Le développement
et les constructions de la ville d'Alger jusqu'en 1960
(première partie)
par Georges Mercier
Cent trente ans de présence française
en Algérie ont profondément marqué le pays, ainsi,
la petite cité pirate berbéro-ottomane moyenâgeuse
devait sortir de ses enceintes dès 1830 sous l'impulsion des Français.
Elle devait s'étendre vers l'est et les hauteurs de la baie, vaste
amphithéâtre ouvert au levant et à la mer. Le Second
empire allait être l'âge d'or de sa métamorphose en
osmose avec l'ère moderne et industrielle européenne.
La République ensuite continuera de bâtir, poussée
par une démographie sans cesse croissante, nécessitant de
réaliser tout ce qu'une ville jeune et moderne du xxe siècle
devait comporter.
Alger, jouissant d'un doux climat, devint une ville belle et gaie, active,
dotée de tous les bienfaits des nouvelles énergies et technologies.
Après avoir été au côté de la métropole
dans tous les conflits d'Europe et d'Outre-mer, elle fut la " capitale
de la France libre " lors de la Seconde Guerre mondiale. Puis oubliée,
meurtrie, humiliée par la lâcheté et la folie des
hommes, elle devait être abandonnée " clés en
mains " en 1962 pour un autre destin. Toutefois son domaine bâti
et son port resteront les témoignages de l'oeuvre française.
De " El Djezaïr
à Alger la Blanche "
"...Si Alger nous était conté...
", Solin le grammairien latin et géographe du Hie siècle
raconte que Hercule, célèbre héros de la mythologie
grecque qui recherchait " les pommes des Hespérides
" (îles imaginaires) longeait la baie avec ses vingt compagnons.
Or ces derniers, las de ces recherches sans fin, trouvant le site accueillant
décidèrent d'y rester pour y fonder une cité, laissant
Hercule poursuivre ses voyages.
Ne pouvant s'accorder sur le nom à donner à la cité,
ils l'appelèrent Eikusi signifiant " vingt " en grec,
que les Romains latinisèrent ensuite en Ikosium, nom de la colonie
que Vespasien fonda (Pline)...
Selon d'autres sources, Icosium vient du mot phénicien Icos signifiant
dans les vieilles langues aryennes " enceinte sur une hauteur ".
Plus tard, le professeur Cantineau, spécialiste de langues anciennes
examina quelques pièces de monnaies antiques découvertes
fin XIXe siècle lors de travaux dans le vieux quartier de "
La
Marine " d'Alger et sur lesquelles il découvrit
des caractères puniques signifiant Icosim, c'est-à-dire
" l'île aux mouettes ". Ce qui peut faire rêver
à une cité vieille de 3 000 ans.
P (ublio) SITTIO. M. (ARCI). F (ILIO). QVIR (INA)PLOCAMIAN (o) ORDO ICOSITANOR
(um) M. (ARCUS SITTIVS, P (UBLII) F (ILIUS) QVIR (INA) CAECILIANVS PRO
FILIO PIENTISSIMO H (0N0RE) R (ECEPTO) I (MPENSAM) R (EMISIT)
A Publius Sittius Plocamanius, fils de Marcus de la tribu Quirinale Conseil
Municipal d'Icosium.Marcus Sittius Ccilianos, fils de Publius de
la tribu Quirina,au nom de son fils très cher,ayant reçu
l'honneur, a assumé la dépense "
D'autre part on découvrit dans les fondations d'un vieil immeuble
une inscription romaine sur un dé de piedestal (0,65 x 0,32) portant
le nom Icositanus signifiant habitant de Icosium. Cette pierre a été
encastrée sur un pilier des arcades de la rue Bab-Azoun à
l'angle de la rue du Caftan à Alger (1Une
inscription épigraphique romaine mentionnant le nom d'Icositanus
fut découverte en 1844 dans les ruines d'une maison de la Casbah.
Lire aussi dans l'algérianiste: n° 51, 93, 94 et 102.).
La destruction de Carthage par les Romains ayant entraîné
le partage de l'Empire carthaginois entre Rome et les rois de Numidie
et de Mauritanie, Rome aurait bien entendu latinisé le nom de la
cité. La " pax romana " avait alors assuré la
prospérité d'Icosium comme le démontre la découverte
de l'épigraphe précitée.
La cité était dotée de magistrats et de fonctionnaires.
Elle s'est aussi trouvée animée par le clergé donatiste
( Les " donatistes " étaient
des chrétiens (fidèles à l'évêque Donat
fondateur de cette croyance du Re siècle) qui se prétendaient
seuls héritiers des apôtres. Au y' siècle, saint Augustin
devait lutter contre cette " hérésie ". L'algérianiste
n° 82 sur les évêques d'Algérie de Jean Gueydon.)
dont l'évêque Larentius en 419 et l'évêque Victor
en 484 que les Vandales persécutèrent. Le chroniqueur arabe
du ixe siècle El-Bekri relève dans la cité les substrats
d'une église et d'un théâtre romain. La cité
romaine devait être anéantie par les invasions vandales et
byzantines. Elle tomba alors dans l'oubli du ve siècle au xe siècle,
ne devenant qu'un lieu de rencontres pour les tribus de l'intérieur
du pays, les navigateurs et les marchands venant d'Hippone et de Carthage.
C'est alors que s'y installèrent dès le ixe siècle
de l'hégire (xe siècle de l'ère chrétienne)
les Berbères de la tribu des Beni Mezr'anna dont le chef Bologguin
donna à la cité le nom d'" El-Djezaïr Beni Mezr'anna
" " les îles des enfants de Mezr'anna " en raison
des îlots qui protégeaient la baie en formant d'après
ElBekri " un très bon mouillage ".
La cité devait se construire à l'intérieur de remparts
bâtis à l'aide des matériaux de ruines romaines provenant
de la ville de Tamenfus située à l'est. Travaux qui furent
achevés par Keir-ed-Din vers 1590.
Du xe siècle au xvle siècle El-Djezaïr, cité
berbère, changera bien souvent de maître et de fortune selon
la " course " qui s'y pratiquait depuis le mie siècle.
Fernand Braudel (3 F. Braudel est l'auteur
de La Méditerranée et le monde méditerranéen
à l'époque de Philippe II, A. Colin, Paris. L'algérianiste
n° 39 de J. de la Hogue sur les captifs de la régence d'Alger,
et n° 58 et 59 - articles de Gaston Palisser.) écrit
que " la piraterie en Méditerranée est aussi vieille
que l'histoire. Elle est chez Boccace, elle sera chez Cervantès,
mais elle était déjà chez Homère ". Vers
la fin du xve siècle la chute de Grenade (1492) provoqua l'exode
de milliers d'Andalous musulmans, emmenant avec eux leur culture et traditions
vers les principales villes du Maghreb. Les récits d'un des plus
illustres d'entre eux, Léon l'Africain, feront référence.
Ce dernier visita plusieurs fois El-Djezaïr
entre 1510 et 1518 lors de ses voyages de Fez à Tunis (4Léon
L'Africain fut un géographe et conteur musulman du nom de "
Al Hassan Ibn Muhamad Al Fassi >: né à Grenade au pays
de l'Al Andalus qui fut chassé par la " reconquista ".
Il devint un voyageur de Fez a Constantinople via El-Djezaïr, puis
à Rome où Léon X, grand pape de la Renaissance le
protégea. En 1526 il publia sa Description de l'Afrique qui sera
une référence essentielle pour tous les historiens pendant
quatre siècles. Amin Maalouf fit de ses aventures une histoire
romancée parue en juin 1986.).
Il décrira les monuments et constructions de la ville, ses "
souks " et ses " fondouks ", et dénombrera environ
quatre mille feux groupés à flanc de colline " à
l'intérieur d'une enceinte en grosses pierres ".
Des récits encore plus marquants d'anciens captifs racontent leurs
mésaventures chez les barbaresques.
Citons d'abord Diego de Haedo (5 L'ouvrage
de Haedo Topographie et histoire générale d'Alger , traduit
de l'espagnol par le docteur Monnereau et Adrien Berbrügger parut
dans la Revue africaine n° 14 en 1870 ainsi que par Albert Devoulx
dans " Alger, étude archéologique et topographique
aux époques romaine, arabe et turque ". Revue africaine n°
112 de 1975.) , abbé de Fromesta, qui fit paraître
son ouvrage à Valladolid (Espagne) en 1612. Sa captivité
avait duré de 1578 à 1581. Peut-on imaginer qu'il ait connu
au bagne Cervantès, le célèbre auteur de Don Quichotte,
qui fut lui aussi captif des pirates barbaresques de septembre 1575 au
début de 1580 et qui écrivait un autre ouvrage La vie à
Alger?
L'évêque Jean-Baptiste Grammage, capturé en 1619,
écrira deux récits de sa mésaventure, le second portera
surtout sur les constructions principales de la cité.
Un autre captif, Mascorennas qui y séjournera de 1621 à
1626 décrira la régence turque, ses rues et leur surveillance
de jour comme de nuit.
Les mémoires du père Pierre Dan, supérieur de l'Ordre
de la Trinité et de la Rédemption attaché au rachat
des captifs, parues en 1637, seront aussi de bonnes descriptions de la
cité sur le plan architectural.
D'autres encore complèteront ces témoignages comme le médecin
hollandais Olfert Dapper qui publia ses récits en 1668, Jean-André
Peyssonnel (1694-1759), l'anglais Thomas Shaw professeur à Oxford
en 1710-1732 ou encore René- Louiche Desfontaines (1750-1833) membre
de l'Académie des sciences. Jean-Michel Venture de Paradis (1739-1799)
s'attachera particulièrement à décrire les grandes
demeures et maisons à patios de la cité.
Toutefois il n'existe ni dessin ni peinture de l'époque berbéro-ottomane
de par l'interdiction qui est faite par le Coran de telles représentations.
Ainsi, la cité d'El-Djezaïr sera assez bien connue quand la
France prendra pied au Maghreb en 1830. Les armées seront accompagnées
de nombreux artistes et scientifiques, archéologues, architectes,
peintres et dessinateurs, corps des " peintres officiels de la marine
", écrivains, géologues, pépiniéristes
et botanistes, un organisme le " Dépôt de la guerre
" est créé. Ces talents qui accepteront l'aventure
rapporteront de précieux témoignages de l'époque.
En février 1835 le maréchal Clauzel créera le musée
lapidaire, en 1837 la " commission scientifique de l'Algérie
" afin de déployer des champs d'investigations du pays dans
tous les domaines, et la bibliothèque
dirigée par M. Adrien Berbrügger. Ainsi de très nombreux
relevés architecturaux et archéologiques de grande valeur
seront exécutés par les architectes Amable Ravoisié
et Adolphe Delamare. Plus tard Stéphane Gsell, chargé de
cours à l'école des lettres d'Alger, publiera son Exploration
scientifique de l'Algérie.
Amable Ravoisié utilisera le daguerréotype (6
Le procédé daguerréotype (de l'inventeur
Daguerre - naissance de la photographie-) apparaîtra en 1838. Ce
procédé sera utilisé par l'architecte Amable Ravoisié
attaché à la Commission scientifique de l'Algérie
en 1837. Avec son confrère et ami Adolphe Delamare, ils laisseront
d'inestimables relevés archéologiques publiés aux
éditions des frères Firmin Didot à Paris entre 1846
et 1851.). Ce procédé sera largement employé
plus tard lors du voyage de Napoléon III en Algérie.
Dès 1838 Adolphe Otth publiera quelques lithographies et Adrien
Berbrügger regroupera plusieurs croquis d'édifices. L'attrait
d'un certain orientalisme va attirer des
hommes de lettres, des peintres ou des musiciens parmi lesquels
Théophile Gautier, Alexandre Dumas, les frères Edmond et
Jules de Goncourt, Alphonse Daudet, Gustave Flaubert, Guy de Maupassant,
Eugène Delacroix, Eugène Fromentin, Théodore Chasseriau,
Isabelle Eberhardt, Pierre Loti... L'influence de ces personnages déjà
célèbres contribuera à attirer bien des aventureux,
et suscitera l'implantation des colons. Mais pour eux, rien ne sera facile.
L'occupation et
les premières explorations
La prise d'Alger fut accompagnée d'une
entreprise de propagande par l'image. Depuis le xvie siècle, c'était
la coutume de représenter les hauts faits militaires à la
gloire du roi mais ce qui est nouveau, c'est la représentation
de l'adversaire et le territoire de la conquête. C'est ainsi que
des témoignages visuels, pris sur le vif, des villes occupées
et des combats menés par l'armée française ont été
réalisés, essentiellement entre 1830 et 1837 et poursuivis
jusqu'en 1857 sous la responsabilité du général baron
Pelet, directeur du Dépôt de la Guerre. Les dessins et les
croquis des militaires, s'ils représentaient surtout des batailles,
mentionnaient aussi les monuments et les vestiges romains. Ces dessins,
pour la plupart peu connus, sont conservés dans la collection du
ministère de la Défense. Ils étaient le plus souvent
accompagnés de descriptions et de mémoires, et servaient
de documents de base pour les artistes chargés de les finir à
l'aquarelle dans les ateliers du Dépôt de la Guerre.
Clichés
sur El-Djezaïr en 1830
La baie d'Alger est un vaste amphithéâtre
naturel face à la mer et au levant, offrant un saisissant et permanent
spectacle du Cap Matifou à la Pointe Pescade. En 1830 la cité
berbero-ottomane n'occupait que l'ouest de la baie, et son front de mer
ne faisait tout juste qu'un kilomètre.
La création des peintres officiels de la Marine et du " dépôt
de la guerre " (la Photo n'existant pas encore) devait laisser des
témoignages précieux (Le
contexte artistique de l'époque ", in l'algérianiste
n° 105 et 106.)
La Casbah s'accrochait sur les hauteurs en une masse compacte descendant
vers la mer jusqu'aux falaises dominant la darse barbaresque qui allait
très vite se révéler insuffisante pour les navires
de la " Royale ". Aussi dès 1830 devint- il urgent de
procéder à des aménagements. L'ingénieur Noël,
détaché de Toulon, fut chargé d'améliorer
la jetée Keir-ed-Din ( Keir-ed-Din
était le fondateur de la régence EI-Djezaïr développant
une puissance maritime en Méditerranée qui résista
aux Espagnols au xvr siècle. Il fit relier à la terre les
quatre îlots qui se trouvaient devant la baie afin de former une
digue de protection. Revues n° 38, 80 et 84 (MM. Nocchi, Vernet et
Gaston Palisser).) sur laquelle allait être bâtie
la rampe de l'Amirauté, et plus tard la gare maritime sur le
môle El Djefna dont la réalisation fut l'oeuvre
de l'architecte Petit. Après la terrible tempête de 1835,
ces travaux portuaires seront poursuivis par les ingénieurs Poirel,
Raffeneau de Lisle, Bernard et Liénon afin de développer
le trafic maritime du port.
La cité basse du quartier de " La Marine " recevait un
afflux de peuplement sans cesse croissant se concentrant dès 1831
autour des consulats et des anciennes administrations ottomanes de ce
quartier.
S'y trouvaient notamment les belles demeures de ces dignitaires et hauts
fonctionnaires que l'administration française avait remplacés.
Ces demeures étaient en général caractérisées
de patios entourés de galeries à deux ou trois niveaux sur
colonnes de marbre ou de bois. Conception faite pour une vie intérieure
intime et fraîche autour d'une fontaine destinée aux ablutions.
Il n'est pas douteux que ce type d'architecture, adapté au climat
et au mode de la vie orientale, allait séduire plus d'un nouvel
occupant.
Quelques-
unes de ces demeures comme Dar Aziza Bey qui devaient être
attribuées à l'Archevêché, Dar Es Souf, Dar
Assan Pacha, Dar Mustapha Pacha qui devint la Bibliothèque nationale,
Dar El Hamza ou encore les Palais du Bastion 23. Bien d'autres demeures
magnifiques appelées " fahs " se trouvaient dans la campagne
environnante, en dehors de la Casbah, du quartier de La Marine et de la
Jenina (jardins du Dey). Ces belles demeures se trouvaient en général
au milieu de jardins arborés.
La Marine, quartier résidentiel, ne manquait pas d'édifices
du culte musulman comme la " Grande mosquée " "
Djemaâ el-Kebir ", dont la construction remonte
au me siècle et la mosquée neuve El-Djedid au xive siècle.
Ces édifices du culte musulman seront épargnés des
restructurations qui allaient être le départ de l'expansion
future et inévitable de la cité. Rue des Consuls au quartier
de La Marine se trouvait aussi la mosquée El-Kechach de style berbère.
Dès 1831 elle fut occupée par un dépôt de l'armée
avant de devenir un hôpital militaire. Elle devint finalement l'école
des Beaux-Arts sections architecture, dessin, céramique, modelage,
sculpture, céramique. ( L'auteur
de ce texte y a fait ses premières années d'études
d'architecture avant de " monter à Paris " en section
supérieure des Beaux-Arts.).
Proche de cette mosquée se trouvait la célèbre "
rue
Socgemah " dont le nom n'est que la contraction de "
Souk el Djemaâ " c'est-à-dire, le marché du vendredi.
Dans cette rue devait être installée en 1839 la première
mairie dans la très luxueuse demeure Dar-Bakri.
La cité et les " fahs " des environs étaient alimentées
en eau par des aqueducs et de nombreux puits ( Quatre
ou cinq aqueducs alimentaient
la cité en fontaines publiques, et le port pour l'approvisionnement
des bateaux, ainsi que les cours des mosquées pour les ablutions
des fidèles. À citer l'aqueduc du Télemly qui deviendra
plus tard un boulevard. ) et galeries de captage des eaux souterraines.
Nombre de ces aménagements dataient d'ailleurs de l'époque
romaine dont la majeure partie avait été remise en état
par les " Andalous " installés en El-Djezaïr après
la " reconquista ". D'ailleurs les hauteurs d'El-Biar
(ce nom signifiant " les puits ") ( À
El-Biar, au lieu-dit " Chateauneuf " (nom donné par une
famille française originaire de " Chateauneuf-en-Auxois "
en métropole), avait existé au temps des Turcs la "
ferme des sept puits " attribuée au consulat de Toscane, puis
à la baronne de Stranski et qui deviendra le couvent du Bon Pasteur.
Il y avait aussi la " ferme des quatre puits " sur la route
allant vers Dely-Ibrahim qui fut remise aux Domaines le 5 mars 1835, et
qui sera ensuite vendue sur concession à un particulier.)
révèlaient d'ingénieux captages des eaux tout comme
la localité de Bir-Traryah signifiant " puits de fraîcheur
" et son aqueduc destiné aux cultures maraîchères
alimentant la cité. L'abondance du débit de cette adduction
devait inciter le baron Pichon, dès 1832, à promouvoir la
" Pépinière centrale " qu'Auguste Marty devait
plus tard transformer en " Jardin
d'Essai ", dont la configuration définitive intervint
bien plus tard encore en 1920 sur les dessins des architectes Regnier
et Guion.
Dès 1832, alors même que le pays était loin d'être
pacifié, les initiatives d'équipements et de restructurations
de la ville étaient engagées comme par exemple le tracé
des " Tournants
Rovigo " et des rampes " Valée " qui
empruntaient en grande partie une ancienne voie romaine. Par la même
occasion, furent créés des îlots de verdure comme
le jardin Marengo, créé en 1833, avec son petit
kiosque de la Reine. Au dessus de ce jardin et le long des remparts nord
sera créé le boulevard de Verdun dont les escaliers donnaient
accès à la rue des Victoires.
Si, en ces toutes premières années, les ingénieurs
Poirel et autres s'affairaient aux transformations du port, les généraux
Clauzel et Berthezène devaient faire entreprendre en urgence les
premières restructurations de la cité.
En effet il n'existait en 1832 aucun espace suffisant pour le rassemblement
des troupes en cas d'urgence ou pour organiser les diverses manifestations.
Aussi fut-il décidé de créer une " place d'Armes
". Ce sera la " place Royale " avant de devenir la "
" en 1848 avec la statue du duc d'Orléans ( La
statue équestre du duc d'Orléans élevée par
souscription populaire, fut inaugurée le 28 octobre 1845 après
sa mort accidentelle survenue le 13 juillet 1842 à Neuilly. Le
duc avait fait une guerre de pacification brillante. Le sculpteur et baron
Marochetti a été aussi auteur du tombeau de Bellini au cimetière
du Père Lachaise, de la statue du duc de Savoie à Turin.).),
oeuvre du sculpteur Marochetti, fondue par Sauer, dont les huit ton place
du Gouvernementnes nécessiteront en sous-sol un énorme
pilier de 20 m de profondeur.
Toutefois la réalisation de la " place d'Armes " entraînera
bien des démolitions dans la basse Casbah. Pierre Auguste Guiauchain,
architecte formé à l'Ecole nationale des Beaux-Arts de Paris,
sera désigné pour ces travaux avec le titre d'" architecte
des bâtiments civils " (quelle exaltation et quel bonheur pour
un architecte de recevoir une telle mission sur un tel programme !). Guiauchain
recevait également la mission de restaurer la mosquée de
la Pêcherie, Djemaa el-Djedid dont le chantier devait durer jusqu'en
1839, y compris les escaliers la reliant au plan supérieur où
se trouve la statue équestre (Djemaâ-el-Djedid,
cette mosquée fut sauvée in extremis de la démolition
par le commandant du Génie Lemercier. Elle fut dotée d'un
minaret qui reçut une horloge lors de sa restauration.
L'administration se mettait en place dans l'objectif de restaurer la cité
et le pays. Aussi, par décision ministérielle des 25 mars
et 5 août 1843, était créé le Service des bâtiments
civils et de la voierie dont M. Guiauchain reçut le titre d'"
architecte en chef ". Il sera secondé par son confrère
Auber et Charles Tixier, autre confrère désigné au
poste d'inspecteur des travaux. Toutes ces dispositions démontraient
l'intérêt que l'administration portait au développement
de la ville ainsi qu'au patrimoine du pays. Et d'ailleurs de la Société
des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts créée en 1848,
allait naître un grand mouvement artistique qui animera plus tard
la société algéroise. L'aménagement de la
" place Royale " nécessitera les démolitions des
mosquées Es-Sida et Al Chaouch, de l'ancien arsenal ottoman, des
marchés Souk al-Djedid, Dar al Sekka, etc.
La
mosquée de la " Pêcherie " sera rénovée
par Guiauchain ainsi que l'ancien marché aux captifs et esclaves
de l'époque ottomane.
La " place Royale " ou future place du Gouvernement allait devenir
le premier coeur de ville. Il connaîtra, outre les célébrations
annuelles de la Fête-Dieu des 14 juin, le banquet civique de 1848
après l'abdication de Louis-Philippe, la proclamation de l'Empire
en 1852, la célébration du retour des troupes de la guerre
de Crimée en 1855, le retour des Zouaves de la Grande Guerre en
1919, etc. L'espace ainsi créé était délimité
au nord par le " café d'Apollon ", datant de 1838, haut-lieu
de l'intelligentsia, la librairie Jourdan, la maison de la Tour du Pin
avec ses belles boutiques à rez-de-chaussée et " l'hôtel
de la Régence " en étages.
Côté ouest, c'était le départ des rues montantes
vers la vieille ville et les emplacements des " corricolos "
précurseurs des transports en commun des tramways algérois
et des Chemins de fer sur routes de l'Algérie. Ces derniers étaient
en fait des voitures hippomobiles pour quatre ou six personnes, à
deux ou quatre chevaux conduits par un cocher.
Au sud, il y avait le " café de Bordeaux " et la maison
Lesca dont l'étage accueillait le " Cercle d'Alger "
où se réunissait le gratin administratif, industriel, commerçant
et financier. Au nord-est, il y avait la balustrade de la place dominant
la mosquée de la Pêcherie et ses escaliers.
En ces premières années, la ville nouvelle n'était
constituée que du quartier de La Marine entre le boulevard Amiral-Pierre,
la rue des Consuls, la
rue Bab-el-Oued, la rue Vollard, l'ancienne ville et la Médina,
ville essentiellement berbéro-arabo-israélite, et enfin
le troisième espace de la basse ville en pleine restructuration
de la place Royale, quartier franco-européen qui ne pouvait se
développer que vers l'est et partiellement vers l'ouest.
Il fut donc décidé de reculer l'enceinte de la ville, tâche
qui fut confiée au général Charras. Ce dernier commença
donc par détruire les anciens remparts turcs côté
mer qui devenaient inutiles, ainsi que les pittoresques portes d'Azoun
et de l'oued.
Ensuite le général fit ouvrir et percer en pleine Médina
trois rues: la rue de La Lyre, la rue et la place Randon, et le boulevard
du Centaure qui deviendra plus tard le boulevard Gambetta avec ses escaliers.
Les deux premières rues furent destinées au commerce avec
de nombreux magasins et échoppes, des places de marchés
où se mêleront berbères, arabes et une forte communauté
israélite.
Pour clore cette première partie sur la première décennie
de la présence française en El-Djezaïr, le nom d'"
ALGÉRIE " avait été parfois employé lors
de discussions diplomatiques. Ce n'est que dans la correspondance du 29
décembre 1837 du général Valée que la désignation
du pays par " ALGÉRIE " fut employée. Il sera
dès lors utilisé dans les discussions parlementaires, mais
sera définitivement ordonné par le général
Schneider, ministre d'Etat à la guerre, au maréchal Valée
le 14 octobre 1839 en ces termes : " le pays occupé par les
Français dans le nord de l'Afrique sera à l'avenir désigné
sous le nom d'ALGERIE... ".
(À suivre)
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