir
d'origine : 1861 ou 1862
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La desserte de Djelfa par les
services de transports publics.
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Vers le nord Djelfa était relié
quotidiennement à Alger par deux services : un service direct
par la société des autocars blidéens et un service
indirect par le train. Les itinéraires suivis par les autobus
et par les trains sont strictement les mêmes à une petite
exception près, entre Médéa et Sidi Madani, à
l'entrée des gorges de la Chiffa. Les trains desservaient,
au passage, Lodi et Mouzaïa-les-mines, pas les cars.
Au temps des diligences il fallait 4 jours pour
aller à Alger. Avec les premiers trains, en 1921, il fallut16
heures à cause du changement de train à Blida. En
1954 il ne fallait plus que 8 heures.
Djelfa était un terminus, tant pour les cars
blidéens que pour les trains. Ce terminus ferroviaire avait
été donné pour provisoire en 1921 car on avait
entrepris des travaux de terrassement jusqu'au col des caravanes
pour prolonger la voie jusqu'à Laghouat. Mais le chantier
fut vite abandonné. Il se trouve que le dernier plan quinquennal
algérien, pour 2009-2013 prévoit à nouveau
ce prolongement vers Laghouat. Bien que les études préliminaires
aient été confiées à une entreprise
canadienne sérieuse, vous n'êtes pas obligé
de croire à la réalisation effective des travaux.
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Vers le sud les sociétés
Delaunay et Boukamel avaient des services réguliers vers Laghouat,
Ghardaïa, et Messaâd. Les cars de la SATT, le mardi vers
1950, passaient à Djelfa et poursuivaient jusqu'au Niger, au
Tchad et au Nigeria. L'insécurité et l'aviation ont
fait fermer cette ligne après 1954. |
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Il existait enfin un service
quotidien assuré par la société Auto-traction
de l'Afrique du Nord, entre Djelfa et Bou-Saâda par Slim. |
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Voici Slim en 1954. Il y a le téléphone,
mais pas de route goudronnée, juste une bonne piste. Au fond,
on voit le djebel Tlila (1407 m). On est à 57 km au nord-est
de Djelfa. Le guide bleu signalait en 1950 son café maure,sans
commentaire. |
Supplément familial
ou comment un provençal est devenu un djelfawi
Ce provençal était mon grand-père.
Il s'appelait Elie.
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1863
Naissance à Clamensane, tout petit village de montagne près
de Sisteron. Son père, sur le registre des naissances, est
qualifié de cultivateur (et non de laboureur). Le choix du
mot cultivateur signifie que l'exploitation était modeste,
et peut-être qu'il n'en était pas le propriétaire.
Il était exclu que ses 6 enfants, devenus adultes, puissent
vivre sur l'exploitation paternelle. Elie était l'aîné,
c'est lui qui dut partir le premier. Les contraintes prévues
par la loi Cissey du 27 juillet 1872 complétée par le
décret du 5 décembre 1882 sur le tirage au sort, lui
ont fourni un moyen de quitter sa région avec un emploi assuré
pour 5 ans. |
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1883
Il se porte volontaire pour un service militaire de 5 ans. Pour ce
faire il fallait déposer à la Préfecture de son
département une demande écrite entre le 1er juillet
et le 25 août de l'année de ses vingt ans. Si la demande
était agréée, après le passage devant
le conseil de révision effectué à 21 ans, l'engagé
touchait une prime d'engagement et avait le droit de choisir son corps.
Elie ne pouvait opter que pour le service de 5 ans, car les conditions
imposées pour le choix du service d'un an, lui étaient
tout à fait inaccessibles. Il aurait fallu qu'il puisse payer
1500 francs (valeur du paquetage militaire) après avoir été
reçu, à un bon rang, à un examen écrit
comportant deux épreuves, dictée et problème.
Par ailleurs il savait qu'il ne pourrait bénéficier
d'aucune des dispenses de service existant alors pour les " aînés
d'orphelins ", les " soutiens de famille ",
les " frères de militaire ", les " étudiants
ecclésiastiques " (futurs curés), et les "
enseignants ". Comme il mesurait 1,70 m, il était
bien au-dessus de la taille minima requise à l'époque
pour un service actif : 1,54 m. |
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1884
Il est déclaré bon pour le service et tire,
dans le cadre du canton, le numéro 11. C'est un mauvais numéro
qui le classe " dans la première portion de la première
partie " des conscrits, celle qui est incorporée à
coup sûr. Il a bien fait de se porter volontaire.
Il choisit le premier régiment de spahis. Il signe son engagement
à Aix-en-Provence le 13 mai 1884 et est incorporé le
19 mai en tant qu' " ouvrier-maréchal ". |
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De 1884
à 1888 il est soldat et fait campagne en Afrique,
je ne sais où.
Il est démobilisé en octobre à Toulon.
Il repart aussitôt en Algérie et s'établit à
Djelfa où il avait sûrement tenu garnison et pris des
repères. |
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En 1889
il est enregistré officiellement comme résident à
Djelfa en tant " qu'entrepreneur de travaux publics ".
Ce titre pompeux désignait un atelier de Forgeron et Maréchal-Ferrant
qui employait en 1908 (date de la photo) 4 employés : 2 européens
et 2 arabes. |
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1897 Elie
va passer quelques jours, ou quelques semaines, dans son village natal
et revient à Djelfa après s'être marié.
Il connaissait la demoiselle à marier car elle était
du même village et était la sur de sa belle-sur.
La nouvelle épouse s'adapta parfaitement à son nouveau
de cadre de vie. Elle eut 4 enfants, nés en 1899, 1901, 1903
et 1904. Les deux aînés ont posé devant leur papa
pour la photo de 1908. |
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De 1889 à
1920 il est à Djelfa avec sa famille.
Je ne sais rien des conditions de la vie quotidienne dans le grand
sud à cette période là, et rien du confort du
logement. Mais je l'imagine à l'instar de celui des maisons
de colon des premiers villages, ceux du plan Guyot de 1842 : très
bas de plafond, sans étage, avec des pièces en enfilade,
sans salle de bains et sans WC intérieur. Derrière la
maison, une cour et un WC rustique, avec porte, mais sans chasse d'eau
et sans siège, juste avec un trou dans un plancher et qu'il
valait mieux viser juste. Jusqu'au bout (le courant n'arrive qu'en
1931) pas de lumière électrique (des lampes à
carbure), pas d'outillage électrique ; une cuisinière
à bois ou à charbon de bois. Pas de frigidaire et peut-être
pas de chauffage hors de la cuisine. Pas d'insecticides, mais l'été
des papiers tue-mouches collants pendus au plafond pour diminuer le
nombre des mouches qui, sur l'étal des boucheries, recouvraient
la viande d'un voile noir. Par contre il y avait déjà
de l'eau courante dans la cuisine et en ville des écoles, un
médecin et une pharmacie (mais pas de Sécurité
sociale). |
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En 1920
Elie et sa famille diminuée du fils aîné
" mort au champ d'honneur " le 23 juillet 1918, quitte
Djelfa pour Draria dans le Sahel, tout près d'Alger après
31 ans passés à Djelfa
Ce n'est pas l'inconfort qui les a fait partir mais plutôt la
crainte de n'avoir plus assez de clients à cause de la fuite
des colons agriculteurs, de l'apparition des véhicules à
moteur et de l'arrivée programmée du train. Il n'y aurait
plus de diligences, plus de chariots, plus de roues à cercler.
Elie a retrouvé à Draria la clientèle des colons
stricto sensu qui avaient presque disparu à Djelfa. Il y est
resté jusqu'à sa retraite.
En raison seconde, mais non négligeable, il y eut sans nul
doute le désir d'approcher ses enfants des écoles et
cours complémentaires des villes d'El-Biar
et de Bouzaréa.
Deux de ses enfants devinrent instituteurs. |
Avec son déplacement du sud au nord, et du bled
à la ville, Elie illustre le mouvement général des
Européens du bled qui, sans le savoir, ont rapproché leurs
valises du port où durent s'embarquer leurs descendants en 1962.
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