Durant une réunion d'anciens élèves
du Lycée de Ben-Aknoun , je fus témoin d'une conversation
entre internes des années cinquante qui évoquaient leurs
conditions de vie dans ce bahut.
Soudain me revinrent en mémoire les débuts de ma vie
de potache
En juin 1938, j'avais été reçu à l'examen
d'entrée en sixième, passé à l'école
des filles de la rue Lazerges , prés du glacier Grosoli bien
connu des Algérois . Mes parents qui étaient sur le point
de quitter Bab-El-Oued où j'avais effectué mes études
primaires à l'école de la place Lelièvre, décidèrent
de m'inscrire comme interne à Ben-Aknoun .Je revois encore ma
mère, dans le mois précédent la rentrée
préparant le trousseau que tout pensionnaire devait avoir et
cousant mes initiales et le numéro qui m'avait été
attribué. Pour moi, le plus important fut l'achat de l'uniforme
obligatoire pour les sorties.
Pour une fois j'avais droit au pantalon long et à la casquette.
Cet achat eu lieu rue de Baba zoun, chez un marchand spécialisé
dans les uniformes : la maison Lalande je crois !
Le jour de la rentrée, je me présentai avec mes parents
au Lycée. Il m'apparut comme un ensemble de bâtiments dans
un grand parc.Une grande allée menait à l'entrée
principale ou un concierge accueillait les nouveaux internes et leurs
parents. La première chose fut l'enregistrement du trousseau
à la lingerie située au deuxième étage d'un
bâtiment .De là je pus apercevoir l'ensemble des constructions
et les cours intérieures. Rien de comparable à l'environnement
de ma vie antérieure !
Tout semblait méthodiquement organisé et notre étape
suivante fut ma présentation au surveillant Général.
(Je ne me souviens plus de son nom car pour nous c'était le Bouc
sobriquet que nous lui avions donné). Son bureau se trouvait
au centre des bâtiments juste à coté d'un autre
bureau où plusieurs surveillants étaient penchés
sur des dossiers,. Les formalités d'admission furent vite remplies,
la séparation de mes parents fut un peu plus longue et j'eus
un pincement au cur quand un surveillant me conduisit rejoindre
mes nouveaux condisciples dans une salle qui allait être le lieu
de nos études. Dans la même journée, nos conditions
de vie nous furent transmises ainsi que notre emploi du temps. Tout
était parfaitement réglé et je ne peux m'empêcher
d'une comparaison avec les rentrées d'aujourd'hui !!Est-ce l'évolution
des mentalités de la Société ou le manque de conscience
professionnelle des enseignants ? Les rentrées scolaires d'antan
se faisaient dans un climat serein et les polémiques vite apaisées.
Le plus dur fut pour moi ma première nuit dans un dortoir immense
avec une trentaine de lits disposés de chaque coté d'une
allée principale. Evidemment tous nos déplacements se
faisaient en rang sous la houlette de notre surveillant principal. Ce
dernier partageait notre vie et possédait sa chambre dans notre
dortoir. C'est lui qui était chargé d'appliquer et de
faire respecter le règlement. Même au dortoir, tout était
ordonné.
Nous ne possédions individuellement que la moitié d'une
petite armoire métallique où le pyjama, les objets de
toilette et le nécessaire à chaussures étaient
seuls tolérés. Les lavabos collectifs et les toilettes
se trouvaient au fond du dortoir dans une salle commune où après
avoir revêtu notre pyjama,nous devions nous rendre en rang sous
la conduite du surveillant
Tous nos mouvements étaient réglés par des sonneries
et le claquement de mains de nos surveillants Le rituel du dortoir était
le même au matin :lever et présentation au pied du lit
avant de rejoindre la salle commune aux ablutions et où l'eau
chaude n'était en service que les jours de grand froid. Auparavant
nous devions découvrir nos lits et au retour des toilettes les
faire au carré : ce qui m'a servi durant mon service militaire
!!
Le petit déjeuner était pris au réfectoire après
une demi-heure d'étude matinale. Comme le dortoir, le réfectoire
était une grande salle avec une allée centrale où
de chaque coté, étaient des tables fixées au sol
avec un tablier de marbre pour huit convives .Des bancs fixes nous servaient
de chaises. Des serveurs nous apportaient notre nourriture sur de grands
chariots. Les premières années nous fumes bien nourris
mais avec l'arrivée du rationnement après 1940, tout changea
.Fenouils et céleris furent notre quotidien et je me souviens
que nous allâmes en monôme dans les rues d'Alger pour protester
contre l'économat du lycée responsable à nos yeux
de cette disette .C'est à cette époque qu'apparurent les
caisses à provision avec cadenas où chaque interne renfermait
les colis de nourritures envoyés par les parents. Pour moi je
n'eu pas à souffrir de cette période car j'avais la possibilité
d'aller chez moi tous les week-ends et de sortir à Alger tous
les jeudis après-midi.Le régime des sorties était
très sévère. Chaque interne devait avoir un correspondant
en ville pour être autorise à se rendre à Alger
le jeudi après-midi, les autres restaient au bahut où
un film était projeté .Les sortants se précipitaient
dès la sortie du réfectoire vers les autobus qui assuraient
le transport vers Chateauneuf
où un tram (remplacé dans mes derniéres années
de potache par un trolley) nous emmenait vers la Place du gouvernement.
Pour être plus rapide lorsque je devais me rendre à Bab-El-Oued
je descendais après la
caserne d'Orléans, prenais la route qui longeait Barberousse,
descendais une petite colline et me retrouvais rue Mizon. Parfois lorsque
nous étions en groupe, nous traversions directement la Casbah
pour tomber vers N.D des Victoires, prés du Lycée
Bugeaud. Que de rigolades en passant dans ce quartier, les
Anciens me comprendront !!! Nous étions jeunes et insouciants,
ne pouvant imaginer alors le drame qui allait secouer notre pays, d'autant
plus que les Musulmans étaient nombreux parmi nous et profitaient
des mêmes avantages. Les sorties du week-end étaient pour
moi, les plus importantes car elles me permettaient de rejoindre le
cocon familial. Le samedi dès 13 heures, nous étions prêts
à nous élancer vers la sortie. En passant devant la conciergerie,
nous accélérions le pas car dehors c'était la Liberté
!!
Durant les deux premières années, je me précipitais,
rue de
la Liberté à Alger d'où partaient les
cars de Koléa qui desservaient Douaouda,
résidence de mes parents .J'étais heureux lorsque je pouvais
prendre le premier car en partance, mais bien souvent l'affluence de
voyageurs le samedi m'obligeait à attendre le suivant. Ce n'était
pas une grosse contrariété car les cinémas
étaient nombreux dans les alentours. J'en citerai quelques uns
: le Splendid, l'Alletti, l'Alhambra , le Midi Minuit, le Lux,le Paris
Et un peu plus loin, rue Charras le Vox.
Le temps d'attente passait vite et j'étais heureux de m'installer
dans l'autocar qui empruntait le boulevard
Carnot, passait devant le
square Briand, l'ancienne Mairie d'Alger,
la place du gouvernement, la Chambre de commerce et qui par
la rue Borély la Sapie, les boulevards Malakoff et Pitolet arrivait
à l'arrière du stade de
Saint-Eugène.Je ne peux résister au besoin
de détailler ce parcours car j'espère ainsi que ces noms
rappelleront aux anciens des souvenirs. A partir du Stade, le boulevard
passait au dessus de petites criques ou beaucoup d'algérois possédaient
des cabanons : le petit bassin, les deux chameaux, le TPLG, la Poudrière,
des noms évocateurs !!.On arrivait aux Deux
Moulins,et en suivant toujours cette route côtière
on passait la Corniche , les Bains Franco , la Pointe
Pescade, Bainem et sa foret,le Cap
Caxine et Guyotville.
A partir de cette localité, la route nationale laissait le bord
de mer et filait vers Staouéli, la Bridja, Zéraldda. Huit
kilomètres plus loin, après le pont sur le Mazafran, cette
route se scindait.Un embranchement partait vers Douaouda-Ville, l'autre
vers Douaouda-Marine, Fouka-Marine,
Castiglione et vers Cherchel.
Arrivé chez moi, dés le lendemain j'enfourchais mon vélo
et disparaissais de la maison, mes parents me le reprochant toujours.
A cette époque j'étais un fan du vélo et lorsque
le rationnement de l'essence arriva, nous formâmes un groupe d'internes
empruntant le même parcours pour aller, les samedis et retour
le lundi matin, en vélo chez nous. Partant de Ben-Aknoun nous
passions par Dély-Brahim,
Chéragas et on rejoignait la nationale à la
Bridja
Ce parcours était relativement facile sauf les deux obstacles
que constituaient les montées de Chéragas et de Douaouda
.Bien souvent nous attendions le passage d'un camion pour nous y accrocher
et vaincre ces difficultés sans effort. Tout se passait dans
la bonne humeur et je me demande maintenant avec le recul comment nous
n'ayons pas eu d'accidents : il est vrai que les camions marchaient
au gazogène et dépassaient rarement les trente kilomètres-
heure lorsqu'ils étaient chargés.
Emporté par mes souvenirs je m'aperçois que je me suis
laissé entraîner loin de la vie quotidienne du Lycée.
Les cours, dès huit heures avaient lieu en général
dans notre salle d'étude et les différents professeurs
se succédaient toutes les heures jusqu'à 16 heures avec
une interruption de midi à 14 heures Nous changions de classe
uniquement pour les cours de langues ; ceux de Physique Chimie avaient
lieu dans un laboratoire. A l'avènement de l'Etat français,
les cours n'eurent lieu que le matin, l'après-midi étant
réservé aux exercices de plein air.Une autre conséquence
fut la cérémonie du lever des couleurs le matin .Tous
les élèves devaient y participer formant un carré
autour d'un mat planté au milieu de l'esplanade devant l'entrée
principale. Ces après-midi consacrés aux sports se passaient
dans le Parc du lycée .Je me souviens d'avoir découvert
avec trois copains l'ouverture d'un souterrain prés du bâtiment
des cuisines. Poussés par la soif de l'aventure, nous gardâmes
pour nous cette découverte et le jeudi suivant, nous décidâmes
d'y consacrer notre après-midi libre. Munis de lampes électriques,
nous descendîmes dans un étroit boyau parcouru par un mince
filet d'eau dans le fond et après une marche tête baissée
d'un quart d'heure environ, nous eûmes la surprise de déboucher
hors des enceintes du Parc sur le bas coté de la route reliant
Ben-Aknoun à Dély-Brahim. Notre découverte ne fut
pas ébruitée et j'ignore ce qu'est devenu ce souterrain
mais il constituait un excellent moyen d'éviter tout poste de
garde
Peu de souvenirs du corps professoral à l'exception d'un prof
d'allemand qui me consigna pour une leçon non apprise sur les
déclinaisons .Il avait sans doute trouver le bon moyen d'enseigner
car après quatre années d'études de la langue de
Goethe je me souviens seulement des déclinaisons et des premières
strophes d'un poème de Heine que je dus apprendre en supplément
de punition. Les autres ont disparu de ma mémoire. Non pas tous,
car je me souviens d'un nommé Alain prof de français,
auteur de nouvelles. Son cours était intéressant, mais
malheureusement très chahuté ; de Mr Joxe professeur éphémère
d'Histoire car je crois qu'il rejoignit le gouvernement provisoire de
la France à Alger et qu'il fit une carrière politique.
Pour d'autres raisons, je ne peux oublier Mr Costa (parent éloigné
de mon père, les Corses sont tous cousins !) Ce dernier eut la
charge de surveiller ma scolarité à Ben-Aknoun et de signaler
à mes parents toute incartade .Je ne pense pas lui avoir procuré
beaucoup de soucis et il m'invita une fois seulement chez lui dans sa
belle villa du balcon de Saint-Raphaël. Il avait l'allure d'un
homme d'affaires plutôt que celle d'un professeur .Il venait souvent
au lycée en vélo et portait des pantalons golfs ces jours
-là qui contrastaient avec les tenues des autres professeurs
Parmi les surveillants, nous avions nos bêtes noires, un nommé
Borel et un musulman surnommé fromage rouge car il portait une
chéchia de cette couleur .Lorsqu'ils étaient de service
tout le monde se tenait tranquille. Par contre notre surveillant principal
était un brave homme surnommé la mouche et ses relations
avec les élèves étaient bonnes
Une discipline sévère ne faisait pas notre malheur. Nos
espaces de récréation étaient bruyants et joyeux
.Les gros ballons étaient interdits mais tous les jeux avec pelote
de tennis autorisés. Les matches de foot interclasses se pratiquaient
sur une surface délimitée par nos blouses grises ou noires
jetées à terre avec un public de supporters. Peu de bagarres,
ce n'était pas encore à la mode !! Les rivalités
existaient pourtant surtout entre les partisans des équipes oranaises
et algéroises de foot !! Les rencontres G S A-A S M O ou CDJ-RUA
déchaînaient les passions parmi nous. Le Lycée avait
des équipes " cadets " dans presque toutes les disciplines
sportives qui participaient aux championnats scolaires de l'Algérie.
(O Je faisais partie de l'équipe de foot, si chère à
Mr Troussier le prof principal de Gym, car elle collectionnait les succès
Leader du Championnat, nous venions de remporter la Coupe un jeudi au
stade Municipal d'Alger devant le Collège de N.D. d'Afrique notre
éternel rival A cette occasion tous les internes avaient eu le
droit de sortir pour assister au match. Coiffés d'un canotier
à la mode, ils avaient créée une animation inhabituelle
rue Michelet et rue d'Isly les deux grandes rues de la Capitale .L'administration,
elle-même nous accordait certains privilèges, en particulier
de suivre les entraînements de nos équipes civiles l'après-midi
à la place du plein air obligatoire.
Aujourd'hui, je me rappelle de cette période insouciante où
les adultes nous laissaient assumer notre destin et je suis triste de
voir combien nous étions différents de l'image actuelle
de la Jeunesse. Chaque réunion de l'Amicale des Anciens de Ben-Aknoun
me laisse songeur car je me retrouve seul de ma génération.
Que sont devenus mes anciens condisciples ?? Pas tous disparus !!Ou
que vous soyez, en France ou en Algérie, si vous lisez ces lignes,
faites moi signe car je ne veux pas que mon témoignage soit le
seul a évoqué des temps heureux de l'Algérie française.
POLI Eugène
1898 Chemin des Près
13630 Eyragues
poli.eugene@wanadoo.fr
(pout le téléphone , contacter le site)