Alger : Les transports maritimes
-Petite histoire de la Compagnie de Navigation Mixte
Cinquième et dernière partie : 1963-1969
Bernard Bernadac

Le putsch d'Alger vu del'E1-Djezaïr par le chef-mécanicien Jean-Marie Rabatu
Bernard Bernadac

extraits du numéro 109 , mars 2005 de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
sur site le 15-10-2010
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Petite histoire de la Compagnie de Navigation Mixte
Quatrième partie : 1957 - 1962
Bernard Bernadac


La Compagnie de Navigation Mixte commanda aux Chantiers de Graville un cargo livrable fin 1956, mais ce n'est que l'année suivante qu'il fut mis en service.

Les établissements du Havre des Forges et Chantiers de la Méditerranée livrèrent le 4 janvier 1957 le cargo Canigou de 1500 tonnes de port en lourd. Il fut présenté à Marseille le 28 janvier.

Le 28 novembre 1957 un incendie se déclara à bord du Kairouan alors que le navire se trouvait en cale sèche. Le sinistre avait éclaté dans un moteur auxiliaire. Il fallut une demi-heure pour en venir à bout.

Pendant l'année 1957 les navires de la Compagnie avaient passé à la mer un total d'heures équivalent à quatre ans et onze jours. Ils avaient parcouru 542241 milles marins ce qui équivaut à vingt-cinq fois le tour de la terre.

Le 21 janvier 1958, au cours d'un voyage Oran/Port-Vendres, le Président-de-Cazalet (commandant Fraisse) se déroutait pour assister le paquebot Lyautey, de la Compagnie Paquet, stoppé à 35 milles de Barcelone. Après une manoeuvre parfaitement exécutée, le Cazalet remorqua le Lyautey jusque dans l'avant-port de Barcelone où ils arrivèrent le même jour vers 23 heures. La veille, le Kairouan avait effectué sa première escale à Port-Vendres et inauguré ainsi la ligne maritime la plus rapide de tous les temps sur
Alger et Oran au départ de Port- Vendres.

La nouvelle darse du port était juste assez large pour recevoir le paquebot et lui permettre de manœuvrer.

Attentat sur le Président-de-Cazalet

Le 5 septembre 1958 le Président-de-Cazalet quittait Marseille pour Bône et Philippeville. Il y avait à bord 900 passagers dont 250 militaires et 200 enfants revenant de colonies de vacances. Départ de la Joliette vers 10 h 30 par beau temps. Tout le monde était encore réuni autour du déjeuner soit comme convive, soit comme serveur, lorsqu'une très forte explosion secoua le navire et fut violemment ressentie dans tous les locaux.

Quelques minutes avant l'explosion, le chef mécanicien Paul Muzi se trouvait devant les ventilateurs de chauffe afin de vérifier le fonctionnement des paliers nouvellement mis en place. Il raconte : " Je fus appelé sur la passerelle par le commandant. C'est en arrivant sur le pont des premières classes que j'entendis la déflagration et vis la cheminée cracher tous les matériaux qui volaient en éclat. Je me précipitai dans les machines afin de remettre en route un groupe électrogène et porter assistance aux blessés.

Tout était stoppé, la lumière était éteinte. Avec mes officiers et le personnel valide nous fîmes une ronde générale sur les chaudières où deux foyers d'incendie furent rapidement circonscrits. J'allai au compartiment des ventilateurs et me rendis compte que nous étions bien immobilisés et qu'il n y avait aucune possibilité de dépannage. J'en avisai le commandant puis je continuai mes investigations dans les fonds de la machine pour vérifier si aucune voie d'eau ne s'était manifestée.

La bombe, car c'en était une, avait été posée entre les deux ventilateurs de chauffe placés sur l'arrière dans la partie médiane sur un pont aboutissant à la cale arrière. Ce compartiment se trouvait placé à l'extrémité avant des coursives équipage bâbord du personnel machine, et à tribord du personnel pont. Les deux ventilateurs et leurs armoires électriques de commande automatique avaient été pulvérisés par cette bombe au plastic dont le poids fut évalué plus tard entre 10 et 15 kg. Les deux coursives et toutes les cabines du personnel avaient été soufflées au ras du sol. La cloison étanche entre la machine et la chaufferie avait été complètement déchirée, ce qui avait causé la rupture des soupapes Cockburn qui sont des vannes anglaises servant de registre pour l'admission de la vapeur aux turbines à la sortie des collecteurs numéro un (vapeur surchauffée). Elles comportaient des soupapes de purge qui avaient été arrachées par la déchirure de la cloison. De ce fait les chaudières s'étaient vidées de leur vapeur (35 kg au cm2 et 400° de température) dans le compartiment de la machine où régna subitement une chaleur intolérable. La porte de la chaufferie fut également arrachée et blessa le maître de quart. L'officier mécanicien Bataille fut projeté sur le pupitre et plié en deux (contusionné seulement).

Heureusement, à l'heure du repas, les locaux qui furent détruits étaient à peu près inoccupés. Cette circonstance avait sûrement sauvé un certain nombre de vies.

Il y eut tout de même onze blessés parmi le personnel des machines, plus un novice et une passagère. Le chauffeur Barreda, de quart devant les chaudières, fut projeté au sol et gravement blessé à la tête. Il décéda le dimanche suivant à l'hôpital Paul-Desbief de Marseille.

Il n y eut pas de panique à bord bien que l'on craignit une deuxième bombe à retardement dans la machine. Heureusement rien d'anormal ne se produisit ".


L'alerte fut rapidement donnée par radio. Deux remorqueurs de haute mer, le Marius-Chambon et le Provençal 12 appareillèrent de Marseille tandis que le Djebel-Dira (commandant Court) de la Compagnie venant de Philippeville et qui allait entrer au port, faisait demi-tour pour aller assister le Cazalet. Vers 14 heures, celui-ci fut pris en remorque avec difficulté (car il n'y avait plus d'énergie pour faire fonctionner les guindeaux et cabestans sur le paquebot) par le Djebel-Dira. Le convoi fit alors route vers Marseille, escorté par les deux remorqueurs qui prirent la remorque à l'entrée du port.
Vers 20 heures le Président-de-Cazalet arrivait à la Joliette. Le navire fut amarré au poste 88 vers 21 heures et, tandis que les blessés étaient immédiatement emmenés par les ambulances, les services de la police procédaient aux premières constatations.

Les investigations faites ne permirent pas de douter du geste criminel 11 était probable que l'engin placé à bord l'avait été pendant le séjour à Marseille. Cela n'avait pas dû être difficile et les responsables de cet acte devaient connaître les navires en général et le Cazalet en particulier.

Un journal de l'époque démontre bien l'état d'esprit et l'anxiété des Français à cette période de la guerre d'Algérie : " Maintenant les blessés sont hospitalisés, les passagers ont été acheminés par d'autres navires ou par avion. Le bâtiment sera réparé assez vite mais demain ? ". " Tous les jours d'autres navires partent. Quand on sait avec quelle facilité on peut aller et venir à leur bord, on a le droit d'être inquiet ".

Le Président-de-Cazalet resta amarré au poste 122 pour réparations. Il fut effectivement remis en état en un temps record de vingt-et-un jours par les Chantiers et Ateliers de Provence. Il reprit son service le 26 septembre 1958. Entre temps, la Transat avait prêté en remplacement le Gouverneur-Général -Chanzy


Les horaires des paquebots pour la saison hiver-printemps 1958-1959 subirent d'importants changements par rapport aux années précédentes. La réduction du trafic " passagers " sur la Tunisie en raison de l'indépendance conduisit la Compagnie à étudier avec la Compagnie Générale Transatlantique des horaires coordonnés, mieux adaptés aux nécessités du trafic. C'est ainsi que les lignes de Tunisie furent desservies suivant un horaire commun aux deux armements comme l'était depuis plusieurs années la ligne Alger-Marseille.

Chaque semaine, les paquebots de l'une ou de l'autre compagnie assuraient un service direct Marseille- Tunis et un deuxième via Bizerte. Ce nouveau programme permettait d'affecter à la desserte du Constantinois l'un des deux paquebots El-Djezaïr ou Président-deCazalet pendant 24 semaines.

Le 6 octobre 1958 à une heure de l'appareillage, le Président-de-Cazalet eut des avaries de ventilateur de chauffe. Il fut remplacé par l'El - Djezaïr qui était arrêté pour maintenance.

affichette navigation mixte

Le 25 février 1959 à 17 heures, l'Edjelé fut lancé à Saint-Nazaire. Premier pétrolier portant les couleurs de la Compagnie, il avait un port en lourd de 44 788 tonnes. Le pétrolier fut immédiatement affrété par la Société Maritime Shell qui, pour son utilisation, signa avec la Mixte le 26 janvier 1956 une charte- partie de huit ans. L'Edjelé effectua son voyage inaugural le 16 juin 1959. Un mois jour pour jour après le lancement de L'Edjelé, le 25 mars 1959, fut lancé le cargo Relizane, deuxième cargo de 1900 tonnes de port en lourd de la série Canigou. Le Relizane fut livré à la Compagnie le 19 décembre 1959 pour effectuer la ligne Marseille, Oran, Mostaganem, Port-Vendres.

Le 17 avril 1959 l'El-Djezaïr fut drossé par la tempête contre le quai des Torpilleurs à Philippeville. La brèche occasionnée à la coque fut obstruée par un batardeau. Le paquebot rejoignit Marseille le 23 avril et fut remis en service le 5 mai 1959.

En 1959, les navires de la Compagnie de Navigation Mixte avaient transporté 23 487 véhicules et 18 % de passagers de plus que pendant la saison 1958. Les navires avaient passé un total de 39 197 heures à la mer, soit l'équivalent de quatre ans, cinq mois, vingt- trois jours et cinq heures. Ils avaient parcouru 605 710 milles marins, soit près de vingt-sept fois le tour de la Terre et transporté 413 000 passagers et 421 000 tonnes de marchandises.

Le Djebel-Dira qui était affrété depuis le 21 janvier 1960 par la Société Générale des Transports Maritimes pour une période de trois mois fut rendu à la Compagnie le 14 avril. Le 19 septembre de la même année, il heurtait le Sampiero-Corso au cours d'une manœuvreà la Joliette à Marseille. Quelques dégâts de part et d'autre.

Au cours de l'armée 1960, les navires de la Compagnie de Navigation Mixte avaient transporté 460 000 passagers, 400 000 tonnes de fret et 35 000 véhicules.

Le putsch d'Alger vu del'E1-Djezaïr
par le chef-mécanicien Jean-Marie Rabatu

" Le jeudi 20 avril 1961 l'El-Djezaïr appareilla de Marseille à midi pour Alger, en horaire, avec sa clientèle habituelle de militaires et de civils.

L'arrivée à Alger se fit comme prévu le 21 avril vers 8 heures. Tout paraissait calme dans la ville, les dockers étaient à leurs postes pour embarquer 600 tonnes de pommes de terre à destination de la métropole.

Le samedi 22 avril je fus réveillé vers 6h 30 par le maître d'hôtel des premières classes qui me dit que quelque chose s'était sûrement passé dans la nuit.

Du bord on voyait des mouvements de troupes, la radio diffusait des marches militaires interrompues par une annonce disant qu'à 7 heures une déclaration importante serait faite.

En effet, à 7 heures on entendit: " Pour que l'Algérie reste française, l'armée a pris le pouvoir en Algérie... ". Puis suivirent une quantité d'ordres et de consignes.

Naturellement tout le monde à bord fut rapidement au courant mais personne ne pensa une minute que nous allions être coincés dans ce piège.

Le chef-mécanicien se rendit ainsi que de nombreux membres de l'équipage au traditionnel " Marché de la Lyre "; quant à moi, je descendis prendre mon quart pour faire l'allumage des chaudières et le processus d'appareillage prévu pour midi.

Vers 10 heures, le commandant Miaille me convoqua en l'absence du chef mécanicien et me donna l'ordre de mettre bas les feux: le départ était reporté, ordre de l'Amirauté. Consternation à bord, mais tout le monde resta calme et essaya de prendre le maximum de nouvelles à la radio.

Vers 11 heures, un lieutenant parachutiste et une douzaine d'hommes en armes montèrent la coupée tandis que quelques paras prenaient position sur le quai à l'avant et à l'arrière du navire.

Le lieutenant parachutiste demanda au lieutenant-commissaire où se trouvait la passerelle qu'il avait ordre d'occuper. Jouant sur les mots le lieutenant-commissaire, voyant que le militaire ignorait tout des navires, lui dit: " Mon lieutenant, vous y êtes, la passerelle c'est ici ! ". Et il lui montra la coupée.
De ce fait, durant tout le putsch, les paras restèrent cantonnés dans ce coin du navire. Le téléphone intérieur, la machine, la radio du bord, la passerelle restèrent entre nos mains sans surveillance des militaires.

Dans le port se trouvaient quelques navires dont le Sidi - Mabrouk, de la Société Générale des Transports Maritimes, et le Touggourt (commandant Allée), de la Compagnie.

Le dimanche 23 avril, vers 8 heures FEl-Mansour (commandant Court) venant de Port-Vendres arriva et accosta à la gare maritime dans la plus grande confusion.

Toute la journée du dimanche se passa à attendre un ordre d'appareillage car les généraux avaient commencé à libérer les soldats du contingent dont ils n'étaient pas sûrs et décidèrent de les renvoyer rapidement en métropole.

Malheureusement ce fut l'El-Mansour, resté sous pression, qui appareilla sous nos yeux dans la soirée avec quelque 700 militaires tout heureux de rentrer chez eux.

Tout commençait à se gâter à bord; dans la soirée l'équipage devint nerveux quand à la radio on entendit l'appel du général De Gaulle qui se terminait par cette phrase: " J'interdis à tout Français, à tout soldat, d'exécuter aucun de leurs ordres ! ".

Quelques membres de l'équipage voulurent demander au commandant Miaule d'appareiller dans les plus brefs délais et les palabres durèrent une partie de la nuit.

Le lundi matin 24 avril, stupéfaction ! Le Sidi-Mabrouk avait disparu du port en catimini : il avait appareillé dans la nuit.

On commençait à déceler un certain flottement et une certaine lassitude chez les insurgés; des rumeurs nous parvinrent: la flotte appareillait de Toulon, l'Amirauté avait abandonné Alger et avait rallié Mers el-Kébir, etc...

Devant cet état de fait, le commandant prévint l'équipage que nous tenterions de nous enfuir la nuit suivante.

Après avoir allumé les chaudières alternativement pour faire le moins de fumée possible et ne pas éveiller l'attention de nos paras, nous fûmes prêts à appareiller vers 22 heures.

Depuis la tombée de la nuit nos " geôliers " n'étaient plus à bord mais sur le quai où régnait une certaine confusion parmi les militaires.

De la ville nous parvenaient les échos d'une fusillade nourrie et prolongée.

Nous avions tapissé de matelas l'intérieur de la passerelle et le gaillard, car le commandant craignait que deux mitrailleuses lourdes qui se trouvaient sur la jetée, servies par des putschtistes, ne nous prennent pour cible lors de notre passage à leur hauteur; nous constations à ce moment qu'elles n'étaient heureusement plus en place. Tout avait été minuté. On coupa les amarres à l'avant et à l'arrière. Pas question de descendre sur le quai pour décapeler. En même temps la machine coupait le courant et plongeait le navire dans l'obscurité totale.

Et nous appareillions alors que la radio annonçait la fm du putsch et la reprise normale des émissions.

L'odyssée était terminée, nous rentrions à Marseille avec notre plein de pommes de terre et deux clandestins ".

Les " événements " d'Algérie continuaient, même les navires faisant la liaison France-Algérie ne furent pas épargnés par les attentats et le 23 janvier 1962 le Djebel-Dira fut plastiqué à Bône.

Vers 6 heures du matin une charge de plastic placée dans le trou de jaumière du gouvernail, par l'extérieur, explosa.
La mèche du gouvernail fut cisaillée et les tôles d'alentour plus ou moins déformées.

Le navire ayant subi d'importants dégâts et ne pouvant plus naviguer par ses propres moyens on envisagea le remorquage. Celui-ci fut confié à la Compagnie Chambon qui envoya le remorqueur Laurent Chambon, commandant Cambiaggi, à la rescousse.

En raison du mauvais temps qui régnait en Méditerranée, le convoi passa dans l'est de la Sardaigne et de la Corse.

Parti le 28 janvier de Bône le convoi relâcha à Bastia du 30 janvier au 1er février. Ayant repris la mer ce jour-là vers 11 heures, il arriva à Marseille le 2 février vers 16 h 30.

Le Djebel-Dira avait pu aider au remorquage en utilisant quelque peu sa machine, ce qui avait permis de réaliser de bonnes moyennes de route.

Les travaux de réparation du navire s'effectuèrent à Marseille et furent menés à bien. Miraculeusement, il n'y eut qu'un seul blessé à bord, un garçon du service restaurant.

En mai 1962 le Président-de-Cazalet fut affrété par la Défense nationale pour le transport de troupes et de matériels. La France accordait l'indépendance totale à l'Algérie.

Le 30 juin 1962 eut lieu la première arrivée de rapatriés à Toulon sur le Djebel-Dira venant de Philippeville suivi du Fort-Saint-Louis et du Napoléon de la Transat venant d'Oran.

Le cargo Touggourt fut affrété par la Compagnie générale Transatlantique pour transporter les voitures et les cadres de mobilier des rapatriés.

On ne peut imaginer les terribles conditions dans lesquelles se déroulèrent les embarquements, les voyages et les arrivées des Pieds- Noirs dans un pays que la plupart d'entre eux ne connaissaient pas.

Le rapatriement, c'était le déchirement de laisser son pays, ses attaches, sa maison, la tombe de ses ancêtres. C'était le sentiment d'avoir été trahi, battu, d'être impuissant devant les événements.

L'embarquement c'était se battre pour pouvoir arracher à son sol natal le peu qui pouvait être sauvé. On entassait dans des valises les quelques objets de valeur et les souvenirs de famille sauvés du vol ou du pillage.

Ceux qui avaient la chance de pouvoir acheter ou louer, à un prix exorbitant, des cadres pour le mobilier construits à la hâte, les voyaient quelquefois s'écraser sur les quais lors de l'embarquement par manque de solidité; ou bien ils avaient la désagréable surprise de constater à leur ouverture qu'ils avaient été pillés, la majorité des meubles et objet de valeur ayant disparu.

Certains même trouvèrent leurs cadres complètement vides. D'autres encore ne revirent plus leurs cadres et leurs meubles " confiés " à des " maisons de transport " créées de fraîche date, et qui avaient loué le même cadre à plusieurs clients différents.

Et tant d'autres...

" Les navires de la Compagnie, ainsi que tous ceux des autres Compagnies desservant l'Afrique du Nord furent amenés à dépasser leur capacité réglementaire de passagers, par exemple: le Relizane, au lieu de 12 passagers, embarqua plusieurs dizaines de personnes, limitant leur nombre en fonction de la capacité des canots et des radeaux ainsi que du nombre des brassières de sauvetage " (commandant Rocck).

Sur les navires c'était la consternation et l'abattement. Entassés en quatrième classe dans la chaleur étouffante des entreponts, les rapatriés arrivaient en France dans un état physique et moral lamentable et c'était pire lorsqu'il faisait mauvais temps et qu'il y avait des malades. Il y avait certes dans les ports de Marseille, Sète, Toulon et Port- Vendres des centres d'accueil où des personnes bénévoles et la Croix- Rouge française étaient chargées d'accueillir ces malheureux:

" Nous allions, avec des camarades de mon âge (12 ans) lorsque nous n'avions pas classe, au centre d'accueil situé dans le hall de la Compagnie Mixte à Port- Vendres, pour essayer d'aider, dans la mesure de nos faibles moyens, les déracinés qui arrivaient de plus en plus nombreux.

Nous portions leurs lourdes valises arrachées de force au pays qu'ils venaient de quitter, les conduisions au centre d'accueil, aidions les vieux, portions les bébés et nous sentions notre impuissance devant ce grand malheur
" (Bernard Bernadac).

Pour les rapatriés, le drame continuait en France. Une fois arrivés de l'autre côté de la Méditerranée, que faire et où aller ? Quelques-uns avaient la chance d'avoir des parents en métropole, mais les autres...

Ils furent entassés dans des appartements réquisitionnés à la hâte et durent chercher du travail et s'adapter à leur nouvelle vie.

Les navires arrivaient de plus en plus nombreux chargés de rapatriés. " Quelque temps auparavant c'était les soldats qui partaient pour l'Algérie; et - la gorge serrée - nous écoutions, dans le calme de midi, lorsque l'El-Mansour ou l'El-Djezaïr appareillait pour Oran ou Alger, les voix mâles de ces jeunes appelés entassés sur le pont du navire chantant la vieille complainte scoute: " Ce n'est qu'un au revoir ", ce chant si émouvant et si terrible à la fois ".

Et combien de fois l'avions-nous déjà entendu auparavant ce chant ?

Mais que de joie, lorsque les navires revenaient d'Algérie transportant les militaires libérés, débordant d'une gaieté bruyante, jetant à la mer avant l'accostage, parmi les hourras, d'énormes quilles en bois peint taillées dans un tronc d'arbre...

Mais le plus terrible, c'était lorsque les paquebots ramenaient dans leurs flancs des cercueils contenant la dépouille de ces jeunes hommes tués ou assassinés dans un pays que la plupart ne connaissaient pas auparavant.

Je les ai vues ces caisses rectangulaires de bois blanc aux planches mal jointes, entassées les unes sur les autres dans les
hangars de la Compagnie, à peine recouvertes d'une bâche trop courte et d'un pavillon national trop petit, attendant d'être acheminées par voie ferrée vers leurs familles qui ne comprenaient pas la nécessité d'une telle guerre.

C'est pourquoi, ceux qui ont assisté à ces départs et à ces arrivées lèvent encore les yeux au ciel en entendant les premières mesures de " Ce n'est qu'un au revoir...
" (Bernard Bernadac).

L'El-Djezaïr, le Djebel-Dira et le Tafna furent affrétés en novembre 1962 par le ministère des Armées pour le transport des troupes et l'évacuation de l'Algérie.
(À suivre)