Alger - l'Algérie
LES ORIGINES D'ALGER
Le développement et les constructions de la ville d'Alger jusqu'en 1960 (première partie)

extraits du numéro 127, septembre 2009, de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
mise sur site le 13-10-2009

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Le développement et les constructions de la ville d'Alger jusqu'en 1960
(première partie)
par Georges Mercier

Cent trente ans de présence française en Algérie ont profondément marqué le pays, ainsi, la petite cité pirate berbéro-ottomane moyenâgeuse devait sortir de ses enceintes dès 1830 sous l'impulsion des Français. Elle devait s'étendre vers l'est et les hauteurs de la baie, vaste amphithéâtre ouvert au levant et à la mer. Le Second empire allait être l'âge d'or de sa métamorphose en osmose avec l'ère moderne et industrielle européenne.

La République ensuite continuera de bâtir, poussée par une démographie sans cesse croissante, nécessitant de réaliser tout ce qu'une ville jeune et moderne du xxe siècle devait comporter.

Alger, jouissant d'un doux climat, devint une ville belle et gaie, active, dotée de tous les bienfaits des nouvelles énergies et technologies.

Après avoir été au côté de la métropole dans tous les conflits d'Europe et d'Outre-mer, elle fut la " capitale de la France libre " lors de la Seconde Guerre mondiale. Puis oubliée, meurtrie, humiliée par la lâcheté et la folie des hommes, elle devait être abandonnée " clés en mains " en 1962 pour un autre destin. Toutefois son domaine bâti et son port resteront les témoignages de l'oeuvre française.

De " El Djezaïr à Alger la Blanche "

"...Si Alger nous était conté... ", Solin le grammairien latin et géographe du Hie siècle raconte que Hercule, célèbre héros de la mythologie grecque qui recherchait " les pommes des Hespérides " (îles imaginaires) longeait la baie avec ses vingt compagnons. Or ces derniers, las de ces recherches sans fin, trouvant le site accueillant décidèrent d'y rester pour y fonder une cité, laissant Hercule poursuivre ses voyages.

Ne pouvant s'accorder sur le nom à donner à la cité, ils l'appelèrent Eikusi signifiant " vingt " en grec, que les Romains latinisèrent ensuite en Ikosium, nom de la colonie que Vespasien fonda (Pline)...

Selon d'autres sources, Icosium vient du mot phénicien Icos signifiant dans les vieilles langues aryennes " enceinte sur une hauteur ".

Plus tard, le professeur Cantineau, spécialiste de langues anciennes examina quelques pièces de monnaies antiques découvertes fin XIXe siècle lors de travaux dans le vieux quartier de " La Marine " d'Alger et sur lesquelles il découvrit des caractères puniques signifiant Icosim, c'est-à-dire " l'île aux mouettes ". Ce qui peut faire rêver à une cité vieille de 3 000 ans.

P (ublio) SITTIO. M. (ARCI). F (ILIO). QVIR (INA)PLOCAMIAN (o) ORDO ICOSITANOR (um) M. (ARCUS SITTIVS, P (UBLII) F (ILIUS) QVIR (INA) CAECILIANVS PRO FILIO PIENTISSIMO H (0N0RE) R (ECEPTO) I (MPENSAM) R (EMISIT)
A Publius Sittius Plocamanius, fils de Marcus de la tribu Quirinale Conseil Municipal d'Icosium.Marcus Sittius Cœcilianos, fils de Publius de la tribu Quirina,au nom de son fils très cher,ayant reçu l'honneur, a assumé la dépense "

D'autre part on découvrit dans les fondations d'un vieil immeuble une inscription romaine sur un dé de piedestal (0,65 x 0,32) portant le nom Icositanus signifiant habitant de Icosium. Cette pierre a été encastrée sur un pilier des arcades de la rue Bab-Azoun à l'angle de la rue du Caftan à Alger (1Une inscription épigraphique romaine mentionnant le nom d'Icositanus fut découverte en 1844 dans les ruines d'une maison de la Casbah. Lire aussi dans l'algérianiste: n° 51, 93, 94 et 102.).

La destruction de Carthage par les Romains ayant entraîné le partage de l'Empire carthaginois entre Rome et les rois de Numidie et de Mauritanie, Rome aurait bien entendu latinisé le nom de la cité. La " pax romana " avait alors assuré la prospérité d'Icosium comme le démontre la découverte de l'épigraphe précitée.

La cité était dotée de magistrats et de fonctionnaires. Elle s'est aussi trouvée animée par le clergé donatiste ( Les " donatistes " étaient des chrétiens (fidèles à l'évêque Donat fondateur de cette croyance du Re siècle) qui se prétendaient seuls héritiers des apôtres. Au y' siècle, saint Augustin devait lutter contre cette " hérésie ". L'algérianiste n° 82 sur les évêques d'Algérie de Jean Gueydon.) dont l'évêque Larentius en 419 et l'évêque Victor en 484 que les Vandales persécutèrent. Le chroniqueur arabe du ixe siècle El-Bekri relève dans la cité les substrats d'une église et d'un théâtre romain. La cité romaine devait être anéantie par les invasions vandales et byzantines. Elle tomba alors dans l'oubli du ve siècle au xe siècle, ne devenant qu'un lieu de rencontres pour les tribus de l'intérieur du pays, les navigateurs et les marchands venant d'Hippone et de Carthage.

C'est alors que s'y installèrent dès le ixe siècle de l'hégire (xe siècle de l'ère chrétienne) les Berbères de la tribu des Beni Mezr'anna dont le chef Bologguin donna à la cité le nom d'" El-Djezaïr Beni Mezr'anna " " les îles des enfants de Mezr'anna " en raison des îlots qui protégeaient la baie en formant d'après ElBekri " un très bon mouillage ".

La cité devait se construire à l'intérieur de remparts bâtis à l'aide des matériaux de ruines romaines provenant de la ville de Tamenfus située à l'est. Travaux qui furent achevés par Keir-ed-Din vers 1590.

Du xe siècle au xvle siècle El-Djezaïr, cité berbère, changera bien souvent de maître et de fortune selon la " course " qui s'y pratiquait depuis le mie siècle. Fernand Braudel (3 F. Braudel est l'auteur de La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II, A. Colin, Paris. L'algérianiste n° 39 de J. de la Hogue sur les captifs de la régence d'Alger, et n° 58 et 59 - articles de Gaston Palisser.) écrit que " la piraterie en Méditerranée est aussi vieille que l'histoire. Elle est chez Boccace, elle sera chez Cervantès, mais elle était déjà chez Homère ". Vers la fin du xve siècle la chute de Grenade (1492) provoqua l'exode de milliers d'Andalous musulmans, emmenant avec eux leur culture et traditions vers les principales villes du Maghreb. Les récits d'un des plus illustres d'entre eux, Léon l'Africain, feront référence. Ce dernier visita plusieurs fois El-Djezaïr
entre 1510 et 1518 lors de ses voyages de Fez à Tunis (4Léon L'Africain fut un géographe et conteur musulman du nom de " Al Hassan Ibn Muhamad Al Fassi >: né à Grenade au pays de l'Al Andalus qui fut chassé par la " reconquista ". Il devint un voyageur de Fez a Constantinople via El-Djezaïr, puis à Rome où Léon X, grand pape de la Renaissance le protégea. En 1526 il publia sa Description de l'Afrique qui sera une référence essentielle pour tous les historiens pendant quatre siècles. Amin Maalouf fit de ses aventures une histoire romancée parue en juin 1986.).

Il décrira les monuments et constructions de la ville, ses " souks " et ses " fondouks ", et dénombrera environ quatre mille feux groupés à flanc de colline " à l'intérieur d'une enceinte en grosses pierres ".
Des récits encore plus marquants d'anciens captifs racontent leurs mésaventures chez les barbaresques.

Citons d'abord Diego de Haedo (5 L'ouvrage de Haedo Topographie et histoire générale d'Alger , traduit de l'espagnol par le docteur Monnereau et Adrien Berbrügger parut dans la Revue africaine n° 14 en 1870 ainsi que par Albert Devoulx dans " Alger, étude archéologique et topographique aux époques romaine, arabe et turque ". Revue africaine n° 112 de 1975.) , abbé de Fromesta, qui fit paraître son ouvrage à Valladolid (Espagne) en 1612. Sa captivité avait duré de 1578 à 1581. Peut-on imaginer qu'il ait connu au bagne Cervantès, le célèbre auteur de Don Quichotte, qui fut lui aussi captif des pirates barbaresques de septembre 1575 au début de 1580 et qui écrivait un autre ouvrage La vie à Alger?

L'évêque Jean-Baptiste Grammage, capturé en 1619, écrira deux récits de sa mésaventure, le second portera surtout sur les constructions principales de la cité.

Un autre captif, Mascorennas qui y séjournera de 1621 à 1626 décrira la régence turque, ses rues et leur surveillance de jour comme de nuit.

Les mémoires du père Pierre Dan, supérieur de l'Ordre de la Trinité et de la Rédemption attaché au rachat des captifs, parues en 1637, seront aussi de bonnes descriptions de la cité sur le plan architectural.

D'autres encore complèteront ces témoignages comme le médecin hollandais Olfert Dapper qui publia ses récits en 1668, Jean-André Peyssonnel (1694-1759), l'anglais Thomas Shaw professeur à Oxford en 1710-1732 ou encore René- Louiche Desfontaines (1750-1833) membre de l'Académie des sciences. Jean-Michel Venture de Paradis (1739-1799) s'attachera particulièrement à décrire les grandes demeures et maisons à patios de la cité.

Toutefois il n'existe ni dessin ni peinture de l'époque berbéro-ottomane de par l'interdiction qui est faite par le Coran de telles représentations.

Ainsi, la cité d'El-Djezaïr sera assez bien connue quand la France prendra pied au Maghreb en 1830. Les armées seront accompagnées de nombreux artistes et scientifiques, archéologues, architectes, peintres et dessinateurs, corps des " peintres officiels de la marine ", écrivains, géologues, pépiniéristes et botanistes, un organisme le " Dépôt de la guerre " est créé. Ces talents qui accepteront l'aventure rapporteront de précieux témoignages de l'époque. En février 1835 le maréchal Clauzel créera le musée lapidaire, en 1837 la " commission scientifique de l'Algérie " afin de déployer des champs d'investigations du pays dans tous les domaines, et la bibliothèque dirigée par M. Adrien Berbrügger. Ainsi de très nombreux relevés architecturaux et archéologiques de grande valeur seront exécutés par les architectes Amable Ravoisié et Adolphe Delamare. Plus tard Stéphane Gsell, chargé de cours à l'école des lettres d'Alger, publiera son Exploration scientifique de l'Algérie.

Amable Ravoisié utilisera le daguerréotype (6 Le procédé daguerréotype (de l'inventeur Daguerre - naissance de la photographie-) apparaîtra en 1838. Ce procédé sera utilisé par l'architecte Amable Ravoisié attaché à la Commission scientifique de l'Algérie en 1837. Avec son confrère et ami Adolphe Delamare, ils laisseront d'inestimables relevés archéologiques publiés aux éditions des frères Firmin Didot à Paris entre 1846 et 1851.). Ce procédé sera largement employé plus tard lors du voyage de Napoléon III en Algérie.

Dès 1838 Adolphe Otth publiera quelques lithographies et Adrien Berbrügger regroupera plusieurs croquis d'édifices. L'attrait d'un certain orientalisme va attirer des hommes de lettres, des peintres ou des musiciens parmi lesquels Théophile Gautier, Alexandre Dumas, les frères Edmond et Jules de Goncourt, Alphonse Daudet, Gustave Flaubert, Guy de Maupassant, Eugène Delacroix, Eugène Fromentin, Théodore Chasseriau, Isabelle Eberhardt, Pierre Loti... L'influence de ces personnages déjà célèbres contribuera à attirer bien des aventureux, et suscitera l'implantation des colons. Mais pour eux, rien ne sera facile.

L'occupation et les premières explorations

La prise d'Alger fut accompagnée d'une entreprise de propagande par l'image. Depuis le xvie siècle, c'était la coutume de représenter les hauts faits militaires à la gloire du roi mais ce qui est nouveau, c'est la représentation de l'adversaire et le territoire de la conquête. C'est ainsi que des témoignages visuels, pris sur le vif, des villes occupées et des combats menés par l'armée française ont été réalisés, essentiellement entre 1830 et 1837 et poursuivis jusqu'en 1857 sous la responsabilité du général baron Pelet, directeur du Dépôt de la Guerre. Les dessins et les croquis des militaires, s'ils représentaient surtout des batailles, mentionnaient aussi les monuments et les vestiges romains. Ces dessins, pour la plupart peu connus, sont conservés dans la collection du ministère de la Défense. Ils étaient le plus souvent accompagnés de descriptions et de mémoires, et servaient de documents de base pour les artistes chargés de les finir à l'aquarelle dans les ateliers du Dépôt de la Guerre.

Clichés sur El-Djezaïr en 1830

La baie d'Alger est un vaste amphithéâtre naturel face à la mer et au levant, offrant un saisissant et permanent spectacle du Cap Matifou à la Pointe Pescade. En 1830 la cité berbero-ottomane n'occupait que l'ouest de la baie, et son front de mer ne faisait tout juste qu'un kilomètre.

La création des peintres officiels de la Marine et du " dépôt de la guerre " (la Photo n'existant pas encore) devait laisser des témoignages précieux (Le contexte artistique de l'époque ", in l'algérianiste n° 105 et 106.)

La Casbah s'accrochait sur les hauteurs en une masse compacte descendant vers la mer jusqu'aux falaises dominant la darse barbaresque qui allait très vite se révéler insuffisante pour les navires de la " Royale ". Aussi dès 1830 devint- il urgent de procéder à des aménagements. L'ingénieur Noël, détaché de Toulon, fut chargé d'améliorer la jetée Keir-ed-Din ( Keir-ed-Din était le fondateur de la régence EI-Djezaïr développant une puissance maritime en Méditerranée qui résista aux Espagnols au xvr siècle. Il fit relier à la terre les quatre îlots qui se trouvaient devant la baie afin de former une digue de protection. Revues n° 38, 80 et 84 (MM. Nocchi, Vernet et Gaston Palisser).) sur laquelle allait être bâtie la rampe de l'Amirauté, et plus tard la gare maritime sur le môle El Djefna dont la réalisation fut l'oeuvre de l'architecte Petit. Après la terrible tempête de 1835, ces travaux portuaires seront poursuivis par les ingénieurs Poirel, Raffeneau de Lisle, Bernard et Liénon afin de développer le trafic maritime du port.

La cité basse du quartier de " La Marine " recevait un afflux de peuplement sans cesse croissant se concentrant dès 1831 autour des consulats et des anciennes administrations ottomanes de ce quartier.

S'y trouvaient notamment les belles demeures de ces dignitaires et hauts fonctionnaires que l'administration française avait remplacés.

Ces demeures étaient en général caractérisées de patios entourés de galeries à deux ou trois niveaux sur colonnes de marbre ou de bois. Conception faite pour une vie intérieure intime et fraîche autour d'une fontaine destinée aux ablutions. Il n'est pas douteux que ce type d'architecture, adapté au climat et au mode de la vie orientale, allait séduire plus d'un nouvel occupant.

Quelques- unes de ces demeures comme Dar Aziza Bey qui devaient être attribuées à l'Archevêché, Dar Es Souf, Dar Assan Pacha, Dar Mustapha Pacha qui devint la Bibliothèque nationale, Dar El Hamza ou encore les Palais du Bastion 23. Bien d'autres demeures magnifiques appelées " fahs " se trouvaient dans la campagne environnante, en dehors de la Casbah, du quartier de La Marine et de la Jenina (jardins du Dey). Ces belles demeures se trouvaient en général au milieu de jardins arborés.

La Marine, quartier résidentiel, ne manquait pas d'édifices du culte musulman comme la " Grande mosquée " " Djemaâ el-Kebir ", dont la construction remonte au me siècle et la mosquée neuve El-Djedid au xive siècle. Ces édifices du culte musulman seront épargnés des restructurations qui allaient être le départ de l'expansion future et inévitable de la cité. Rue des Consuls au quartier de La Marine se trouvait aussi la mosquée El-Kechach de style berbère. Dès 1831 elle fut occupée par un dépôt de l'armée avant de devenir un hôpital militaire. Elle devint finalement l'école des Beaux-Arts sections architecture, dessin, céramique, modelage, sculpture, céramique. ( L'auteur de ce texte y a fait ses premières années d'études d'architecture avant de " monter à Paris " en section supérieure des Beaux-Arts.).

Proche de cette mosquée se trouvait la célèbre " rue Socgemah " dont le nom n'est que la contraction de " Souk el Djemaâ " c'est-à-dire, le marché du vendredi. Dans cette rue devait être installée en 1839 la première mairie dans la très luxueuse demeure Dar-Bakri.

La cité et les " fahs " des environs étaient alimentées en eau par des aqueducs et de nombreux puits ( Quatre ou cinq aqueducs alimentaient la cité en fontaines publiques, et le port pour l'approvisionnement des bateaux, ainsi que les cours des mosquées pour les ablutions des fidèles. À citer l'aqueduc du Télemly qui deviendra plus tard un boulevard. ) et galeries de captage des eaux souterraines. Nombre de ces aménagements dataient d'ailleurs de l'époque romaine dont la majeure partie avait été remise en état par les " Andalous " installés en El-Djezaïr après la " reconquista ". D'ailleurs les hauteurs d'El-Biar (ce nom signifiant " les puits ") ( À El-Biar, au lieu-dit " Chateauneuf " (nom donné par une famille française originaire de " Chateauneuf-en-Auxois " en métropole), avait existé au temps des Turcs la " ferme des sept puits " attribuée au consulat de Toscane, puis à la baronne de Stranski et qui deviendra le couvent du Bon Pasteur. Il y avait aussi la " ferme des quatre puits " sur la route allant vers Dely-Ibrahim qui fut remise aux Domaines le 5 mars 1835, et qui sera ensuite vendue sur concession à un particulier.) révèlaient d'ingénieux captages des eaux tout comme la localité de Bir-Traryah signifiant " puits de fraîcheur " et son aqueduc destiné aux cultures maraîchères alimentant la cité. L'abondance du débit de cette adduction devait inciter le baron Pichon, dès 1832, à promouvoir la " Pépinière centrale " qu'Auguste Marty devait plus tard transformer en " Jardin d'Essai ", dont la configuration définitive intervint bien plus tard encore en 1920 sur les dessins des architectes Regnier et Guion.

Dès 1832, alors même que le pays était loin d'être pacifié, les initiatives d'équipements et de restructurations de la ville étaient engagées comme par exemple le tracé des " Tournants Rovigo " et des rampes " Valée " qui empruntaient en grande partie une ancienne voie romaine. Par la même occasion, furent créés des îlots de verdure comme le jardin Marengo, créé en 1833, avec son petit kiosque de la Reine. Au dessus de ce jardin et le long des remparts nord sera créé le boulevard de Verdun dont les escaliers donnaient accès à la rue des Victoires.

Si, en ces toutes premières années, les ingénieurs Poirel et autres s'affairaient aux transformations du port, les généraux Clauzel et Berthezène devaient faire entreprendre en urgence les premières restructurations de la cité.

En effet il n'existait en 1832 aucun espace suffisant pour le rassemblement des troupes en cas d'urgence ou pour organiser les diverses manifestations. Aussi fut-il décidé de créer une " place d'Armes ". Ce sera la " place Royale " avant de devenir la " " en 1848 avec la statue du duc d'Orléans ( La statue équestre du duc d'Orléans élevée par souscription populaire, fut inaugurée le 28 octobre 1845 après sa mort accidentelle survenue le 13 juillet 1842 à Neuilly. Le duc avait fait une guerre de pacification brillante. Le sculpteur et baron Marochetti a été aussi auteur du tombeau de Bellini au cimetière du Père Lachaise, de la statue du duc de Savoie à Turin.).), oeuvre du sculpteur Marochetti, fondue par Sauer, dont les huit ton place du Gouvernementnes nécessiteront en sous-sol un énorme pilier de 20 m de profondeur.

Toutefois la réalisation de la " place d'Armes " entraînera bien des démolitions dans la basse Casbah. Pierre Auguste Guiauchain, architecte formé à l'Ecole nationale des Beaux-Arts de Paris, sera désigné pour ces travaux avec le titre d'" architecte des bâtiments civils " (quelle exaltation et quel bonheur pour un architecte de recevoir une telle mission sur un tel programme !). Guiauchain recevait également la mission de restaurer la mosquée de la Pêcherie, Djemaa el-Djedid dont le chantier devait durer jusqu'en 1839, y compris les escaliers la reliant au plan supérieur où se trouve la statue équestre (Djemaâ-el-Djedid, cette mosquée fut sauvée in extremis de la démolition par le commandant du Génie Lemercier. Elle fut dotée d'un minaret qui reçut une horloge lors de sa restauration.

L'administration se mettait en place dans l'objectif de restaurer la cité et le pays. Aussi, par décision ministérielle des 25 mars et 5 août 1843, était créé le Service des bâtiments civils et de la voierie dont M. Guiauchain reçut le titre d'" architecte en chef ". Il sera secondé par son confrère Auber et Charles Tixier, autre confrère désigné au poste d'inspecteur des travaux. Toutes ces dispositions démontraient l'intérêt que l'administration portait au développement de la ville ainsi qu'au patrimoine du pays. Et d'ailleurs de la Société des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts créée en 1848, allait naître un grand mouvement artistique qui animera plus tard la société algéroise. L'aménagement de la " place Royale " nécessitera les démolitions des mosquées Es-Sida et Al Chaouch, de l'ancien arsenal ottoman, des marchés Souk al-Djedid, Dar al Sekka, etc.

La mosquée de la " Pêcherie " sera rénovée par Guiauchain ainsi que l'ancien marché aux captifs et esclaves de l'époque ottomane.

La " place Royale " ou future place du Gouvernement allait devenir le premier coeur de ville. Il connaîtra, outre les célébrations annuelles de la Fête-Dieu des 14 juin, le banquet civique de 1848 après l'abdication de Louis-Philippe, la proclamation de l'Empire en 1852, la célébration du retour des troupes de la guerre de Crimée en 1855, le retour des Zouaves de la Grande Guerre en 1919, etc. L'espace ainsi créé était délimité au nord par le " café d'Apollon ", datant de 1838, haut-lieu de l'intelligentsia, la librairie Jourdan, la maison de la Tour du Pin avec ses belles boutiques à rez-de-chaussée et " l'hôtel de la Régence " en étages.
Côté ouest, c'était le départ des rues montantes vers la vieille ville et les emplacements des " corricolos " précurseurs des transports en commun des tramways algérois et des Chemins de fer sur routes de l'Algérie. Ces derniers étaient en fait des voitures hippomobiles pour quatre ou six personnes, à deux ou quatre chevaux conduits par un cocher.

Au sud, il y avait le " café de Bordeaux " et la maison Lesca dont l'étage accueillait le " Cercle d'Alger " où se réunissait le gratin administratif, industriel, commerçant et financier. Au nord-est, il y avait la balustrade de la place dominant la mosquée de la Pêcherie et ses escaliers.

En ces premières années, la ville nouvelle n'était constituée que du quartier de La Marine entre le boulevard Amiral-Pierre, la rue des Consuls, la rue Bab-el-Oued, la rue Vollard, l'ancienne ville et la Médina, ville essentiellement berbéro-arabo-israélite, et enfin le troisième espace de la basse ville en pleine restructuration de la place Royale, quartier franco-européen qui ne pouvait se développer que vers l'est et partiellement vers l'ouest.

Il fut donc décidé de reculer l'enceinte de la ville, tâche qui fut confiée au général Charras. Ce dernier commença donc par détruire les anciens remparts turcs côté mer qui devenaient inutiles, ainsi que les pittoresques portes d'Azoun et de l'oued.

Ensuite le général fit ouvrir et percer en pleine Médina trois rues: la rue de La Lyre, la rue et la place Randon, et le boulevard du Centaure qui deviendra plus tard le boulevard Gambetta avec ses escaliers. Les deux premières rues furent destinées au commerce avec de nombreux magasins et échoppes, des places de marchés où se mêleront berbères, arabes et une forte communauté israélite.

Pour clore cette première partie sur la première décennie de la présence française en El-Djezaïr, le nom d'" ALGÉRIE " avait été parfois employé lors de discussions diplomatiques. Ce n'est que dans la correspondance du 29 décembre 1837 du général Valée que la désignation du pays par " ALGÉRIE " fut employée. Il sera dès lors utilisé dans les discussions parlementaires, mais sera définitivement ordonné par le général Schneider, ministre d'Etat à la guerre, au maréchal Valée le 14 octobre 1839 en ces termes : " le pays occupé par les Français dans le nord de l'Afrique sera à l'avenir désigné sous le nom d'ALGERIE... ".

(À suivre)