La pêche et les pêcheurs en Algérie
mémoire , Edgar Scotti (†)- Joseph Palomba (†)

........Monsieur Joseph Palomba m'a fait parvenir un second livret, avec photos, dessins et glossaire. Il l'a écrit en collaboration avec monsieur Edgar Scotti. "Vous pouvez en disposer à votre convenance", écrivait-il. Eh bien, voilà. Je vous en fais profiter...
........A noter que MJoseph Palomba est l'auteur de "Hommage aux scaphandriers", voir sur le site.
........Merci à tous deux....

sur site le 4-05-2005... copié ici en juin 2012

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Avant propos

-------En 1962, avant l'indépendance du pays, les départements français en Algérie comptaient sur les 1000 kms de côtes de son littoral, dix huit ports de pêche où s'exerçaient les métiers du chalut, palangriers, petits métiers, trémails, lamparos, corail et autres, sans oublier l'industrie annexe avec plus de 40 usines et ateliers de conserves de sardines et thons ainsi que de salaisons d'anchois qui faisaient vivre 1500 familles de pêcheurs européens et environ 4000 familles de pécheurs musulmans.

-------Il n'en fut pas toujours ainsi. Avant la venue des français, il y avait certes des marins parmi les autochtones, mais sous la Régence, beaucoup allaient en mer plus pour la piraterie que pour pratiquer la pêche.

-------Il est certain que la présence sur les côtes algériennes de baies sommairement protégées des vents dominants ainsi que le manque de ports, peuvent expliquer l'absence de tradition maritime et d'attachement des populations locales aux métiers de la mer.

-------Bien avant 1830, des pêcheurs venus du pourtour méditerranéen, principalement d'Italie, fréquentaient déjà la côte algérienne. Des bateaux Sardes, Napolitains, Toscans, Siciliens venaient nombreux pêcher sur le littoral, surtout à l'Est d'Alger sur des sites bien connus de ces marins pêcheurs, y compris les nouveaux bancs de coraux près de la frontière tunisienne.

-------Toutefois, ces pêcheurs gardaient leurs habitudes. Ils venaient pendant la saison favorable, s'installaient temporairement sur le littoral, transportaient avec eux le matériel de pêche mais aussi ce qui est indispensable à leur alimentation. De retour dans leur pays, dès l'approche de la mauvaise saison, ils furent les premiers après 1830, à émigrer en Algérie, où par la suite la majorité d'entre eux fondèrent une famille et acquirent la nationalité française. (Gérard Crespo : les italiens en Algérie)

L'émigration des pêcheurs à Alger

-------Venus de tout le pourtour méditerranéen : Espagne, Italie, Majorque, Malte, Sicile et autres, des marins pêcheurs furent attirés par l'Algérie dés le début de la colonisation française. Beaucoup parmi eux connaissaient déjà la côte algérienne comme nous le signalons dans le préambule, pour l'avoir pratiquée avant 1830. Nous les évoquerons dans cet article et principalement ceux qui se fixèrent à Alger.

-------Originaires pour la plupart du Mezzogiorno, ce sud de la péninsule italienne, ils venaient majoritairement des îles de Capri, Ischia, Procida et des villes comme Gaèta, Torre-del-Gréco, Cetara, Salerne ou Amalfi. Contraints de quitter leur pays, venant d'une même région, parlant une langue commune, souvent parents d'une même famille et ne pratiquant que les métiers de la mer, ils se retrouveront près du port dans le quartier de la marine à Alger.

-------Marins pêcheurs " ils reprirent aussitôt la voile, les tartanes, les bateaux boeufs qui se déplaçaient au gré du vent, par couple en traînant le filet et pratiquèrent plus tard la pêche au gangui et au chalut le long des côtes inhospitalières désignées sous le nom de barberie ". (Gérard Crespo : les italiens en Algérie)

-------Exilés d'un golfe " béni des Dieux " ces hommes se retrouvèrent jetés sur une côte bien aride. Et comme dit Gérard Crespo " où ces hommes laborieux et durs au travail vivaient et dormaient dans leurs barques ou dans des cabanes qualifiées à l'époque par les fonctionnaires français, de Gourbis " (Gérard Crespo : les italiens en Algérie)
-------Pour eux la reprise du travail dans ce nouveau pays ne fut pas très facile. Etrangers, ils se heurtèrent aux tracasseries d'une administration pas toujours bienveillante à leur égard.

-------Au début de la colonisation la pêche n'était pas réglementée et pour cause. Dans les premiers convois " civils " arrivés de France, on ne trouvait pas de marin pêcheur. Sur place chez les autochtones, il y avait des marins mais pas du tout intéressés par le métier de la pêche. Ils y viendront lentement plus tard et par la force de la situation, iront crescendo après l'indépendance.

-------Alors, les pêcheurs n'étant ni français, ni arabes, on fut ravi en " haut lieu " d'accueillir des pêcheurs étrangers ... et ils ne manquaient pas. Mais ceux ci, pas encore français, furent ballottés comme sur la mer, dans un inextricable maquis de procédure, décrets, ordonnances, sénatus-consulte et autres pour aboutir à la loi de 1888 réservant le droit de pratiquer la pêche en Algérie aux seuls citoyens français !

-------A Alger, cette loi de 1888 augmentera considérablement le nombre de demandes de naturalisation parmi les pêcheurs d'origine italienne. Déjà un grand nombre d'entre eux étaient favorables à l'acquisition de la nationalité française. Ayant abandonné définitivement leur pays qui ne pouvait plus les faire vivre, ils aimèrent cette nouvelle terre où malgré toutes sortes de difficultés, beaucoup avaient déjà fondé une famille.

-------On avait besoin d'eux, mais les démarches administratives ne furent pas facilitées pour autant. En ce temps là on ne savait pas trop " sur quel pied danser " tant la " musique " paraissait différente entre Paris et ses représentants à Alger.

-------Ce n'était pas nouveau. Ici, un gouverneur avait même ébauché une tentative de création de villages marins réservés aux seuls pêcheurs français. Ce fut semble t- il une gageure, pour ne pas dire un échec, tant ceux-ci étaient peu nombreux ... alors on activa les naturalisations !

-------De ce jour, beaucoup de pêcheurs étrangers surtout italiens, obtinrent la nationalité française. Avec l'épouse et les enfants mineurs, cela en fera un grand nombre. Alors, pour ces hommes la situation changera et ils étaient naïvement fiers d'exhiber leur nouveau livret d'inscrit maritime en proclamant : " j'ai le livret, je suis français " .

-------Mais ne déchanteront ils pas par la suite ? Car malgré leur naturalisation (volontaire ou forcée) ils seront longtemps injustement considérés comme de " néo " ou de français de seconde zone. Pourtant, loyalement ils firent leur devoir quand la patrie fut en danger. Marins, ils servirent dans la " coloniale " ou dans la " royale " aussi bien sur la Marne ou à Verdun qu'aux Dardanelles. Mais hélas, encore en 1926, certains (pas très intelligents) les traiteront " d'hommes inférieurs, misérables, illettrés, issus de la plèbe maritime venus d'Espagne et d'Italie et voués à l'échec total dans leur métier ".

-------Ces marins pêcheurs méritaient-ils ce jugement tendancieux et injurieux ? Nous pensons que c'était là une calomnie gratuite et véritablement une erreur de jugement.

-------Concernant la prédiction de " l'échec total " pour ces marins dans leur métier, cette idée se heurta, ne serait ce que pour la pêche au chalut à Alger, à l'évolution favorable et au développement spectaculaire des bateaux, engins de pêche et méthodes de travail que connurent les chalutiers d'Alger, qui jusqu'à l'exode de 1962, les classeront au premier rang des ports de pêche français en Méditerranée

-------Dans un autre domaine et pour la justice que nous devons à ces hommes de mer, analysons l'appellation péjorative " d'illettrés " employée à leur encontre. Oui beaucoup de marins pêcheurs que nous avons connus à Alger, même des maîtres de pêche, étaient illettrés ne sachant ni lire ni écrire . Ils étaient analphabètes par le fait qu'ils n'eurent jamais de temps pour pouvoir fréquenter une école.

-------La pérégrination du changement de pays y fût pour beaucoup. La misère aussi qui poussait le père à amener le fils en mer dès la dixième année. Même si à cet âge le gain était minime, cela faisait une bouche en moins à la maison ! Situation pathétique qui devrait attirer la compassion et non la critique.

-------Le manque de scolarité était pour ces hommes une frustration qui gardèrent toute leur vie. Pourtant, eux qui signaient leur nom en traçant une croix sur les documents officiels, ne manquaient pas d'intelligence. Ils possédaient la science naturelle de la vie apprise sur le tas. Ils connaissaient de par leur métier profondément la mer et tous ses mouvements. De même pour les changements de temps, comme les paysans, ils se trompaient rarement dans leurs jugements. Sans avoir fait d'études, la navigation n'avait pas de secret pour eux. Les maîtres de pêche de chalutiers avaient un tel sens d'orientation et une si grande connaissance des fonds marins, que cela semblait mystérieux. Dans la tempête ou par profond brouillard, ils retrouvaient toujours leur route. La côte algéroise, d'Ouest en Est, leur était familière dans ses moindres contours et ils connaissaient parfaitement l'emplacement des rochers ou des épaves qui en garnissaient le fond. Traînant leur chalut à l'Ouest de la capitale, de Guyotville à Cherchell, ils exploitaient de même le golfe d'Alger ainsi que la côte Est, du Cap Matifou au Cap Djinet, lieux de pêche privilégiés.

-------Oui, hommes illettrés mais de grande valeur. Bien avant l'avènement du sondeur électrique sur les bateaux, ils se servaient du compas et de la sonde à mains (boule de plomb au bout du filin) et de l'alignement des amers ou signes, transmis de père en fils et jalousement gardés, qui leur permirent pendant des décennies de pouvoir chaluter de long en large sur tout le littoral algérois. Avec obstination et acharnement, jour après jour, ils portèrent les fonds chalutables de la côte ouest, entre Castiglione et le Chenoua, de 80 à plus de 400 mètres où depuis la nuit des temps jamais aucun filet n'était passé sur ces fonds. Et cela à l'époque où les scientifiques et les océanographes n'avaient pas encore établi la carte des fonds marins de ce secteur. Retard préjudiciable dans ce domaine où il faudra attendre l'après guerre 14-18 pour voir la naissance d'unités de recherches, d'études des fonds marins, de cartographie et de biologie marine appliquée. Travaux bénéfiques pour l'ensemble de la pêche principalement aux chalutiers.

-------Ici nous ajouterons un mot concernant la profession de maître de pêche de chalutier.

-------Pour notre esprit de latin, la pêche se pare toujours un peu d'un prestige mystérieux et confus comme un rite religieux. Elle est souvent présente dans l'évangile des chrétiens et avec la Croix, le poisson fut le premier symbole de la Chrétienté. Les Grecs qui étaient des marins n'ont pas su trouver un dieu pour les pêcheurs, mais le Christ en fit ses premiers disciples... et Pierre, le premier homme qui le représentera était un pêcheur !

-------Mais la pêche est surtout un métier que l'on ne peut aborder qu'au bout d'un long apprentissage et qui ne cesse de se perfectionner depuis la nuit des temps. Si les pêcheurs se penchent toujours, comme sur les bas reliefs assyriens sur le plat bord des bateaux pour tirer le filet, ils ne le halent plus de leurs mains. C'est le treuil qui s'en charge et c'est l'hélice qui pousse le bateau à jouer à saute mouton avec les vagues. Cependant, le filet reste le symbole immuable de la pêche.
-------" C'est si vrai que le bateau de pêche moderne lui a emprunté son nom. On ne dit plus un lougre, une tartane ou une balancelle, on dit un CHALUTIER. Et ce nom suffit à faire surgir une multitude d'images familières ". (J. SEYME " Alger/ Revue " 1956)

-------Images particulièrement familières pour nous du fait que nous sommes algérois et que les chalutiers étaient aimés à Alger. Ce qui fit dire à Jean BRUNE dans son journal d'Exil : " Et tous regardent rentrer les chalutiers qui dansent dans les vagues hargneuses des crépuscules d'hiver, parce que le chalutier représente toujours pour ces latins qui naissent avec les cheveux teintés par l'iode et les lèvres déjà salées, le fabuleux bateau des pêches miraculeuses ! "

-------Ayant qualifié les maîtres de pêche d'un savoir mystérieux, il nous faut dire aussi comment pouvait-on acquérir ce savoir ?

-------D'abord, fruit d'un apprentissage exercé depuis le plus jeune âge, il était surtout la somme de connaissances, voir de " secrets " que les patrons de pêche se transmettent de père en fils et qui tiennent souvent du miracle. Ce n'est pas le hasard si ces hommes qui n'ont jamais vu les fonds de la mer de leurs yeux, les connaissent cependant dans les moindres détails, comme ces aveugles qui, à force de toucher les plus petites aspérités d'un banc ou d'une table, pouvaient en dresser une liste scrupuleuse et n'en oublier aucune.
-------Ces patrons disaient aussi : " quand le clocher de tel village affleure le sommet de telle colline et que de l'autre côté de l'horizon, telle ferme pose sa tache blanche à. la pointe de tel bois ... alors il faut relever le filet parce qu'il y a au fond un rocher dangereux " (J. SEYME " Alger/ Revue " 1956)

-------L'interprétation des repères immuables sur la côte lointaine : repères que les pêcheurs appellent " signes " en Méditerranée et " amers " en Bretagne, sera toujours la base principale du savoir d'un bon maître de pêche et en fera sa notoriété. Car cette connaissance lui permettait de mener à bien la traîne du filet chalut sur le fond de la mer en évitant les embûches naturelles et parfois les nombreuses épaves semées le long du parcours.

-------Elle lui donnait en plus et surtout la satisfaction en fin de calée de remonter le filet sans aucun dommage et le sac rempli de poissons.

-------Il est incontestable que le métier de la pêche le plus répandu à Alger était celui de chalutier. Pratiqué jusqu'en 1914 par des balancelles à voiles sous le nom de " pêche aux boeufs " c'est à dire deux bateaux attelés au même filet pour le tracter sur le fond. Il faudra attendre l'après guerre en 1920/1922 pour voir apparaître les chalutiers à vapeur, qui exploiteront encore ce mode de pêche jusqu'à l'avènement du panneau de pêche vers 1930, qui permit le chalutage individuel et l'abandon du filet boeufs en Méditerranée.

-------Cette pêche au filet boeufs était très difficile à pratiquer. Elle alliait deux bateaux d'égale puissance, montés par des équipages expérimentés dont la réussite était liée à la capacité du maître de pêche. C'est lui qui décidait de la route à suivre, du choix des lieux de pêche et des manoeuvres à exécuter. Responsable du travail, il avait sous ses ordres un patron dirigeant le second bateau. Chaque bateau avait un équipage de sept hommes dont un mécanicien et deux hommes de chauffe.

-------Arrivé sur le lieu de pêche, le filet était mis à l'eau, relié à chaque bateau par une fune en corde mixte fixée sur les deux ailes latérales du chalut. Le temps pour celui-ci d'atteindre le fond, débutait alors la partie la plus délicate de l'opération ; la traîne. Les deux bateaux devaient avancer du même pas peut on dire et d'une façon constante et parallèle pour éviter que le filet grattant le fond de la mer ne se déchire.

-------C'est dans ce contexte difficile, bien avant l'apparition du chalutage individuel et des moyens de détections modernes qui suivront, que des maîtres de pêches, peut-être illettrés mais de grande notoriété dans la profession, réussirent à élargir le champ d'exploitation du plateau continental au large du village de Bou-Haroun allant bien au delà de 200 mètres de fond, fonds qui par la suite s'avérèrent bien riches des grosses crevettes rouges tant appréciées des algérois.

-------A cette époque, ils étaient environ dix paires de chalutiers à exploiter ce genre de pêche à Alger. Pour avoir un aperçu du résultat de ce labeur, sachez qu'une statistique de 1926 fait état de 1 547 000 kg de poissons pêchés par ces bateaux entre le ler octobre 1923 et le 31 mars 1924, commercialisés à la pêcherie d'Alger, soit une moyenne de plus d'une tonne de produit journalier par paire de bateaux. (A. Gruvel : " Les pêches maritimes en Algérie ")

-------Entre 1930 et 1935, l'extension du chalutage individuel, dû à l'usage nouveau des panneaux de pêche qui supprimeront la nécessité d'avoir deux bateaux pour draguer un seul filet, libérera une dizaine de chalutiers, ce qui portera le nombre de la flottille du port d'Alger, à plus de vingt unités.

-------Par la suite, le développement de ce métier et l'augmentation du volume des pêches, imposeront la construction d'un môle de pêche et l'édification d'une halle aux poissons munie des derniers perfectionnements frigorifiques, dont l'ancienne pêcherie était dépourvue.

-------En 1930, les pêcheurs émigrés, malgré leurs difficultés rencontrées par leurs pères au début de la colonisation, continuèrent à exercer avec succès leurs activités dans les lieux traditionnels. Mais, alors que du point de vue légal ils étaient citoyens français, ils furent toujours reconnus sous le nom de napolitain.

-------Un recensement de la population maritime de l'Algérie à cette date, donnait d'après Gérard Crespo (Gérard Crespo : les italiens en Algérie) les renseignements suivants :
-------- pêcheurs d'origine française 20
-------- pécheurs d'origine italienne 3500
-------- pêcheurs d'origine espagnole 700
-------- pêcheurs de nationalité italienne 500
-------- pêcheurs de nationalité espagnole ou maltaise 50
-------- pécheurs indigènes 417
-------Leur technique et leur savoir étaient maintenant reconnus et appréciés. C'est ainsi que L. Lacoste leur rendit un vibrant hommage : " il ne faut pas oublier qu'ils furent les ouvriers de la première heure et ne point méconnaître que l'intérêt personnel qui les anima fut un levier puissant, unique peut-être en matière d'effort véritable de colonisation ".
-------A la lecture de ces chiffres, on comprend mieux pourquoi la rue de la Marine à Alger était surnommée " le petit Naples " !

Alger : retour de pêche des chalutiers

-------Après une longue journée de chalutage par fonds de plus de deux cents mètres sur une zone à l'Ouest allant du Chenoua au Cap Caxine, la dernière calée mise à bord, les panneaux arrimés, filets bien amarrés au mât, rivalisant de vitesse, les chalutiers se hâtaient vers le port passant devant la colline de Notre Dame d'Afrique, escortés de nuées de mouettes affamées, poussant leurs cris aigus, virevoltant, plongeant sur le moindre déchet évacué par les sabords, sous la pression des manches à eau.

-------Après avoir doublé le " Kassour " et la longue jetée Nord, les bateaux franchissaient la passe se dirigeant vers le môle de pêche du quai Jérôme Tarting. Ces arrivées étaient toujours un beau spectacle. Spectacle qui enchantait les nombreux algérois se pressant sur le boulevard dominant la pêcherie ainsi que la foule de curieux et de professionnels qui attendaient sur le quai.

-------Dès l'accostage, aussières engagées sur les bollards, les commis et les portefaix du mandataire arrivaient avec des longs charretons sans ridelle à roues ferrées, pour procéder au déchargement du produit de la pêche sous le regard de l'armateur ou de son représentant, toujours présent. Bien rangés contre le plat bord, les casiers de poissons passaient de bras en bras depuis le bord, aussitôt saisis et empilés avec précaution sur les charretons. Alors, sous les yeux admiratifs des curieux, défilait toute la variété de poissons de " chez nous ".

-------D'abord parfaitement triés, impeccablement présentés, bien " acabés " par catégories, les poissons " nobles " : rougets barbets, ouïes frémissantes, dorades, pageots marbrés, loups étincelants appelés aussi bars, soles et turbots, gros merlans aux reflets brillants, rascasses, vives appelées araignées de mer, grondins majestueux, tous, poissons rois d'une bonne bouillabaisse, baudroie ou lotte à large gueule, que les pêcheurs espagnols désignent du nom de " bocca dé rappa " suivis des poissons de catégories différentes comme les sépias ou seiches et aussi les petits supions si délicieux cuisinés avec son encre, les raies de toutes sortes, les gros poulpes, encore vivants qui tentent de s'échapper du casier, le chien de mer ou émisole royal et ses petits catarelles ou roussettes.

-------Puis arrivent les casiers de " mouraille " le vrac : maquereaux, galinettes, sars, saourels, saupes ou tchelbas appelés poissons juifs par les algérois, bogues, murènes, congres et bien d'autres. Certains jours, s'ajoutent sur le haut de la pile, les casiers de " grosses pièces " ombrines aux riches écailles, mérous ou mérots, ventrus teintés d'arc en ciel et parfois, de belles langoustes antennes dressées !

-------Mais pour couronner le tout, les casiers de grosses crevettes rouges pêchées au large de Castiglione, ainsi que les belles crevettes blanches tant recherchées le samedi par les amateurs de pêche à la ligne. Belles et grosses, crevettes rouges de nos grands fonds. Récompense des recherches de nos anciens maîtres de pêche. De tailles et de teintes différentes selon leurs provenances d'Alger, d'Oran, de Mostaganem, Arzew, Bougie ou Philippeville. Désignées souvent à tort sous le nom de " gambas " à ne pas confondre avec la " caramote " ou bien le " matsagoune "des Bônois, que l'on pêche en abondance à l'embouchure de la Seybouse à Bône.

-------Ce déchargement terminé, la foule plus dense et toujours curieuse se déplaçait d'un chalutier à l'autre pour assister au même cérémonial, au fur et à mesure de leurs accostages. Pour autant, après le débarquement du poisson, le travail n'était pas encore terminé pour l'équipage. Alors que le patron de pêche mettait en panne le moteur qui s'arrêtait dans un dernier soubresaut, marquant la fin d'une journée commencée dés trois heures du matin, il fallait encore faire le plein de glace en poudre pour le lendemain et souvent procéder à l'échange d'un filet ou d'un cordage détérioré.

-------Alors seulement, les membres de l'équipage libérés enjambaient le bordage avec leur couffin, contenant la gamelle vide du repas pris à la hâte entre deux calées, et la part de poisson obtenue chaque jour selon l'importance de la pêche. Ils rejoindront leurs domiciles par les escaliers de l'ancienne pêcherie.

-------Mais le maître de pêche n'en avait pas fini pour autant. Après avoir refermé la porte de sa cabine, il rejoignait l'armateur sur le quai pour rendre compte de la journée de pêche. En discutant lentement, les deux hommes suivaient d'un air grave le charreton se dirigeant vers l'intérieur de la halle aux poissons, porteur des espoirs de toutes les familles de ces marins. C'était pour certains facétieux, l'occasion de dire qu'ils suivaient le " corbillard ".

LA HALLE AUX POISSONS

-------A partir de là, admis dans la halle, les casiers soustraits à la curiosité des badauds, étaient soumis à la pesée. Un contremaître assermenté annonçait à un aide, le poids et l'espèce dei poisson qui était alors enregistré sur un carnet à souches, sans oublier d'y joindre un numéro d'ordre figurant sur une planchette déposée sur le casier, afin de l'identifier lors de la vente.
-------Construite en 1935, cette halle remplaçait l'ancienne criée qui se déroulait tous les matins sous les voûtes de la vieille pêcherie où, de pittoresques " crieurs " faisaient résonner la vieille bâtisse, de leur voix de stentor.
-------La nouvelle halle occupait en longueur et en largeur la presque totalité du môle Jérôme Tarting. Bien que faisant partie du port, les Algérois n'y étaient pas admis. Ils n'en connaissaient que son aspect extérieur. Seuls, les professionnels de la pêche et du commerce y avaient accès.
-------Ce vaste bâtiment de béton abritait de part et d'autres dix bureaux de mandataires et autant de carreaux ou tables d'exposition des caisses de poissons, avant la vente.
-------Ces carreaux, d'une hauteur de 0 m 50, entièrement recouverts de marbre, assuraient une parfaite salubrité. En outre, ils étaient séparés des acheteurs par une rampe métallique ne permettant pas de toucher le poisson.
-------Provenant de la pêche des chalutiers d'Alger, ou amenés par camions frigorifiques des ports voisins, les poissons étaient chaque matin soumis au contrôle minutieux du vétérinaire inspecteur - sanitaire.
-------Le fonctionnement de la halle et sa gestion incombaient à du personnel communal d'une grande compétence. Ces employés communaux, du vétérinaire inspecteur-sanitaire jusqu'aux agents chargés des transactions et de l'entretien, occupaient le premier étage où le directeur avait un bureau en forme de mezzanine au-dessus de l'ensemble de la halle.

-------Au cours des dernières décennies, avant 1962, la vente du poisson en gros, dite vente à la criée, ne correspondait plus à cette appellation. En effet, dès l'ouverture de la halle, fixée le matin à 6 heures en hiver et 5 heures en été, les poissonniers accrédités envahissaient bruyamment la pêcherie pour avoir rapidement un aperçu sur le contenu des carreaux des mandataires où étaient exposés les casiers mis en vente. C'était alors le moment où s'affirmaient les très anciennes relations amicales, voire même familiales, d'hommes originaires du même milieu ou d'autres plus récentes, issues d'une longue pratique commerciale.

-------Le chef vendeur, parfois le mandataire lui-même, établissait lors d'un échange discret, avec l'acheteur éventuel, un accord sur le prix du produit recherché.

-------Lorsque le résultat était positif, le vendeur retirait la planchette de bois portant le numéro d'ordre et la donnait à l'employé de service, avec le prix de vente inscrit sur le bulletin portant le numéro du lot, sans oublier le nom de l'acheteur. La vente du matin était réservée uniquement aux poissonniers de la ville détenteurs d'une carte professionnelle délivrée par les services municipaux.
-------Les transactions se déroulaient rapidement, émaillées d'expressions de tous les pays méditerranéens, dans le vacarme des caisses de poissons, habilement recouvertes d'une pelletée de glace pilée, puis chargées sur les charretons.

-------En dépit de cette ambiance apparemment désordonnée, il convient de souligner que les circuits de la mise en marché du poisson, étaient strictement contrôlés, tant au point de vue de l'état de fraîcheur, que du prix de vente au détail.
-------Après le chargement de leurs camionnettes garées autour de la halle, les commerçants partaient aussitôt vers les marchés de Bal-el-Oued, Belcourt, Kouba ou de ceux très achalandés des rues Clauzel, Meissonnier, Randon. Derrière son étal savamment ordonné pour mettre en valeur la fraîcheur des galinettes, celle des grosses langoustines ou des petits rougets de roches, des raies bouclées et " pastenague ", de l'émisole ou chien de mer, le ou la poissonnière avait ses clientes attitrées, très attentive aux conseils donnés d'un air entendu. Chacun de ces marchés avait son poissonnier de référence, reconnu et apprécié de tous, comme Gaétan dont l'étal se trouvait près de l'entrée de la poissonnerie du marché Clauzel.

-------Tel était le retour de pêche des chalutiers un soir de semaine dans le port d'Alger. Toutefois, nous devons signaler que le chalutier représentait pour les marins pêcheurs de ce port, le " haut de gamme " de la profession. Il était très difficile d'obtenir un embarquement sur ces bateaux, particulièrement sur ceux dont les armements étaient solides et les maîtres de pêche de grande notoriété.

-------Dans ce métier, le marin de chalutier était considéré comme un " fonctionnaire" par ses pairs. Il avait un emploi stable et assuré par une rémunération mensuelle sur une base définie par contrat inscrit sur le rôle d'équipage, ainsi que le droit à une part journalière de poissons, variable selon la pêche du jour. Cette part de poissons deviendra un revenu substantiel quand l'usage de la vente " au couffin " s'étendra le soir, du môle de pêche au marché des trois horloges à Bab-el-Oued !

-------Avant de clore cet article sur les chalutiers, sachez aussi que " acaber " le poisson dans un casier est tout un art. Dérivé italien du mot acabi ou du patois napolitain cabé, qui veut dire tête, il reste affaire de spécialiste et chaque chalutier avait le sien. Cela consiste à mettre côte à côte des poissons de même taille et de même espèce, les têtes dans le même sens, afin de présenter un bel assortiment que la ménagère retrouvera le lendemain sur les étals des poissonniers.

Des métiers et des hommes

-------Jusqu'ici, évoquant les métiers de la pêche, nous avons surtout cité les chalutiers. Or, sur nos côtes beaucoup d'autres métiers furent pratiqués, au premier rang desquels celui de lamparo.

-------Habituellement on désigne sous ce nom, indifféremment le bateau ou le filet employé pour la pêche à la sardine. Dans le passé, cette pêche s'appelait également " pêche au feu " pour la raison qu'elle nécessitait l'emploi d'une barque annexe équipée de grosses lampes à abat-jour alimentées à l'acétylène, qui la nuit diffusaient une forte lumière sur la surface de l'eau, attirant ainsi le banc de sardines sous la barque où elles seront cernées et piégées par le filet déployé par le lamparo.

-------Pratiqué de nuit, ce métier fut importé d'Italie à Alger par des pêcheurs venus des villes de Céfalu en Sicile et de Cétara dans le golfe de Naples. Il avait atteint son apogée après 1945 tout au long de la côte algéroise, de Ténès à Dellys en passant par les plages Bou-Haroun, Chiffalo et Courbet-Marine.------Après la venue en 1830 des français en Algérie, ces lieux attirèrent des marins pêcheurs émigrés qui, par leur travail et leur persévérance en firent des zones de pêches de grandes renommées. Cependant, si les plages de Bou-Haroun et de Chiffalo se trouvaient en bordure de la route du littoral reliant Alger à Cherchell, celle de Courbet-Marine était en ce temps là, isolée sur une côte quasi désertique loin de tous villages, dont le plus proche se situait à 4 kms de la mer.
-------C'est le hasard de l'émigration qui fixera à Bou-Haroun des pécheurs originaires d'Espagne, comme il sera cause de la création â Chiffalo par ceux venus du port de Céfalu en Sicile. Il n'en fut pas de même pour Courbet-Marine. Vers 1914, des balancelles et des tartanes pratiquai la pêche " aux boeufs " bien loin à l'Est d'Alger, découvriront au large d'un plage, un nouveau parcours de traîne (ou cale) pour leur filet dont les prise s'avérèrent riches et abondantes de poissons de fond mais aussi de surface comme les sardines et anchois.
-------Aussitôt, ces heureux pêcheurs baptisèrent ce lieu " CALANOVE ", qui veut dire en patois napolitain nouvelle cale. Cette appellation persiste encore aujourd'hui parmi les autochtones pour désigner la plage de Courbet-Marine.-------CALANOVE, plage privilégiée qui attira de grandes familles de pêcheurs, comme les familles Amabile, Apicella, Gatto, Ferrigno, Salsano, Liguori, Galano, Falcone et bien d'autres venues de leur " CETARA natale ", cette ville " aux citrons ", ville qui parfume le golfe de Naples, pour (à force de labeur et de privations) en faire le premier lieu de pêches aux " lamparos " de tout le littoral algérois.

------Hélas, pour cette pèche, son déclin s'amorça dès l'utilisation du chalut pélagique par les puissants chalutiers modernes, munis d'appareils performants de détection, permettant d'énormes prises de " poissons bleus " en plein jour. Il est certain que cette exploitation entraînera infailliblement dans un avenir prochain, l'arrêt du lamparo sur tout le pourtour de la Méditerranée.
-------Ce sera dommage à bien des égards. On ne verra plus, barrant l'horizon les nuits d'été, déployer le long du littoral algérois, briller les feux des lampes des lamparos qui formaient une dentelle d'étoiles féerique et visible depuis la côte ! On n'assistera plus au petit matin, dans les ports et sur les plages du rivage, au retour des bateaux semi pontés du type " pointu " napolitain, remplis à couler bas de sardines, dont les écailles d'un bleu vert émettaient des reflets argentés. On entendra plus, comme à Bou-Haroun et à Chiffalo, l'appel de la sirène appelant à l'ouvrage des centaines de femmes et de jeunes filles, chrétiennes ou musulmanes, pour vider et étêter ces poissons et participer au conditionnement de ce produit. On ne verra plus, comme à Courbet Marine, des centaines d'habitants, adultes ou enfants, des nombreux douars disséminés entre la plage et le village de Courbet à 4 km de là, accourir dans les chauds matins d'été pour s'employer dans les nombreux ateliers de salaisons construits à même la plage.

-------Oui, une importante main d'oeuvre était en effet nécessaire pour traiter dans les meilleurs délais sardines et anchois dès l'arrivée des lamparos.

-------Le mélange des odeurs de poisson frais et d'huile frite caractérisait l'approche de la coopérative sardinière de Bou-Haroun, dont le directeur réunissait tous les ans l'ensemble des membres du personnel avec leurs enfants. Il en était de même dans le village voisin de Chiffalo où toute la population ou presque était au service de l'usine de conditionnement des sardines, qui portait comme un drapeau en grosses lettres sur le toit, le nom de son créateur : PAPA FALCONE !

 

-------Une main d'oeuvre nombreuse et qualifiée traitait et conditionnait le poisson dès la mise à terre de la pêche journalière. Ce qui explique la dissémination de ces ateliers dans tous les ports et plages qui abritaient les lamparos.

-------Intéressés par l'offre d'un produit de première fraîcheur et de belle qualité, des industriels s'installeront sur toute la côte dans le souci de se rapprocher des points de débarquement des sardines, sardinelles et anchois ainsi que d'une main d'oeuvre familiarisée avec les activités maritimes. Sans pouvoir tous les citer, disons qu'ils furent nombreux à Ténès, Bou-Haroun, Castiglione, Chiffalo, Guyotville à l'Ouest d'Alger et à Hussein-Dey, Courbet-Marine et Dellys sur la côte Est.

-------Mais arrêtons nous un instant sur le centre de pêche au lamparo de la plage de Courbet Marine

-------Située à l'Est d'Alger, entre le village du Figuier et le Cap Djinet, cette plage fut pendant des décennies à la tête des ateliers de salaisons d'anchois du département par l'importance de sa production.

-------Lieu où des familles de pêcheurs originaires de la ville de Cétara dans le golfe de Naples, furent dès les premières années de la colonisation, les précurseurs de l'implantation des nombreux ateliers de salaisons, surtout de l'anchois, avant de se destiner au conditionnement de la sardine.

-------Venant par la mer depuis Alger au temps où le transport routier n'avait pas encore vu le jour, ils arrivaient pour la saison favorable de la pêche à l'anchois, de février à fin juin, qui était le mois où les " balancelles " venues de leur pays natal pouvaient à moindre risque " atterrirent " sur la plage très dangereuse, pour prendre livraison des barils d'anchois salés dont le nombre variait selon l'importance des pêches saisonnières.
-------C'était aussi le temps des premiers règlements et du partage des gains pour les équipages qui menaient une vie quasi monastique dans des baraquements de planches, et attendaient ce jour depuis des mois ... D'ailleurs dans ce milieu, la coutume disait : " à la Saint Pierre (le 29 juin) on compte les barils ".

-------Oui, métier de la sardine mais métier riche d'emplois fournis à de la main d'oeuvre qualifiée, tant maritime que terrestre. Des familles entières et des grandes, y consacrèrent leurs vies pour en assurer la réussite et cela se poursuit encore aujourd'hui de ce côté ci de la Méditerranée.

-------Même s'il est parfois dommage que l'avancé rapide du progrès vienne bousculer l'ordre établi par nos anciens au sein de cette corporation et sans être trop nostalgique du temps de " la lampe à huile ", on ne peut que le regretter.

-------Au cours de la présence française, l'évolution de la pêche artisanale en Algérie rejettera au fil du temps beaucoup de " petits métiers " aujourd'hui bien disparus.

-------Qui peut encore se souvenir du métier de la Senne ou Bouliche, si populaire sur les plages des " Sablettes " à Hussein-Dey ou de " la Consolation " à Bab-el-Oued. Du Tartanon, du Retz volant, du Bagdassou, du filet mugière, du Boguière et du Gangui, ancêtre du chalut encore en usage sur la côte varoise, des Thonnaires et des Bonitières, toutes sortes de filets flottants, maintenant rangés au fin fond de nos souvenirs. Parmi ces métiers, seul subsiste à ce jour le filet Trémail ou trois mailles dont nous ne parlerons pas et la pêche à la palangre dont nous dirons un mot.

-------La palangre est un cordage très long auquel on suspend perpendiculairement par intervalles réguliers de courtes lignes avec hameçons à leurs extrémités. Elle servira à la pêche pratiquée sur une barque motorisée nommée palangrier.

-------On désigne patron palangrier, le marin propriétaire de cette embarcation qui pratique le métier de la palangre et aussi la pose de nasses sur les fonds rocheux à la recherche de quelques problématiques langoustes.

-------Cette fonction était dans le passé, de très grande importance pour l'aide fournit par ces hommes au développement de la pêche au chalut. En effet, le patron d'un palangrier, de par la nature de son métier, connaissait la position des roches éparses sur le fond de la mer, pour y avoir souvent accroché ses lignes. Il connaissait les fonds disait-on "" les yeux fermés ". Ce savoir transmis au maître de pêche d'un chalutier, souvent un parent ou un ami, permettait à celui-ci d'établir avec sûreté un parcours de traîne sans danger pour son chalut.

-------Ce métier riche de sa production de beaux et gros pageots, dantis, cars, dorades, mérous, badèches, ombrines, rascasses, voir congres et missoles, fut importé sur le littoral algérois par les premiers pêcheurs venus de Sicile, comme à Castiglione, ou de Ischia et Gaèta à Alger. Cette pêche était aussi très développée sur la côte de la petite Kabylie où de Bougie à Djidjelli, les pêcheurs musulmans étaient les premiers à la pratiquer. Nous avons encore souvenir du retour de pêche dans ce dernier port, des palangriers locaux chargés à ras bord de gros mérous et de badèches dépassant couramment les 60 et 80 kgs.

-------Mais on ne peut clore un article sur les métiers de la pêche en Algérie sans évoquer la pêche au corail. Pratiquée bien avant la venue des français en 1830 et encore longtemps après, cette pêche fut exploitée majoritairement par des pêcheurs italiens.

-------Depuis bien des décennies ils venaient pêcher le corail à Tabarka, à la frontière tunisienne et aussi plus à l'Ouest sur la côte Bônoise, voir Collo et Djidjelli. Venus d'Italie en saison pour six mois de campagne, leur produit très prisé et recherché était exporté dans leur pays, à Venise, Gênes, Naples et aussi Livourne où la main d'oeuvre spécialisée était employée à sa transformation.

-------Après la conquête, ce travail s'intensifiera et en 1846 le port abri de La Calle en deviendra le centre. Dans une étude mémorable, Gérard Crespo raconte : " sur un gisement vierge découvert à Collo, 3500 kgs de coraux énormes furent pêchés en 15 jours par sept bateaux coralines, ce qui fit la fortune des équipages marins et patrons " (Gérard Crespo : les italiens en Algérie)

-------Pour conclure sur la pêche au corail, nous devons signaler que du fait de son exploitation intensive, le produit s'est rapidement raréfié. De plus, la découverte de nouveaux gisements en Sicile et en Corse, ralentira la migration des pêcheurs étrangers vers l'Algérie. Ajoutons l'usure du temps pour nos anciens, tout un ensemble précurseur de la fin de cette pêche. La reconversion de sa main d'oeuvre se tournera vers d'autres emplois maritimes, notamment les entreprises de scaphandriers et de travaux sous marins.

A Alger : les Scientifiques et la Pêche

-------Sous bien des aspects, l'administration fut dépassée en Algérie où elle sera beaucoup plus préoccupée de la colonisation agricole (et c'était normal au début) en délaissant totalement la colonisation maritime qui s'avérera par la suite très importante dans un pays bordé sur plus de 1 000 kms de côtes par la mer Méditerranée.

-------Il faudra attendre plusieurs décennies pour que des moyens soient mis à la disposition de nombreux scientifiques, enseignants, chercheurs, hydrographes, océanographes et autres, attachés au développement de la pêche maritime.

-------En ce qui concerne la station expérimentale d'aquiculture et de pêche de Castiglione (à 40 kms à. l'Ouest d'Alger), ce ne fut qu'après la grande guerre en 1921, qu'eut lieu son ouverture. Beaucoup de personnalités s'y illustrèrent, ne pouvant les citer tous, nous évoquerons tout de même les noms de certains de ces hommes.
-------Le premier directeur de la station fut le professeur J.P. Bounhiol de la faculté des sciences d'Alger, qui en conservera la direction jusqu'en 1926.

-------Son successeur sera le professeur Louis Boutan, dont un bateau de l'office des pêches portera le nom. Il concentrera entre ses mains, comme le faisait son prédécesseur, à la fois les études techniques et les recherches appliquées à la pêche, mais il disposera pour cela, outre son laboratoire de la faculté d'Alger, d'un laboratoire d'étude de biologie marine sur la jetée nord du port, où viendront travailler ses nombreux étudiants.

-------Par la suite, seront à la tête de la station : Mr André Curtes de 1932 à 1933, puis le Docteur R. Dieuzeide auteur de nombreuses études sur les fonds de pêches en Algérie qui font toujours autorité dans les milieux scientifiques en Méditerranée.

-------Nous n'oublierons pas le Professeur A. Gruvel du muséum d'histoires naturelles, qui publiera un livre sur le sujet en 1926 à Alger, ni tous ceux qui par leurs travaux ont permis de mieux connaître la biologie maritime de nos côtes, comme Messieurs Goeau-Brissonniaire, Georges Aimé, Muraour, Rose, Seurat, Gaston Betier, J. P. Goulet, Robert Laffite et Lucien Leclaire, M. Novella, auteur d'un dictionnaire des spécimens de la faune de tout le littoral algérien, sans oublier les travaux de Madame G. Hollande.

-------Notons aussi la publication par M. André Rosfelder en octobre 1954 des courbes hypsométriques et des rivages tracés d'après la carte 1/500 000° de l'Institut Géographique National. Cette carte provisoire fait apparaître de profondes vallées sous-marines que les maîtres de pêche désignaient sous les noms de " trous de fonds " ou de " fosses " qui prolongeaient le relief terrestre.
-------Ce document fut élaboré sous l'égide de plusieurs services : Ponts et Chaussées Hydraulique, Service de la carte géologique, CNRS, Service hydrographique avec l'appui du Président Gaston Betier, directeur des Mines et sous l'impulsion du Professeur Robert Laffite, sans oublier le service d'exploration sous marine et les plongeurs qui participèrent aux relevés en mer.

-------La situation géographique particulière de l'Algérie et sa position sur le littoral marin de l'Afrique du Nord, ne pouvait que contraindre les chercheurs et spécialistes des travaux maritimes à mettre en valeur ce précieux patrimoine.

-------Même, malgré des lacunes, la vocation maritime de ce pays ne pouvait échapper à ces hommes tournés vers la mer. Concernant la grande navigation, n'oublions surtout pas que dès le début du XXè siècle, une école préparatoire aux carrières de la marine marchande fut créée à Alger, suivie plus tard d'une école d'hydrographie. De cette école qui deviendra par la suite Ecole Nationale, sortiront les nombreux officiers et capitaines des armements de navigations maritimes, créés et en activité en Algérie jusqu'en 1962. Cela aussi il fallait le dire.

L'esprit religieux chez nos pêcheurs

-------Pour parfaire le portrait des marins pêcheurs que nous évoquons dans cet article, il faut nous attarder un instant sur l'aspect religieux de ces hommes. Par nos souvenirs familiaux, pour les avoir connus et côtoyés sur le port ou dans leurs quartiers d'habitations, et aussi pour avoir bien souvent assister aux cérémonies religieuses propres à leur métier, nous conserverons toujours le souvenir de l'expression bien particulière de la foi profonde manifestée par ces hommes.

-------Certes, dans l'ensemble, l'homme de mer est croyant, à fortiori quand celui-ci est latin et plus encore napolitain. Certains diront que la croyance de ces hommes était sans conteste teintée de naïveté et de superstition, avec toutefois des circonstances atténuantes pour eux, dont les pères dormaient au pied du Vésuve et dont les ancêtres dansaient à Pompèi.

-------Les pêcheurs à Alger, avaient une façon particulière d'être chrétien. Plus souvent voués à la Vierge Marie qu'à son fils Jésus, ils adoraient les Saints qui faisaient partie de leur vie quotidienne. Mais en bon napolitain, quand ils apprenaient que le sang de San Gennaro (Saint Janvier) patron de la ville de Naples, ne se liquéfiait pas le jour de son anniversaire comme de coutume ... il n' était pas sourd le pauvre !

-------Pêcheurs, ils remerciaient Saint Pierre quand la pêche était fructueuse : " Gracé a Santo Pietro " mais n'hésitaient pas à l'insulter si elle était mauvaise : " Stou cournoute a San Pietro " (ce connard de Saint Pierre) !

-------Dans les familles (bien nombreuses) tous les enfants devaient garder autour du cou une médaille religieuse, avec aussi sur la même chaîne, une petite corne, genre poivron en corail rouge pour éloigner de soi le " mal occhio ", le mauvais oeil. Remarquez que ce petit fétiche n'était pas incongru en Algérie car les petits musulmans et les petits juifs portaient dans le même but, pendue au cou, la breloque " cinq dans tes yeux " de la main de Fatma.

-------Le pain prenait une grande part dans ces croyances. Dur à gagner, il était sacré. On ne coupait jamais un pain sans y avoir au préalable tracé une croix avec la pointe du couteau. Sur la table, il ne devait jamais être posé à l'envers. Lorsque l'on devait jeter un morceau trop dur ou pour d'autres raisons, il fallait l'embrasser auparavant. A la fin de chaque repas le père disait toujours : " Grazie a Dio, a me fatte naltra mangeate " (grâce à Dieu, nous avons fait un autre repas). Dans son travail, toujours le maître de pêche d'un chalutier faisait précéder l'ordre de mettre le filet à l'eau par le traditionnel : " Mole a mare, el nommé de Dio " (au nom de Dieu, jetez le filet à la mer). En référence au récit de l'Evangile et aux paroles de Saint Pierre : " Seigneur, nous n'avons rien pris toute la nuit mais sur ta parole nous jetterons le filet ".

-------Dans un autre domaine, non dépourvu d'humour, les plus vieux sous des dehors respectueux, se moquaient souvent de leur curé. Pour preuve, l'histoire du batelier de l'lle de Procida chargé d'aller quérir l'Evêque de Naples un jour de fête et ne l'ayant pas trouvé sur le quai, avait ramené dans sa barque un paysan et son âne. De loin, les habitants de l'Ile, massés sur les remparts, confondirent les oreilles de la bête avec la mitre du prélat et déclenchèrent cloches, fanfares et feux d'artifice, alors que le batelier s'étranglait à crier : " ne tirez pas, c'est un tchoutche (âne en patois napolitain) et non l'Evêque " !

-------Et l'aventure de ce paysan de Torré del Gréco, à qui Monsieur le Curé avait demandé un tronc d'arbre pour en faire une statue du Saint Patron de la ville, avait offert un arbre stérile qu'il venait d'abattre. Quelques temps après, le jour de la fête votive, cette statue richement parée était portée en procession dans les rues de la ville où la population agenouillée l'implorait pieusement au passage. Alors, le vieux paysan qui assistait à la fête s'adressa d'une voix forte à la statue, lui disant : " comment, toi qui était poirier et n'a jamais produit un fruit tout au long de ta vie, peux-tu faire des miracles aujourd'hui " ? La tête du curé ...

-------On peut sourire de ces petits travers, sans toutefois mettre en doute la foi profonde de ces marins, même si parfois elle semble un peu naïve. Les rares instants où ils n'étaient pas en mer, leur seule sortie était l'église et l'assistance de la messe. Certains ne connurent jamais un spectacle ou un cinéma. Beaucoup n'eurent pour seule vacances que le pèlerinage diocésain annuel qui d'Alger, se rendait à Lourdes.

-------A ce sujet, nous devons préciser que beaucoup de pêcheurs eurent l'occasion d'accomplir ce pèlerinage au sein de la confrérie des " fratielli " à laquelle ils appartenaient.

-------Quid des " fratielli " ?

-------Nous ne pouvons passer sous silence ces confréries au nombre de trois, attachées à la paroisse de la cathédrale Saint Philippe d'Alger, dont dépendait le quartier de la marine et ses alentours.

-------A cette époque, ces confréries très folkloriques, héritage de coutumes napolitaines, étaient constituées chacune d'une trentaine de marins pêcheurs et de sympathisants représentant un métier, un quartier ou une région. Elles avaient leur siège à même l'église et se distinguaient l'une de l'autre par la statue et les bannières différentes selon le Saint vénéré.

-------Elles prenaient part aux fêtes votives et aux processions religieuses célébrées dans la Cathédrale ou à Notre Dame d'Afrique et participaient souvent au pèlerinage annuel qui se rendait à Lourdes.

-------Lors des cérémonies, ces hommes portaient une longue soutane, de couleur différente selon la confrérie (blanche, violette ou rouge) recouverte d'un surplis immaculé et soutenu par un cordon passé autour du cou, un important médaillon de cuivre à l'effigie du Saint honoré. Ils étaient appelés " coumpar" compère ou " fratielli " frère en napolitain.

-------A ce propos, on raconte qu'un jour au cours d'un pèlerinage à Lourdes d'une de ces confréries, certains " fratielli " revêtus de l'habit de cérémonie, se dirigeant vers l'esplanade de la grotte, furent pris par des pélerins pour d'éminents cardinaux et durent, tout étonnés, se laisser baiser la main. La tête de ces vieux pêcheurs ...

-------Si comme nous le disions, la piété de ces hommes de mer paraissait bien naïve, il n'en reste pas moins qu'elle était sincère et profonde.

-------Sans être comparable aux " Pardons " des pêcheurs bretons, les belles manifestations religieuses des pêcheurs d'Algérie, que ce soit à Alger, Oran, Mers-el-Kébir, Bou-Haroun, Chiffalo, Stora, Philippeville, Bône ou La Calle, se déroulaient toujours avec recueillements et solennités.
A Alger en la Cathédrale ou à Notre Dame d'Afrique, à Oran sur la colline de Santa-Cruz, à Mers-el-Kébir pour la fête de Saint Michel, à Bou-Haroun pour celle de Saint Pierre, à Chiffalo seul village de toute la côte algérienne où les pêcheurs déposèrent sur un autel à 10 mètres de fond, une statue de la Vierge Marie, à Stora où jamais les pêcheurs oublièrent le 8 septembre d'honorer leur sainte patronne la Vierge de Stora, comme le firent ceux de Philippeville voués à Notre Dame du Mont Carmel, et ce sont encore les pêcheurs d'origine italienne de Bône qui allèrent à Pavie quérir la relique du cubitus de Saint Augustin, toujours présent dans la Basilique d'Hyponne en Algérie, sans oublier la grande fête du 15 août de Notre Dame du Carmel à La Calle, qui était aussi la grande fête de tous les chalutiers.

-------Même après des années d'exode, ces fêtes et ces Saints restent encore honorés de ce côté ci de la Méditerranée. Comme le prouvent les grands rassemblements annuels de Santa-Cruz à Nîmes et de Notre Dame d'Afrique à Carnoux ou à Théoule et d'autres Saints ou Vierges fêtés au sein de nombreuses amicales de " rapatriés " dans toute la France.

-------Avant de clore cet article, il nous faut revenir sur l'esprit religieux des confréries créées par nos pêcheurs à Alger qui avaient chacune un Saint de prédilection.

-------Les " Cétarèses " descendants de la petite ville de Cétara, la ville aux citrons dans le golfe de Naples, étaient voués à Saint Pierre. Celui-ci était représenté dans la cathédrale d'Alger par une belle statue où assis sur un trône, il offrait à la foule son pied droit déchaussé, en métal doré à l'or fin, que l'on baisait dévotement. Cette belle confrérie était surtout représentée par les pêcheurs au lamparo de tout le département. Signalons pour mémoire qu'une statue identique se trouve dans la crypte entre les deux niveaux de la Basilique à Lourdes.

-------Les héritiers des îles de Ischia et de Procida et de la ville de Gaëta, toujours dans le golfe de Naples, avaient eux pour Saint Patron l'archange Saint Michel. Lui aussi avait une belle statue en pied et toute dorée, le bras droit dressé tenant un sabre étincelant, avec lequel il menaçait un serpent écrasé sous son pied, tandis que de la main gauche il tenait une petite balance à fléau dont la signification n'est pas très bien définie. Cette confrérie regroupait tous les pêcheurs du port exploitant la pêche " aux petits métiers ".

-------Mais la plus belle, la plus lourde aussi, était sans conteste la statue de la Vierge Marie. Toute auréolée, assise sur le trône, elle tenait sur ses genoux un enfant Jésus tout joufflu. A ses pieds, une multitude d'angelots d'une beauté radieuse, levaient les yeux souriant vers le ciel. Il fallait bien une douzaine de solides gaillards pour porter cette statue les jours de procession. Elle était la propriété de la confrérie des " Touraises "., c'est-à-dire ceux dont les aïeux avaient fondé la ville de Torré del Gréco, au pied du Vésuve. Ville célèbre pour ses pêcheurs et ses corailleurs qui avait fourni la plus grande part des émigrés du port d'Alger, exploitant la pêche aux chalutiers.

-------Voici ce que nous avions à dire brièvement sur la pêche et les pêcheurs en Algérie. Nous reviendrons sur le sujet avant la fin de cet ouvrage. Ne serais-ce que pour évoquer leur exode de 1962 et la perte d'un pays, qu'après leurs pères, ils contribuèrent largement à mettre en valeur par leur travail assidu.


Le 9 juillet, Monseigneur alité ne pouvait, comme chaque année, saluer le départ des pélerins de Lourdes, de ce geste qui nous parait aujourd'hui si émouvant.

EN CONCLUSION

-------En I830 après l'arrivée des Français, l'Algérie n'a pas de marins, les matelots des capitan-raïs, émirs de la mer , princes de la piraterie sont partis dans leurs douars.
-------Exception faite de la rade de Mers-el-Kebir, de la vieille darse turque d'Alger et de quelques anses abritées des vents dominants, il n'y a aucun port tout au long des mille kilomètres de c8tes escarpées du littoral algérien.
-------Des marins, principalement des marins-pêcheurs, originaires de Valence ou de Majorque venus à Beni-Saf, Arzeuw et Oran; de Naples, Ischia.s, Procida, Cetara, Torre-del-Greco, Amalfi, à l'ouest et à l'est d'Alger; Maltais à Philippeville et à BBne, sans oublier plusïeurs Languedociens, Corses et Catalans, avaient un monopole de fait, acquis pour certains avant I830.
-------A la fin du XIXè siècle, beaucoup de ces pêcheurs étrangers devenus citoyens Français par application des lois de 1886-1888, s'étaient fixés dans des petites villes et des hameaux maritimes, comme Ténés, Cherchell, Bou Haroun, Chïffalo, Courbet-Marine (devenu, la "Calanove") ainsi que dans les populeux quartiers de la Marine à Oran et Alger.
Ils pratiquaient le chalutage sur des balancelles à voiles latines,auxquel--les se substituèrent plus tard des chalutiers à vapeur. C'était le temps de la " pèche aux boeufs" parce qu'ils tiraient deux par deux un filet qu'ils remontaient alternativement. Un peu avant 1930, l'utilisation de panneaux immergés assurant l'ouverture du filet permettait à chaque navire de pêcher individuellement, doublant en fait le nombre des chalutiers en action.La flotte algéroise passait ainsi de 10 à 20 bateaux auxquels il convient d'en ajouter 4 à Ténès, autant à Cherchell et une dizaine de plus petits tirés chaque soir sur la grève à Bou-Haroun. Le doublement du potentiel de pêche réduisant la ressource halieutique de l'étroit plateau continental et afin de protéger les frayères situées à l'ouest d'Alger et à l'est de BBne, l'inspection des pêches interdira l'usage des filets chaluts durant six mois. Cette interdiction fut heureusement ramenée à trois mois du Ier juillet au 30 septembre, et depuis le 1er octobre deviendra pour tout le littoral algérien, le jour de l'ouverture de la pêche au chalut.
Cette mesure, imposait à des pêcheurs ne disposant comme aides à la navigation que d'un compas et d'une sonde à main composée d'un cordage lesté d'une boule de plomb, de mouiller leurs filets dans des profondeurs de 150 à 400 mètres aul-delà de la limite des trois milles marins, dans les eaux internationales.
-------Ce fut là, pour ces pêcheurs chargés de famille un lourd handicap, car trois mois sans salaire serait pour eux trop préjudiciable. Aussi beaucoup, avec courage obstination et connaissance du fond marin, réussirent à trouver des parcours de traîne au-delà des zones interdites, qu'ils exploiteront à l'ouest d'Alger du large de Guyotviile à Castiglione jusqu'au Chenoua et retour.
-------Ce nouveau plateau de pêche leur permettra de réaliser de bonnes prises qui s'avérèrent riches de gros merlans, grondins, rascasses, baudroies, limandes, mais surtout de grosses crevettes rouges si appréciées des algérois.
-------Nous devons signaler que le savoir des maîtres de pêche de chalutier qui entreprirent l'esploitation de ces grands fonds renommés dangereux, sera facilitée par les travaux des scientifiques de la Station de Castiglione ouverte en 1922, où un grand nombre de chercheurs (cités en début de texte) s'appliquèrent aux recherches géologiques de la nature de ces grands fonds, à. sa cartographie ainsi qu'à la biologie marine, tout labeur qui aidera grandement le développement de la pêche au chalut sur nos côtes.
-------11 est évident que cette émulation sera bénéfique à la génération des jeunes maîtres de pêches assurant la relève des "anciens" et qui seront plus à même de se servir d'une carte marine et profiteront surtout des nouveaux bateaux construits en Algérie agrès la seconde guerre mondiale.
-------Bateaux d'un type nouveau, modernes,munis d'un puissant moteur diesel, des derniers perfectionnements technologiques en matière de sondeur-enregistreurs- détecteur de poissons, traceur de route, rader, radio, et v.h.t.; ensemble qui changera, l'aspect traditionnel dus chalutier algérois avec ses deux mats qui lui-méme modifié par leur suppression et leur remplacement par un portique arrière. Il est loin le temps du compas et de la boule de plomb !
-------Signalons aussi que c'est parmi ces hommes dont les aïeux étaient pêcheurs d'éponges et de corail, que se recrutèrent bien des scaphandriers collaborateurs actifs des ingénieurs qui dotèrent l'Algérie des ports modernes adaptés aux besoins de la marine marchande contemporaine. Ports qui jalonnent eneore aujourd'hui le littoral de la côte algérienne de Nemours à la Calle.
-------Tous ces navires venus du pourtour méditerranéen en Algérie dés I830 ne doivent pas sombrer dans l'oubli. Leur savoir faire s été simplement transmis comme un précieux héritage à ceux qui aujourd'hui, dans ce pays perdurent dans le métier de marin-pécheur, qui fut celui de nos pères !

Les auteurs.