-------Je suis née
au RUISSEAU, banlieue Est d'ALGER, mon Père aussi.
-------JIl
a suivi les cours de l'école de garçons de la rue Mirabeau
(directeur Monsieur SCHEFFER), je suis allée à l'école
maternelle puis à l'école de filles de cette même
rue (directrice Melle CHARTIER).
-------JC'est
en 1880 que ma famille paternelle s'est installée dans ce quartier.
Mes grands parents s'étaient mariés au Champ
de Manoeuvres en l'église Saint Bonaventure le 8 Novembre
1879. Au RUISSEAU, ils ont eu onze enfants, sept ont atteint l'âge
adulte (4 garçons et 3 filles).
-------JEn
1930, six ans après ma naissance le RUISSEAU est encore un village
où tout le monde se connaît, situé entre le Jardin
d'Essai et KOUBA
dans le sens Ouest/Est et entre HUSSEIN-DEY
et le
Ravin de la Femme Sauvage
dans le sens Nord-Sud deux grandes rues s'y croisent, la
rue de Lyon qui naît au Champ de Manuvre et la
rue Polignac qui arrive d'Hussein-Dey.
-------JQui
se souvient encore des vieux C.F.R.A.
bruyants mais si pratiques : une motrice, deux jardinières ou wagons
tels étaient ces trams. Les jardinières avaient bien un
toit pour abriter du soleil mais à mi hauteur rien n'était
protégé, lorsqu'il pleuvait les places assises se vidaient
et les passagers se tassaient loin des bords pour échapper à
l'averse.
-------JLorsque
le tram arrivait la motrice était dételée, wattman
et receveur descendaient pour basculer le trolley et grâce aux aiguillages
le convoi pouvait repartir vers ALGER. Les rails allaient jusqu'à
KOUBA, à certaines heures de tram délesté d'une ou
deux jardinières s'y rendait. Les trams se sont modernisés
un peu avant 1939, leurs manceuvres en furent simplifiées. Remplacés
par des bus, ils disparurent au printemps 1957. J'ai entendu raconter
que bien avant la grande guerre les trams étaient tirés
par des chevaux.
-------JRue
Polignac se trouvait l'Imprimerie des billets de la BANQUE DE L'ALGERIE,
face aux abattoirs de la ville d'ALGER qui eux dépendaient d' HUSSEIN-DEY.
Je revois, y
arrivant des troupeaux de moutons, menés par des bergers.
-------JTout
près de la BANQUE de L'ALGERIE, la paroisse Sainte Monique, Saint
Jean Bosco qui a été ouverte au culte après 1921.
L'église n'est qu'un grand local tout simple ; grâce à
la générosité d'Industriels et de Paroissiens elle
a été dotée d'une cloche aux environs de 1937. La
cloche porte le nom de ses deux marraines Marthe et Elisabeth. Elle n'a
jamais été dans un clocher mais était suspendue à
un échafaudage de bois ( Ramenée
en France Marthe Elisabeth a été attribuée à
la paroisse Saint Pierre du Gros Caillou Paris (7ème). Confirmée
le 16 mai 1993 elle a pour nom Constance.). C'est en organisant
chaque année une kermesse que les paroissiens ont fait construire
le presbytère où logèrent le Père LECOQ, sa
maman et sa sceur, ils étaient bretons et la maman du Père
LECOQ était restée fidèle à sa coiffe régionale.
Plus tard, toujours grâce aux résultats des kermesses, fut
commencée l'église qui devait remplacer le premier bâtiment,
seule la nef fut achevée et consacrée.
-------JUn
peu plus loin le chemin Vauban coupe la rue Polignac. À ce croisement
la Société ALFRED BORGEAUD & Fils qui commercialise
lièges et peaux. Chemin Vauban on trouve en allant vers l'Est une
ou deux tanneries, à l'opposé une tonnellerie.
-------JJ'ai
aussi en mémoire une voie sans issue où était un
lavoir public, elle passait derrières les écoles. En 1930
la classe de C.E.1 donne sur ce lavoir, des femmes y font leur lessive...
-------JAu
carrefour des rues de Lyon et Polignac une maison à un étage,
derrière cette maison, une grande et large cour avec des hangars
; dans l'un, deux énormes locomobiles marchant à la vapeur,
sous leur chaudière elles ont chacune un très gros treuil
où s'enroule un câble de fort diamètre. Tout comme
la maison et la cour elles appartiennent à mon père et à
ses frères. Dans la cour se trouvent les deux charrues à
bascule et les trois roulottes (dortoir, cantine, réparation) qu'utilise
l'entreprise quand de Mai à Octobre hommes et matériel s'en
vont pour effectuer à la demande des agriculteurs, labours et défoncements
dans un rayon de 50 à 60 kms autour d'ALGER.
Toujours dans cette cour, un forgeron et un plombier, ce sont des artisans
qui travaillent durement. Je n'oublie pas les deux grands mûriers
qui attirent les écoliers en quête de leur feuillage pour
nourrir les vers à soie que l'enseignant leur fait étudier
à l'école.
-------JFrappée
d'alignement, la maison fut démolie en 1946 ou 1947. Mon père,
ses frères, ses surs et quelques uns de leurs descendants
y étaient nés. Avant sa démolition, en plus des propriétaires,
trois locataires occupaient des locaux donnant sur la rue de Lyon et le
Ravin de la Femme sauvage :
-------J-
Tout en bas, la gargote de MEZIANE ; il fallait descendre une marche pour
y pénétrer, la cuisine se faisait sous l'oeil du client,
sur le comptoir de faïences disjointes on voyait de grands plats
en émail remplis de sardines frites rangées en étoile
ou de poivrons frits, des bols et des cuvettes, émaillés
aussi, remplis de couscous et de sauce (marga) avec légumes, pois
chiches, quelques morceaux de viande de mouton. Certains jours s'alignaient
des têtes de moutons grillées (bouzeloufs).
-------J-
Au-dessus un café maure tenu par BEN KARA, on n'y sert pas d'alcool,
on boit du thé, du café, de la limonade, on joue aux dominos,
seuls les hommes le fréquentent.
-------J-
A côté une petite épicerie est tenue par YOUSSEF.
Sur le même plan que le café maure et l'épicerie et
s'ouvrant sur la cour un logement (deux pièces et une cuisine)
où je vis avec mes parents de 1926 à 1929. Audessus vivent
les trois frères de mon père avec leur famille.
-------JEn
allant vers le Ravin de la Femme sauvage mais un peu en retrait les Etablissements
BATHÉLÉMY BLANC : c'est une fonderie robinetterie dont les
activités se sont élargies : on y fabrique des pompes pour
le traitement des vignes et des arbres fruitiers, plus tard le matériel
nécessaire au conditionnement des agrumes et des pommes.
-------JPar
le Ravin de la Femme sauvage passaient les taxis grand tourisme menant,
vers BLIDA
et le RUISSEAU
DES SINGES, les touristes de l'époque, la plupart anglo-saxons.
Ces voyageurs, hommes et femmes dont le bateau de croisière avait
fait escale à ALGER étaient généralement vêtus
de blanc et portaient large chapeau, parfois même casque colonial.
Un des angles du carrefour fut aménagé en place publique.
J'ai connu à cet emplacement une vieille maison à un étage,
au rez de chaussée il y avait quelques modestes boutiques (certaines
s'éclairaient encore à la lampe à pétrole).
-------JD'autres
hangars abritent une fabrique de cristaux de soude utilisés pour
les gros nettoyages. Ces cristaux sont aussi broyés en une fine
poussière puis moulés en boules de la taille d'une balle
de tennis et emballés en papillote, on appelle cela des "
boules de neige " elles sont utilisées pour la lessive. Le
travail de moulage et d'emballage est effectué par des femmes européennes.
-------JElle
fut démolie avant 1930. Pendant des années on verra sur
cet emplacement des joueurs de boules, de temps en temps un petit cirque
y montera son chapiteau, sans oublier la fête annuelle avec ses
baraques foraines, ses manèges, pas encore d'autos tamponneuses
mais des tonneaux ou bacs tamponneurs retenus par une chaîne au
centre de la piste et bien sûr le bal (on danse sur la terre). La
fête qui dure du samedi au dimanche commence par une retraite aux
flambeaux qu'accompagne la fanfare.
-------JAprès
1930, rue de Lyon, direction ALGER, le quartier change. Sur la droite
à la place d'un ancien bâtiment qui abritait une forge d'où
sortirent les grilles d'un grand lycée, s'élève un
immeuble de 5 ou 6 étages. Tout à côté se construisent
les premières H.B.M. (habitations à bon marché),
les Anciens craignent de perdre leur tranquillité en voyant arriver
ces nouveaux voisins (on doit y reloger les habitants du quartier
de la marine qui est en voie de démolition).
-------JA
la rentrée, les écoles sont saturées, plus de 50
élèves par classe et ça se passe bien cependant.
On entreprend alors la construction des écoles de la rue de la
Corderie près desquelles vont s'élever de nouveaux immeubles
des H.L.M. (habitations à loyer modéré).
-------JH.B.M.
et H.L.M. ont ainsi pris la place d'anciens jardins maraîchers.
En face se trouve la grande villa du docteur BOURKAIB, un autre médecin,
le docteur ROFFO est installé rue Polignac, quelques années
après mais toujours avant 1939 le docteur LEVY ouvrira son cabinet.
-------JAprès
les H.B.M.
l'ECOLE PRATIQUE DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE, elle n'est fréquentée
que par des garçons (note du site
: non, paraît-il, il y eut des filles à partir de 1953),
c'est un internat, il y a aussi des externes.
-------JJouxtant
l'Ecole Pratique, LEBON qui deviendra ELECTRICITE & GAZ d'ALGERIE
(E.G.A.), ses tas de charbon et de coke, son pont transbordeur et surtout
ses gazomètres ; le pays n'a pas encore découvert ses richesses
pétrolières et c'est par distillation de la houille qu'on
obtient le gaz distribué et utilisé en ville.
-------JAprès
E.G.A., la rue Hélène Boucher, elle mène vers d'autres
immeubles et un dispensaire tenu par des religieuses, mitoyens du JARDIN
D'ESSAI, le Stade Municipal et les piscines, municipales elles aussi.
-------JFace
à la grande entrée du JARDIN D'ESSAI, le Musée National
des Beaux Arts, un peu plus haut la villa ABD EL TIF, en revenant vers
l'Est l'Institut Pasteur et à flan de colline le quartier Montfleury.
-------JDe
1929 à 1963 mes parents vont habiter rue Montfleury : c'est un
ensemble de villas (on ne dit pas pavillon) et de petits
immeubles dont les propriétaires ou locataires sont de toutes confessions,
de part et d'autre et il n'y a pas d'animosité. Les hommes sont
des artisans, des commerçants, travaillent en usine, dans des bureaux
ou dans des Administrations ; peu de femmes ont une activité extérieure,
ce sont des mères au foyer. Les enfants sont nombreux chez les
Musulmanes qui demandent aux autres femmes comment elles font pour limiter
les naissances.
-------JDe
la villa où nous demeurons nous avons vue sur une partie du stade,
des piscines et du quart nord-est du Jardin d'Essai. Nous apercevons la
pointe du môle du port de l'Agha et la Méditerranée...
-------JLes
travaux du Stade
Municipal ont commencé en 1929 ou 1930 à l'emplacement
de jardins maraîchers. Il était à la fois stade et
vélodrome, il a servi à de nombreuses réunions qui
n'étaient pas toujours sportives.
-------JEn
1936, s'y rassemblaient de multiples manifestants
-------J-
les uns drapeaux rouges en tête levaient le poing, chantaient l'International
et certains d'entre eux scandaient " les serviettes partout "
l'URSS était loin et " soviets " ils ne connaissaient
pas ; - les autres levaient la main et on entendaient le Chant du Départ
et la Marseillaise.
-------JEn
1939, grande démonstration de gymnastique rythmique par les écoles
d'Alger pour le 150ème anniversaire de la Révolution Française.
-------JAucun
parking n'avait été prévu près ou autour du
stade. Les jours de grands matchs, quand s'affrontaient GALLIA, R.U.A.,
MOULOUDIA et j'en oublie, les véhicules se garaient n'importe où
et n'importe comment au grand dam des riverains.
à suivre)
-------Dans
les écoles de garçons les petits Musulmans sont nombreux,
chez les filles, à partir du C.M. 1 les petites Musulmanes disparaissent,
les parents les gardent à la maison, elles ne sortent plus seules
et sont voilées.
-------Il
y a un cinéma au RUISSEAU, le STELLA, il est dans la rue menant
aux écoles, rue où longtemps s'installa le marché
quotidien avec ses étals de poissons, de volailles, de fruits,
de légumes, il y a un petit marché couvert où se
trouvent charcuterie et épiceries. Dans cette même rue, une
laiterie, on entend meugler les vaches logées dans le bâtiment
arrière où se trouve aussi, mais donnant sur une ruelle,
un maréchal-ferrant.
-------Rue
Polignac, des petits commerces, des boutiques plutôt:
-------- une
épicerie où les enfants aiment bien aller, on y vend des
bonbons de toutes sortes (il n'y a pas encore de chewing-gum),
-------- un
bazar, celui de Madame Louis (on dit la mère Louis), logique puisque
quel que soit l'âge du client, elle accueille toujours par un :"
bonjour mon fils ou ma fille." La mère Louis vend des fournitures
scolaires, de la mercerie et peut-être même un peu de bonneterie.
Entre 13 heures et 13 heures 30 elle se tient assise à droite de
la boutique et, derrière son comptoir, ayant à portée
de mains, cahiers divers, crayons, gommes, plumes, bâtons de craie
(1 sou le bâton de craie blanche, 2 sous le bâton de craie
de couleur).
-------A cette
heure là, il ne faut pas qu'une écolière en panne
de fil rouge pour la maquette (abécédaire sur canevas) du
cours de couture vienne lui demander un écheveau de fil, la réponse
tombe: "non, pas maintenant ma fille, reviens ce soir" pourquoi?
Parce qu'il lui aurait fallu se lever, faire le tour du comptoir pour
atteindre le côté mercerie, c'était dur... combien
pesait-elle? Sûrement beaucoup.
-------- une
matelassière, elle se rend à domicile pour refaire les matelas
de laine ou de crin mais elle travaille aussi dans sa cour et on l'y voit
manoeuvrant avec vigueur la cardeuse dont les griffes redonnent volume
à la laine pendant que sèchent les toiles fraîchement
lavées.
-------D'autres
commerces:
-------une
mercerie bonneterie plus importante,
-------plusieurs
coiffeurs pour hommes, un salon de coiffure pour femmes ouvrira en 1930
ou 1932;
-------- deux
ou trois boulangeries (les boulangers sont presque toujours d'origine
espagnole) on les entend parler leur langue avec des clients de même
origine;
-------- des
boucheries tenues par des musulmans, les carcasses des boeufs et des moutons
restent pendues à des crochets et à terre il y a de la sciure
pour éponger le sang qui s'égoutte, cependant ils ont de
grands réfrigérateurs fermés par de grosses portes
de bois. - des épiceries nombreuses et parmi elles, celles des
Mozabites (on dit les Moutchous).
-------Comment
décrire ces épiceries mozabites bien ordonnées tout
en paraissant fouillis? Au milieu un grand comptoir dont la partie haute
vitrée abrite beurre et fromages, en contrebas de cette vitrine,
ouvertes mais abritées des mouches par une plaque de verre quelques
boîtes de gâteaux secs vendus au détail, un peu plus
bas, au sol s'alignent les sacs de couscous, de semoule, de riz, de légumes
secs.
-------Au
fond du magasin, sortant de la cloison qui le sépare de l'arrière-boutique
deux ou trois robinets sous lesquels le mozabite place les mesures de
1/2 ou 1/4 de litre pour verser dans la bouteille du client l'huile d'olives
ou d'arachides demandée.
-------Sucre
en poudre et sucre en morceaux sont vendus au détail mais il y
a aussi des boîtes et des pains de sucre sur des étagères;
il en est de même pour le sel, le café en grains, vert ou
torréfié. A la demande, le café torréfié
peut être moulu sur place dans un gros moulin actionné à
la main.
-------Sur
d'autres rayons on trouve des gros cubes de savon de Marseille, des bouteilles
d'eau de javel, des boîtes de lait condensé, de confitures,
de légumes divers, de poissons (sardines et thon). A terre des
petits barils de harengs secs et d'anchois au sel voisinent avec de la
morue sèche et salée sur une planche.
-------Ces
commerces sont un kaléidoscope de couleurs et d'odeurs.
------Le mozabite
est vêtu d'une blouse grise type cache-poussière et porte
sur la tête une calotte blanche. Pour emballer la marchandise vendue
au détail il utilise du papier gris; il reçoit avec le sourire
mais dès l'entrée le client est prévenu: au-dessus
de la caisse un écriteau : AU COMPTANT TOUJOURS CONTENT, A CRÉDIT
PAS UN RADIS Très commerçant il n'oublie pas si la cliente
est accompagnée d'un enfant de lui donner bonbon ou image et même
beaucoup plus tard, pendant les évènements, une mini auto
réclame en plastic.
-------Quotidiens
locaux (L'ÉCHO, LA DÉPÊCHE, ALGER RÉPUBLICAIN)
et quelques petits journaux sont vendus dans des bureaux de tabacs tenus
par des commerçants de toutes confessions.
------Des pharmacies il y en eut une, puis deux,
puis trois; je revois une droguerie, une quincaillerie et 4 ou 5 cafés
européens où on sert des boissons alcoolisées.
-------Rue
de Lyon se trouve une poterie, l'argile est
livrée en gros parallélépipèdes qui sont transformés
en pots de tuiles. En allant sur KOUBA une autre poterie beaucoup plus
grande a sur place sa carrière d'argile.
-------Au
fil des années le quartier se modifie, évolue. Septembre
1939, mobilisation générale, la France entre en guerre,
tous les hommes en âge de l'être sont appelés sous
les drapeaux même ceux qui l'ont été en 1914/1918.
En 1940 certains regagnent leur foyer, nombreux sont prisonniers en Allemagne,
d'autres hélas ne reviendront plus.
-------Par
la radio nous sommes au courant de ce qui se passe en France: bombardements,
débâcle, exode, sans tenir compte de nos mobilisés,
nous y avons presque tous de la famille et les lettres se font rares.
-------Quand
en 1940 l'Italie entre dans les hostilités, à ALGER on creuse
des tranchées dans les terrains vagues afin que les civils puissent
trouver abri en cas de bombardements.
En deux fois, en plein jour, les sirènes retentissent, nous ne
voyons et n'entendons rien, une heure après elles retentissent
à nouveau pour signaler la fin d'alerte.
-------JUIN
1940, la guerre ne modifie par les dates d'examen, les candidats sont
informés que les épreuves ne se dérouleront pas à
ALGER même, mais en périphérie et on leur communique
le nom des lieux où ils doivent se rendre pour composer.
-------C'est
dans une école maternelle au VIEUX
KOUBA que je passe le brevet. Tables et sièges ne sont
pas à nos tailles et nous mettons nos jambes entre les rangées.
Pour l'épreuve d'histoire-géographie un seul mot,, L'ALSACE
sans grandes connaissances on pouvait faire du texte.
-------De
1940 à 1942, toute la population participe à des quêtes,
à des kermesses pour venir en aide (Secours National) à
nos compatriotes de Métropole qui ont beaucoup souffert et beaucoup
perdu.
-------Il
n'y a plus d'essence donc plus de circulation, on commence à voir
des gazogènes et on roule à vélo. On peut sortir
d'ALGER et aller sur les plages ou en campagne mais une épidémie
(typhus ou typhoïde) se déclare, il faut un laissez-passer
pour sortir de la ville. Nous sommes une dizaine de jeunes entre 15 et
20 ans et projetons d'aller à vélo, nous baigner à
ALGER-PLAGE; les Gendarmes nous arrêtent à
FORT DE L'EAU, nous sommes obligés de faire demi-tour,
nous n'avons pas l'autorisation nécessaire.
COMMENT VIVAIT-ON AU RUISSEAU AVANT 1939 ?
-------En,
1930, le soir on entendait grenouilles et crapauds dans les jardins maraîchers.
Il y avait peu de circulation, les rues étaient éclairées
au gaz, les ordures ménagères ramassées à
dos-d'âne, les barres de glace livrées sur des chariots tirés
par des chevaux.
-------Les
réfrigérateurs étaient rares pour ne pas dire inexistants,
certains avaient une glacière et pour beaucoup d'autres il n'y
avait que la gargoulette qui tenait l'eau au frais sans oublier les bouteilles
entourées de linge humide et placées à l'ombre dans
un espace où filait un petit courant d'air.
-------Les
boulangers acceptaient, contre quelques sous, de faire cuire plats et
pâtisseries, pour Pâques: mounas, montécaos et pour
l'Aïd Kebir les plateaux de petits gâteaux que les gamines
portaient sur leur tête.
-------Les
femmes de toutes confessions et de toutes origines étaient très
sensibles aux coutumes correspondant aux évènements familiaux
(naissance, baptême, mariage) et elles n'oubliaient pas de s'offrir
les pâtisseries traditionnelles.
Les " roumis " râlaient lorsque la nuit ils étaient
réveillés par les youyous des femmes et les coups de fusil
célébrant les mariages.
-------Mais
il faut aussi parler des enterrements qui n'étaient suivis que
par les hommes chez les musulmans, des hommes européens suivaient
le cortège lorsqu'ils connaissaient le défunt ou sa famille
et réciproquement les musulmans en faisaient autant.
-------Lorsque
la sécheresse régnait dans les terres on voyait passer rue
de Lyon des groupes d'hommes se rendant au cimetière du Marabout,
ils portaient des drapeaux colorés et chantaient en s'accompagnant
de tambours larges et plats à une peau pour implorer la pluie.
-------Que
voyait-on encore dans les rues de ce quartier, comme dans tous les autres
d'ailleurs...
-------- GALOUFA
avec son grand fouet à lacet, il capturait les chiens errants et
les enfermait dans des cages grillagées fixées sur le plateau
d'un petit véhicule.
-------- Le
Marchand d'Habits, il parcourait les rues avec un sac de jute sur
l'épaule en criant : "zabi... zabi... ", il achetait
à tous des vêtements qui n'allaient ou ne convenaient plus
et les revendaient. C'était la terreur des enfants menacés
par leur mère: ,"si tu n'es pas sage, je te donne au marchand
d'habits et il te mettra dans son sac ".
-------- Les
marchands de glace : gaufrettes ou cornets à la vanille, au chocolat,
à la pistache.
-------- Les
marchands de " zoublis " attirant les clients avec un claquoir.
-------- Les
marchands de " calentita " (flan sucré à la farine
de pois chiche).
-------- Les
" Baba Salem " vêtus de loques, des peaux de bêtes
pendues à la ceinture, ils dansaient et chantaient en agitant et
faisant résonner des grosses castagnettes métalliques.(à
suivre)
(SUITE DU N°87. PAR EVA RASETTI-FOURNIER)
-------Dans la nuit
du 7 au 8 novembre 1942 vers 22 ou 23 heures, on perçoit venant
de la mer des coups sourds, mon père parle de combat naval. Les
coups sont plus proches, j'ouvre une fenêtre et vois sortir du port
de l'Agha un bateau de guerre, il est pris sous les feux des projecteurs
de la côte et tente de se dissimuler dans un nuage de fumée,
tout à coup de la terre et du bateau arrivent et partent des projectiles
incandescents, des obus bien sûr, l'un d'eux s'abat et explose sur
un mur du stade municipal. Pour plus de sécurité nous nous
replions au rez de chaussée, les lampadaires des rues ne sont pas
éteints, les sirènes d'alerte n'ont pas retenti, je ne verrai
pas où le bateau s'enfuit...
-------Dans
la rue les habitants en tenue de nuit, ayant souvent des enfants endormis
dans leurs bras, s'inquiètent. Depuis quelques mois un chantier
est ouvert au pied de la colline, nous savons qu'on creuse un abri mais
les travaux ne sont pas terminés et l'entrée est barricadée.
Des costauds un peu inconscients arrachent planches et madriers, de nombreuses
personnes s'engouffrent dans ce souterrain qui n'est ni éclairé
ni ventilé. Dehors c'est calme, on n'entend plus rien, c'est à
ce moment que les sirènes retentissent.
-------Par
la radio nous apprenons que ce sont les alliés qui débarquent.
-------Les
jours suivants la baie est envahie de bateaux de toutes sortes, nous restons
dans notre quartier. Deux ou trois jours plus tard, passent quelques éléments
blindés de reconnaissance puis arrive la troupe. Au Ruisseau nous
avons des Anglais, des Ecossais en kilt ce qui amusent beaucoup les gamins
(yaouleds) qui s'accroupissent pour voir ce qu'il y a sous les jupes de
ces hommes. Passent aussi des Australiens avec leur grand chapeau, des
Néo-Zélandais, des Canadiens.
-------Quoique
nous soyons habitués aux cartes d'alimentation depuis un ou deux
ans, le ravitaillement pose problème surtout pour le pain dans
les familles nombreuses. Nous avons droit aux premiers bombardements aériens,
l'abri souterrain rapidement et sommairement aménagé n'est
pas suffisant, la population se débrouille (A la grâce de
Dieu ou Inch'Allah).
-------Les
avions allemands sont au-dessus de nos têtes quand l'alerte est
donnée, ils piquent en vrombissant, c'est stressant. Des bateaux
qui mouillent dans la baie d'Alger partent de longs câbles retenant
d'énormes ballons ovales, ces câbles sont un piège
pour les avions qui essaient d'atteindre les navires.
-------Nous
restons chez nous ou tentons d'aller à l'abri où l'on suffoque.
C'est en faisant ce déplacement que nous verrons un navire, atteint
par une bombe, se partager en deux et couler.
-------La
D.C.A. (Défense Contre Avions) à terre ou sur mer ne cesse
de tirer, c'est un vacarme terrifiant, les éclats d'obus pleuvent
partout. Tout près de chez nous une jeune fille se rendant à
l'abri est tuée par un de ces éclats.
Les bombardements nocturnes sont spectaculaires, quoique les lumières
de la ville soient éteintes on voit presque comme en plein jour;
il y a les projecteurs qui balaient le ciel à la recherche des
avions, les bombes éclairantes lâchées par les avions
pour distinguer leur cible (les navires surtout) sans oublier les trajectoires
des obus de D.C.A.
-------Les
alliés se sont installés dans les écoles et ont réquisitionné
pas mal de logements dont les occupants étaient partis se réfugier
à la campagne.
-------L'ECOLE
DE COMMERCE & D'INDUSTRIE est occupée par la R.A.F. (ROYAL
AIR FORCE) et dans une villa réquisitionnée, très
proche de chez nous, s'installe le général qui est à
la tête de cette unité. Le quartier est très animé,
les gamins courent derrière les soldats pour avoir des cigarettes,
des bonbons, du chewing-gum. Stade Municipal et piscines sont occupés
par les hommes de la R.A.F. et leur
matériel.
-------Durant
quelques jours, beaucoup de remue-ménage dans la villa de notre
nouveau voisin le général anglais, dans la cuisine les ordonnances
semblent préparer un festin. Nous n'avons pas éclairci le
mystère, mais, quelques jours après, la radio nous apprend
que WISTON CHURCHILL en déplacement a fait escale à ALGER
et qu'il a été reçu et a dîné avec un
de ses amis, important officier de la R.A.F.
Bombardements et fausses alertes se succèdent. Tous les soirs,
rue de Lyon, à intervalles réguliers prennent place des
camions fumigènes anglais qui fonctionnent au moment des alertes,
la fumée fait tousser.
-------La nuit les
rues ne sont pas éclairées, il y a un couvre-feu.
-------Aux
civils, ordre a été donné de camoufler toutes les
ouvertures des habitations afin que nulle lumière ne soit visible
de l'extérieur. Des réservistes Français (Défense
Passive) rappellent à l'ordre les contrevenants.
Dans le même temps l'Ecole de Commerce et d'Industrie occupée
par l'armée est toujours largement éclairée, elle
le reste pendant les alertes et les bombardements. Elle ne sera jamais
atteinte, ni même ratée ou visée, heureusement car
à côté sont l'usine à gaz et ses gazomètres.
Tous les hommes en âge d'être mobilisés ont été
rappelés et ceux, qui compte tenu des conditions d'armistice n'avaient
pas fait leur service militaire et avaient été envoyés
en chantier de jeunesse (classes 40-41-42 et 43) reçoivent une
formation accélérée avant de rejoindre le front.
-------Les
allemands et les italiens sont en Tunisie, le front est relativement proche,
les français d'Algérie y sont et plus tard ce sont ces français
qui, aux côtés des Alliés débarqueront en Italie,
en Corse, en Provence.
-------Toutes
les écoles ou presque sont réquisitionnées pour abriter
les armées alliées. Début 1943 quelques écoles
rouvrent.
.-------J'enseigne
en C.P. clans une petite école privée et nous redoutons
les alertes. Les américains font un effort pour le ravitaille-ment
des civils, les enfants ont droit le matin à un petit déjeuner
dans un local social, j'y retrouve mes élèves et les ramène
à l'école mais, pour ce, il faut traverser la rue Polignac
où le trafic est intense; c'est une épreuve.
-------Dans
les boulangeries, toujours avec tickets, nous trouvons du pain d'une blancheur
extraordinaire, surtout comparé au pain que l'on nous vendait jusque
là et où entrait disait-on de la farine de caroubes. Accident,
fait de guerre ou sabotage ? entre Mai et Juin 1943 un train saute en
gare de Maison-Carrée, nous entendons l'explosion mais n'allons
pas voir les dégâts, on parle d'un grand nombre de victimes.
Puis c'est un bateau chargé de munitions qui saute dans le port.
A vol d'oiseau nous nous trouvons à peu près à 3
kms, le souffle arrache le rideau métallique du garage, les vitres
volent en éclat, certaines fenêtres sont arrachées
; nous ne sommes pas les seuls, en ville c'est pire. Les dockers et ceux
qui travaillent près du port disent que la jetée où
se trouvait le navire a été arrachée sur 200 mètres,
une personne travaillant boulevard Baudin et dont le bureau donne sur
le port nous dit avoir vu passer des camions de victimes (Presse et radio
seront muets à ce sujet). Quelque temps après, du port de
l'Agha s'élève une épaisse fumée qui commence
à irriter les gorges, nous apercevons deux remorqueurs tirant hors
du port un bateau qui flambe, des bateaux pompe l'entourent et tentent
d'éteindre l'incendie, ça se calme le bateau est ramené
au port puis ressorti et échoué dans la baie un peu avant
l'hippodrome du Caroubier... De la route Moutonnière on le verra
s'enfoncer et disparaître lentement.
-------En
Tunisie les combats sont terminés, nous avons enfin des nouvelles
de notre famille. Agriculteurs ils sont restés chez eux dans la
plaine de la Medjerda, coincés dans le no man's land qui séparait
les belligérants, ils ont vécu des heures difficiles.
-------Le 28 août
1962 j'ai traversé une dernière fois " mon quartier
", le taxi qui nous menait au port pour embarquer sur le " KAIROUAN
est venu nous chercher rue Montfleury, il a emprunté la rue de
Lyon, la rue Polignac, j'ai jeté un dernier regard sur la maison
où je suis née, mes yeux étaient humides.
-------Assis
sur mes genoux, mon fils âgé de trois ans se réjouissait
de partir en bateau.
-------II
y a une dizaine d'années ses activités l'ont fait passer
à ALGER, il s'est fait conduire rue Montfleury afin de tenter de
reconnaître le cadre de sa petite enfance.
À SUIVRE...
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