Petite histoire de la
Compagnie de Navigation Mixte
Deuxième partie : 1895 - 1915 (partie
1)
Bernard Bernadac
1895 vit la fin du monopole de la Compagnie Générale
Transatlantique sur les lignes d'Afrique du Nord. L'État accorda
à toutes les compagnies marseillaises, une rémunération
pour le transport des dépêches et des primes à la
vitesse. Cet accord fut revu l'année suivante.
Toujours en 1895, le bâtiment qui entra dans la flotte fut le vétéran
" Erymanthe ", construit pour le compte des Messageries Impériales.
Il ne resta que trois années au service de la Compagnie car, le
18 novembre 1898, il eut un abordage avec le vapeur " Berry "
de la S.G.T.M., il s'échoua pour ne pas couler, mais fut brisé
par la tempête deux jours plus tard.
C'est avec une flotte bien équilibrée que la Compagnie de
Navigation Mixte entra dans la convention postale de 1897 qui mit fin
à l'anarchie et à la sévère lutte des tarifs.
Le joli paquebot portugais " Tungue " fut acheté en juillet
1897 et rebaptisé " Touareg ". D'une jauge brute de 1286
tonneaux, il avait une vitesse de 13 noeuds. Exploité pendant cinq
ans, il fut vendu en 1912.
Seul navire neuf acheté en cette fin de siècle, le "
Medjerda " fut lancé à La Seyne le 17 septembre
1898.
Il jaugeait brut 1862 tonneaux et pouvait transporter 122 passagers en
cabines à la vitesse de 15 noeuds. Il fut affecté à
la ligne de Port-Vendres/Oran.
Deux paquebots achetés d'occasion vinrent rejoindre la flotte en
1898 et en 1900: le " Rosario " (1896 Tjb, 1 800 CVi) et le
" Tewfik-Rabbani " (2054 Tjb, 3 666 CVi). Ils furent rebaptisés
respectivement " Djurdjura
" et "
La Marsa ".
En 1904, pour compléter sa flotte de navires de charge, la Compagnie
acheta plusieurs cargos d'occasion, le " Calabro " (3320 Tpl),
rebaptisé " Moulouya " et deux petits vapeurs, l'"
Omara " (350 Tpl) et le " Tavignano " (229 Tpl). Quatre
ans plus tard, ce fut le tour du " Pongola " (1464 Tjb, 625
CVi) un vieux vapeur utilisé comme cargo. Rebaptisé "
Mitidja (II) ", il ne resta que quatre ans chez son nouveau propriétaire
et fut vendu à l'Italie. Revendu plusieurs fois, il fut démoli
à l'âge très respectable de cinquante ans.
En 1910, le paquebot anglais " Port- Maria " (2 901 Tjb, 4 300
CVi) vint rejoindre la flotte. C'était un très joli navire
qui, avec son étrave incurvée, ses superstructures basses,
ses mâts et sa cheminée inclinés ressemblait à
un yacht. Rebaptisé " Mustapha ", il se révéla
très rapide et un terrible mangeur de charbon, aussi fut-il vendu
trois ans plus tard à une compagnie italienne et rebaptisé
" Tocra ".
L'année suivante la Compagnie acheta le " Napolitan-Prince
" (3231 Tjb, 4 000 CVi) de la Prince Line de Newcastle. Avec ses
mâts élancés et ses sabords carrés, c'était
le plus gracieux des navires qui ait jamais battu le pavillon de la N.M.
Rebaptisé " Manouba ", il pouvait transporter 160 passagers
en cabines et 1 370 tonnes de marchandises. Dix-huit ans plus tard, le
" Manouba ", tout de même âgé de quarante
ans fut vendu le 14 février 1929 pour être démoli
en Italie. Six mois après l'achat du " Manouba ", en
avril 1912, furent achetés deux paquebots jumeaux, le " Kotzikos
" et le " Margiora " (2 564 Tjb, 1 800 CVi) qui furent
rebaptisés respectivement "Mascara" et " Mansoura
".
Ce furent les premiers navires de la Compagnie à être équipés
de machines à quadruple expansion. Le " Mascara " disparut
en 1917 dans des circonstances mystérieuses tandis que le "
Mansoura " fut vendu pour être démoli en 1923.
Le dernier achat d'un navire neuf avant la Grande Guerre fut celui du
" Théodore- Mante ", baptisé du nom du président
de la Compagnie. Lancé le 28 novembre 1912 aux Forges & Chantiers
de la Méditerranée à La Seyne-sur-Mer, ce petit paquebot
de 3 496 tonneaux de jauge brute fut une grande réussite. Très
marin et très bien conçu aussi bien dans ses emménagements
que dans ses machines, il pouvait transporter 274 passagers en cabines
et 1 870 tonnes de marchandises.
Après la guerre de 1914-1918, il servira de modèle à
la construction de quatre navires de la célèbre série
des " Gouverneur ". Ce joli paquebot atteignit presque 18 noeuds
aux essais et resta vingt-quatre ans au service de la Compagnie sous trois
noms différents: " Théodore-Mante ", "
Mustapha II " et " Djebel-Antar " (transformé
en cargo).
Le dernier achat d'un navire d'occasion avant la Grande Guerre fut celui
du " Brada ", un vieux cargo âgé de trente-deux
ans. Rebaptisé " Algérien ", il fut détruit
deux ans plus tard par un sous- marin ennemi.
Le drame de l'
" Algérien "
Le mercredi 24 novembre 1915,
" Algérien " appareillait pour Tunis à midi
avec une cargaison pour Marseille. La mer était belle et
favorisait le voyage. Le lendemain, près de l'île de
San Pietro (Sardaigne), un submersible ennemi émergea à
environ 1200 à 1500 mètres de l' " Algérien
".
De la passerelle où il se trouvait, le capitaine Coullon
(qui était second capitaine lors du naufrage de l' "
Émir " le 9 août 1911 et qui avait sauvé
Mme Lucciardi, épouse du consul de France à Tanger),
en présence du danger qui menaçait, donna l'ordre
à ses hommes de mettre le youyou et le grand canot de sauvetage
à la mer, mais à peine venaient-ils de le faire, qu'un
éclat d'obus le tuait net. Le lieutenant Fournaud qui se
tenait à côté du commandant eut le bras droit
emporté par le même obus et mourait peu après
de ses blessures (respectant la tradition de la Marine française,
les deux premiers navires de la Compagnie achetés après
la guerre porteront leurs noms).
Le sous-marin se rapprocha et canonna à nouveau l' "
Algérien ", mais le second maître Vaillant avait
pris la direction du sauvetage et parvint à faire réfugier
l'équipage dans les deux embarcations. Neuf marins prirent
place dans le youyou et dix-huit de leurs camarades dans la grande
embarcation.
Les deux canots débordèrent et étaient sur
le point de s'éloigner lorsque le submersible, qui s'était
encore avancé, canonna le grand canot qui coula aussitôt
à pic entraînant avec lui les dix-huit marins qui étaient
à bord.
Satisfait de cet acte de barbarie que rien ne saurait justifier
- puisque l' " Algérien " n'était qu'un
simple cargo et ne transportait aucun passager militaire ou civil
- le sous-marin s'éloigna enfin, après avoir attendu
que l' " Algérien " eût coulé. Il
ne s'attaqua heureusement pas au youyou, estimant sans doute que
celui-ci ne valait pas la peine de gaspiller un obus.
Ce ne fut que le lendemain matin, à six heures, que les neuf
rescapés atteignirent Carloforte (Sardaigne), où les
autorités et la population leur réservèrent
l'accueil le plus dévoué. Le naufrage de l' "
Algérien " avait fait dix-neuf victimes.
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1914, dès les premiers jours de la mobilisation
générale, tous les navires disponibles effectuèrent
des transports intensifs de troupes et de matériels d'Afrique du
Nord en France, avec une rapidité remarquable. Puis, les Allemands
déclarèrent la guerre sous-marine à outrance et l'hécatombe
commença. L' " Algérien " fut la première
victime des U. Boot ; il fut coulé au canon le 24 novembre 1915
(voir encadré ci-dessus).
Deux jours après ce drame, le 27 novembre 1915,
l'" Omara " était, lui aussi, attaqué au canon
par un sous- marin allemand, l'" U33 ", à deux milles
au Nord de l'île Zembra (golfe de Tunis), appelée également
île Djamour, et lui aussi coula après avoir été
atteint par plusieurs obus.
Le 14 décembre 1915, au cours d'un voyage Salonique-Marseille,
le " Djurdjura " qui, en mars et en avril, était utilisé
pour les transports de l'expédition des Dardanelles, était
coulé par accident à la suite d'un abordage au large de
Malte avec le croiseur auxiliaire de 14189 tonneaux " Empress of
Britain ", appartenant à la Canadian Pacific de Liverpool.
L'année suivante, les navires de la Compagnie furent enfin armés
d'un canon de 75, dit " de fuite " sur leur dunette, de deux
mitrailleuses à l'arrière, de deux autres mitrailleuses
sur les ailerons de passerelle, et d'un canon de 47 mm à l'avant.
Bien sûr cet armement n'était pas neuf, il avait été
retiré du front où il avait déjà bien servi,
mais il permettait aux navires ainsi armés de riposter, voire d'échapper
à leurs attaquants; ainsi l'on vit en juillet 1916, le " Mascara
", contraindre le sous- ma in allemand " U33 " à
abandonner le combat, après 90 minutes de feu nourri.
Le 24 août 1917, le " Moulouya ", allant de Marseille
à Tunis, eut un engagement qui dura plus d'une heure avec le sous-marin
" U34 " qui tira 120 coups de canon mais dut rompre le combat.
Devant la riposte de leurs proies, les sous-marins ennemis employèrent
la torpille qu'ils avaient jusque-là précieusement économisée.
Il fallut dès lors mettre sur pied la deuxième parade à
cette guerre sournoise : le système des convois. Mais de longs
mois s'écoulèrent avant que la mesure ne fut efficace. Entre-temps,
les navires marchands livrés à eux-mêmes subissaient
des pertes qui atteignirent des proportions tellement gigantesques que
le commandement interallié ne put se soustraire à l'angoisse.
Mais le ravitaillement des armées du front et des populations de
l'arrière devait se poursuivre en dépit de l'hécatombe.
Le " Medjerda " sauve un pétrolier
Le " Medjerda ", qui avait été
retiré de la flotte de la Compagnie en 1913 pour céder
le pas au plus moderne " Théodore-Mante ", reprit
du service lorsque ce dernier fut réquisitionné par
la Défense nationale.
Reprenant ses voyages civils, le vieux et vaillant paquebot se joua
trois années durant des sous-marins ennemis.
Il sauva entre autre les rescapés du navire anglais "
BaronYarborough " torpillé par un sous-marin allemand.
Le 4 novembre 1916, le " Medjerda ", venant d'Algérie
et qui faisait route vers Cette, passait au large de Carthagène,
quand le matelot de veille, de quart sur l'aileron bâbord
de la passerelle près de la mitrailleuse, signala à
la timonerie la présence d'objets flottants par le travers.
Le commandant Got, prévenu immédiatement, constata
à la jumelle que c'était de nombreuses caisses à
essence qui flottaient à la surface, indice qu'il y avait
eu un ravitaillement en mer.
Le commandant fit alors renforcer la veille.
Quelques minutes plus tard, un des veilleurs signala un petit pétrolier
français qui faisait route sur l'avant du paquebot.
Au même moment, un autre homme de veille signala: " Submersible
ennemi, par bâbord arrière! ".
Le navire, malgré son âge, avait encore une vitesse
suffisante pour distancer le gêneur qui était encore
assez loin, mais le commandant Got s'aperçut bientôt
que le pétrolier qui faisait route devant le paquebot était
moins rapide que lui, n'était pas armé et présentait
ainsi une proie facile pour l'ennemi.
Le commandant, qui avait fait forcer les feux, fit alors ralentir
son bâtiment pour servir de cible au sous-marin et détourner
ainsi l'attention du pétrolier.
Le commandant allemand avait donné l'ordre d'ouvrir le feu
et les obus commencèrent à tomber à quelques
centaines de mètres du " Medjerda ".
A bord du paquebot, on avait armé depuis longtemps déjà
le canon de 75 mm situé à l'arrière. Le canonnier-pointeur
suivait le sous- marin dans son viseur, attendant l'ordre de faire
feu.
Le petit pétrolier avait compris le danger et faisait maintenant
route à toute vapeur, laissant derrière lui un énorme
nuage de fumée noire, épaisse et huileuse, qui se
déposa comme un voile sur la surface de la mer.
Le " Medjerda " qui avait ralenti fut encadré par
les obus tirés à une distance de 2000 mètres
environ;
Quelques minutes plus tard, ayant estimé être à
bonne portée pour à son tour ouvrir le feu, le commandant
Got, voyant le pétrolier s'éloigner, donna l'ordre
de tir à l'armement du canon de 75. Dès les premiers
coups le sous-marin fut encadré et plongea en catastrophe.
Le commandant fit alors mettre la machine en avant toute et le paquebot
arriva le lendemain, sain et sauf, dans le port de Cette où
il fut accueilli triomphalement.
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Le danger, hélas, se précisait tandis qu'on
désespérait d'être assuré d'une escadre de
protection. Ce fut la douloureuse période du " marche ou
crève ". Malgré le danger évident et le
manque de plus en plus évident de protection, les commandants des
navires marchands organisèrent au mieux leurs bâtiments pour
parer aux attaques des sous-marins et pour prendre
les mesures indispensables de sécurité en cas de naufrage.
Deux jours après la perte du " Djurdjura ", le 26 novembre
1915, ce fut le tour de l'" Ornera " qui, attaqué au
canon par le sous-marin allemand " U33 ", coula dans le golfe
de Tunis. Le 11 mai 1917, le " Medjerda " fut torpillé,
entraînant avec lui 352 victimes et, le ler septembre de la même
année, ce fut au tour du " Mascara " de disparaître.
Au sortir de la guerre, la Compagnie de Navigation Mixte, très
éprouvée, dut faire de très gros efforts pour reconstruire
sa flotte. Elle acheta d'occasion deux cargos récents, les "
War Wasp " (1950 Tpl) et " War Bée " (2454 Tpl)
qui furent rebaptisés " Capitaine-Coullon " et "
Mécanicien-Moutte ". Le premier ne resta que cinq mois chez
son nouveau propriétaire et fut revendu à la Compagnie Générale
Transatlantique, tandis que le deuxième fut exploité jusqu'en
1949.
En 1920, la Mixte réorganisa ses services avec les navires qui
lui restaient, comme suit:
- Marseille/Bône/Philippeville, hebdomadaire par le " Tafna
",
- Marseille/Port-Vendres/Oran, hebdomadaire par le " Mustapha II
",
- Marseille/Alger, commercial par le " Capitaine-Coullon ",
- Nice/Alger, commercial par le " Mécanicien-Moutte ".
La Compagnie porta une dernière fois son regard au-delà
de la Méditerranée et passa commande de deux cargos de fort
tonnage qu'elle voulait destiner à une ligne qu'elle méditait
de créer avec l'est de l'Inde, via Bombay/Karachi; mais ce projet
fut abandonné avant que ces navires ne fussent terminés,
aussi furent- ils utilisés pour le " tramping " international.
Ce furent " La Marseillaise " (10 340 Tpl) et le " Notre-Dame-de-Fourvières
" (10100 Tpl), lancés tous les deux en 1920 aux chantiers
de Penhoet à Saint-Nazaire. Ils ne restèrent que peu de
temps au service de la Compagnie et furent vendus à la Compagnie
Générale Transatlantique en 1929.
En 1922, deux autres vaisseaux furent achetés. Le premier était
un vieux cargo allemand, l'" Irma-Woerman " (3220 Tpl, 850 CVi)
qui fut rebaptisé " Lieutenant - Fournaud ".
Basé à Nice, il assura la ligne Bône - Philippeville
- Djidjelli - Alger - Sète et Nice. Après une belle carrière,
il fut vendu en décembre 1935 pour être démoli en
Italie.
Le deuxième navire acheté en 1922 fut le petit paquebot
russe " Penza " (2734 Tjb, 4000 CVi) datant de 1909. Rebaptisé
" La Marsa II ", il pouvait transporter 213 passagers en cabines
dans un confort tout relatif. Après une carrière sans histoire,
il fut démoli treize ans plus tard en mars 1934 en Italie.
Après la guerre, les efforts nécessaires pour faire reconstruire
les unités perdues pendant le conflit dépassaient les possibilités
des compagnies de navigation françaises aussi, le gouvernement
décida-t-il de faire construire une flotte d'État pour desservir
l'Afrique du Nord. Il mit en construction huit navires : quatre sur le
modèle du " Mustapha II " (ex " Théodore-Mante
"), les " GouverneurGénéral-Tirman ", "
Gouverneur-Général Cambon ", "
Gouverneur-Général-Lépine " et "
Gouverneur-Général-Laferrière ", ainsi que quatre
paquebots du type " Duc- d' Aumale ", les " Gouverneur-Général
Chanzy ", " Gouverneur-Général-de-Gueydon ",
" Gouverneur-Général-Grévy " et "
Gouverneur-Général-Jonnart ", affermés plus
tard à la Compagnie Générale Transatlantique (ces
huit navires portant le nom d'anciens gouverneurs de l'Algérie).
Certains de ces paquebots, dont le " Lépine ", étaient
équipés de machines alternatives d'un modèle destiné
à la Marine de guerre.
Tous ces paquebots furent loués aux compagnies maritimes pour une
somme symbolique et dérisoire de 5 F par mois et par navire dès
leur mise en service en 1922 jusqu'au 1" avril 1925 où la
location passa à 210000 F.
La Compagnie Mixte reçut trois de ces " Gouverneur "
en 1922-1923: les Gouverneur-Général-Tirman ", "
Gouverneur-Général-Cambon " et " Gouverneur-Général-Lépine
". C'était de bons navires, très marins et fiables,
très bien adaptés aux lignes auxquelles ils étaient
destinés, malgré une vitesse un peu faible (16 noeuds).
Le " Tirman " passa à la S.G.T.M. en 1935, le "
Cambon " fut coulé pendant la guerre et le " Lépine
" fut vendu en 1950 comme navire-école de la Marine marchande
à Sète sous le nom de " Paul- Bousquet ". Il ne
fut démoli qu'en 1976.
Malgré toutes ces difficultés de l'après- guerre,
la Mixte continuait inlassablement sa marche. Elle inquiétait tout
particulièrement sa grande rivale, la Compagnie Générale
Transatlantique qui voyait en elle un redoutable concurrent.
En 1925, la Transat vivait difficilement; elle était alourdie par
toutes ses filiales dont l'avenir était incertain. Aussi, voyait-elle
grandir d'un oeil jaloux, la Compagnie Mixte. Pour arrêter son élan,
elle acheta un grand nombre d'actions de la Compagnie et obtint au sein
de son conseil, trois administrateurs dont l'influence considérable
contrôla et arrêta trop souvent d'heureuses initiatives; la
construction de l'" El-Biar " (4564 Tjb, 5000 CVi), dont la
conception était déjà dépassée lorsqu'elle
fut décidée en fut la preuve flagrante.
L'" El-Biar
" fut lancé le premier septembre 1927 et, malgré sa
chauffe au mazout, ne dépassa pas les 16 noeuds et demi aux essais.
Ce paquebot pouvait transporter 256 passagers en cabines et 2450 tonnes
de marchandises. Refondu en 1934, il atteignit péniblement les
18 noeuds grâce à l'adjonction d'une turbine basse pression
de type Bauer-Wach utilisant la vapeur au sortir des cylindres de la machine
principale, alors que les autres nouveaux paquebots de la Mixte dépassaient
tous les 20 noeuds.
L'" El-Biar " fut coulé par l'aviation allemande le 20
avril 1944.
Pour compléter la flotte de ses paquebots, la Compagnie acheta
un vieux vapeur âgé de dix-neuf ans, le " Gibel-Zerjon
" (2378 Tjb, 3 200 CVi, 117 passagers). Rebaptisé " Djemila
", il ne fut exploité que pendant six ans avant
d'être démoli en Italie en 1934.
Premier navire de la remarquable série des " El ", l'"
El-Goléa " (4840 Tjb, 7 000 CVi) fut lancé à
La Seyne le 28 février 1929. C'était aussi le premier navire
de la Compagnie à être équipé de deux turbines
actionnant deux hélices lui assurant une vitesse de croisière
de 19 noeuds. Ses emménagements vastes et aérés furent
prévus pour recevoir 311 passagers en cabines. Sa mise en service
sur la ligne de Port-Vendres/Alger et Oran eut lieu en septembre 1929.
Elle coïncidait avec l'inauguration de la nouvelle gare maritime,
avec celle du grand hôtel de la Compagnie du Midi dont la Mixte
était actionnaire et avec la création de la ligne ferroviaire
directe Paris/ PortVendres-quai avec le train-paquebot qui attendait les
passagers au pied de l'" El- Goléa ". Dès sa mise
en exploitation, l'" EI-Goléa " connut un très
grand succès ainsi que la ligne de Port-Vendres dont le slogan
était: " La traversée la plus courte dans les eaux
les plus abritées ". Hélas! Cette réussite fut
éphémère car, le lundi de Pentecôte, 25 mai
1931, l'" El- Goléa " s'échoua par temps de brouillard
sur les rochers du cap del Freu, dans le nord de l'île de Majorque.
Vingt et un jours plus tard, malgré tous les efforts faits pour
déséchouer le navire, celui-ci fut brisé par la tempête
et devint alors irrécupérable.
Toujours en 1929, la Compagnie renouvela sa flotte de charge par la commande
de trois cargos dits " moutonniers ", construits en Angleterre,
les " Djebel- Aurès ", " Djebel-Dira " et "
Djebel-
Amour ". Ces navires d'un port en lourd de 2 600 tonnes
environ étaient aussi équipés pour transporter 34
passagers en cabines et avaient une turbine donnant une vitesse commerciale
de 14 noeuds. Ils étaient spécialement construits pour le
transport de moutons d'Algérie en France; le " Djebel-Amour
" qui avait des bossoirs d'embarcations surélevés arriva
à en transporter jusqu'à 11 000 (onze mille) en un seul
voyage. Le " Djebel-Dira " fut sabordé par les Allemands
en août 1944 et jugé irrécupérable. Le "
Djebel-Aurès " fut retiré de la flotte en 1954 et le
" Djebel-Amour " l'année suivante. Immédiatement
après la perte de l'" El-Goléa ", la Mixte commanda,
pour le remplacer, un nouveau paquebot à des chantiers anglais
réputés pour la rapidité de leurs constructions.
Mis en service exactement onze mois après la perte de l'"
El-Goléa ", l'" El- Kantara " (5079 Tjb, 8 500 CVi)
était ce que l'on peut appeler un paquebot moderne. Avec ses deux
groupes de turbines à réducteurs actionnant deux hélices
lui donnant une vitesse maximum de 21,5 noeuds, c'était un paquebot
très marin et fin manoeuvrier, pouvant transporter 362 passagers
en cabines et 1 620 tonnes de marchandises.
L'" El-Kantara " remplaça l'" El-Goléa"
sur la ligne de Port-Vendres le 2 mai 1932 et obtint un franc succès
grâce au confort de ses emménagements. Il fut détruit
pendant la Seconde Guerre mondiale. Après la commande de l'"
El-Kantara ", la Compagnie continuant son programme de constructions
commanda, cette fois à des chantiers français, deux nouveaux
paquebots plus importants, afin de compléter la série des
" D ".
Ces deux magnifiques unités, l'" El-Mansour
" (5835 Tjb, 12 000 CVi) et I'" El-
Djezaïr " (5884 Tjb, 12 000 CVi) furent construits
par les Forges & Chantiers de la Méditerranée à
La Seyne-sur-Mer à un an d'intervalle. Ils pouvaient transporter
dans d'excellentes conditions de confort (et de luxe pour les premières
classes) 383 passagers en cabines.
L" El-Mansour " fut mis en ligne sur Port-Vendres/
Alger le 21 mai 1933 et navigua pour la Compagnie jusqu'en 1963.
L'" El-Djezaïr ", construit en onze mois, fut mis en service
sur la ligne Marseille/ Alger le 24 avril 1934. Il fut détruit
pendant le deuxième conflit mondial.
Pour affirmer plus solidement sa présence sur les lignes d'Afrique
du Nord, la Compagnie de Navigation Mixte allait créer simultanément
deux filiales maritimes: en 1937 elle acheta la Compagnie Busck, vieil
armement marseillais qui possédait cinq cargos: les " Kabyle
" (2700 Tpl, 1 100 CVi), " Kroumir " (2700 Tpl, 1 100 CVi),
" Cheik " (deuxième du nom, 1 500 Tpl, 700 CVi), "
Goumier " (deuxième du nom) et le " Spahis " de
mêmes caractéristiques. L'année suivante, la Compagnie
acheta un cargo neuf, l'" Oasis " (2500 Tpl, 1 400 CVi) pour
compléter la flotte de sa nouvelle filiale. Toujours en 1937, pour
neutraliser la concurrence que lui portait la Société Maritime
Nationale, la Compagnie créa avec elle la Société
Maritime Nationale Méditerranéenne. Cette nouvelle société
fut constituée de trois navires: l' " Henri Estier ",
petit paquebot mixte de 1904 tonneaux de jauge brute et 2 400 tonnes de
port en lourd pouvant transporter 73 passagers en cabines, le " Tell
II" cargo neuf construit en Norvège de 1 349 tonnes (1100
CVi) de port en lourd et le " Mécanicien-Moutte " que
nous connaissons déjà. Toujours à la pointe du progrès,
la Mixte commanda en Pologne un nouveau cargo pour sa propre flotte. Baptisé
" Djebel-Nador ", ce fut son premier navire à moteur
Diesel, et encore un cargo " moutonnier " qui pouvait transporter
3 000 tonnes de marchandises ainsi que 12 passagers en classe unique.
Les 3 950 chevaux de son moteur Man à 6 cylindres lui donnaient
une vitesse de 15 nuds.
(À suivre)
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