Alger, Algérie : documents algériens
Série politique
L'enseignement primaire des musulmans d'Algérie de 1830 à 1946 *
* Cette étude a fait l'objet de trois Documents Algériens (Les débuts 1830-1892 ; Réorganisation 1892-1914, Les deux guerres et le plan de scolarisation) nos 11, 12, 13 de la Série : Politique - Rubrique: : SCOLARISATION DES MUSULMANS.
mise sur site le 29-8-2011

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    La scolarisation des Enfants musulmans en Algérie - mise sur site le 25-11-2010 - Document n° 7 de la série : Politique - Paru le 1er juin 1946 - Rubrique ENSEIGNEMENT
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8 déc. 1947
L'enseignement primaire des musulmans : 1830-1892
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10-1-2005
L'enseignement primaire des musulmans : 1892-1914
13
25-12-47
L'enseignement primaire des musulmans : 1908 à nos jours
14
15-3-48
la scolarisation dans les Territoires du sud
Réalisations des années 1945-1946-1947
15
15-4-48
la scolarisation dans le Territoire du Fezzan-Ghadamès et dans la zone du Ghat

L'enseignement primaire des musulmans d'Algérie de 1830 à 1946

Le 27 novembre 1944, à la suite de l'enquête menée par la Commission des Réformes, le Gouvernement provisoire de la République Française promulguait une série de décrets tendant à accélérer le développement de l'instruction en Algérie, tout particulièrement dans les milieux musulmans. Le plus important de ces décrets prévoyait la scolarisation totale de la jeunesse algérienne par la création, en vingt années, de 20.000 classes susceptibles d'accueillir un million d'élèves supplémentaires, selon un rythme sans cesse plus rapide, passant de 400 ouvertures de classes pendant les trois premieres années à 1.500, 2.000 et 2.500 en fin d'exécution du programme.

Ce plan de scolarisation totale, remarquable par le désir qu'il manifeste de résoudre définitivement en un laps de temps limité le problème capital qui s'était posé à la France dès qu'elle eût mis le pied en Algérie, n'exprime pas toutefois une conception nouvelle. Il est une réaffirmation énergique et formelle de principes énoncés au lendemain même des opérations militaires de 1830, l'aboutissement logique de projets dont la réalisation avait été aussitôt entamée, avait pu à certains moment être vigoureusement poursuivie, s'était trouvée de temps à autre entrave par des circonstances plus souvent encore économiques que politiques, avait été enfin malencontreusement interrompues par trois guerres européennes, mais n'en avait pas moins été obstinément reprise après chacuii de ces arrêts de la vie et de l'activité normales.

L'ENSEIGNEMENT DES MUSULMANS DE 1830 à 1870.

Dès le début de l'occupation, alors même que Ti.,paisement n'était pas encore revenu, la question de l'instruction de la population musulmane était prise en considération. En 1832, trois écoles françaises étaient déjà fondées à Alger et leurs portes étaient ouvertes aux Musulmans qui, toutefois, se montraient fort hésitants à en franchir le seuil On songea donc, pour la première fois, à tenter une expérience qui, par la suite, devait être féconde : une école " maure-française " fut créée à Alger à l'intention des jeunes arabes et fut fréquentée dès le début par 60 élèves. L'exemple fut suivi dans d'autres centres, au fur et à mesure que le pays s'organisait dans la paix. En 1850, un décret instituait officiellement l'enseignement " arabe-français et le rapport de présentation proclamait en termes explicites notre volonté d'instruire les jeunes musulmans.

" Aujourd'hui - lisait-on - que des temps plus calmes ont succédé aux préoccupations militaires en Algérie, la France doit s'efforcer d'accomplir la mission civilisatrice 'qu'elle s'est imposée ". En conséquence, le décret du 6 août 1850 créait six écoles de garçons dans les villes d'Alger, Constantine, Oran, Bône, Blida et Mostaganem et un nombre égal d'écoles de filles dans les mêmes centres. Bien qu'on eût, dans chaque établissement, à côté de l'enseignement donné en français, instauré des cours d'instruction religieuse coranique et de langue arabe confiés à un taleb de la mosquée voisine, les résultats furent assez décevants. D'une part, les musulmans eurent tendance à voir dans la tentative faite pour les instruire, " une sorte de piège tendu à leur simplicité, en vue de leur ravir leur religion " et, d'autre part, ceux-là même qui ne se laissaient pas arrêter par ce préjugé, estimaient que leurs enfants ne tiraient pas un profit effectif de leur fréquentation de l'école.

Il faut bien convenir, en effet, que l'instruction élémentaire qu'on leur donnait était restée par trop analogue à celle que recevaient les jeunes écoliers de la Métropole ; qu'on appliquait les méthodes scolaires de France en mettant entre leurs mains des manuels dont les idées et les termes n'éveillaient en eux aucune notion de choses connues ; que les maîtres du début, quelque dévoués qu'ils fussent, étaient mal avertis de la différence profonde entre les élèves arabes ou kabyles et leurs condisciples
français. Même dans les écoles de filles, les programmes (travaux d'aiguilles mis à part) étaient identiques à ceux des écoles de garçons. Le recrutement devait donc être extrêmement difficile, étant donnée surtout la répugnance marquée pour toute activité susceptible d'éloigner les fillettes de leur famille et de leur maison. Aussi les écoles primaires de filles de Blida, de Bône, d'Oran et de Mostaganem n'eurent-elles qu'une existence des plus éphémères et seules les écoles d'Alger et de Constantine fonctionnaient encore en 1864. A la même date, les écoles de garçons n'étaient elles-mêmes qu'au nombre de 18 et ne comptaient guère que 646 élèves (353 dans la provincé d'Alger et 293 dans la province de Constantine). Elles étaient disséminées, il est vrai, de Tizi-Ouzou à Djelfa et Laghouat, de Tébessa à Bordj-Bou-Arreridj et, en 1865 et en 1866, une dizaine d'écoles nouvelles furent ouvertes dans la province d'Oran. A la veille de la guerre de 1870, elles ne dépassaient pas un total de 36 avec une population scolaire de 13.000 enfants arabes ou kabyles. On s'était préoccupé cependant de les doter d'instituteurs plus au courant des choses d'Afrique, et une école normale avait été créée en 1865 à Alger pour former chaque année 20 élèves-maîtres français et 10 élèves-maîtres indigènes.

LA SITUATION EN 1870.

Nos durs revers de 1870, suivis de l'insurrection de 1871 en Algérie, ne pouvaient qu'arrêter le développement de l'ceuvre d'éducation entreprise et détruisirent même une partie de ce qui avait été édifié. En 1873, il n'y avait plus que 26 écoles arabes-françaises ; 21 en 1876 ; 16 en 1880, ne réunissant plus que 3.172 élèves. A Alger même, le Conseil Municipal, pour des raisons d'économie, cessait de subventionner la seule école arabe-français de la ville, et cette école ne fut sauvée que par le dévouement et l'abnégation du mai tre M. Matha qui, aidé de deux moniteurs, continua pendant plusieurs mois ses leçons, sans traitement, sans fournitures de classe, jusqu'à ce que l'établissement fut pris en charge par l'Etat. Mais si trop souvent les communes se désintéressaient des écoles, dites indigènes, il est à noter que les musulmans réellement convaincus des bénéfices de l'instruction, ceux qui en avaient déjà retiré des fruits dont ils entendaient voir profiter leurs enfants, s'étaient, dans les villes, retournés vers les écoles primaires françaises et que 2 000 élèves de souche non européenne fréquentaient ces écolés.

Malgré cet appoint, malgré ce goût que la population urbaine commençait à marquer pour notre instruction, l'avenir de l'enseignement en Algérie n'en eût pas moins été irrévocablement compromis par la disparition graduelle des écoles arabes-françaises, par la baisse constante de leurs effectifs, si les préoccupations du Gouvernement français ne s'étaient tout particulièrement portées sur les problèmes scolaires dans la Métropole, et par contre-coup en Afrique du Nord.

L'ORGANISATION DE L'ENSEIGNEMENT FRANCO-MUSULMAN.

Dès 1879, le ministre de l'Instruction Publique, Jules Ferry, décidé à redonner à l'enseignement franco-musulman la vitalité qu'il avait perdue, mettait a "étude la réorganisation des études primaires en Algérie, la refonte des programmes, le mode de recrutement des maîtres et faisait procéder sur place à des enquêtes approfondies pour déterminer les lieux et les régions dont les besoins scolaires étaient les plus pressants.

Le décret du 13 février 1883 fut le premier des textes organiques qui devaient donner à l'enseignement primaire musulman sa forme propre et ses caractéristiques essentielles. Dans un exposé publié au cours des années cruciales pendant lesquelles s'effectuait la reprise de nos efforts de scolarisation, M. Ferdinand Buisson, directeur de l'enseignement primaire au ministère de l'Instruction Publi. que, définissait ainsi la tâche à accomplir :
" Instruire une population indigène, c'est avant tout lui apprendre notre langue ". Mais comment apprendre le français collectivement à des classes entières toutes composées d'enfants qui n'en savent pas le premier mot ? Là est tout le problème. On a cru le résoudre d'abord en rapprochant sur les mêmes bancs les enfants indigènes et les nôtres. C'est le séduisant système des écoles arabe françaises, un plan d'études commun pour les deux groupes d'élèves, une sorte de classe bilingue où les Arabes apprendraient le français et les Français l'arabe par la pratique.

Ce serait, en principe, une excellente organisation, si cela pouvait être une organisation. Malheureusement, il est presque impossible de l'espérer. En entreprenant de mener parallèlement cette double éducation, on perdait de vue l'extrême différence de point de départ entre l'enfant dont le français est la langue maternelle et celui qui l'ignore.

En dépit des prodiges d'ingéniosité, plusieurs de ces écoles aboutissaient à l'impuissance, et plus d'un mai tre a fini par désespérer d'instruire convenablement soit les Français, soit les Arabes dans un
tel chaos. Tant qu'il s'agissait d'apprendre mécaniquement les rudiments de la lecture, l'enfant arabe, qui est naturellement attentif, docile, presque grave, triomphait de toutes les difficultés du tableau et épelait, syllabait, lisait, écrivait de façon à faire illusion. Mais aussitôt que son camarade français arrivait à un livre de lecture, si enfantin qu'il fût, il ne pouvait plus le suivre, tout au plus gardait-il son rang pour l'exercice de calcul auquel il est particulièrement porté et qui ne demande de connaître que le vocabulaire des noms de nombres Mais toute autre étude commune devenait vite impossible et illusoire. Il a donc fallu songer à faire des écoles indigènes, expressément conçues et organisées en vue de l'enfant indigène ".

Aussi le décret de 1883 prévoyait-il la création de trois sortes d'écoles spéciales
- des écoles principales dans les centres ;
- des écoles préparatoires ou de section dans les agglomérations moins importantes ou dans les douars ;
- enfin, des écoles enfantines, pour les enfants des deux sexes, âgés de trois à huit ans.

Rendus prudents par l'échec antérieurement subi en matière d'enseignement féminin, les rédacteurs du décret laissaient donc provisoirement de côté l'instruction des filles jusqu'au moment où seraient connus les résultats obtenus par les écoles enfantines ouvertes aux deux sexes : l'installation des écoles spéciales des diverses catégories n'intéressait que les communes indigènes, mais, d'autre part, dans les communes de plein exercice, lés jeunes musulmans pouvaient être admis dans les écoles publiques au même titre que les européens. Pour tenir compte, toutefois, des difficultés dues à leur ignorance de la langue française, un enseignement particulier leur était réservé dans des cours d'initiation, et ce fut là l'origine des classes annexées aux écoles françaises dans les centres européens.

LA FORMATION DE MAITRES.

Pour former les maîtres indispensables, une seconde école normale avait été, dès 1879, ouverte à Constantine. En octobre 1883, on adjoignit aux deux écoles d'Alger et de Constantine, des " Cours Normaux ", destinés à former les musulmans aux fonctions d'enseignement. On put recruter ainsi dans deux grands centres, non seulement des maîtres français pour les écoles principales, mais des adjoints indigènes munis du Brevet Elémentaire pour tenir les écoles préparatoires ; où, à leur défaut, des moniteurs indigènes, simplement pourvus du Certificat d'Etudes Primaires. Enfin, toutes les fois que, dans une école proprement française, le nombre des élèves musulmans excédait 25, l'instruction en fut confiée à un adjoint indigène.

LES PROGRAMMES.

A cette organisation rationnelle correspondit une réforme des programmes d'études et des méthodes d'enseignement. Sans doute l'étude de la langue française continuait-elle à garder une place prépondérante, mais il s'agissait désormais de s'adresser autant aux yeux qu'aux oreilles des enfants musulmans, de frapper leur imagination ; la leçon de langage, lés exercices pratiques avec appel constant à la réalité visuelle remplaçèrent donc les leçons trop abstraites et trop complexes de grammaire et d'analyse. L'enseignement de l'histoire et de la géographie, réduit aux faits essentiels marquant notre évolution et les contacts de la France et de l'Afrique du Nord, aux notions physiques et économiques des deux pays du Nord et du Sud de la Méditerranée, devint l'enseignement d'une matière vivante, tangible, propre au rapprochement d'éléments ethniques diffia ents. Sous forme d'anecdotes, de commentaires sur les incidents familiers, l'instruction morale se fit partie intégrante de la vie scolaire. La leçon de choses, plus attrayante dans sa variété, se surajouta à la sévère leçon d'arithmétique. Enfin, pour compléter cette éducation, les plans d'études firent une part, plus directement profitable, à l'enseignement agricole et à l'enseignement manuel. Ainsi répondait-on au désir fréquemment exprimé par les musulmans de voir donner aux jeunes enfants de leurs douars, la possibilité d'utiliser immédiatement l'instruction qu'ils avaient reçue, d'y trouver un mieux-être, une amélioration de leur existence matérielle, sans se sentir ni déclassés ni déracinés.

Il est superflu d'ajouter que les programmes les mieux conçus n'auraient pu être efficacement suivis sans la rédaction et la diffusion de livres scolaires propres à conduire progressivement les jeunes arabes ou les jeunes kabyles à des notions qu'ils tenaient de leur milieu aux notions différentes et plus complètes qui sont la base de notre propre vie sociale. Les livres français, quelque excellent qu'ils fussent, contenaient à chaque instant des tournures, des mots, des allusions à des idées ou des coutumes tout à fait familière chez nous, mais absolument étrangère à l'esprit d'un élève musulman. Les maîtres de l'enseignement indigène se mirent donc à composer des manuels approprUs, qui facilitèrent grandement dès le début la tâche des instituteurs et les progrès de ceux qu'ils instruisaient.

LES ÉCOLES.

Restait à déterminer les régions d'Algérie sur lesquelles devaient d'abord porter les efforts de scolarisation, en tenant compte de la nécessité de concentrer les ressources sur les points les plus disposés à seconder notre action et les plus susceptibles d'en bénéficier. La Grande Kabylie parut la zone la mieux préparée à la réussite de l'expérience, et six écoles y furent immédiatement construites, entre novembre 1833 et juillet 1884, dans le cercle de Fort-National.

Voici, du reste, à ce propos, comment un instituteur raconte ses débuts dans une localité nouvellement dotée d'une école :
" Le pl emier jour, vers huit heures, la cour était bondée de pères de famille et d'enfants. A un moment donné, j'ai cru que je ne parviendrais jamais à franchir les quelques mètres qui séparaient la porte de mon logement de celle dé l'école. Partout des mains cherchant les miennes, que je donnais à droite et à gauche. Les salutations d'usage échangées, je pus enfin ouvrir la salle de classe. Mais comment faire observer l'article du règlement qui interdit l'accès de l'école aux personnes étrangères à l'enseignément ? Pour une fois, la première surtout, me clls-je, il est bon que les parents sachent ce que leurs enfants viennent faire ici. Je m'arrangeai donc comme je pus pour inscrire mes élèves. Ce travail fini, je commençai ma première leçon de langage. Par brillante du tout cette première leçon, je l'avoue ; mais faut-il s'en étonner ? Est-ce que les pauvres enfants qui y prenaient part se faisaient une idée de classe, de discipline ? Pourtant, je suis parvenu à leur faire apprendre quatre mots et à les leur faire prononcer d'une façon passable.

Le soir, même affluence de monde Je ne pouvais cependant pas tolérer indéfiniment les scènes du matin. Alors j'appelai l'amin du village et je lui dis que, dans l'intérêt des enfants, je ne pouvais plus recevoir des hommes dans ma classe et que je les priais de ne pas entrer. Je fus compris heureusement, et depuis, bien qu'un certain nombre de pères de famille accompagnent encore leurs enfants, ils se contentent de rester dehors
".

On peut retenir de ce témoignage que, dans certaines parties tout au moins de l'Algérie, la suspicion originelle avec laquelle était regardée notre instruction avait fait place à une confiance et à une compréhension auxquelles on né pouvait reprocher que de se montrer peut-être un peu trop exubérantes.
Aussi ne saurait-on être surpris de constater qu'en moins de cinq ans, de janvier 1883 à juillet 1887, 59 écoles nouvelles aient pu être ouvertes : 29 dans le département d'Alger, 23 dans le département de Constantine, et 7 dans celui d'Oran et que l'éffectif scolaire se soit graduellement élevé chaque année :
             de 3172 en 1882
             à 4094 en 1883
             à 4824 en 1884
             à 5695 en 1885
             à 7341 en 1886
             et à 9064, dont 8154 garçons et 910 filles, en 1887,
la proportion des kabyles représentant les 4/100 et la proportion des Arabes les 6/100. A cette date, il existait 75 écoles indigènes, dont 42 écoles dei centre dirigées par des instituteurs français et 33 écoles préparatoires confiées à des adjoints indigènes. Ces écoles comptaient 129 classes, et, en outre, 29 classes spécialement ouvertes aux enfants musulmans étaient annexées à des écoles françaises. Il est à noter, enfin, que sur les 75 écoles ouvertes, 21 étaient situées dans la Grande Kabylie et 15 dans la partie des arrondissements de Bougie et de Sétif, connue sous le nom de Petite Kabylie, où les populations avaient témoigné, dès le début, d'une plus grande attirance vers l'instruction. Peut-être y avait-il là, du reste, réaction contre la domination antérieure des turcs, auxquels les Berbères n'avaient pas pardonné leur dédain brutal, ni certains chants injurieux, tels que celui qui commençait par ces deux vers :
             " Louange à Dieu qui a créé les Kabyles
             Et nous les a donnés comme bêtes de somme ".

Chez les Kabyles même, toutefois, la fréquentation n'était pas des plus régulière : il est, en effet, plus facile de s'engouer d'une nouveauté que de p )ursuivre un effort continu. Aussi bien des motifs étaient-ils invoqués pour excuser les absences : travaux des champs, travaux domestiques, fêtes et cérémonies religieuses. Dans certaines régions, en outre, les familles hésitaient encore à envoyer leurs enfants en classe, parce qu'elles redoutaient pour eux quelques tentatives de prosélytisme religieux. Le bruit courait parfois, que fréquenter l'école, c'était s'exposer au risque d'être emmené en France comme esclave. Et sans doute ces craintes s'atténuèrent vite à la suite du contact personnel avec les maitres, mais, malgré tout, le Recteur de l'Académie d'Alger constatait qu'il se passerait bien des années encore avant que les indigènes fussent entièrement pénétrés de l'utilité de l'instruction et se fissent spontanément les auxiliaires des instituteurs. " Il est évident, écrivait-il, que nous ne pouvons compter
que sur le concours des chefs de famille formés déjà eux-mêmes par l'éducation française ou ayant à entretenir des relations avec la population française ".

D'autre part, on était entré, aux alentours de 1887, dans une période de déficit budgétaire, et il se serait produit un arrêt absolu dans la création des écoles si quelques communes n'avaient assumé, volontairement, la charge de ces créations et n'avaient pris, à leur compte, le paiement des traitements
qui aurait dû, en bonne partie, revenir à l'Etat.

Enfin, l'application du décret de 1883, avait révélé, à l'usage, l'opportunité de certaines mises au point. De plus, l'application à l'Algérie, le 8 novembre 1887, de la loi organique du 30 octobre 1886, devait entraîner des modifications secondaires aux textes en vigueur. Un nouveau décret fut donc pris, le 9 décembre 1887, pour réglementer l'enseignement des indigènes.

Ce décret précisait, tout d'abord, la notion d'écoles principales : ne pouvaient désormais être classées comme telles que les écoles primaires établies dans les centres indigènes importants, éloignées des villages européens, et à condition que le directeur ait à surveiller au moins six classes en comptant celles des écoles préparatoires voisines et celles de l'école principale elle-même' ; les anciennes écoles principales qui ne répondaient pas à ces conditions, formaient une nouvelle catégorie sous le nom d'écoles ordinaires ; enfin, la définition des écoles enfantines, à savoir " écoles pour les enfants des deux sexes, de quatre à sept ans pour les garçons et de quatre à huit ans pour les filles, dirigées par des institutrices ou monitrices françaises " semblait contenir l'ébauche d'une promesse d'organisation de l'enseignement féminin.

L'ENSEIGNEMENT FEMININ.

Promesse aussi timide d'ailleurs, que les quelques essais qui avaient été tentés. On avait créé à Taddert-ou-Fella une école des filles qui, en 1887, comptait 40 élèves, toutes internes, appartenant à des familles pauvres de la région de Fort-National, qu'on habituait aux travaux de couture, aux soins de la cuisine et du ménage, tout en leur donnant des connaissances déjà avancées en français, en calcul et en géographie. Certaines poursuivaient même leurs études jusqu'au certificat d'études et l'une d'elles devint la première monitrice indigène. Elle exerçait ses fonctions à l'école enfantine d'Aït-Hichem, qui était, d'ailleurs une des rares écoles recevant régulièrement des fillettes musulmanes. Mais, bien que l'aptitude de ces fillettes à profiter de l'instruction parût supérieure à celle des garçons, que leur intelligence semblât s'ouvrir plus rapidement, force était de constater que les parents se décidaient difficilement à les envoyer à l'école, tout au moins à partir de l'âge où elles devaient être voilées et rester à la maison ; et cet âge était fixé, par la coutume à huit ans environ. D'où l'idée de créer simplement des écoles enfantines, dans lesquelles l'institutrice pourrait rendre service aux familles en gardant les toutes petites filles, en leur apprenant à manier l'aiguille tout en leur enseignant quelques mots de français. Par contre, en considération des sentiments profonds de la population musulmane, les autorités univesritaires préféraient ajourner toute tentative d'ensemble. Sans doute étaient-elles décidés à laisser subsister les quelques établissements existant à Bougie ou Constantine, ou même à créer quelques écoles nouvelles dans les localités où la population elle-même semblerait én éprouver le désir (ce qui devrait être le cas pour Nédroma, en 1887, et Chellala, en 1888) mais, quelque furent les résultats obtenus par ces expériences sporadiques, on estimait qu'on ne pouvait rien tenter de sérieux avant plusieurs années, qu'on aurait tort de se déterminer par des vues théoriques et par une règle généi ale. La tâche paraissait suffisamment ample si l'on se bornait à répandre et à développer l'instruction chez les garçons.

LES DIFFICULTES RENCONTREES...

Cette tâche rencontrait, d'ailleurs, à l'époque, de graves difficultés, dues à la situation financière C'est ainsi que, de 1889 à 1891, aucun crédit ne put être inscrit au budget de l'Etat pour création d'écoles nouvelles et que, dans ces conditions, les quelques progrès réalisés ne le furent que grâce aux sacrifices consentis par un petit nombre de municipalités. L'effectif des élèves inscrits dans les écoles, qui était de 9.064, en 1887, était bien passé à 10.688 en 1888, et 11.246 en 1891. Quant au nombre des écoles réservées aux musulmans, il s'était élevé, pendant la même période, de 75 à 124 et le nombre des classes, de 158 (dont 29 annexées à des écoles européennes) à 218 (dont 28 annexées). Il est vrai que le Recteur qui dirigeait, depuis 1884, l'Académie d'Alger, M. Jeanmaire, n'était pas homme à se décourager devant les difficultés d'argent ni à reculer devant la perspective d'efforts à accomplir. Contre l'hostilité, l'indifférence, la force d'inertie, les sceptiques et les railleurs, il déployait une incroyable ténacité, et il eut pu prendre à son compte cet apologue cher aux kabyles : " Un chien ramassa un os et se mit à le ronger. L'os lui dit : Je suis bien dur ; mais le chien, sans lâcher prise, lui répondit : Oh, qu'importe ? J'ai tout mon temps ".

M. Jeanmaire ne se préoccupait d'ailleurs pas seulement de surmonter la crise matérielle que traversait l'enseignement des indigènes il s'était avisé aussi qu'il était anormal que les écoles musulmanes n'eussent pas encore des programmes distincts, que les-maîtres chargés de diriger les diverses classes dussent se contenter d'adapter, de leur mieux, les programmes métropolitains aux besoins propres de leurs élèves. En avril 1889, une commission spéciale publia donc le plan d'études qu'elle avait soigneusement préparé - premier plan d'études de l'enseignement des indigènes. " Dans les emplois du temps - déclarait le rapporteur de la commission - une part prépondérante est laissée aux exercices de français, instrument nécessaire de nos échanges, véhicule de nos idées ; mais, dans notre esprit, l'étude de notre langue ne reste pas cantonnée dans quelques exercices particuliers. Elle résulte de toutes les leçons de l'école : géographie, artihmétique, dessin, travail manuel même ". La doctrine commence ainsi à se préciser : il s'agit de dispenser un enseignement simple, excluant toutes notions accessoires ou superflues, toutes curiosités et anomalies linguistiques et grammaticales, éveillant la curiosité de l'enfant pour les données essentielles en matière littéraire ou scientifique, l'habituant à observer et à raisonner ; de compléter cet enseignement théorique par une formation pratique, manuelle ou agricole, soigneusement adaptée aux besoins locaux ; en un mot, de tirer de l'instruction primaire, toute l'utilité sociale qu'elle comporte pour les enfants qui la reçoivent quand elle est rationnellement conçue en fonction du milieu où on la donne. Le problème qu'on S'est efforcé de résoudre est d'initier le jeune arabe ou le jeune kabyle, pendant la durée de son existence scolaire, à la compréhension d'idées nouvelles pour lui, sans lui inspirer le dégoût de son mode de vie traditionnel. Le but qu'on s'est proposé d'atteindre n'est pas l'assimilation de deux races qui ont suivi depuis des siècles des voies divergentes, mais un rapprochement progressif, aboutissement naturel d'une éducation conçue pour permettre aux divers éléments ethniques de se connaître, de s'estimer et de s'aider réciproquement.

...ET LE ROLE DES INSTITUTEURS.

L'instituteur a d'ailleurs été excellemment défini à l'époque comme un " agent général de civilisation élémentaire plutôt qu'un maître d'école au sens ordinaire du mot ". Et il faut reconnaître que la réalité ne devait pas donner de démenti à cette définition idéale. Nombreux sont les directeurs qui ont laissé, pendant des années, des souvenirs durables et profonds dans les localités où ils avaient exrcé leurs fonctions. Bien des voyageurs parcourant le territoire de Biskra ont entendu, avec surprise la foule des indigènes s'exprimer couramment en français : c'était un modeste instituteur de village, dont le nom est resté populaire parmi les Biskris, M. Colombo, qui par sa sympathie pour les habitants, par la connaissance qu'il avait acquise de leur caractère et de leurs moeurs, avait nourri de nos idées et façonné à notre langage des générations d'écoliers. Même résultat en Kabylie où un jeune maître franc-comtois. M. Verdy, s'était attaché à l'école qui porte encore aujourd'hui son nom, n'avait jamais voulu quitter la région de Taourirt-Mimoun dans laquelle on lui avait confié son premier poste, et qui y termina sa carrière en instruisant les descendants de ses premiers élèves.

La besogne pourtant, n'était ni aisée ni matériellement avantageuse, que ce fût au milieu des steppes des Hauts-Plateaux, sur la rive de quelque chott salé, dans les dunes où s'ensablent les oasis ou dans des villages de Kabylie perchés, suivant l'usage, fort haut dans la montagne, juste sur la crête, et auxquels on n'arrive que par des sentiers de mulet, à peu près impraticables pour tout autre qu'un autochtone.

On trouve du reste, dans les dos,ziers de l'é,' Aue, la description de quelques écoles nouvellement créées, telles que les trouvèrent les maîtres envoyés pour y enseigner, entre autres, de celle devenue chère à M. Verdy :

" L'école de Taourit-Mimoun se trouvant a ;11cvée, je me rendis aussitôt à mon nouveau poste. Elle est située au centre de la tribu des Béni-Yenni, sur la pente nord-est d'une colline et s'aperçoit de loin dans sa blancheur, surtout de la route départementale qui relie Fort-National à Michelet. Tel que nous l'avait livré le propriétaire kabyle, le terrain, sur lequel elle est bâtie, présentait une inclinaison de 32° et était traversé par une rigole servant d'écoulement aux eaux pluviales. La terre était argileuse et n'avait, pour toute façon culturale, que des labours peu profonds. Quant à l'engrais, elle n'en avait jamais vu.
J'avais donc tout à faire, et, avant de préparer le jardin scolaire, je m'occupai, tout d'abord, de la cour. Il n'y en avait point, ou plutôt, le chemin du village passant devant la porte, en tenait lieu. Cela était fort incommode et même assez dangereux. Je tenais absolument à ce qu'elle fut vite aménagée et bien avant l'arrivée des élèves, car le coupp devait contribuer à les attirer. Nous possé
dions des pierres, reste de la bâtisse, des brouettes, des pelles et des pics. Nous creusâmes donc la pente de manière à faire, devant la porte, une plaine de cinq mètres de large sur cinquante de long, puis nous construisîmes un mur sur le bord opposé au bâtiment. La cour était prête et, pour l'ombrager plus tard, nous plantâmes des mûriers, des frênes, des noyers et des accacias, mais je ne commençai ma classe que le 1" janiver 1883, car je n'avais, à ma disposition, ni tables ni fournitures scolaires. "

" Je suis content de mon poste d'Aït-Itelli, je m'y trouve assez bien. Je suis installé dans une maison kabyle à peu près restaurée. Le logement est propre et, par le fait, assez convenable. Il est vrai que les trois pièces dont je dispose sont grossièrement crépies, Qu'elles n'ont, pour tout plancher, qu'un mauvais glacis de chaux et, pour plafond, que de la volige placée à plein joint ; mais, quan on est garçon, on n'y regarde pas de si près. On vient, du reste, de faire une cheminée dans ma chambre ; jusqu'à ce jour, j'avais dû faire ma cuisine en plein air. La salle de classe est attenante à mon logement. Elle mesure 12 mètres de long sur 2 m. 70 seulement de large. Elle est donc trop étroite et ne pourra jamais contenir un grand nombre d'élèves. L'intérieur est peu éclairé ; deux petites fenêtres y laissent pénétrer un peu de lumière que tamisent les feuilles de deux grands arbres placés devant l'école. Quant au mobilier scolaire, il se compose, seulement, de quatre tables de classe de 2 mètres chacune, de 6 bancs et d'un tout petit tableau noir. Comme vous le voyez, je ne suis guère outillé ".

" Pour ce qui est des locaux, je mettrai, tout d'abord en dehors de la question, trois maisons d'école : celle de Taourii-Mimoun, de Djema'i-Saharidj et de Tamazirt, les plus anciennes, qui sont de grandes habitations. Partout ailleurs, les écoles sont construites avec la plus grande simplicité. Des murs épais, faits pour résister aux vents violents de la montagne, aux pluies et aux neiges de l'hiver. Les salles de classe, toutes nues, sont aménagées avec la même simplicité et ne se distinguent du reste du village que par leur masse et l'observance de l'hygiène élémentaire. Quant aux logis des habitants, ils sont bas et étrois, construits de pierres amoncelées, sans mortier qui les unisse, à peine percés de quelques petites ouverture ".

Isolement, inconfort de la vie journalière, logement insuffisant, ravitaillement précaire. Les instituteurs acceptent de bon coeur toutes ces difficultés et s'ingénient à les vaincre, parce qu'ils sont animés d'une foi absolue dans l'intérêt, l'utilité et la valeur civilisatrice de l'oeuvre à laquelle ils participent. Si jamais le titre de " missionnaires de l'enseignement " a mérité d'être attribué à des maîtres, c'est à eux qu'il revient de plein droit. Ils se sentent chargés, non seulement de l'instruction qu'on donne d'ordinaire à l'école, mais de l'éducation des enfants qui, ailleurs, incombe à la famille, quand ce n'est pas de l'éducation de la famille elle-même. Ils sont, ou s'improvisent, menuisiers, maçons, écrivains publics, moniteurs d'agriculture, infirmiers. Leurs femmes, institutrices ou non, les secondent dans leur tâche, et, souvent, avec plus de facilités, parce que leur sexe leur permet de pénétrer dans les intérieurs, de faire plus ample connaissance avec les indigènes, et d'en profiter peur leur donner quelques précieuses notions de puériculture ou d'hygiène, d'enseigner aux mères, les remèdes les plus courants pour les malaises ou les accidents habituels Il est vrai que tous ces efforts, toute cette activité aux aspects si divers sont encouragés, soutenus, suscités par des chefs aussi bienveillants qu'énergiques, qui ont souvent acquis leur propre expérience dans les postes les plus déshérités du bled.

Le plus connu, comme le plus aimé, était certainement, à l'époque, M. Scheer, (voir à Birkadem) qui devait mourir à 37 ans, épuisé par le travail. Rien de plus juste, à ce propos, que l'hommage rendu à son inlassable volonté, au lendemain même de sa mort, par l'ami qui écrivait :

" Au seuil d'une école perdue dans quelque oasis du sud, l'instituteur stupéfait voit s'agenouiller un dromadaire, et celui qui descend de la selle touareg, c'est son inspecteur. Sur un piton de Kabylie, ou dans un recoin de l'Aurès, un autre instituteur aperçoit un mulet qui dévale par un sentier en casse-cou ; celui qui saute du bât de bois, véritable instrument de torture, c'est son inspecteur... Pendant des mois entiers, il est en route, dans le désert de pierraille où se creusent les fossés qui sont les oasis du M'Zab, ou dans les dunes colossales de l'Oued Sarf qui semblent les vagues pétrifiées d'un furieux océan de sable... Scheer visite les écoles qui existent ; il détermine les emplacements de celles qu'il faut créer. Toutes les régions de l'Algérie, il les a étudiées en détail : topographie, ethnographie, situation économique. Sur chacune, il a envoyé des rapports au Rectorat " .

LE PLAN JEANMAIRE.

C'était, en effet, à cette date (1891), la préoccupation de l'Académie que de dresser le bilan sincère de ce qui avait été déjà fait et, surtout, d'établir un plan d'ensemble pour tout ce qui restait à faire. La première des conclusions à laquelle aboutissaient les enquêtes était la nécessité de concentrer les efforts au lieu de les disperser, de choisir des zones déterminées et d'y créer assez d'écoles pour recevoir, non pas une minorité, mais la totalité des enfants ; de répartir l'exécution du programme prévu sur un certain nombre d'années. Et, sans doute, ce plan finirait-il par embrasser toutes les tribus sédentaires ; mais la marche serait progressive sous le rapport de l'espace ; les zones successivement choisies en seraient les étapés

Partant de ce principe, on se proposait donc de commencer par les régions où la population était la plus dense et, en même temps, la mieux disposée à accueillir favorablement l'instruction, c'est-à- dire, d'une part, les villes et, d'autre part, la Kabylie. Ceci n'excluait pas, d'ailleurs, la possibilité de construire exceptionnellement des écoles isolées pour répondre aux demandes pressantes des habitants ou à des besoins locaux duement établis. L'idée générale n'en restait pas moins de doter, par priorité, les grands centres urbains et le pays berbère, de part et d'autre de la Soummaam, au nord du Djurdjura et des Babors. Ainsi s'explique la caricature, où la malice n'excluait pas tout à fait la compréhension, qui représentait, dans un journal illustré de l'époque, M. le Recteur Jeanmaire sous les traits d'un ours hirsute, mené en laisse par un enfant kabyle.

LA FORMATION DES MAITRES.


Mais M. lé Recteur Jeanmaire se souciait peu d'être raillé. Il poursuivait avec une ténacité paisible le développement de l'enseignement des musulmans. Il songeait à refondre le plan d'études de cet enseignement, en s'appuyant sur l'expérience acquise, et à améliorer encore la formation des maîtres, de plus en plus nombreux, qui seraient mis en service dans les classes nouvelles. Jusque-là, les instituteurs français avaient été choisis dans le personnel des écoles européennes et transférés d'emblée dans les écoles de jeunes musulmans ; mais il était indéniable qu'on ne pouvait élever ceux-ci comme on élève des enfants européens ; que les matières enseignées ne pouvaient pas être identiques ou qu'elles n'avaient pas la même importance relative ;que les procédés pédagogiques devaient être dissemblables ; que le maître français était, par la forcé des choses, amené à faire un apprentissage difficile, quand il n'était pas dirigé, de la langue parlée par ses élèves et leurs familles ; qu'il lui était indispensable de posséder de sérieuses connaissances accessoires en matière d'agriculture, de travail manuel, de pharmacie usuelle et dd médecine élémentaire. De ces constatations naquit l'idée de faire suivre, aux maîtres, une fois munis des brevets requis pour l'enseignement, un cours de préparation propre à les familiariser avec les méthodes particulières à l'enseignement dans les écoles arabes ou kabyles, à les initier à la connaissance' des langues du pays, et à leur inculquer enfin les notions extraprof essionnelles qui leur seraient le plus utiles dans des postes souvent éloignés de tout centre. Cette idée fut traduite bientôt dans la pratique par l'arrêté ministériel du 20 octobre 1891, qui créa une " section spéciale " annexée à l'Ecole normale d'Alger-Bouzaréah, en s'autorisant d'une disposition du décret de 1887 qui avait déjà, théoriquement, prévu la possibilité d'organiser des " cours normaux destinés à l'étude de l'arabe ou du berbère, des moeurs indigènes et de l'hygiène ".
Le nombre des " sectionnaires ", d'abord fixé à 40 par l'arrêté de création, a varié naturellement avec les besoins en personnel ; il a oscillé ainsi entre 12 et 50, mais, sauf pendant les interruptions causées par les guerres, la Section a continué à se recruter parmi les instituteurs déjà en exercice ou les candidats nés en majorité dans la Métropole, et, de ce fait, sans doute plus sensibles à l'attrait d'un certain exotisme pédagogique, plus curieux aussi des caractéristiques particulières de l'enseignement des musulmans.

LE DECRET DU 18 OCTOBRE 1892.

En 1892, le moment était venu où l'enseignement des musulmans allait être organisé méthodiquement pour de longues années. Le décret du 18 octobre 1892, en effet, en définit avec netteté la nature et la portée, les fins qu'on se propose de poursuivre, les résultats qu'on en peut attendre.

Le décret de 1892 réaffirme tout d'abord le principe, déjà admis par les décrets de 1883 et 1887, qu'il n'y a pas de séparation absolue entre l'enseignement primaire européen et l'enseignement primaire indigène, que les enfants musulmans sont admis au même titre que les élèves français " aux conditions fixées par les lois et règlements, dans les écoles primaires publiques de tout degré " et qu'inversement " aucune école spécialement destinée aux indigènes n'est fermée aux élevés français ou étrangers qui désirent la fréquenter.

Le décret insiste également, à nouveau, sur la neutralité religieuse absolue de l'école : " La liberté de conscience des élèves est formellement garantie', ils ne peuvent être astreints à aucune pratique incompatible avec leur religion. "

Les catégories d'écoles restent, à peu de choses près, ce qu'elles étaient antérieurement. A noter toutefois, que scnt rangées parmi les écoles principales toutes les écoles comprenant au moins trois classes, et que les écoles ordinaires dont l'appellation pouvait passer pour assez désobligeante, deviennent les écoles élémentaires.

L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE DES FILLES.

D'autre part - innovation plus importante - il est prévu, en dehors des écoles enfantines ouvertes aux enfants des deux sexes, des écoles qui, réservées aux filles, pourront, désormais, être établies dans les centres européens ou indigènes, lorsqu'elles seront demandées par les autorités locales " d'accord avec la majorité des membres musulmans de l'Assemblée algérienne ". C'est qu'en effet, une certaine évolution s'est produite en ce qui con cerne l'enseignement féminin. De timides suggestions ont été faites en 1891 par la population de certaines grandes villes - suggestions reprises au Parlement par les rapporteurs des commissions de l'Instruction publique -- en faveur de l'organisation parallèle de l'enseignement des garçons et des filles. On a fait ressortir que les deux sexes, étant destinés à partager une vie commune, l'infériorité intellectuelle de la femme risquait d'agir ultérieurement sur le mari qui perdrait vite le gain de son éducation ébauchée ; que, peut-être, on ait trop négligé une partie importante de l'oeuvre entreprise et qu'on s'en était laissé détourner par une certains crainte excessive des résistances qu'on aurait rencontrées ; que ces résistances auraient été sans doute plus ou moins fortes selon les localités, mais qu'en tout cas, à force de persuation, on les aurait dissipées et surmontées ; qu'enfin, les cinq ou six écoles de filles, déjà ouvertes, avaient donné des résultats plutôt encourageants.

L'Académie garde toutefois sur cet important problème, une opinion plus réservée et plus prudente. Elle estime " qu'il est très délicat d'arrêter un programme définitif d'action en ce qui touche l'enseignement des filles ; qu'il est nécessaire de poursuivre, encore pour quelque temps, les expériences en cours ; qu'il est tout au plus possible de les multiplier progressivement ; qu'en tous cas, la question des écoles de filles ne peut être isolée de la question des écoles enfantines ; que c'est en amenant, dès ses toutes premières années, la jeune musulmane sur les bancs de la classe, qu'on réussira éventuellement à l'y maintenir plus tard ; qu'au surplus, c'est l'adjonction d'un ouvroir à l'école de filles qui demeure le gage de son succès, et que l'atelier de couture, de broderie, de lingerie, de travaux appropriés aux régions et aux usages, devra être l'accompagnement obligatoire de toute création nouvelle. Aussi le décret dé 1892 prend-il soin de stipuler que " dans les écoles de filles, les élèves consacrent la moitié du temps des classes à la pratique des travaux d'aiguille et de ménage ".

ORIENTATION DE L'ENSEIGNEMENT.

En ce qui concerne les garçons, les dispositions relatives à la nature de l'enseignement donné sont tout aussi nettes : " Dans toutes les écoles fréquentées principalement par les indigènes, l'enseignement est donné suivant des programmes spéciaux ", à l'aide des livres, cartes et tableaux conçus à leur usage. L'agriculture pratique et le travail manuel y sont, en outre, partout enseignés.

L'enseignement conserve donc, en l'accentuant, le caractère d'utilité sociale qu'on a voulu lui imprimer. Il est également éloigné des deux extrêmes ; d'une part, d'une instruction purement professionnelle menant prématurément à l'apprentissage d'un métier. Il se donne pour but unique de former des élèves aimant le travail et pourvus des connaissances les plus indispensables : de les rapprocher de nous par initiation à notre langue, aux formes essentielles de notre pensée, aux méthodes qui ont assuré notre progrès matériel - en vue d'améliorer de génération en génération, leur mode d'existence et d'assurer leur mieux-être dans le cadre de la tradition.

Le personnel chargé de donner cet enseignement n'est d'ailleurs pas - il s'en faut - complètement français. Il se recrute, pour les Français, par le moyen de la Section spéciale créée à l'Ecole normale d'Alger Bouzaréa ; pour les Indigènes, dans les cours normaux annexés aux Ecoles normales d'Alger et de Constantine, cours d'où ils sortent, après trois ans d'études, comme adjoints s'ils ont obtenu le brevet élémentaire, et comme moniteurs en cas d'échec. De 1892 à 1896, le nombre des instituteurs français passe de 93 à 208, celui des adjoints indigènes de 38 à 40 et celui des moniteurs de 75 à 60. Les chiffres correspondants en 1897 et 1898 s'élèvent à 242, puis à 270 ; 50 et 75 ; 64 et 65. L'accroissement de l'effectif des maîtres français et des adjoints musulmans, ainsi que la diminution du nombre des moniteurs, indiquent les progrès réalisés dans le recrutement.

DEVELOPPEMENT DE LA SCOLARISATION.

Les progrès sont plus visibles encore quand on note l'augmentation constante des écoles, des claso ses et des élèves :

C'était là, une augmentation moyenne annuelle de 13 écoles et de 32 classes et d'approximativement 2.000 élèves. Efforts appréciables certes, mais combien insuffisants encore quand on songe que la population d'âge scolaire pouvait déjà être estimée à quelque 680.000 enfants est vrai - on ne saurait l'oublier - que l'enseignement s'adressait presque exclusivement aux garçons, dont 23.000 environ se trouvaient scolarisés sur 350.000, alors que le total des filles inscrites dans les 11 classes des écoles primaires ou enfantines réservées à leur usage n'excédait guère un millier.

La lenteur relative de la scolarisation n'était pourtant imputable ni aux efforts des maîtres ni à l'indifférence de l'administration académique. Le Recteur pouvait rendre à son personnel un hommage justifié :

" Les maîtres des écoles indigènes - écrivait-il - forment une élite de fonctionnaires. Doués d'une intelligence, d'une activité et d'une instruction supérieures à la moyenne et imprégnés des devoirs que leur impose la mission de confiance dont ils sont chargés, ils s'appliquent à restre dignes de la France qu'ils représentent et qu'ils s'efforcent de faire connaître et aimer ".

L'Administration, de son côté, ne négligeait aucune occasion de profiter de l'expérience acquise pour préciser sa doctrine en matière d'éducation, pour en améliorer l'efficacité et le rendement. En août 1898, un nouveau plan d'études vint apporter plus d'ordre et de clarté dans l'élaboration des programmes que n'avait pu le faire le plan d'études de 1889, déterminer avec une rigueur plus rigoureuse, la part qui devait être consacrée aux études de caractère éducatif et celle qui devait revenir aux connaissances d'une utilité pratique immédiate. En mars 1899 était, en outre, instauré un régime de certificat d'études primaires spécial aux écoles musulmanes, qui mettait cet examen en harmonie complète avec les études poursuivies. Ne pouvaient, évidemment, se présenter à cet examen, que les élèves des écoles indigènes, mais les élèves musulmans fréquentant les écoles européennes avaient la faculté de se présenter à l'examen habituel Il s'agissait en effet, d'instituer un règlement aux termes duquel les épreuves subies fussent en coïncidence avec les matières d'enseignement, mais qui offrit une même garantie d'études primaires sérieuses. Les résultats furent immédiatement satisfaisants, et en fin d'année scolaire, 166 élèves furent admis au certificat d'études sur 303 présentés, alors qu'antérieurement le nombre des candidats reçus au certificat d'études ordinaire ne dépassait guère, annuellement, une cinquantaine.

Il est vrai que de sérieux progrès avaient été réalisés en ce qui concerne l'assiduité des élèves. Les enquêtes faites démontrent qu'en 1889, la proportion des élèves absents, par rapport aux élèves inscrits, n'atteignait pas 26 % et que la régularité dela fréquentation était plus grande dans les écoles de Musulmans que dans les écoles d'Européens.

D'autre part, le nombre des élèves et des classes continuait à augmenter progressivement :

classes continuait à augmenter progressivement :

mais, déjà, une période difficile avait commencé. Les rapporteurs du budget de l'Algérie au Parlement avaient tendance à se montrer parcimonieux, plus que parcimonieux même, et, de ce fait, l'accroissement de la population scolaire se ralentissait, en dépit des immenses besoins encore insatisfaits.

LES DIFFICULTES BUDGETAIRES.


Dès 1899, des protestations s'élevaient à la Chambre des députés contre la réduction des crédits effectués : " Le plan général de développement de l'instruction des algériens - disait un parlementaire - plan adopté par les pouvoirs publics en 1892, consistait à construire et à organiser, en procédant par étapes successives, les écoles nécessaires aux garçons indigènes des villes et à ceux des communes de toute la région de kabyle des départements d'Alger et de Constantine. Pour réaliser ce plan, il aurait fallu construire, chaque année, 60 écoles comprenant 120 classes. Un crédit avait été inscrit au budget de l'Instruction publique sous le titre de " subvention aux communes algériennes pour construction d'écoles ". Les communes devaient contribuer à la dépense dans la proportion de 40 %. Mais ce programme est loin d'avoir été réalisé jusqu'à présent, tel qu'il avait été conçu, à cause des difficultés que beaucoup de communes ont éprouvées pour réunir les ressources représentant leurs dépenses. Or, c'est en ce moment, que la Chambre envisage malheuresement une diminution de crédits ". Des voix éloquentes se faisaient entendre également hors du Parlement. Par exemple, l'éminent géographe, Foncin, secrétaire général de l'Alliance française, rappelait que le devoir, pour toute métropole, était non seulement de protéger matériellement les populations qu'elle avait prises en charge, mais d'entreprendre leur instruction progressive. " Il faut choisir - écrivait-il dans la presse - entre deux politiques : la politique d'exploitation qui est pour un temps lucrative, mais qui est inique et devient vite dangereuse ; et cette autre politique, généreuse et féconde, qui veut l'éducation des peuples et leur association à la mère-patrie. Celle-ci nous paraît être la seule qui soit digne de la France et conforme à son génie ".

Les considérations d'ordre économique l'emportèrent cependant sur des conceptions moins matérielles, et, bien que l'accord fût unanime sur les principes, cette unanimité et cette noblesse de sentiments ne se traduisirent pas dans la pratique ; " Il est profondément regrettable - disait M. le Recteur Jeanmaire dans son rapport de 1900 - que nous soyons obligés d'arrêter l'élan donné et que nous nous trouvions réduits à piétiner sur place... Il est à souhaiter que le Parlement, après avoir constaté que les crédits votés par lui, depuis 1892, n'ont pas été inutiles, se décide à les maintenir à un chiffre suffisant ".

L'INFLUENCE SOCIALE DE L'ENSEIGNEMENT.


Ce souhait était aussi légitime que les regrets qui l'inspiraient : les écoles déjà fondées avaient, en effet, déjà amplement fait la preuve de l'heureuse influence sociale qu'elles exerçaient. Les témoignages abondent à ce sujet, mais nous n'en voulons retenir que deux, émanant le premier, d'un Français, le second, d'un Kabyle.

" Nous sommes reçus aux Mechtras - dit, en 1902, un sectionnaire de la Bouzaréa - par le fondateur de l'école. C'est sur les ruines d'un village, à quelque distance de la source abondante d'Ain-Sultan qu'elle a été bâtie. L'instituteur se fit mineur et terrassier. Il enleva les décombres. Il fit sauter à la poudre les blocs énormes de pierre ; il nivela le terrain ;il construisit les murs de soutènement ; il amena, par des conduites souterraines, l'eau nécessaire à l'irrigation il cultiva les légumes et il planta des arbres. Plus tard, il installa une écurie, une étable, un four .. Son action s'est surtout exercée dans le sens agricole et les résultats en sont considérables. Nous parcourons les environs et nous sommes frappés des progrès réalisés par les indigènes dans leurs cultures.
Les figuiers sont élaguées, presque tous les arbres sont greffés, la pomme de terre se rencontre partout, le navet a remplacé la rave et l'artichaut s'est substitué au cardon... Mais l'agriculture ne nuit pas aux études et nous assistons, dans les trois classes à de fort bonnes leçons. Nous constatons une fréquentation excellente. Les pères, qui ont passé autrefois sur les bancs de l'école, s'empressent d'y envoyer leurs enfants ".

" Je vais - écrit de son côté un répétiteur de langue kabyle - citer un exemple que j'affirme être exact, puisque ces faits se passent dans mon pays natal et que j'ai eu cent fois l'occasion de les vérifier. Avant 1886, il n'y avait, dans mon village d'Adeni, sur mille habitants, qu'un ou deux jeunes gens sachant quelques mots de français. Quand l'amin recevait des avertissements c'était une grande affaire que de procéder à leur distribution. Le khodja, ayant conscience de la nécessité de sa présence, ne se dérangeait pas toujours et faisait grassement payer son intervention. Autre exemple, tous les kabyles paient des impôts, quelques-uns des patentes, tous sont redevables de prestations qu'ils préfèrent acquitter en nature. Il arrivait souvent que le kabyle, ignorant la langue française, fût livré au caprice d'un fonctionnaire des plus modestes, mais qui faisait d'autant plus peser son autorité temporaire et profitait du manque de contrôle pour exiger des journées de travail supplémentaires. J'ai vu des prestataires obligés de payer en espèces un impôt qu'ils avaient déjà acquitté en nature. Mais, depuis quelques années, on peut aller dans n'importe quel village, autour de Tamazirt, on est certain de trouver des jeunes, grâce auxquels les familles n'ont plus besoin de recourir à l'assistance plus qu'onéreuse de l'interprète... Le kabyle envoie son fils à l'école pour qu'il puisse, arrivé à l'âge d'homme, s'affranchir de tous les agents véreux qui vivent aux dépens des ignorants et qui n'auront plus leur raison d'être quand la lumière existera partout.

A l'école, d'ailleurs, on n'apprend pas seulement à parler, lire et écrire le français, on y apprend l'hygiène, la propreté, la manière de bien cultiver 12s champs, toutes choses excessivement utiles et même indispensables. Au point de vue de l'hygiène, on constate des progrès vraiment surprenants : avant 1886, il ne se passait guère d'années sans qu'une épidémie quelconque vienne sévir sur un village. Depuis que l'école est installée, ces maladies contagieuses tendent à diminuer et à disparaître. Qu'il s'agisse d'ophtalmie, de fièvre ou autres maladies, le concours du maître est demandé et accepté avec reconnaissance. L'instituteur peut ainsi exercer une influence morale sur la population et arrive
à des résultats que n'auraient pas donnés toutes les peines disciplinaires. "

DEVELOPPEMENT DE 1902 à 1907.


Mais, si l'école continuait ainsi, partout où on l'avait installée, à jouer efficacement le rôle civilisateur qu'on lui avait confié, si le personnel faisait preuve, comme par le passé, du même dévoûment et du même esprit d'initiative, force n'en est pas moins de noter que le rythme de la scolarisation s'était ralenti, que le nombre des créations nouvelles était devenu insuffisant ::

DEVELOPPEMENT DE 1902 à 1907.

L'ENSEIGNEMENT FEMININ.

Sans doute, la progression avait été constante, mais les gains étaient faibles, de 1899 à 1097 l'augmentation n'avait été que d'un peu plus de 8.000 élèves et de 128 classes, soit un millier d'enfants scolarisés en plus et 16 classes ouvertes chaque année ; et ceci, au moment où commençait à poindre nettement le regret de n'avoir point mené de pair, tout au moins au cours de la dernière décade, l'enseignement féminin et l'enseignement masculin. En 1907, il n'y avait encore que 9 écoles de filles, comprenant 15 classes et 8 écoles enfantines où les fillettes pouvaient être reçues ; l'effectif scolaire féminin ne comptait que 2.540 unités. Mais cette vérité première s'était désormais fait jour que c'est à la femme qu'est confiée l'éducation des enfants et, qu'en conséquence, il y a nécessité à ce qu'elle- même soit instruite ; qu'il n'est pas d'autre moyen de l'amener à contribuer au bien-être matériel et moral de la famille. Pour la première fois, les notables musulmans d'une ville importante formulaient en faveur de la création d'une école de filles, une pétition dont il n'est pas indifférent de reproduire les termes :

" Les soussignés, conseillers municipaux et notables de la ville de Bône : considérant :
- 1° Qu'ils désirent vivement l'instruction de tous leurs enfants ;
- 2° Que l'instruction et l'éducation des jeunes filles indigènes est une question capitale pour arriver à en faire des femmes de ménage actives, éclairées et expérimentées ;
- 3° Que la condition de la femme indigène ne deviendra meilleure qu'autant qu'elle saura se rendre utile et qu'elle s'imposera, naturellement, dans son intérieur, par la place prépondérante que lui auront acquise des connaissance qui lui permettront de donner plus de bien-être, plus de joie dans la famille ;
- 4° Que les écoles européennes, qui, d'ailleurs, se trouvent éloignées du centre musulman ne conviennent guère aux filles indigènes ;
- 5° Que les écoles indigènes spéciales de filles sont plus indispensables que celles de garçons, car, clans un centre comme Bône, les garçons qui fréquentent les petits européens ont moins besoin de leçons de langage que les fillettes qui sortent peu ou point de la maison et n'ont que l'école pour apprendre le français ;
- 6° Que, pour l'avenir, il est de toute utilité de donner à l'école la noble mission de former des épouses aptes à bien diriger un ménage ;
Emettent le voeu de voir créer, dans le plus bref délai, une école pour les filles indigènes, où sera donné, de préférence, un enseignement professionnel et ménager. "

Evidemment, le voeu n'est pas exempt d'une arrière-pensée d'égoïsme masculin. Il sous-entend, peut-être, avec trop peu de retenue les avantages que le mari retirera, éventuellement, de la compagnie d'une épouse devenue plus apte à tenir la maison. C'est, d'ailleurs, ce que disait, en langage moins académique, un musulman de Nédroma à un inspecteur en tournée : " Une fille indigène, élevée à
l'école vaut bien cent francs (cent francs-or) de plus ". Mais un fait subsiste, le rôle de la femme dans la société commence à être entrevu sinon encore entièrement compris, et, pour donner satisfaction aux nouvelles aspirations qui se révélaient, l'Administration institua, sur le champ à Oran, un stage théorique et pratique, ou quelques institutrices, choisies parmi les plus intelligentes et les plus zélées, ayant une connaissance suffisante de la langue arabe et du goût pour les travaux manuels, devaient, désormais, se préparer à la tâche d'éducation qu'elles allaient avoir à remplir dans des écoles-ouvroirs sans cesse plus nombreuses.

LA SITUATION EN 1907.


Le désir de la population, au moins urbaine, de voir instruire ses filles se manifestait malheureusement dans une période où il aggravait encore la situation, où il rendait plus malaisé à résoudre le problème de la scolarisation. Jusque-là, en effet, on ne s'était guèré préoccupé que des garçons ; ce n'était donc qu'un bloc de quelque 380.000 enfants pour lequel il était nécessaire de prévoir des écoles et des maîtres ; mais, dorénavant, c'est à un effectif global de 730.000 garçons et filles d'âge scolaire, qu'il fallait songer, alors que les élèves fréquentant les classes créées n'étaient, au total, que 32.517 dont 29.977 garçons et 2 540 filles - soit une proportion vraiment insuffisante de 4,3 %.

Un tel état de choses inquiétait, à juste titre, l'Académie qui, depuis plusieurs années, faisait ressortir la médiocrité des moyens dont elle disposait. Ses appréhensions à ce sujet finirent par gagner l'Assemblée algérienne des Délégations financières et par faire l'objet de débats publics à propos des rapports présentés en 1906 et 1907 sur le budget de l'Instruction publique.

On faisait remarquer, avec raison, que l'augmentation annuelle du nombre d'élèves inscrits dans les écoles représentait à peine l'accroissement du nombre des enfants d'âge scolaire ; que la masse des enfants illettrés restait donc toujours la même sensiblement et qu'il convenait de prendre, sans retard, des mesures pour répandre plus largement l'enseignement parmi les jeunes générations. Prémisses irréfutables dont on eût tiré, sans doute, des conclusions rigoureusement logiques et deso soucis d'économie budgtéaire qui n'eussent pas poussé à une solution de compromis.

Les Délégations financières, reculant devant les dépenses de premier établissement et de fonctionnement qu'eût impliquée la scolarisation rapide et totale dé 730 000 enafnts, estimèrent la tâche irréalisable par les méthodes jusque-là adoptées par l'Administration et elles conclurent qu'il fallait " se résigner à perdre, provisoirement en profondeur, ce qu'on gagnerait en étendue ", " diminuer les frais afin d'étendre la zone d'action ", réduire, par conséquent, le temps de la scolarité, simplifier les programmes, mais multiplier les écoles ; y donner à tous les enfants l'enseignement des cours préparatoires et élémentaires et se borner à diriger ensuite les plus intelligents d'entre eux vers les écoles primaires des centres. Quant aux maîtres, on hésitait entre plusieurs solutions : recruter les plus lettrés des talebs d'écoles coraniques ; préparer des instituteurs auxiliaires par une sorte de formation accélérée dans les écoles normales, ou encore par quelques mois d'études dans les cours complémentaires des villes.

L'Académie ne pouvait que se montrer assez réticente en la matière. Nul plus qu'elle n'avait reconnu la nécessité d'instruire au plus vite le plus d'enfants musulmans possible, mais elle éprouvait quelque hésitation à se rallier à la formule préconisée. Elle écartait, en tous cas, toute idée d'utiliser les services des talebs d'écoles privées qui, pour la plupart, ne connaissaient à fond que le Coran, ignoraient totalement le français et eussent été, sauf exception, fort en peine de donner, même en arabe, autre chose qu'un enseignement religieux. Elle faisait, de plus, une autre réserve : quels que fussent les auxiliaires choisis, il était, à son sens, indispensable qu'ils ne fussent pas abandonnés à eux-mêmes, mais que les classes nouvelles fussent créées à des emplacements assez proches d'une agglomération pourvue d'une école primaire pour que le directeur de cette école put exercer, autour de lui, un contrôle pédagogique régulier. M. le Recteur Jeanmaire exprimait, enfin, l'opinion que la meilleure garantie, pour une formation rapide des auxiliaires, était de les admettre à l'école normale de la Bouzaréa et d'augmenter, en conséquence, le nombre des élèves musulmans inscrits au cours normal dé cet établissement.

En octobre 1908, toutefois, M. Jeanmaire se voyait muté à un autre poste. Son départ suivait de près la décision définitive de poursuivre l'extension de l'enseignement des indigènes par la construction d'écoles du type nouveau dites " écoles auxiliaires ", qu'on se proposait d'ouvrir au rythme de 60 par an, en supplément de 22 créations d'écoles primaires du type normal. Les écoles auxiliaires devaient être' confiées à des moniteurs, recrutés parmi " les anciens élèves des écoles primaires et des cours complémentaires, pourvus du certificat d'études primaires et paraissant aptes à remplir des fonctions d'enseignement après un stage pédagogique de six mois dans les écoles principales, sous la surveillance des directeurs de ces écoles ".

Il est sans doute malaisé de formuler un jugement absolu sur une expérience qui devait, après cinq ans, être interrompue par la guerre de 1914 ; mais il est indéniable que, dès le début, malgré l'optimisme de ses promoteurs qui voyaient dans les écoles auxiliaires des " Centres élémentaires de civilisation ", elle souleva des objections extrêmement vives. On lui reprochait d'être un pis-aller conçu dans un esprit d'économie assez sordide ; de ne viser qu'à faire donner un enseignement réduit, dans des locaux à bon marché, par des maîtres moins payés, mais aussi moins expérimentés. Les critiques se traduisirent vite par des formules injustes dans leur exagération, mais qui n'en frappaient pas moins l'imagination. L'opinion se fit jour presque immédiatement que, si c'était én apparence un désir louable que de vouloir créer beaucoup d'écoles en dépensant peu, il ne fallait pourtant pas que la modicité des crédits eût une répercussion fâcheuse sur la qualité de l'enseignement, et que, si l'on devait donner aux enfants musulmans des maîtres sans garanties professionnelles suffisantes et des écoles mal organisées, il eût encore mieux valu s'en tenir au système antérieur et faire peu, trop peu sans doute, mais faire bien.

Après 1908, le rythme du développement de la scolarisation ne s'accéléra pas autant qu'on l'avait espéré : 36.013 élèves en 1908, 38.366 en 1909, 40.778 en 1910, 42.614 en 1911, 44.779 en 1912, 46.327 en 1913, soit une moyenne annuelle d'augmentation de 2.300 élèves contre un millier au cours de la période précédente. Pendant le même temps, le nombre des écoles et des classes s'élevait graduellement de 272 écoles et 575 classes en 1907, à 468 écoles et 888 classes en 1913 (1908: 299 écoles et 640 classes, dont 84 annexées à des écoles européennes ; 1909 : 316, 667 (82) ; 1910 : 362, 727 (81) ; 1911: 390, 766 (80) ; 1912: 433, 825 (82) ; 1913 : 468, 888 (86), ce qui représentait 52 classés par an. On était encore loin des 82 classes prévues par le plan d'ensemble. Au bout de la troisième année de réalisation de ce plan, l'Académie signalait déjà que " sur les 60 écoles auxiliaires du programme de 1909, 51 seulement fonctionnaient et qu'il restait à exécuter le programmede 1910 et celui de 1911 ", que " plusieurs communes n'avaient pas poursuivi, en temps utiles, l'installation des écoles dont elles avaient voté la création ; qu'elles n'avaient pas présenté de plans de construction à l'approbation du Gouvernement général ", que " dans d'autres communes, les architectes avaient déclaré impossible de se maintenir dans les limites du prix fixé par les Assemblées algériennes ". Forcé était, d'autre part, de constater les difficultés rencontrées pour le recrutement des moniteurs destinés aux écoles auxiliaires, " non que le nombre des candidats fut insuffisant, mais parce qu'ils ne présentaient souvent que de faibles garanties ". Le nombre de ces moniteurs ne s'en était pas moins élevé à 184 à la fin de 1913 et le Recteur se trouvait contraint de remarquer que, si la grande majorité des maîtres, quel que fut le degré d'instruction, s'acquittaient consciencieusement de leurs devoirs professionnels, les bons résultats étaient surtout visibles, " là où les écoles existaient depuis un certain nombre d'années ", c'est-à-dire, somme toute, dans les écoles primaires du type normal, confiées à des instituteurs pourvus des titres de capacité usuels. Aussi n'est-il guère surprenant que, dès mars 1914, des instructions ministérielles aient prescrit de renoncer au recrutement des moniteurs.

LA GUERRE DE 1914-1918.

L'entrée en guerre de la France, au mois d'août suivant, devait, toutefois, faire ajourner cette mesure jusqu'au lendemain des hostilités.

La période de quatre ans qui s'ouvrait ne pouvait manquer, par ailleurs, d'avoir une répercussion fâcheuse sur le développement de l'oeuvre entreprise. Dès le début, près de 200 instituteurs français ou musulmans furent mobilisés ou s'engagèrent. Les qualités d'énergie opiniâtre et d'intelligente initiative dont ils avaient fait preuve dans l'accomplissement quotidien de leur tâche civile ne pouvaient pas se démentir dans les circonstances exceptionnelles de la guerre et leurs citations remplirent bientôt des pages entières du " Bulletin de l'Enseignement dés Indigènes ". Mais, à leur départ, il avait fallu les remplacer, tout au moins numériquement, par des suppléants : élèves-maîtres de deuxième année, étudiants des médersas, ou, simplement, élèves des cours complémentaires qui montraient certes, dans leurs nouvelles fonctions, une bonne volonté non douteuse, mais étaient parfois insuffisamment au courant des multiples exigences du service dont ils avaient momentanément la charge. Il est logique, dans ces conditions, que les effectifs scolaires aient sensiblement diminué. Les données numériques exactes sont assez rares du fait que les statistiques ont été irrégulièrement dressées et, quand elles existent, ont été établies selon des éléments. de calcul différents. n est possible, cependant, de connaître avec quelque certitude le nombre des élèves musulmans en 1916 et 1917 ; dans le premier cas, il était déjà tombé à 43.520 (35.674 dans les écoles indigènes et 7.846 dans les écoles européennes) ; dans le second, il n'atteignait plus que 42.295 (34.796 d'une part et 7 499 de l'autre), soit une perte équivalente à l'effectif de 80 à 90 classes depuis 1913. La diminution constatée affectait, d'ailleurs, exclusivement les écoles de garçons et, plus particulièrement, les écoles isolées. C'est en tribu, en effet, qu'il avait été nécessaire de fermer quelques classes, et, dans les classes restées ouvertes, les suppléants, inexperts et de peu d'autorité, n'avaient pas toujours su ou pu faire venir ou retenir les élèves. La disparition des maîtres mobilisés avait eu, trop souvent, pour conséquence la suppression des cours moyen et supérieur, dont la dénomination seule avait subsisté. Et pourtant, ceux des maîtres de carrière qui étaient demeurés à leur poste én raison de leur âge s'ingéniaient, non seulement à maintenir dans leurs écoles le niveau de l'enseignement donné, mais encore à dispenser cet enseignement à plus d'enfants, à doubler les effectifs partout où les dimensions des locaux le permettaient. Leur activité ne se bornait pas, d'ailleurs, à leur tâche professionnelle, si lourde qu'elle fût devenue. La plupart tenaient en honneur de faire participer leur école aux oeuvres dé guerre. Ils se faisaient, bénévolement, les intermédiaires entre les parents illettrés et les fils combattants dans la Métropole. Il n'en est pas moins incontestable que, dans l'ensemble, au cours de ces années de lutte, la qualité de l'enseignement théorique avait regrettablement baissé, et qu'en même temps, dans l'enseignement professionnel, la rareté et la cherté des matières premières, la difficulté de renouveler les instruments de travail avaient gêné le fonctionnement des cours d'apprentissage et des ouvroirs, dont plusieurs avaient dû fermer ; qu'enfin, dans l'enseignement agricole, les jardins scolaires avaient cruellement pâti des événements et que l'étude de l'agriculture pratique s'était vue, comme les autres parties du programme, notoirement réduite.

1918 - 1923

Dès la fin des hostilités, on constate qu'il n'y a plus de décroissance dans l'effectif des garçons, mais, par contre, un certain fléchissement dans l'effectif des écoles de filles, qui s'était maintenu et même accru pendant les années écoulées. En raison du coût dé la vie, en effet, au lieu de faire donner à leurs fillettes une instruction qui ne leur servirait que plus tard, beaucoup de parents préfèrent en tirer immédiatement du profit, si minime soit-il, en les employant à de petites besognes rémunérées : triage de fruits ou de primeurs, par exemple, ou, encore, en les envoyant dans dés ateliers privés sans attendre que leur apprentissage soit terminé. Dans tous les établissements scolaires, cependant, la fréquentation s'améliore - amélioration due, sans contredit, au retour du personnel normal. - Les progrès numériques n'en sont pas moins lents : 42.269 en 1920, 43.831 en 1921, et il faut attendre 1922 pour en revenir à des chiffres analogues à ceux d'avant-guerre : 48 750 élèves.

Les instituteurs n'ont du reste pas seulement à repeupler les classes, ils ont à relever graduellement la qualité des études. Cette tâche est en bonne voie dès 1920, comme le prouvent, d'une part, le nombre de candidats présentés au certificat d'études, et la proportion des candidats reçus, d'autre part, la loi du 6 octobre 1910, organisant officiellement les cours complémentaires d'enseignement professionnel qui s'étaient constitués, pour ainsi dire, d'eux-mêmes, par le développement logique, des cours d'apprentissage prévus par le décret de 1892, mais qui avaient subi un grave recul depuis 1914. Malheureusement, les apprentis travaillent souvent dans des locaux de fortune, l'outillage est souvent insuffisant et ce n'est guère qu'en 1927 qu'une amélioration réelle pourra être signalée. Désorganisation du fait de l'absence de la plupart des maîtres ayant quelque expérience de l'enseignement pratique de l'agriculture, cet enseignement, lui aussi, reprend peu à peu sa marche normale et, dès 1923, on peut constater que les fellahs se remettent à imiter, dans leurs lopins de terre, ce qui est fait dans le jardin de l'école, qu'à proximité des villes ils s'essaient à la culture maraîchère de la même manière que les européens, et qu'ils s'efforcent, encore davantage, d'améliorer leurs cultures fruitières.

EXTENSION DE L'ENSEIGNEMENT FEMININ.


Mais c'est surtout dans les écoles de filles musulmanes que les progrès se font plus sensibles. Sans doute, le nombre des élèves fréquentant ces écoles est-il encore peu important en 1930, mais il n'en a pas moins doublé, après un temps d'arrêt et de stagnation au cours des dix dernières années (3.798 en 1920 ; 4 222 en 1921 ; 5.245 en 1922 ; 5.679 en 1923 ; 5.869 en 1925 ; 6.347 en 1926 ; 7.409 en 1927 ; 7.351 en 1928 ; 7.580 en 1929 et 8.150 en 1930). Le niveau de l'enseignement théorique reste, il est vrai, encore assez bas, mais ce n'est pas à préparer des diplômes que visent les écoles de filles musulmanes, ce sont des écoles ménagères plus que des écoles primaires et, à ce point de vue, il convient de noter que chacune possède son cours complémentaire d'enseignement professionnel et que le recrutement des apprenties de ces cours, malgré l'insuffisance des installations, devient nettement plus facile (600 en 1923 contre 250 avant la guerre). En outre, pour donner toute sa valeur à l'enseignement artisanal (borderies, dentelles, tapis), un cabinet de dessin a été créé, en 1922, et relève les modèles traditionnels dont les maquettes sont envoyées aux diverses écoles. Enfin, l'action des établissements scolaires de filles se poursuit par l'oeuvre d'assistance sociale post-scolaire qui procure du travail aux anciennes élèves et les aide à écouler leur production dans des conditions rémunératrices.

L'enseignement féminin a d'ailleurs trouvé, désormais, de chauds partisans dans la population musulmane. En 1923, l' " Association des Instituteurs " d'origine indigène formule le voeu que des écoles de filles soient créées partout où il existe déjà des écoles de garçons :

" Nos camarades - écrit le secrétaire général - sont unanimes à déplorer cette lacune regrettable, parce que l'enseignement primaire des indigènes, déjà insuffisamment distribué aux garçons, restera à peu près sans effet tant qu'il ne sera pas donné, au moins partiellement, aux filles... Au point de vue purement dogmatique, le Coran recommande l'instruction de la femme... Les moeurs indigènes ne s'opposént nullement à l'enseignement des filles. Les rares musulmanes instruites sont, au moins, aussi appréciées et aussi honorées que les autres. Nous avons donc l'honneur de demander le développement de l'instruction des filles, la réalisation de cette oeuvre de haute portée morale, tant pour l'évolution des indigènes que pour l'avenir des idées françaises en Algérie ".

Dans certaines localités on s'ingénie même à trouver des solutions de fortune, à recevoir, par exemple, les fillettes, comme à Tabarourt, dans les écoles de garçons en dehors des heures de classe normales ou pendant les jours de congé hebdomadaire. Il est incontestable, d'autre part, qu'un changement se produit dans la conception que beaucoup de parents musulmans se font de l'éducation de leurs filles. En diverses régions, sans cesser d'apprécier hautement l'enseignement ménager et pratique et sans dédaigner l'apprentissage d'ouvrages manuels, ils en viennent à attacher une plus grande importance à l'instruction proprement dite, particulièrement à la connaissance du français. On se préoccupe, depuis 1925, d'arrêter des programmes pour les filles musulmanes, qui ne seront, toutefois, mis à l'essai qu'en 1934, mais qui donneront, alors, un plan d'études précis pour les principles matières " d'éducation intellectuélle ".

1923-1939.

Parallèlement, dans les écoles de garçons, le progrès des études incite à compléter les programmes de 1898 par un enseignement plus poussé du français écrit et des sciences et, dorénavant, sans modifier les programmes eux-mêmes, on recommande aux maîtres de les adapter aux besoins des élèves. Par l'instruction donnée dans les écoles de français musulmans, on arrive ainsi, progressivement, à se rapprocher de cette que reçoivent les enfants français, tout au moins dans les villes. La distinction tend ainsi à sé faire non plus entre " écoles indigènes " et " écoles européennes ", mais entre écoles urbaines et écoles rurales

On note, d'ailleurs, depuis 1923, l'affluence sans cesse plus grande des élèves, la régularité croissante de la fréquentation dans toutes les classes existantes. L'intérêt porté à l'instruction est tel que les populations musulmanes, en maintes localités, demandent, elles-mêmes, par voie de pétitions, l'ouverture de nouvelles écoles ou l'agrandissement des écoles déjà ouvertes, au lieu de laisser, comme autrefois, à l'Administration, l'initiative de ces créations.Il est naturel, dans ces conditions, que les effectifs grossissent rapidement :

1923-1939.

A la veille de la seconde guerre mondiale, la population scolaire s'était donc accrue de : 63.000 enfants, et le nombre des classes s'était augmenté de 791 depuis 1922 - ce qui représente un afflux d'approximativement 4 000 enfants de plus pour chacune des seize dernières années et une moyenne dé 50 créations de classes nouvelles.

L'ENSEIGNEMENT DES ENFANTS MUSULMANS PENDANT LA 2e GUERRE MONDIALE.

Les événements internationaux, bien que leur ampleur dut dépasser celle des événements de la période 191i-1i18, n'eurent pas, cependant, une répercussion aus-i profonde sur le développement de l'enseignement des Musulmans ; tout d'abord, parce que les mobilisations partielles de 1937 et 1938 avaient fait prévoir le pire et que l'Administration académique avait pu prendre des mesures préventives pour le remplacement immédiat de la plupart des maîtres mobilisés ; ensuite, parce que la durée des hostilités, jusqu'à la fin tragique de la campagne de France, fut relativement courte. Aussi les quelques renseignements statistiques recueillis ne montrent-ils aucun recul de la scolarisation et même une légère augmentation des effectifs : 114.117 élèves en 1939, 117.155 en 1940 ; augmentation maintenue en 1941 : 117.586 élèves, mais de façon assez factice par la création des Centres ruraux d'éducation.

LES CENTRES RURAUX D'EDUCATION.


Sous une appellation nouvelle, ces centres ne sont guère autre chose que les écoles auxiliaires de 1908, et l'expérience qu'on tente pour la seconde fois est, dès le principe, vouée à l'échec. Les considérations dont elle s'inspire tiennent sans doute le plus grand compte de faits patents : il est impossible de ne pas reconnaître que, si 100 000 enfants musulmans environ fréquentent l'école, 900.000 autres restent à scolariser ; que l'augmentation du recrutement par la création de quelques classes nouvelles correspond tout juste à l'accroissement normal de la population ; que nombreux sont les douars qui ne possèdent même pas une école. Il est également exact que la diffusion de l'enseignement pose deux problèmes distincts : un problème urbain et un problème rural ; que, pour les petits citadins, l'école peut, et même doit, être conçue sur le modèle métropolitain, afin de préparer les enfants des diverses origines ethniques à une compréhension et une collaboration qui s'imposeront aux uns et aux autres au cours de la vie ultérieure ; mais que, pour les enfants des campagnes, mêlés de bonne heure aux travaux de la famille, ce dont ils ont besoin c'est d'une éducation pratique, susceptible d'améliorer leur genre de vie coutumier, sans les séparer de leur milieu. Envisager la création simultanée d'écoles urbaines et de centrés ruraux d'éducation est donc, à priori, une idée séduisante ; mais encore faut- il que l'on ne commence pas par poser en principe que le centre rural sera une institution volontairement modeste, sommairement installée dans un local du type hangar, avec des nattes aux lieu et place de tables-bancs ; que la durée de la scolarité sera réduite à trois ans ; que l'enseignement sera réduit aux rudiments des connaissances les plus usuelles et qu'il sera confié à des moniteurs non-fonctiono naires simplemnet pourvus, au besoin, du certificat d'études. Ce n'en est pas moins cette formule qui est adoptée lorsque les centres ruraux d'éducation sont créés officiellement par l'arrêté gubernatorial du 18 septembre 1941 : " Dans les localités, douars et tribus, en dehors des écoles primaires élémentaires dont le régime est défini par le décret du 18 octobre 1892, il pourra être créé des centres d'éducation ruraux... Leur programme comprendra des notions très sommaires d'enseignement général et, d'autre part, un enseignement professionnel pratique .. adapté aux diverses régions... L'enseignement sera confié, dans chaque centre, à un moniteur auxiliaire. Un contrôle effectif et immédiat sera exercé par le directeur de l'école régionale voisine ". Une circulaire rectorale précise, du reste, ce qu'on entend exactement par " école régionale " et comment on conçoit le rôle de son directeur : " Il n'est plus possible, aux inspecteurs primaires, de visiter aussi souvent qu'il le faudrait les écoles éloignées... celles où l'on envoie d'ordinaire les maîtres débutants qui ont le plus besoin de conseils. L'école primaire situ ée au coeur d'une région bien scolarisée sera un centre d'activité pédagogique et de vie administrative. Le directeur qui devra en avoir la charge fera évidemment l'objet d'un choix très attentif ; il aura à remplir une mission délicate, mais pleine d'intérêt, qui s'étendra du contrôle pédagogique des maîtres de la région à la diffusion et à l'application rationnelle et régulière des instructions données de l'inspection et de la commune ". C'est, somme toute, le rétablissements du régime de la surveillance des écoles auxiliaires par les directeurs d'écoles principales qui avait été instauré, sans résultats appréciables, quelque 32 ans antérieurement. Il était peut-être exagéré de présenter l'organisation soi-disant nouvelle comme un effort original pour " sortir de l'ornière ", peur " s'évader résolument du plan classique " et des solutions habituelles.

Cette seconde tentative d'enseignement réduit ne pouvait manquer de heurter les sentiments profonds de la population musulmane et de rencontrer des résistances locales qui limitèrent à environ quarante, en un an, les créations de centres, alors que le programme prévu en escomptait 300 par année, pour aboutir, en quarante ans, à la scolarisation totale des enfants des tribus sédentaires, dont le nombre était évalué à 600.000 sur les 900.000 garçons et filles encore non scolarisés.

La malencontreuse expérience dés centres d'éducation ruraux se voit d'ailleurs arrêtée par un événement devant lequel s'effacent, pour un temps, toutes les préoccupations pédagogiques : le débarque
ment des troupes alliées en Afrique du Nord et la rentrée de la France dans la guerre. L'appel sous les drapeaux des classes mobilisables, l'engagement volontaire de nombreux maîtres entraînent un fléchissement de l'effectif scolaire, qui s'abaisse à 115.257 à la fin de 1942, à 108 805 en 1943. Mais le mouvement ascensionnel reprend dès l'année suivante avec un total de 110.686 enfants, dont 77.963 dans les 2.073 classes réservées aux musulmans et 32.723 dans les éccles européennes.

LES REFORMES ET L'ENSEIGNEMENT MUSULMAN.


L'année 1944 ést d'ailleurs marquée par l'établissement d'un programme général de réformes d'un intérêt primordial pour l'Algérie. En vertu d'une décision du Comité Français de la Libération, en date du 11 décembre 1943, stipulant que la politique de la France à l'égard des Français Musulmans d'Algérie devait tendre de façon continue et progressive à élever leurs conditions politique, sociale et économique, " une commission a été constituée pour présenter des propositions concrètes en vue de la solution dés problèmes les plus importants, parmi lesquels la diffusion de l'instruction publique dans les populations musulmanes urbaines et rurales ". Cette commission siège de décembre 1943 jusqu'en juillet 1944 et, dès janvier, ses préoccupations se portent sur les questions d'enseignement. Les conclu. sions auxquelles elle aboutit, et qu'elle exprime par la voix de son rapporteur, sont les suivantes :

" A l'effort politique actuellement entrepris doit correspondre, dans l'esprit de la décision du Comité Français de la Libération Nationale, un développement intense de l'instruction publique au profit de la population d'origine algérienne... Le développement de la vie sociale en commun... C'est évidemment sur le plan de l'instruction que se fera le plus facilement cet effort ne serait pas concevable qu'au titre de citoyen français né corresponde pas, à la base, une culture française... Le problème qui se pose est de faire passer le nombre des enfants indigènes qui reçoivent une instruction, de 100.000 environ à 1.200.000 - chiffre qui n'a d'ailleurs rien de fixe, car il s'élevé tous les ans par suite de l'augmentation de la population musulmane. "

Il convient, en conséquence, de prévoir la création et la construction de classes à un rythme minimum annuel de 400 ; de recruter en France et en Algérie des maîtres possédant, si possible, le brevet supérieur ou le baccalauréat, mais, en cas de nécessité, le simple brevet élémentaire, premier titre de capacité prévu par la loi de 1881 ; de recourir, enfin, pendant la période difficile du début, à toutes mesures transitoires utiles : dédoublement des classes existantes par instauration de cours successifs dans les mêmes salles : aménagement de tous les bâtiments non occupés ; rappel au service actif des instituteurs retraités.

PLAN DE SCOLARISATION ADOPTE

.
Saisi de ces propositions, le Gouvernement provisoire de !a République française les adopte, le 8 octobre, sans y presque rien changer. La modification la plus importante porte sur le nombre des créations annuelles : le Gouvernement estime, en effet, que peur aboutir à une scolarisation plus rapide et plus complète, il convient de " ménager une progressivité dans l'exécution du programme " et que, si l'effort peut être relativement lent pendant les premières années, il peut graduellement devenir plus intense, passer peu à peu de 400 ouvertures de classes à 2.500 par exercice budgétaire. Un décret du 27 novemb2e 1944 définit les principes généraux de ce plan de scolarisation. D'autres textes de la même date instituent l'obligation scolaire en Algérie, applicable au fur et à mesure de la réalisation du programme : créent un cadre spécial d'instituteurs dans lequel peuvent être admis : les candidats pourvus du brevet élémentaire, de la première partie du baccalauréat ou du diplômé d'études des médersas algériennes ; confient au Recteur de l'Académie les fonctions de directeur général de l'Education nationale en Algérie et lui adjoignent un vice-recteur spécialement chargé de diriger l'exécution du plan de scolarisation totale de la jeunesse algérienne.

...ET LE RESULTAT DE SON APPLICATION.


Ce plan entre en vigueur immédiatement et il est, depuis deux ans, en cours d'application. Or, tandis que le Commissariat à l'Education nationale estimait qu'il serait vraisemblablement malaisé d'atteindre dès l'origine le chiffre de 400 créations prévues, " qu'il fallait s'attendre à des débuts plus modestes, mais qu'il convenait de maintenir le chiffre symbolique de 400 classes pour premières réalisations annuelles ", le nombre des classes nouvelles effectivement ouvertes à la fin de 1946 s'élève à 931, soit un dépassement de 131 unités sur les prévisions. Le département d'Alger compte 232 classes de plus qu'en 1944 ; celui de Constantine 327 ; le département d'Oran 278 L'effectif des élèves est passé de 110.686 à 157.601, ce qui représente une augmentation de 46.915 élèves ét un pourcentage d'accroisseo ment de 43 % en deux ans.

LES DIFFICULTES RENCONTRÉES.

Les promesses faites ont donc été largement tenues ,mais, pour ouvrir les classes nouvelles, il a été évidemment nécessaire - pendant une période où le manque de matériaux de construction se faisait cruellement sentir - d'utiliser les moyens de fortune auxquels la Commission des réformes avait été la première à songer : location des rares immeubles disponibles ; installation de classes dans les gares ou les entrepôts désaffectés, agrandissement ou surélévation d'écoles existantes ; utilisation des mêmes locaux par roulement pour le fonctionnement alternatif de deux cours parallèles durant les six jours ouvrables de la semaine. Toutes les ressources immédiates - ou presque - ont été désormais utilisées, et l'exécution du programme de scolarisation serait voué à un regrettable ralentissement si les constructions indispensables étaient plus longtemps différées.

La mise en chantier et l'édification rapide d'écoles neuves est un problème grave, mais c'est, après tout, un problème matériel que la bonne volonté doit pouvoir résoudre. Mais d'autres problèmes aussi sérieux se posent sur le plan pédagogique.

Tout d'abord, il importé de poursuivre le relèvement du niveau des études qui s'était forcément abaissé de 1939 à 1945, pour les mêmes raisons que pendant la période de guerre de 1914 à 1918, c'est-à- dire parce que trop de classes avaient dû être confiées en l'absence des maîtres mobilisés, à des remplaçants ocasionnels, mais aussi parce trop d'enfants s'étaient trouvés sous-alimentés, mal vêtus, affaiblis et, par conséquent, inattentifs ; parce qu'enfin, les plus âgés avaient déserté les classes supérieures pour rechercher des profits illicites, mais immédiats, dans les tractations louches du " marché noir ". Ces temps difficiles semblent heureusement révolus, et, dès la fin de l'année scolaire 1945-1946, la répartition des Élèves entre les différents cours des écoles primaires tendait à redevenir normale, comme permettait de le constater le nombre des candidats qui se présentaient et étaient admis au certificat d'études - sanction et preuve d'une scolarité complète.

ORIENTATION DE L'ENSEIGNEMENT FEMININ...

La question du développement de l'enseignement féminin n'est pas aussi facile à trancher. Il est vrai que, de 1939 à 1946, le nombré des fillettes musulmanes qui reçoivent une instruction élémentaire est passé de 21.679 à 38.879 ; qu'au cours des années 1945 et 1946, 330 classes nouvelles leur ont été ouvertes ; mais la disproportion n'en reste pas moins grande entre élèves filles et élèves garçons : 39.000 environ d'une part, contre 119.000 de l'autre. Or, nous avons vu graduellemént s'affirmer, tant dans la population musulmane que dans la population française, la conviction " qu'une dissociation socialement dangereuse était en train de s'opérer entre le jeune Algérien et sa future compagne " et qu'il importait de prendre le plus rapidement possible les mesures propres à l'éviter. L'évolution de la mentalité musulmane ayant créé le désir nouveau d'amener les enfants des deux sexes à un niveau de culture sensiblement égal, il est devenu essentiel de multiplier les créations d'écoles de filles et d'en aménager les programmes de manière à donner aux jeunes Arabes ou Kabyles, en même temps qu'une expérience réelle des choses du ménage : couture, cuisine, puériculture, assez de connaissances générales pour ne pas en faire les associées inégales de leurs maris. Déjà, l'horaire des cours a été rationnellement partagé entre l'enseignement théorique, l'enseignement ménager et familial et l'enseignement technique (travaux de l'aiguille, repassage, raccommodage, etc...). Par contre, une place beaucoup moins importante est laissée aux travaux artisanaux et, en fait, les sections spécialisées ne sont conservées que dans les centres où une tradition locale intéressante - tissage ou broderie - mérite d'être maintenue et encouragée. Aucun obstacle sérieux ne restera à surmonter après la mise en service d'écoles neuves.

...ET MASCULIN.

Les difficultés ne paraissent pas non plus devoir être plus graves en ce qui concerne l'orientation à donner, dans l'avenir, à l'enseignement des garçons. Sans doute a-t-on parfois mené grand bruit autour de ce qu'on nomme " l'indispensable fusion de l'enseignement européen et de l'enseignement indigène ". Mais le problème, sous cette forme, est mal posé. La fusion que l'on présente comme une innovation est, en effet, depuis plus d'un quart de siècle, en voie de réalisation progressive. Les écoles dites " européennes " ont, en premier lieu, toujours été pratiquement ouvertes aux enfants musulmans et, dès 1880, elles recevaient 2.000 de ces enfants. Les décrets de 1883, de 1887 et de 1892 ont affirmé et réaffirmé tour à tour que tous les éléments de la population étaient admis dans ces écoles Les Musulmans y tiennent d'ailleurs une place importante qui, chaque année, va s'agrandissant. Ils constituaient, en 1926, 11,4 % de l'effectif (13.125 élèves sur 114.701), 18,6 % en 1936 (31.390 élèves sur 166.301), 25,5 %
enfin, en 1946 (41.976 élèves sur 164.106). Mais si, dans les agglomérations urbaines, bon nombre d'entre eux peuvent entrer de plain-pied dans les classes européennes, en raison de la culture française qu'ont déjà acquise leurs parents et de leur connaissance préalable de notre vocabulaire, il en est d'autres pour qui notre langue est totalement inconnue avant leur séjour à l'école, du fait de la scolarisation insuffisante des générations antérieures. Pour ceux-ci, il faut provisoirement maintenir les classes dites d'initiation, les exercices spéciaux de langage. Ce stade de début franchi, les programmes sont, toutefois, dès aujourd'hui, identiques pour tous les jeunes citoyens dans tous les établissements primaires et la sanction des études est devenue la même depuis la suppression, en 1942, du certificat d'études spécial aux indigènes. De plus, par la force des choses, si le plan de scolarisation est réalisé dans le délai de vingt ans prévu par le législateur, les élèves qui fréquenteront les écoles à la fin de la seconde moitié du sèicle seront les fils des Musulmans déjà instruits dans nos classes et ils auront suffisamment entendu parler notre langue dans leur milieu familial pour se trouver à même de commencer leur scolarisation exactement dans les mêmes conditions que les jeunes Français. La " fusion " aura alors un sens réel - corrolairé logique de l'obligation scolaire, - elle sera devenue générale en même temps qu'effective. Les derniers vestiges de la dualité d'enseignement auront graduellement disparu, partout du moins où cette dualité peut disparaître, c'est-à-dire dans les villes où le droit à une éducation égale et commune découle du devoir de coopération des divers éléments ethniques.

Il serait, par contre, prématuré, regrettable et nuisible à l'intérêt même des élèves de renoncer, dans les douars, à des méthodes pédagogiques essentiellement distinctes qui se sont révélées à tous points de vue efficaces. Toutes les différénces autrefois établies entre écoles principales, écoles primaires ordinaires, écoles préparatoires, se sont graduellement effacées ; mais une discrimination, beaucoup plus légitime, s'est faite entre les écoles urbaines où se coudoient les enfants de toutes les races, et les écoles rurales dont les jeunes Musulmans forment à peu près seuls la clientèle scolaire. Dans leur cas, parce qu'ils n'ont de rapport dans la vie courante qu'en classe avec leur maître ou avec de rares colons installés dans les fermes voisines, il est nécessaire que l'enseignément du français soit analogue à l'enseignement de toute langue étrangère et qu'on y emploie les procédés actifs et sensoriels en usage dans nos Établissements scolaires métropolitains quand il s'agit de l'italien, de l'espagnol et de l'anglais. D'autre part, le mode d'existence traditionnel du milieu s'est assez peu modifié en quelque cent ans ; la population reste attachée à la culture et à l'élevage ; elle témoigne de son désir de revoir, dans les classes primaires, une initiation aussi complète que possible aux travaux agricoles et aux travaux manuels qui s'y rattachent : elle recherche, enfin, les moyens de compléter ces connaissances pratiques après la scolarité normale, et ceci explique le succès croissant des cours complémentaires d'enseignement professionnel dont le nombre se multiplie chaque année. Les programmes de l'éducation rurale doivént donc résolument rester différents des programmes des écoles des centres urbains, et les instituteurs des agglomérations reculées devront longtemps encore jouer ce rôle de Maître-Jacques, dans lequel ils ont si souvent excellé.

realisation  du plan de scolarisation de 1945 à 1947

Instituteurs du bled ou instituteurs des villes, ils le sont d'ailleurs successivement à différents moments de leur carrière., et, en quelque point que ce soit, la tâche qu'ils remplissent n'en est pas moins efficace, aussi efficace qu'elle est patiente et obstinée. Ils sont bien les dignes successeurs des maîtres qui ont créé les premières écoles en pays arabe ou kabyle et qui ont consacré leur vie entière à l'enseignément des Musulmans d'Algérie. Aussi serait-il injuste de terminer l'historique sommaire de cet enseignement sans rendre hommage à l'oeuvre, souvent obscure, toujours utile, qu'ils accomplissent, et sans affirmer que leur dévouement et leur conscience professionnelle sont encore les meilleurs et les plus sûrs garants du succès du programme de scolarisation totale.

M. CHEFFAUD,
Vice-Recteur de l'Université d'Alger.