Alger : Les transports maritimes
-Petite histoire de la Compagnie de Navigation Mixte
Deuxième partie : 1895 - 1915 (partie 1)
Bernard Bernadac

extraits du numéro 105 , mars 2003 de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
sur site le 26-6-2010

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Petite histoire de la Compagnie de Navigation Mixte
Deuxième partie : 1895 - 1915 (partie 1)
Bernard Bernadac

1895 vit la fin du monopole de la Compagnie Générale Transatlantique sur les lignes d'Afrique du Nord. L'État accorda à toutes les compagnies marseillaises, une rémunération pour le transport des dépêches et des primes à la vitesse. Cet accord fut revu l'année suivante.

Toujours en 1895, le bâtiment qui entra dans la flotte fut le vétéran " Erymanthe ", construit pour le compte des Messageries Impériales. Il ne resta que trois années au service de la Compagnie car, le 18 novembre 1898, il eut un abordage avec le vapeur " Berry " de la S.G.T.M., il s'échoua pour ne pas couler, mais fut brisé par la tempête deux jours plus tard.

C'est avec une flotte bien équilibrée que la Compagnie de Navigation Mixte entra dans la convention postale de 1897 qui mit fin à l'anarchie et à la sévère lutte des tarifs.

Le joli paquebot portugais " Tungue " fut acheté en juillet 1897 et rebaptisé " Touareg ". D'une jauge brute de 1286 tonneaux, il avait une vitesse de 13 noeuds. Exploité pendant cinq ans, il fut vendu en 1912.

Seul navire neuf acheté en cette fin de siècle, le " Medjerda " fut lancé à La Seyne le 17 septembre 1898.

Il jaugeait brut 1862 tonneaux et pouvait transporter 122 passagers en cabines à la vitesse de 15 noeuds. Il fut affecté à la ligne de Port-Vendres/Oran.

Deux paquebots achetés d'occasion vinrent rejoindre la flotte en 1898 et en 1900: le " Rosario " (1896 Tjb, 1 800 CVi) et le " Tewfik-Rabbani " (2054 Tjb, 3 666 CVi). Ils furent rebaptisés respectivement " Djurdjura " et " La Marsa ".

En 1904, pour compléter sa flotte de navires de charge, la Compagnie acheta plusieurs cargos d'occasion, le " Calabro " (3320 Tpl), rebaptisé " Moulouya " et deux petits vapeurs, l'" Omara " (350 Tpl) et le " Tavignano " (229 Tpl). Quatre ans plus tard, ce fut le tour du " Pongola " (1464 Tjb, 625 CVi) un vieux vapeur utilisé comme cargo. Rebaptisé " Mitidja (II) ", il ne resta que quatre ans chez son nouveau propriétaire et fut vendu à l'Italie. Revendu plusieurs fois, il fut démoli à l'âge très respectable de cinquante ans.

En 1910, le paquebot anglais " Port- Maria " (2 901 Tjb, 4 300 CVi) vint rejoindre la flotte. C'était un très joli navire qui, avec son étrave incurvée, ses superstructures basses, ses mâts et sa cheminée inclinés ressemblait à un yacht. Rebaptisé " Mustapha ", il se révéla très rapide et un terrible mangeur de charbon, aussi fut-il vendu trois ans plus tard à une compagnie italienne et rebaptisé " Tocra ".

L'année suivante la Compagnie acheta le " Napolitan-Prince " (3231 Tjb, 4 000 CVi) de la Prince Line de Newcastle. Avec ses mâts élancés et ses sabords carrés, c'était le plus gracieux des navires qui ait jamais battu le pavillon de la N.M. Rebaptisé " Manouba ", il pouvait transporter 160 passagers en cabines et 1 370 tonnes de marchandises. Dix-huit ans plus tard, le " Manouba ", tout de même âgé de quarante ans fut vendu le 14 février 1929 pour être démoli en Italie. Six mois après l'achat du " Manouba ", en avril 1912, furent achetés deux paquebots jumeaux, le " Kotzikos " et le " Margiora " (2 564 Tjb, 1 800 CVi) qui furent rebaptisés respectivement "Mascara" et " Mansoura ".

Ce furent les premiers navires de la Compagnie à être équipés de machines à quadruple expansion. Le " Mascara " disparut en 1917 dans des circonstances mystérieuses tandis que le " Mansoura " fut vendu pour être démoli en 1923.

Le dernier achat d'un navire neuf avant la Grande Guerre fut celui du " Théodore- Mante ", baptisé du nom du président de la Compagnie. Lancé le 28 novembre 1912 aux Forges & Chantiers de la Méditerranée à La Seyne-sur-Mer, ce petit paquebot de 3 496 tonneaux de jauge brute fut une grande réussite. Très marin et très bien conçu aussi bien dans ses emménagements que dans ses machines, il pouvait transporter 274 passagers en cabines et 1 870 tonnes de marchandises.
Après la guerre de 1914-1918, il servira de modèle à la construction de quatre navires de la célèbre série des " Gouverneur ". Ce joli paquebot atteignit presque 18 noeuds aux essais et resta vingt-quatre ans au service de la Compagnie sous trois noms différents: " Théodore-Mante ", " Mustapha II " et " Djebel-Antar " (transformé en cargo).

Le dernier achat d'un navire d'occasion avant la Grande Guerre fut celui du " Brada ", un vieux cargo âgé de trente-deux ans. Rebaptisé " Algérien ", il fut détruit deux ans plus tard par un sous- marin ennemi.

Le drame de l' " Algérien "

Le mercredi 24 novembre 1915, " Algérien " appareillait pour Tunis à midi avec une cargaison pour Marseille. La mer était belle et favorisait le voyage. Le lendemain, près de l'île de San Pietro (Sardaigne), un submersible ennemi émergea à environ 1200 à 1500 mètres de l' " Algérien ".

De la passerelle où il se trouvait, le capitaine Coullon (qui était second capitaine lors du naufrage de l' " Émir " le 9 août 1911 et qui avait sauvé Mme Lucciardi, épouse du consul de France à Tanger), en présence du danger qui menaçait, donna l'ordre à ses hommes de mettre le youyou et le grand canot de sauvetage à la mer, mais à peine venaient-ils de le faire, qu'un éclat d'obus le tuait net. Le lieutenant Fournaud qui se tenait à côté du commandant eut le bras droit emporté par le même obus et mourait peu après de ses blessures (respectant la tradition de la Marine française, les deux premiers navires de la Compagnie achetés après la guerre porteront leurs noms).

Le sous-marin se rapprocha et canonna à nouveau l' " Algérien ", mais le second maître Vaillant avait pris la direction du sauvetage et parvint à faire réfugier l'équipage dans les deux embarcations. Neuf marins prirent place dans le youyou et dix-huit de leurs camarades dans la grande embarcation.

Les deux canots débordèrent et étaient sur le point de s'éloigner lorsque le submersible, qui s'était encore avancé, canonna le grand canot qui coula aussitôt à pic entraînant avec lui les dix-huit marins qui étaient à bord.

Satisfait de cet acte de barbarie que rien ne saurait justifier - puisque l' " Algérien " n'était qu'un simple cargo et ne transportait aucun passager militaire ou civil - le sous-marin s'éloigna enfin, après avoir attendu que l' " Algérien " eût coulé. Il ne s'attaqua heureusement pas au youyou, estimant sans doute que celui-ci ne valait pas la peine de gaspiller un obus.

Ce ne fut que le lendemain matin, à six heures, que les neuf rescapés atteignirent Carloforte (Sardaigne), où les autorités et la population leur réservèrent l'accueil le plus dévoué. Le naufrage de l' " Algérien " avait fait dix-neuf victimes.

1914, dès les premiers jours de la mobilisation générale, tous les navires disponibles effectuèrent des transports intensifs de troupes et de matériels d'Afrique du Nord en France, avec une rapidité remarquable. Puis, les Allemands déclarèrent la guerre sous-marine à outrance et l'hécatombe commença. L' " Algérien " fut la première victime des U. Boot ; il fut coulé au canon le 24 novembre 1915 (voir encadré ci-dessus).

Deux jours après ce drame, le 27 novembre 1915, l'" Omara " était, lui aussi, attaqué au canon par un sous- marin allemand, l'" U33 ", à deux milles au Nord de l'île Zembra (golfe de Tunis), appelée également île Djamour, et lui aussi coula après avoir été atteint par plusieurs obus.

Le 14 décembre 1915, au cours d'un voyage Salonique-Marseille, le " Djurdjura " qui, en mars et en avril, était utilisé pour les transports de l'expédition des Dardanelles, était coulé par accident à la suite d'un abordage au large de Malte avec le croiseur auxiliaire de 14189 tonneaux " Empress of Britain ", appartenant à la Canadian Pacific de Liverpool.

L'année suivante, les navires de la Compagnie furent enfin armés d'un canon de 75, dit " de fuite " sur leur dunette, de deux mitrailleuses à l'arrière, de deux autres mitrailleuses sur les ailerons de passerelle, et d'un canon de 47 mm à l'avant.

Bien sûr cet armement n'était pas neuf, il avait été retiré du front où il avait déjà bien servi, mais il permettait aux navires ainsi armés de riposter, voire d'échapper à leurs attaquants; ainsi l'on vit en juillet 1916, le " Mascara ", contraindre le sous- ma in allemand " U33 " à abandonner le combat, après 90 minutes de feu nourri.

Le 24 août 1917, le " Moulouya ", allant de Marseille à Tunis, eut un engagement qui dura plus d'une heure avec le sous-marin " U34 " qui tira 120 coups de canon mais dut rompre le combat. Devant la riposte de leurs proies, les sous-marins ennemis employèrent la torpille qu'ils avaient jusque-là précieusement économisée. Il fallut dès lors mettre sur pied la deuxième parade à cette guerre sournoise : le système des convois. Mais de longs mois s'écoulèrent avant que la mesure ne fut efficace. Entre-temps, les navires marchands livrés à eux-mêmes subissaient des pertes qui atteignirent des proportions tellement gigantesques que le commandement interallié ne put se soustraire à l'angoisse.

Mais le ravitaillement des armées du front et des populations de l'arrière devait se poursuivre en dépit de l'hécatombe.

Le " Medjerda " sauve un pétrolier

Le " Medjerda ", qui avait été retiré de la flotte de la Compagnie en 1913 pour céder le pas au plus moderne " Théodore-Mante ", reprit du service lorsque ce dernier fut réquisitionné par la Défense nationale.

Reprenant ses voyages civils, le vieux et vaillant paquebot se joua trois années durant des sous-marins ennemis.
Il sauva entre autre les rescapés du navire anglais " BaronYarborough " torpillé par un sous-marin allemand.
Le 4 novembre 1916, le " Medjerda ", venant d'Algérie et qui faisait route vers Cette, passait au large de Carthagène, quand le matelot de veille, de quart sur l'aileron bâbord de la passerelle près de la mitrailleuse, signala à la timonerie la présence d'objets flottants par le travers.

Le commandant Got, prévenu immédiatement, constata à la jumelle que c'était de nombreuses caisses à essence qui flottaient à la surface, indice qu'il y avait eu un ravitaillement en mer.

Le commandant fit alors renforcer la veille.

Quelques minutes plus tard, un des veilleurs signala un petit pétrolier français qui faisait route sur l'avant du paquebot.
Au même moment, un autre homme de veille signala: " Submersible ennemi, par bâbord arrière! ".
Le navire, malgré son âge, avait encore une vitesse suffisante pour distancer le gêneur qui était encore assez loin, mais le commandant Got s'aperçut bientôt que le pétrolier qui faisait route devant le paquebot était moins rapide que lui, n'était pas armé et présentait ainsi une proie facile pour l'ennemi.

Le commandant, qui avait fait forcer les feux, fit alors ralentir son bâtiment pour servir de cible au sous-marin et détourner ainsi l'attention du pétrolier.

Le commandant allemand avait donné l'ordre d'ouvrir le feu et les obus commencèrent à tomber à quelques centaines de mètres du " Medjerda ".

A bord du paquebot, on avait armé depuis longtemps déjà le canon de 75 mm situé à l'arrière. Le canonnier-pointeur suivait le sous- marin dans son viseur, attendant l'ordre de faire feu.

Le petit pétrolier avait compris le danger et faisait maintenant route à toute vapeur, laissant derrière lui un énorme nuage de fumée noire, épaisse et huileuse, qui se déposa comme un voile sur la surface de la mer.

Le " Medjerda " qui avait ralenti fut encadré par les obus tirés à une distance de 2000 mètres environ;

Quelques minutes plus tard, ayant estimé être à bonne portée pour à son tour ouvrir le feu, le commandant Got, voyant le pétrolier s'éloigner, donna l'ordre de tir à l'armement du canon de 75. Dès les premiers coups le sous-marin fut encadré et plongea en catastrophe.

Le commandant fit alors mettre la machine en avant toute et le paquebot arriva le lendemain, sain et sauf, dans le port de Cette où il fut accueilli triomphalement.

Le danger, hélas, se précisait tandis qu'on désespérait d'être assuré d'une escadre de protection. Ce fut la douloureuse période du " marche ou crève ". Malgré le danger évident et le manque de plus en plus évident de protection, les commandants des navires marchands organisèrent au mieux leurs bâtiments pour parer aux attaques des sous-marins et pour prendre les mesures indispensables de sécurité en cas de naufrage. Deux jours après la perte du " Djurdjura ", le 26 novembre 1915, ce fut le tour de l'" Ornera " qui, attaqué au canon par le sous-marin allemand " U33 ", coula dans le golfe de Tunis. Le 11 mai 1917, le " Medjerda " fut torpillé, entraînant avec lui 352 victimes et, le ler septembre de la même année, ce fut au tour du " Mascara " de disparaître. Au sortir de la guerre, la Compagnie de Navigation Mixte, très éprouvée, dut faire de très gros efforts pour reconstruire sa flotte. Elle acheta d'occasion deux cargos récents, les " War Wasp " (1950 Tpl) et " War Bée " (2454 Tpl) qui furent rebaptisés " Capitaine-Coullon " et " Mécanicien-Moutte ". Le premier ne resta que cinq mois chez son nouveau propriétaire et fut revendu à la Compagnie Générale Transatlantique, tandis que le deuxième fut exploité jusqu'en 1949.

En 1920, la Mixte réorganisa ses services avec les navires qui lui restaient, comme suit:
- Marseille/Bône/Philippeville, hebdomadaire par le " Tafna ",
- Marseille/Port-Vendres/Oran, hebdomadaire par le " Mustapha II ",
- Marseille/Alger, commercial par le " Capitaine-Coullon ",
- Nice/Alger, commercial par le " Mécanicien-Moutte ".

La Compagnie porta une dernière fois son regard au-delà de la Méditerranée et passa commande de deux cargos de fort tonnage qu'elle voulait destiner à une ligne qu'elle méditait de créer avec l'est de l'Inde, via Bombay/Karachi; mais ce projet fut abandonné avant que ces navires ne fussent terminés, aussi furent- ils utilisés pour le " tramping " international. Ce furent " La Marseillaise " (10 340 Tpl) et le " Notre-Dame-de-Fourvières " (10100 Tpl), lancés tous les deux en 1920 aux chantiers de Penhoet à Saint-Nazaire. Ils ne restèrent que peu de temps au service de la Compagnie et furent vendus à la Compagnie Générale Transatlantique en 1929.

En 1922, deux autres vaisseaux furent achetés. Le premier était un vieux cargo allemand, l'" Irma-Woerman " (3220 Tpl, 850 CVi) qui fut rebaptisé " Lieutenant - Fournaud ".

Basé à Nice, il assura la ligne Bône - Philippeville - Djidjelli - Alger - Sète et Nice. Après une belle carrière, il fut vendu en décembre 1935 pour être démoli en Italie.

Le deuxième navire acheté en 1922 fut le petit paquebot russe " Penza " (2734 Tjb, 4000 CVi) datant de 1909. Rebaptisé " La Marsa II ", il pouvait transporter 213 passagers en cabines dans un confort tout relatif. Après une carrière sans histoire, il fut démoli treize ans plus tard en mars 1934 en Italie.

Après la guerre, les efforts nécessaires pour faire reconstruire les unités perdues pendant le conflit dépassaient les possibilités des compagnies de navigation françaises aussi, le gouvernement décida-t-il de faire construire une flotte d'État pour desservir l'Afrique du Nord. Il mit en construction huit navires : quatre sur le modèle du " Mustapha II " (ex " Théodore-Mante "), les " GouverneurGénéral-Tirman ", " Gouverneur-Général Cambon ", " Gouverneur-Général-Lépine " et " Gouverneur-Général-Laferrière ", ainsi que quatre paquebots du type " Duc- d' Aumale ", les " Gouverneur-Général Chanzy ", " Gouverneur-Général-de-Gueydon ", " Gouverneur-Général-Grévy " et " Gouverneur-Général-Jonnart ", affermés plus tard à la Compagnie Générale Transatlantique (ces huit navires portant le nom d'anciens gouverneurs de l'Algérie). Certains de ces paquebots, dont le " Lépine ", étaient équipés de machines alternatives d'un modèle destiné à la Marine de guerre.

Tous ces paquebots furent loués aux compagnies maritimes pour une somme symbolique et dérisoire de 5 F par mois et par navire dès leur mise en service en 1922 jusqu'au 1" avril 1925 où la location passa à 210000 F.

La Compagnie Mixte reçut trois de ces " Gouverneur " en 1922-1923: les Gouverneur-Général-Tirman ", " Gouverneur-Général-Cambon " et " Gouverneur-Général-Lépine ". C'était de bons navires, très marins et fiables, très bien adaptés aux lignes auxquelles ils étaient destinés, malgré une vitesse un peu faible (16 noeuds).

Le " Tirman " passa à la S.G.T.M. en 1935, le " Cambon " fut coulé pendant la guerre et le " Lépine " fut vendu en 1950 comme navire-école de la Marine marchande à Sète sous le nom de " Paul- Bousquet ". Il ne fut démoli qu'en 1976.

Malgré toutes ces difficultés de l'après- guerre, la Mixte continuait inlassablement sa marche. Elle inquiétait tout particulièrement sa grande rivale, la Compagnie Générale Transatlantique qui voyait en elle un redoutable concurrent.

En 1925, la Transat vivait difficilement; elle était alourdie par toutes ses filiales dont l'avenir était incertain. Aussi, voyait-elle grandir d'un oeil jaloux, la Compagnie Mixte. Pour arrêter son élan, elle acheta un grand nombre d'actions de la Compagnie et obtint au sein de son conseil, trois administrateurs dont l'influence considérable contrôla et arrêta trop souvent d'heureuses initiatives; la construction de l'" El-Biar " (4564 Tjb, 5000 CVi), dont la conception était déjà dépassée lorsqu'elle fut décidée en fut la preuve flagrante.

L'" El-Biar " fut lancé le premier septembre 1927 et, malgré sa chauffe au mazout, ne dépassa pas les 16 noeuds et demi aux essais. Ce paquebot pouvait transporter 256 passagers en cabines et 2450 tonnes de marchandises. Refondu en 1934, il atteignit péniblement les 18 noeuds grâce à l'adjonction d'une turbine basse pression de type Bauer-Wach utilisant la vapeur au sortir des cylindres de la machine principale, alors que les autres nouveaux paquebots de la Mixte dépassaient tous les 20 noeuds.
L'" El-Biar " fut coulé par l'aviation allemande le 20 avril 1944.

Pour compléter la flotte de ses paquebots, la Compagnie acheta un vieux vapeur âgé de dix-neuf ans, le " Gibel-Zerjon " (2378 Tjb, 3 200 CVi, 117 passagers). Rebaptisé " Djemila ", il ne fut exploité que pendant six ans avant d'être démoli en Italie en 1934.

Premier navire de la remarquable série des " El ", l'" El-Goléa " (4840 Tjb, 7 000 CVi) fut lancé à La Seyne le 28 février 1929. C'était aussi le premier navire de la Compagnie à être équipé de deux turbines actionnant deux hélices lui assurant une vitesse de croisière de 19 noeuds. Ses emménagements vastes et aérés furent prévus pour recevoir 311 passagers en cabines. Sa mise en service sur la ligne de Port-Vendres/Alger et Oran eut lieu en septembre 1929. Elle coïncidait avec l'inauguration de la nouvelle gare maritime, avec celle du grand hôtel de la Compagnie du Midi dont la Mixte était actionnaire et avec la création de la ligne ferroviaire directe Paris/ PortVendres-quai avec le train-paquebot qui attendait les passagers au pied de l'" El- Goléa ". Dès sa mise en exploitation, l'" EI-Goléa " connut un très grand succès ainsi que la ligne de Port-Vendres dont le slogan était: " La traversée la plus courte dans les eaux les plus abritées ". Hélas! Cette réussite fut éphémère car, le lundi de Pentecôte, 25 mai 1931, l'" El- Goléa " s'échoua par temps de brouillard sur les rochers du cap del Freu, dans le nord de l'île de Majorque. Vingt et un jours plus tard, malgré tous les efforts faits pour déséchouer le navire, celui-ci fut brisé par la tempête et devint alors irrécupérable.

Toujours en 1929, la Compagnie renouvela sa flotte de charge par la commande de trois cargos dits " moutonniers ", construits en Angleterre, les " Djebel- Aurès ", " Djebel-Dira " et " Djebel- Amour ". Ces navires d'un port en lourd de 2 600 tonnes environ étaient aussi équipés pour transporter 34 passagers en cabines et avaient une turbine donnant une vitesse commerciale de 14 noeuds. Ils étaient spécialement construits pour le transport de moutons d'Algérie en France; le " Djebel-Amour " qui avait des bossoirs d'embarcations surélevés arriva à en transporter jusqu'à 11 000 (onze mille) en un seul voyage. Le " Djebel-Dira " fut sabordé par les Allemands en août 1944 et jugé irrécupérable. Le " Djebel-Aurès " fut retiré de la flotte en 1954 et le " Djebel-Amour " l'année suivante. Immédiatement après la perte de l'" El-Goléa ", la Mixte commanda, pour le remplacer, un nouveau paquebot à des chantiers anglais réputés pour la rapidité de leurs constructions. Mis en service exactement onze mois après la perte de l'" El-Goléa ", l'" El- Kantara " (5079 Tjb, 8 500 CVi) était ce que l'on peut appeler un paquebot moderne. Avec ses deux groupes de turbines à réducteurs actionnant deux hélices lui donnant une vitesse maximum de 21,5 noeuds, c'était un paquebot très marin et fin manoeuvrier, pouvant transporter 362 passagers en cabines et 1 620 tonnes de marchandises.

L'" El-Kantara " remplaça l'" El-Goléa" sur la ligne de Port-Vendres le 2 mai 1932 et obtint un franc succès grâce au confort de ses emménagements. Il fut détruit pendant la Seconde Guerre mondiale. Après la commande de l'" El-Kantara ", la Compagnie continuant son programme de constructions commanda, cette fois à des chantiers français, deux nouveaux paquebots plus importants, afin de compléter la série des " D ".

Ces deux magnifiques unités, l'" El-Mansour " (5835 Tjb, 12 000 CVi) et I'" El- Djezaïr " (5884 Tjb, 12 000 CVi) furent construits par les Forges & Chantiers de la Méditerranée à La Seyne-sur-Mer à un an d'intervalle. Ils pouvaient transporter dans d'excellentes conditions de confort (et de luxe pour les premières classes) 383 passagers en cabines.

L" El-Mansour " fut mis en ligne sur Port-Vendres/ Alger le 21 mai 1933 et navigua pour la Compagnie jusqu'en 1963.

L'" El-Djezaïr ", construit en onze mois, fut mis en service sur la ligne Marseille/ Alger le 24 avril 1934. Il fut détruit pendant le deuxième conflit mondial.

Pour affirmer plus solidement sa présence sur les lignes d'Afrique du Nord, la Compagnie de Navigation Mixte allait créer simultanément deux filiales maritimes: en 1937 elle acheta la Compagnie Busck, vieil armement marseillais qui possédait cinq cargos: les " Kabyle " (2700 Tpl, 1 100 CVi), " Kroumir " (2700 Tpl, 1 100 CVi), " Cheik " (deuxième du nom, 1 500 Tpl, 700 CVi), " Goumier " (deuxième du nom) et le " Spahis " de mêmes caractéristiques. L'année suivante, la Compagnie acheta un cargo neuf, l'" Oasis " (2500 Tpl, 1 400 CVi) pour compléter la flotte de sa nouvelle filiale. Toujours en 1937, pour neutraliser la concurrence que lui portait la Société Maritime Nationale, la Compagnie créa avec elle la Société Maritime Nationale Méditerranéenne. Cette nouvelle société fut constituée de trois navires: l' " Henri Estier ", petit paquebot mixte de 1904 tonneaux de jauge brute et 2 400 tonnes de port en lourd pouvant transporter 73 passagers en cabines, le " Tell II" cargo neuf construit en Norvège de 1 349 tonnes (1100 CVi) de port en lourd et le " Mécanicien-Moutte " que nous connaissons déjà. Toujours à la pointe du progrès, la Mixte commanda en Pologne un nouveau cargo pour sa propre flotte. Baptisé " Djebel-Nador ", ce fut son premier navire à moteur Diesel, et encore un cargo " moutonnier " qui pouvait transporter 3 000 tonnes de marchandises ainsi que 12 passagers en classe unique. Les 3 950 chevaux de son moteur Man à 6 cylindres lui donnaient une vitesse de 15 nœuds.
(À suivre)