LE RÉSEAU DES
CHEMINS DE FER SUR ROUTE D'ALGÉRIE(C. F. R. A.)
L'agglomération algéroise, qui se place
maintenant au 5e rang des grandes villes françaises avec une population
urbaine et suburbaine dépassant 400.000 habitants, possède
un réseau de transports en commun modèle à citer
en exemple à bien des villes de IN métropole.Ce réseau
est exploité par deux entreprises :
1° La Société des Tramways algériens (T.A.).(note
du Déjanté : voir les T.A
sur ce site.)
2° La Société des Chemins de fer sur routes d'Algérie
(C.F.R.A.).(note du Déjanté : voir CFRA
sur ce site)
Dans le présent article, nous décrirons le réseau
de cette dernière.
LE SITE D'ALGER
Le site d'Alger est extrêmement tourmenté : l'ancienne ville
d'Alger ou Casbah
autrefois entourée de remparts, percée d'un fouillis inextricable
de rues étroites, parfois couvertes, et d'impasses, encadrées
de hauts murs percés d'étroites ouvertures grillagées
s'élève rapidement en amphithéâtre autour de
la darse de l'Amirauté,
l'antique poport barbaresque, origine de la ville, très modeste
embryon du gigantesque port
moderne
La cité européenne s'est développée autour
de la ville indigène : son centre géographique et actif
est la place
du Gouvernement, véritable coeur de toute l'agglomération
à proximité immédiate de la Casbah, des quais, du
port moderne, de la vieille darse et de la gare avec la mosquée
de la Pêcherie, la grande mosquée, le palais
consulaire et la cathédrale.
Le
front de mer d'Alger est un long boulevard en
corniche posé sur une série d'arcades, qui donne aux voyageurs
venant du large l'impression que l'agglomération est construite
sur un piédestal ; cet aspect si caractéristique de la cité
est popularisé par les photographies.
La bande littorale, peuplée de bout en bout, s'étend donc
maintenant sur une trentaine de km de Guyotville
à Maison-Carrée.
CREATION DU RESEAU DES C.F.R.A.
L'extension de la ville, l'importance croissante du port qui s'allonge
maintenant sur 6 km et la dispersion des quartiers d'habitation, des quartiers
commerçants et des quartiers industriels ont imposé rapidement
à Alger la nécessité d'un système coordonné
de transports en commun et dès 1900, un réseau de tramways
électriques déjà important et s'étendant loin
dans la banlieue desservait les quartiers côtiers suivant deux axes
principaux :
-l'un sur le boulevard
front de mer exploité par les C.F.R.A. ;
-l'autre un peu
en retrait exploité par les T.A.;
l'un et l'autre lançant quelques embranchements vers l'intérieur,
embranchements peu développés du fait de la nature montagneuse
de l'arrière-pays.
Laissant de côté le réseau des T.A., qui se superpose
sans le doubler au réseau des C.F.R.A., nous décrirons les
lignes de ce dernier.
La Société des C.F.R.A., comme son nom l'indique, a été
créée à son origine en 1892 pour la construction
et l'exploitation d'un réseau de tramways à vapeur sur routes
à voie étroite ; ce réseau devait s'étendre
sur toute la zone nord du département d'Alger, c'est- à-dire
le long de la côte dans la Mitidja et en Kabylie, mais une partie
seulement du réseau projeté fut construit et mis en exploitation.
Au moment de son développement maximum, le réseau à
vapeur des C.F.R.A. comprenait :
1° Trois lignes au départ d'Alger
:
- le long de la
côte ouest : Alger-Koléa (50 km) avec un embranchement sur
Castiglione (11 km);
- le long de la
côte est : Alger-Aïn-Taya (32 km) ;
- vers le Sud, dans
la Mitidja : Alger-Rovigo (34 km d'Alger), en tronçon commun avec
la ligne précédente sur 12 km d'Alger à Maison-Carrée;
2° A l'ouest du département,
la ligne El-Affroun-Marengo-Cherchell (49 km) reliant la grande artère
à voie normale : Alger-Oran à la côte par l'ouest
de la Mitidja, riche région viticole;
3° En Kabylie, la ligne Dellys-Boghni
(68 km) coupant à Camp du Maréchal et à Mirabeau
la ligne à voie normale Alger-Tizi-Ouzou et reliant la côte
à l'intérieur de cette montagneuse et pittoresque province.
Toutes ces lignes à écartement de 1,05m.
La traversée d'Alger par ce réseau à voie étroite
posa rapidement de sérieux problèmes de circulation : la
contexture même de la ville d'Alger fait que les deux axes de circulation
parallèles à la côte sont extrêmement chargés
et la présence des trains à vapeur des C.F.R.A., qui rendaient
par ailleurs de grands services pour les transports dans la banlieue immédiate,
était une gène considérable.
Les C.F.R.A. furent alors amenés à poser une voie parallèle
à la grande ligne P.-L.-M. Alger-Maison-Carrée, amorce des
lignes vers Oran et Constantine, sur le terre-plein même du port
: c'est là que se trouvait la gare d'échange avec la voie
normale et les amorces des voies étroites desservant les môles;
cette voie se raccordait avec la ligne de Koléa par un tunnel percé
sous les quartiers côtiers du vieil Alger, entre la darse et le
l'au bourg de Bab-el-Oued.
Simultanément, vers 1898, les
C.F.R.A. voyant grossir le trafic de banlieue le long de la côte,
tant vers le nord-ouest que vers le sud-est, décidèrent,
de substituer des tramways électriques aux trains à vapeur
dans la zone urbaine et suburbaine c'était à l'origine du
développement des tramways électriques en France et bien
des cités métropolitaines ne possédaient encore que
des tramways à chevaux.
La ligne des C.F.R.A. fut électrifiée vers le sud-est jusqu'à
Maison-Carrée (12 km du centre d'Alger) et vers le nord-ouest jusqu'aux
Deux-Moulins (5 km). Dans la traversée d'Alger les tramways électriques
suivaient l'ancienne ligne des tramways à vapeur, tandis que les
trains de grande banlieue vers Koléa et Aïn-Taya utilisaient
la nouvelle voie construite pour leur circulation sur le terre-plein du
port ; les deux lignes se raccordaient au nord à Saint-Eugène
et au sud à Mustapha.
En 1905, les C.F.R.A. construisirent
un embranchement de tramways électriques long de 6 km pour relier
le Champ de manoeuvres sur leur grande ligne côtière de Maison-
Carrée, au Ruisseau et à Kouba à travers les quartiers
de Mustapha et de Belcourt, ce qui portait à 22 km au total la
longueur des lignes C.F.R.A. exploitées par tramways électriques
: la nouvelle ligne desservait entre autres le
Jardin d'Essais, magnifique parc de 80 hectares.
Vers la même époque, une entreprise privée, indépendante
des C.F.R.A. et des T.A., la Société de Transports et Messageries
du Sahel (T.M.S.) construisait et mettait en exploitation une ligne de
tramway électriques reliant la place du Gouvernement à ElBiar
Châteauneuf et Ben-Aknoun ; cette ligne avait presque les caractéristiques
d'un chemin de fer de montagne puisque, partant du niveau de la mer, elle
aboutissait à près de 300 m d'altitude, après un
parcours d'une douzaine de kilomètres ; son tracé était
extrêmement sinueux ; au départ d'Alger, elle était
posée dans des rues étroites et très en pente du
quartier indigène ; cette ligne a été incorporée
au réseau des C.F.R.A. le 19 janvier 1937 par une décision
départementale. (cf. AFN-Collections n°62, 2010)
PROJETS D'EXTENSION DU RESEAU VAPEUR
Avant 1914 les C.F.R.A. avaient obtenu
la concession d'un deuxième réseau complémentaire
des lignes qu'ils exploitaient et dont le but était tout à
la fois de desservir de nouvelles zones de la Mitidja et de Kabylie et
de réunir en un seul réseau départemental homogène
l'ensemble des lignes déjà construites et des lignes nouvelles.
Ce deuxième réseau projeté s'étendait sur
les itinéraires suivants : Castiglione-Bérard
(prolongement vers l'ouest de la ligne côtière), Les Tuileries-Oued-el-Alleug,
Les Tuileries-Marengo (raccordement de la ligne d'Alger et de celle de
Cherchell), RovigoBouïnam, Eucalyptus-Rivet, Azazga-Mirabeau (desserte
de la Haute Kabylie).
Les travaux sur ces lignes, arrêtés par la guerre 1914-1918,
furent menés jusqu'à la terminaison à peu près
complète de l'infrastructure, mais elles ne furent jamais ouvertes
à l'exploitation.
Enfin en 1927, alors que le réseau
vapeur des C.F.R.A. venait d'être racheté par le département,
les Assemblées algériennes décidèrent de mettre
au programme des grands travaux, par utilisation du plan Dawes, pour le
département d'Alger, les lignes suivantes de tramways à
vapeur : Cherchell-Novi, Aïn-Taya-Dra-el-Mizan (jonction de la ligne
côtière et du réseau de Kabylie), Dra-el-Mizan-Bouïra,
Alger-Blida (ligne tracée plus au sud que la voie normale pour
desservir une riche zone de la Mitidja).
Aucune de ces lignes ne fut sérieusement entreprise.
DEVELOPPEMMENT DU RESEAU ELECTRIQUE. DISPARITION
DU RESEAU A VAPEUR
Le réseau à vapeur a rendu jusque
vers 1930 de très grands services au département
et au port d'Alger qu'il reliait avec l'arrière-pays ; il connut
un trafic très intéressant en voyageurs comme en marchandises.
Au moment de sa plus grande vitalité, des trains de voyageurs circulaient
en un mouvement intense sur les lignes à vapeur des C.F.R.A., une
dizaine de trains entre Alger et Guyotville et quatre trains au minimum
sur les autres lignes. Mais avec le développement de l'automobile,
le trafic voyageurs à grande distance et le trafic marchandises
baissèrent rapidement, tandis qu'au contraire le trafic des voyageurs
à faible et moyenne distance, non seulement se maintenait, mais
continuait à augmenter sur le réseau électrique desservant
Alger et sa proche banlieue.
Dès 1926, le département
s'était décidé dans le plan d'unification du réseau
ferré algérien à couper l'exploitation en deux :
le réseau électrique restait aux C.F.R.A., tandis que l'exploitation
des trois tronçons du réseau vapeur était répartie
entre les deux grandes entreprises exploitant, à cette époque,
en Algérie, le réseau d'intérêt général,
c'est-à-dire :
- au P.-L.-M. algérien,
la ligne El-Affroun-Cherchell, qui avait son origine à une gare
de cette Compagnie;
- aux Chemins de
Fer Algériens de l'Etat (C.F.A.E.), l'ensemble des lignes de l'étoile
d'Alger et de Kabylie.
Avec la croissance rapide de la concurrence automobile, les C.F.A.E. furent
amenés, vers 1935, à
supprimer les trains de voyageurs, puis l'exploitation complète
du réseau d'Alger qui est maintenant définitivement déclassé.
Quant au réseau de Kabylie, desservant des régions montagneuses
où les transports routiers sont plus difficiles, il subsiste partiellement
; si la section de ligne de Mirabeau à Dellys a été
fermée à tout trafic, par contre, celle de Mirabeau à
Boghni est toujours en service pour les voyageurs comme pour les marchandises.
Enfin, le P.-L.-M. algérien, de son côté, et les Chemins
de Fer Algériens (C.F.A.) qui lui ont succédé ensuite,
ont transformé la ligne de Cherchell : la section d'El-Affroun-Marengo,
longue de 20 km a été mise à voie normale ; elle
est maintenant coordonnée, mais toujours exploitée pour
les marchandises, par contre, la section terminale Marengo- Cherchell
a été abandonnée.
MODERNISATION DU RESEAU ELECTRIQUE
Tandis que disparaissait ainsi le réseau à vapeur, le réseau
électrique continuait à prendre une importance accrue ;
d'année en année son trafic augmentait : le nombre de voyageurs
transportés, qui était de 10 millions en 1910, atteignait
20 millions vers 1920, plus de 30 millions vers 1930 et tendait vers les
40 millions au moment de la guerre, chiffre qu'il doit avoir largement
dépassé maintenant avec l'augmentation massive de la population
de la ville. Cependant, il connaissait, lui aussi, la concurrence acharnée
des services automobiles qui se développèrent au début,
en Algérie, sans le contrôle des pouvoirs publics, offrant
à la clientèle des conditions de transport économiques
mais malheureusement inconfortables pour ne pas dire peu sûres :
les autobus assurant vers 1930 le service de la boucle d'Alger étaient
d'inénarrables guimbardes, rappelant un peu les omnibus que "
Tartarin " y avait vu cinquante ans plus tôt (Alphonse Daudet
:Tartarin de Tarascon), et surchargés à refus d'une foule
hétéroclite.
Depuis, comme en France, des décrets de coordination sont venus
mettre de l'ordre dans l'anarchie des transports routiers et réglementer
le partage du trafic entre le rail et la route : la route algérienne,
nous le verrons dans un article ultérieur, est maintenant sérieusement
exploitée en accord avec le rail.
Pour protéger leurs lignes contre la concurrence et garder leur
trafic, les C.F.R.A., après avoir créé eux-mêmes
des services automobiles ont été amenés à
moderniser complètement leur réseau dans le but d'offrir
à la clientèle un mode de transports techniquement supérieur
aux autobus et en même temps plus économique : quatre schémas
montrent les transformations successives du réseau des C.F.R.A.
Le programme de ces transformations est le suivant :
1° Seule restera
exploitée par tramways électriques l'artère la plus
fréquentée suivant les bords de la mer et desservant la
partie la plus peuplée de l'agglomération algéroise
ainsi que ses faubourgs de l'Agha et de Mustapha, entre la Place du Gouvernement
et le Ruisseau; sur cette ligne circulent déjà des rames
réversibles de deux ou trois voitures modernes : deux motrices
seules ou deux motrices encadrant une remorque;
2° La plus ancienne
ligne électrique, qui relie les Deux-Moulins à Maison-Carrée
sur une distance de 20 km, sera remplacée par une ligne de trolleybus
à forte densité de circulation : les tramways circulent
toujours sur Alger-Maison-Carrée, longue ligne doublée d'ailleurs
par des autobus plus rapides, mais la section Place du GouvernementDeux-Moulins
est déjà, à l'heure actuelle, exploitée par
trolleybus ; ultérieurement, elle sera prolongée à
l'ouest des Deux-Moulins jusqu'à La Pointe Pescade et Baïnem
en direction de Guyotville ;
3° De même,
la ligne de tramways de Kouba, abandonnée maintenant au delà
du Ruisseau, a été remplacée sur sa section terminale
accidentée Ruisseau-Kouba par une ligne de trolleybus prolongée
sur 2 km jusqu'au Vieux-Kouba;
4° Les C.F.R.A.,
comme nous l'avons vu précédemment ont été
chargés de reprendre l'exploitation de l'ancienne ligne des "
T.M.S.
" qui relie, sur un parcours sinueux et au profil difficile, la place
du Gouvernement à El-Biar, Châteauneuf et Ben-Aknoun ; après
avoir été supprimée et exploitée pendant quelques
temps en autobus, cette ligne vient d'être reconstruite en trolleybus
: elle a été prolongée par un important embranchement
de 4 km au départ de Châteauneuf jusqu'à La Bouzaréa,
une des communes suburbaines les plus élevées de la banlieue
d'Alger, à près de 400 m d'altitude et à 12 km du
centre de la ville.
Lorsque les transformations, actuellement en cours, seront entièrement
terminées, le réseau des C.F.R.A. sera tout à fait
en mesure d'assurer régulièrement la desserte de la zone
qui lui est confiée.
Le réseau des T.A. superposé au réseau des C.F.R.A.
sur des itinéraires différents assure, avec ce dernier,
à l'agglomération algéroise une desserte parfaitement
homogène et rationnelle permettant aux citadins de s'installer
sans crainte dans les zones suburbaines les plus salubres et les plus
aérées, en leur donnant l'assurance d'être reliés
par un moyen de transport rapide au centre des affaires ou aux lieux de
travail.
A côté de cette fonction pratique, le réseau des C.F.R.A.
a aussi un certain caractère touristique puisque sa ligne principale
longe, sur près de 40 km, le bord de la Méditerranée
desservant toute une série de plages pittoresques de part et d'autre
de la Pointe-Pescade.
En attendant qu'un trolleybus soit établi sur le parcours entier
de cette ligne, des services d'autobus prolongent au delà des Deux-Moulins
la ligne existante, par Baïnem, Guyotville, Staouéli et Sidi-Ferruch,
le site historique du débarquement de 1830.
H. LARTILLEUX.
Ancien élève de l'Ecole Polytechnique, Inspecteur Principal
de la S.N.C.F. Chef du Service Voyageurs de la S.C.E.T.A.
Transmis par Joël DARMAGNAC
Mis en page et illustration Raphaël PASTOR
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