-------Le 27 novembre
1944, à la suite de l'enquête menée par la Commission
des Réformes, le Gouvernement provisoire de la République
Française promulguait une série de décrets tendant
à accélérer le développement de l'instruction
en Algérie, tout particulièrement dans les milieux musulmans.
Lé plus important de ces décrets prévoyait la scolarisation
totale de la jeunesse algérienne par la création, en vingt
années, de 20.000 classes susceptibles d'accueillir un million
d'élèves supplémentaires, selon un rythme sans cesse
plus rapide, passant de 400 ouvertures de classes pendant les trois premières
années à 1.500, 2.000 et 2.500 en fin d'exécution
du programme.
-------Ce
plan de scolarisation totale, remarquable par le désir qu'il manifeste
de résoudre définitivement en un laps de temps limité
le problème capital qui s'était posé à . la
France dès qu'elle eût posé le pied en Algérie,
n'exprime pas toutefois une conception nouvelle. Il est une réaffirmation
énergique et formelle de principes énoncés au lendemain
même des opérations militaires de 1830, l'aboutissement logique
de projets dont la réalisation avait été aussitôt
entamée, avait pu à certains moment être vigoureusement
poursuivie, s'était trouvée de temps à autre entravée
par des circonstances plus souvent encore économiques, que politiques,
avait été enfin malencontreusement interrompues par trois`
guerres européennes, mais n'en avait pas moins été
obstinément reprise après chacun de ces arrêts de
la vie et de l'activité normales.
L'ENSEIGNEMENT DES MUSULMANS
DE 1830 à 1870
-------Dès
le début de l'occupation, alors même que l'apaisement n'était
pas encore revenu, la question de l'instruction de la population musulmane
était prise en considération. En 1832, trois écoles
françaises étaient déjà fondées à
Alger, et leurs portes étaient ouvertes aux musulmans qui, toutefois,
se montraient fort hésitants à en franchir le seuil. On
songea donc, pour la première fois, à tenter une expérience
qui, par la suite, devait être féconde : une école
" maure-française " fut créée à
Alger à l'intention des jeunes arabes et fut fréquentée
dès le début par 6o élèves. L'exemple fut
suivi dans d'autres centres, au fur et à mesure que le pays s'organisait
dans la paix. En 1850, un décret instituait officiellement l'enseignement
-" arabe-français ", et le rapport de présentation
proclamait en termes explicites notre volonté d'instruire les jeunes
musulmans.
-------"
Aujourd'hui - lisait-on - que des temps, plus calmes ont succédé
aux préoccupations militaires en Algérie, la France doit
s'efforcer d'accomplir la mission civilisatrice qu'elle s'est imposée
". En conséquence, le décret du 6 août 1850
créait six écoles de garçons dans les villes d'Alger,
Constantine, Oran, Bône, Blida et Mostaganem et un nombre égal
d'écoles de filles dans les mêmes centres. Bien, qu'on eût,
dans chaque établissement, à côté de l'enseignement
donné en français, instauré des cours d'instruction
religieuse coranique et de langue arabe confiés à un taleb
de la mosquée voisine, les résultats furent assez décevants.
D'une part, les musulmans eurent tendance à voir dans la tentative.
faite pour les instruire, " une sorte de piège tendu. à
leur simplicité, en vue de leur ravir leur religion "
et, d'autre part, ceux-là mêmes qui ne se laissaient pas
arrêter par ce préjugé, estimaient que leurs enfants,
ne tiraient pas un profit effectif de leur fréquentation de l'école.
-------Il
faut bien convenir, en effet, que l'instruction élémentaire
qu'on leur donnait était restée par trop analogue à
celle que recevaient les jeunes écoliers de la Métropole
; qu'on appliquait les méthodes scolaires de France en mettant
entre leurs mains des manuels dont les idées et les termes n'éveillaient
en eux aucune notion de choses connues ; que les maîtres du début,
quelque dévoués qu'ils fussent, étaient mal avertis
de la différence profonde entre les élèves arabes
ou kabyles et leurs condisciples français. Même dans les
écoles de filles, les programmes (travaux d'aiguilles mis à
part) étaient identiques à ceux des écoles de garçons.
Le recrutement devait donc être extrêmement difficile, étant
donnée surtout la répugnance marquée pour toute activité
susceptible d'éloigner les fillettes de leur famille et de leur
maison. Aussi les écoles primaires de filles de Blida, de Bône,
d'Oran et de Mostaganem n'eurent-elles qu'une existence des plus éphémères
et seules les écoles d'Alger et de Constantine fonctionnaient encore
en 1864. A la même date, les écoles de garçons n'étaient
elles-mêmes qu'au nombre de 18 et ne comptaient guère que
646 élèves (353 dans la province d'Alger et 293 dans la
province de Constantine). Elles étaient disséminées,
il est vrai, de Tizi-Ouzou à Djelfa et Laghouat, de Tébessa
à Bordj-Bou-Arreridj et, en 1865 et en 1866, une dizaine d'écoles
nouvelles furent ouvertes dans la province d'Oran. A la veille de la guerre
de 1870, elles ne dépassaient pas un total de 36 avec une population
scolaire de 13.000 enfants arabes ou kabyles. On s'était préoccupé
cependant de les doter d'instituteurs plus au courant des choses d'Afrique,
et -une école normale avait été créée
en 1865 à Alger pour former chaque année 20 élèves-maîtres
français et 1o élèves-maîtres indigènes.
LA SITUATION EN 1870
-------Nos durs
revers de 1870, suivis de l'insurrection de 1871 en Algérie, ne
pouvaient qu'arrêter le développement de uvre d'éducation
entreprise et détruisirent même une partie de ce qui avait
été édifié. En 1873, il n'y avait plus que
26 écoles arabes-françaises ; 21 en 1876 ; 16 en 188o, ne
réunissant plus que 3.172 élèves. A Alger même,
le Conseil Municipal, pour des raisons d'économie, cessait de subventionner
la seule école arabe-français de la ville, et cette école
ne fut sauvée que par le dévouement et l'abnégation
du maître M. Fatha qui, aidé de deux moniteurs, continua
pendant plusieurs mois ses leçons, sans traitement, sans fournitures
de classe, jusqu'à ce que l'établissement fut pris en charge
par l'État. Mais si trop souvent les communes se désintéressaient
des écoles dites indigènes, il est à noter que les
musulmans réellement convaincus des bénéfices de
l'instruction, ceux qui en avaient déjà retiré des
fruits dont ils entendaient voir profiter leurs enfants, s'étaient,
dans les villes, retournés vers les écoles primaires françaises
et que 2.000 élèves de souche non européenne fréquentaient
ces écoles.
-------Malgré
cet appoint, malgré ce goût que la population urbaine commençait
à marquer pour notre instruction, l'avenir de l'enseignement en
Algérie n'en eût pas moins été irrévocablement
compromis par la disparition graduelle des écoles arabes-françaises,
par la baisse constante de leurs effectifs, si les préoccupations
du Gouvernement français ne s'étaient tout particulièrement
portées sur les problèmes scolaires dans la Métropole,
et par contrecoup, en Afrique du Nord.
L'ORGANISATION DE L'ENSEIGNEMENT
FRANCO-MUSULMAN
-------Dès
1879, le ministre de l'Instruction Publique, Jules Ferry, décidé
à redonner à l'enseignement franco-musulman la vitalité
qu'il avait perdue, mettait à l'étude la réorganisation
des études primaires en Algérie, la refonte des programmes,
le mode de recrutement des maîtres et faisait procéder sur
place à, des enquêtes approfondies pour déterminer
les lieux et les religions dont les besoins scolaires étaient les
plus pressants.
-------Le
décret du 13 février 1883 fut le premier des textes organiques
qui devaient donner à l'enseignement primaire musulman sa forme
propre et ses caractéristiques essentielles. Dans un exposé
publié au cours des années cruciales pendant lesquelles
s'effectuait la reprise- de nos efforts de scolarisation, M. Ferdinand
Buisson, directeur de l'enseignement primaire au ministère de l'Instruction
Publique, définissait ainsi la tâche à accomplir:
-------"
Instruire une population indigène, c'est
avant tout lui apprendre notre langue ". Mais comment
apprendre le français collectivement à des classes entières
toutes composées d'enfants qui n'en savent pas le premier mot ?
Là est tout le problème. On a cru le résoudre d'abord
en rapprochant sur les mêmes bancs les enfants indigènes
et les nôtres. C'est le séduisant système des écoles
arabes françaises, un plan d'études commun pour les deux
groupes d'élèves, une sorte de classé bilingue où
les Arabes, apprendraient le français et les Français l'arabe
par la pratique.
-------Ce
serait, en principe, une excellente organisation, si cela pouvait être
une organisation. Malheureusement, il est presque impossible de l'espérer.
En entreprenant de mener parallèlement cette double éducation,
on perdait de vue l'extrême différence de point de départ
entre l'enfant dont le français est la langue maternelle et celui
qui l'ignore. -
-------En
dépit des prodiges d'ingéniosité, plusieurs de ces
écoles aboutissaient à l'impuissance, et plus d'un maître
a fini par désespérer d'instruire convenablement soit les
Français, soit les Arabes dans un tel chaos. Tant qu'il s'agissait
d'apprendre mécaniquement les rudiments de la lecture, l'enfant
arabe, qui est naturellement attentif, docile, presque grave, triomphait
de toutes les difficultés du tableau et épelait, syllabait,
lisait, écrivait de façon à faire illusion. Mais
aussitôt que son camarade français arrivait à un livre
de lecture, si enfantin qu'il fût, il ne pouvait plus le suivre,
tout au plus gardait-il son rang pour l'exercice de calcul auquel il est
particulièrement porté et qui ne demande de connaître
que le vocabulaire des noms de nombres. Mais toute autre étude
commune devenait vite impossible et illusoire. Il a donc fallu songer
à faire des écoles indigènes, expressément
conçues et organisées en vue de l'enfant indigène
".
-------Aussi
le décret de 1883 prévoyait-il la création de trois
sortes d'écoles spéciales
--------
des écoles principales dans les centres ;
-------- des
écoles préparatoires ou de section dans les agglomérations
moins importantes ou dans les douars ;
-------- enfin,
des écoles enfantines, pour les enfants
des deux sexes, âgés de trois à huit ans.
-------Rendus
prudents par l'échec antérieurement subi en matière
d'enseignement féminin, les rédacteurs du décret
laissaient donc provisoirement de côté l'instruction des
filles jusqu'au moment où seraient connus les résultats
obtenus par les écoles enfantines ouvertes aux deux sexes : l'installation
des écoles .spéciales des diverses catégories n'intéressait
que les communes indigènes, mais, d'autre part, dans les communes
de plein exercice, les jeunes musulmans pouvaient être admis dans
les écoles publiques au même titre que les européens.
Pour tenir compte, toutefois, des difficultés dues à leur
ignorance de la langue française, un enseignement particulier leur
était réservé dans des cours d'initiation, et ce
fut là l'origine des classes annexées aux écoles
françaises dans les centres européens.
LA FORMATION DE MAÎTRES
-------Pour former
les maîtres indispensables, une seconde école normale avait
été, dès 1879, ouverte à Constantine. En octobre
1883, on adjoignit aux deux écoles d'Alger et de Constantine, des
" Cours Normaux ", destinés à former les
musulmans aux fonctions d'enseignement. On put recruter ainsi dans deux
grands centres, non seulement des maîtres français pour les
écoles principales, mais des adjoints indigènes munis du
Brevet Élémentaire pour tenir les écoles préparatoires
; où, à leur défaut, des moniteurs indigènes,
simplement pourvus du Certificat d'Études Primaires. Enfin, toutes
les fois que, dans une école proprement française, le nombre
des élèves musulmans excédait 25, l'instruction en
fut confiée à un adjoint indigène.
LES PROGRAMMES
-------A cette organisation
rationnelle correspondit une réforme des programmes d'études
et des méthodes d'enseignement. Sans doute l'étude de la
langue française continuait-elle à garder une place prépondérante,
niais il s'agissait désormais de s'adresser autant aux yeux qu'aux
oreilles des enfants musulmans, de frapper leur imagination, la leçon
de langage, les exercices pratiques avec appel constant à la réalité
visuelle remplacèrent donc les leçons trop abstraites et
trop complexes de grammaire et d'analyse. L'enseignement de l'histoire
et de la géographie, ;réduit aux faits essentiels marquant
notre évolution et les contacts de la France et de Afrique du Nord,
aux notions physiques et économiques des deux pays du Nord et du
Sud de la Méditerranée, devint l'enseignement d'une matière
vivante, tangible, propre au rapprochement d'éléments ethniques
différents. Sous forme d'anecdotes, de commentaires sur les incidents
familiers, l'instruction morale se fit partie intégrante de la
vie scolaire. La leçon de choses, plus attrayante dans. sa variété,
se surajouta à la sévère leçon d'arithmétique.
Enfin, pour compléter cette éducation, les plans d'études
firent une part, plus directement profitable, à l'enseignement
:agricole et à l'enseignement manuel. Ainsi répondait-on
au désir fréquemment exprimé par les musulmans de
voir donner aux jeunes enfants de leurs douars, la possibilité
d'utiliser -immédiatement l'instruction qu'ils avaient reçue,
d'y trouver un mieux-être, une amélioration. de leur existence
matérielle, .sans se sentir ni déclassés ni déracinés.
-------Il
est superflu d'ajouter que les programmes les mieux conçus n'auraient
pu être efficacement suivis sans la rédaction et la diffusion
de livres scolaires propres à conduire progressivement les jeunes
arabes ou les jeunes kabyles des notions qu'ils tenaient de leur milieu
aux notions différentes et plus complètes qui. sont la base
de notre propre vie sociale. Les livres français, quelque excellent
qu'ils fussent, contenaient à chaque instant des tournures, des
mots, des allusions à des idées ou des coutumes tout à
fait familières chez nous, mais absolument étrangères
à l'esprit d'un élève musulman. Les maître:
de l'enseignement indigène se mirent donc à composer des
manuels appropriés, qui facilitèrent grandement dès
le début la tâche des instituteurs et les progrès
de ceux qu'ils instruisaient.
LES ÉCOLES
-------Restait à
déterminer les régions d'Algérie sui lesquelles devaient
d'abord porter les efforts de scolarisation, en tenant compte, de la nécessité
de concentrer les ressources sur les points les plus disposés à
seconder notre action et les plus susceptibles d'en bénéficier.
La Grande Kabylie- parut la zone la mieux préparée à
la réussite de l'expérience, et six ' écoles y furent
immédiatement construites, entre novembre 1883 et juillet 1884,
dans le cercle de Fort-National.
-------Voici,
du reste, à ce propos, comment un instituteur raconte ses débuts
dans une localité nouvellement dotée d'une école
:
-------«Le
premier jour, vers huit heures, la cour était bondée de
pères de famille et d'enfants. A un moment donné, j'ai cru
que je ne parviendrais jamais à franchir les quelques mètres
qui séparaient la porte de mon logement de celle de l'école.
Partout des mains cherchant les miennes, que je donnais à droite
et à gauche. Les salutations. d'usage échangées,
je pus enfin ouvrir la salle de classe. Mais comment faire observer l'article
du règlement qui interdit l'accès de l'écoles aux
personnes étrangères à l'enseignement ? Pour une
fois, la première surtout, me dis-je, il est bon que les parents
sachent ce que leurs enfants viennent faire ici. Je m'arrangeai donc comme
je pus pour inscrire mes élèves. Ce travail fini je commençai
ma première leçon de langage. Pas brillante du tout cette
première leçon, je l'avoue ; mais faut-il s'en étonner
? Est-ce que les pauvres enfants qui y prenaient part se faisaient une
idée de classe, de discipline ? Pourtant, je suis parvenu à
leur faire apprendre quatre mots et à les leur faire prononcer
d'une façon passable.
-------Le
soir, même affluence de monde. Je ne pouvais 'cependant pas tolérer
indéfiniment les scènes du matin. Alors j'appelai l'amin
du village et je lui dis que, dans l'intérêt des enfants,
je ne pouvais plus recevoir des hommes dans ma classe et que je les priais
de ne pas entrer. Je fus compris heureusement, et depuis, bien qu'un certain
nombre de pères de famille accompagnent encore leurs enfants, ils
se contentent de rester dehors ".
-------On
peut retenir de ce témoignage que, dans certaines parties tout
au moins de l'Algérie, la suspicion originelle avec laquelle était
regardée notre instruction avait fait place à une confiance
et à une compréhension auxquelles on ne pouvait reprocher
que, de se montrer peut-être un peu trop exubérantes,
-------Aussi
ne saurait-on être surpris de constater qu'en moins de cinq ans,
de janvier 1883 à juillet 1887, 59 écoles nouvelles aient
pu être ouvertes : 29 dans le département d'Alger, 23 dans
le département de Constantine, et 7 dans celui d'Oran et que l'effectif
scolaire se soit graduellement élevé chaque année
:
-------de
3172 en 1882
-------à
4094 en 1883
-------à
4824 en 1884
-------à
5695 en 1885
-------à
7341 en 1886 -
-------et
à 9o64, dont 8154 garçons et 91o filles, en 1887, la proportion
des kabyles représentant les 4/10 et la proportion des Arabes les
6/10 . A cette date, il existait 75 écoles indigènes, dont
42 écoles de centre dirigées par des instituteurs français
et 33 écoles préparatoires confiées à des
adjoints indigènes. Ces écoles comptaient 129 classes, et,
en outre, 29 classes spécialement ouvertes aux enfants musulmans
étaient annexées à des écoles françaises.
Il est à noter, enfin, que sur les 75 écoles ouvertes, 21
étaient situées dans la Grande Kabylie et 15 dans la partie
des arrondissements de Bougie et de Sétif, connue sous le nom de
Petite Kabylie, où les populations avaient témoigné,
dès le début, d'une plus grande attirance vers l'instruction.
Peut-être y avait-il là; du reste, réaction contre
la domination antérieure. des turcs, auxquels les Berbères
n'avaient pas pardonné leur dédain brutal, ni certains chants
injurieux, tels que celui qui commençait par ces deux vers :
-------"
Louange à Dieu qui a créé les Kabyles
-------Et
nous les a donnés comme bêtes de somme ".
-------Chez
les Kabyles même, toutefois, la fréquentation n'était
pas des plus régulière : il est, en effet, plus facile de
s'engouer d'une nouveauté que de poursuivre un effort continu.
Aussi bien des motifs étaient-ils invoqués pour excuser
les absences : travaux des champs, travaux domestiques, fêtes et
cérémonies religieuses. Dans certaines régions, en
outre, les familles hésitaient encore à envoyer leurs enfants
en classe, parce qu'elles redoutaient pour eux quelques tentatives de
prosélytisme religieux. Le bruit courait parfois, que fréquenter
l'école, c'était s'exposer au risque d'être emmené
en France comme esclave. Et sans doute ces craintes s'atténuèrent
vite à la suite du contact personnel avec les maîtres, mais,
malgré tout, le Recteur de l'Académie d'Alger constatait
qu'il se passerait bien des années encore avant que les indigènes
fussent entièrement pénétrés de l'utilité
de l'instruction et se fissent spontanément les auxiliaires des
instituteurs. " Il est évident,
écrivait-il, que nous ne pouvons compter
que sur le concours des chefs de famille formés déjà
eux-mêmes par l'éducation française, ou ayant à
entretenir des relations avec la population française
".
-------D'autre
part, on était entré, aux alentours de 1887, dans une période
de déficit budgétaire, et il se serait produit un arrêt
absolu dans la création des écoles si quelques communes
n'avaient assumé, volontairement, la charge de ces créations
et n'avaient pris, a leur compte, le paiement des traitements qui aurait
dû, en bonne partie, revenir à l'État.
-------Enfin,
l'application du décret de 1883, avait révélé,
à l'usage, l'opportunité de certaines mises au point. De
plus, l'application à l'Algérie, le 8 novembre 1837, de
la loi organique du 30 octobre 1886, devait entraîner des modifications
secondaires aux textes en vigueur. Un nouveau décret fut donc pris,
le 9 décembre 1887, pour réglementer l'enseignement des
indigènes.
-------Ce
décret précisait, tout d'abord, la notion d'écoles
principales : ne pouvaient désormais être classées
connue telles que les écoles primaires établies dans les
centres indigènes importants, éloignées des villages
européens, et à condition que le directeur ait à
surveiller au moins six classes en comptant celles des écoles préparatoires
voisines et celles de l'école principale elle-même ; les
anciennes écoles principales qui ne répondaient pas à
ces conditions, formaient une nouvelle catégorie sous le nom d'écoles
ordinaires ;. enfin, la définition des écoles enfantines,
à savoir " écoles pour les
enfants des deux sexes, de quatre à sept ans pour les garçons
et de quatre à huit ans pour les filles, dirigées par des
institutrices ou monitrices françaises " semblait
contenir l'ébauche d'une promesse d'organisation de l'enseignement
féminin.
|
|
-L'ENSEIGNEMENT
FÉMININ.
-------Promesse
aussi timide d'ailleurs, que les quelques essais qui avaient été
tentés. On avait créé à Taddert-ou-Felia une
école des filles qui en 1887, comptait 40 élèves,
toutes internes, appartenant à des familles pauvres de la région
de Fort-National, qu'on habituait aux travaux de couture, aux soins de
la cuisine et du ménage, tout en leur donnant des connaissances
déjà avancées en français, en calcul et en
géographie. Certaines poursuivaient même leurs études
jusqu'au certificat d'études et l'une d'elles devint la première
monitrice indigène. Elle exerçait ses fonctions à
l'école enfantine d'Aït-Hichem, qui était, d'ailleurs
une des rares écoles recevant régulièrement des fillettes
musulmanes. Mais, bien que l'aptitude de ces fillettes à profiter
de l'instruction parût supérieure à celle des garçons,
que leur intelligence semblât s'ouvrir plus rapidement, force était
de constater que les parents se décidaient difficilementà
les envoyer, à l'école, tout au moins à partir de
l'âge où elles devaient être voilées et rester
à la maison ; et cet-âge était fixé, par la
coutume à huit ans environ. D'où l'idée de créer
simplement des écoles enfantines, dans lesquelles l'institutrice
pourrait rendre service aux familles en gardant les toutes petites filles,
en leur apprenant à manier l'aiguille tout en leur enseignant quelques
mots de français. Par contre, en considération des sentiments
profonds de la population musulmane, les autorités universitaires
préféraient ajourner toute tentative d'ensemble. -------Sans
doute étaient-elles décidées à laisser subsister
les quelques établissements existant à Bougie ou Constantine,
ou même à créer quelques écoles nouvelles dans
les localités où la population elle-même semblerait
en éprouver le désir (ce qui devait être le cas pour
Nédroma, en 1887, et Chellala, en 1888) mais, quelque fussent les
résultats obtenus par ces expériences sporadiques, on estimait
qu'on ne pouvait rien tenter de sérieux avant plusieurs années,
qu'on aurait tort de se déterminer par des vues théoriques
et par une règle générale. La tâche paraissait
suffisamment ample si l'on se, bornait à répandre et à
développer l'instruction chez les garçons.
LES DIFFICULTÉS
RENCONTRÉES...
------- Cette tâche
rencontrait, d'ailleurs, à l'époque, de graves difficultés,
dues à la situation financière. C'est ainsi que, de 1889
à 1891, aucun crédit ne put être inscrit au budget
de l'État pour création d'écoles, nouvelles et que,
dans ces conditions, les quelques progrès réalisés
ne le furent que grâce aux sacrifices consentis par un petit nombre
de municipalités. L'effectif des élèves inscrits
dans les écoles, qui était de 9.064, en 1887, était
bien passé à 10.688, en 1888, et 11.246, en 1891. Quant
au nombre des écoles réservées aux musulmans, il
s'était élevé, pendant la même période,
de 75 à 124 et le nombre des classes, de 158 (dont 29 annexées
à des écoles européennes) à 218 (dont 28 annexées).
Il est vrai que le Recteur qui dirigeait, depuis 1884, l'Académie
d'Alger, M. Jeanmaire, n'était pas homme à se décourager
devant les difficultés d'argent ni à reculer devant la perspective
d'efforts à accomplir. Contre l'hostilité, l'indifférence,
la force d'inertie, les sceptiques et les railleurs, il déployait
une incroyable ténacité, et il eut pu prendre à son
compte cet apologue cher aux kabyles : " Un
chien ramassa un os et se mit à le ronger. L'os lui dit : Je suis
bien dur ; mais le chien, sans lâcher prise, lui répondit
: Oh, qu'importe ?J'ai tout mon temps ".
-------M.
Jeanmaire ne se préoccupait d'ailleurs pas seulement de surmonter
la crise matérielle que traversait l'enseignement des indigènes
; il s'était avisé aussi qu'il était anormal que
les écoles musulmanes n'eussent pas encore des programmes distincts,
que les maîtres chargés de diriger les diverses classes dussent
se contenter d'adapter, de leur mieux, les programmes métropolitains
aux besoins propres de leurs élèves. En avril 1889, une
commission spéciale publia donc le plan d'études qu'elle
avait soigneusement préparé - premier plan d'études
de l'enseignements des indigènes. "
Dans les emplois du temps - déclarait le rapporteur
de la commission - une part prépondérante
est laissée aux exercices de français, instrument nécessaire
de nos échanges, véhicule de nos idées ; mais, dans
notre esprit, l'étude de notre langue ne reste pas cantonnée
dans quelques exercices particuliers. Elle résulte de toutes les
leçons de l'école : géographie, arithmétique,
dessin, travail manuel même ".
-------La
doctrine commence ainsi à se préciser il s'agit de dispenser
un enseignement simple, excluant toutes notions accessoires ou superflues,
toutes curiosités et anomalies linguistiques et grammaticales,
éveillant la curiosité de l'enfant pour les données
essentielles en matière littéraire ou scientifique, l'habituant
à observer et à raisonner ; de compléter cet enseignement
théorique par une formation pratique, manuelle ou agricole, soigneusement
adaptée aux besoins locaux ; en un mot, de tirer de l'instruction
primaire, toute l'utilité sociale qu'elle comporte pour les enfants
qui la reçoivent quand elle est rationnellement conçue en
fonction du milieu où on la donne. Le problème qu'on s'est
efforcé de résoudre est d'initier le jeune arabe ou le jeune
kabyle, pendant la durée de son existence scolaire, à la
compréhension d'idées nouvelles pour lui, sans lui inspirer
le dégoût de son mode de vie traditionnel. Le but qu'on s'est
proposé d'atteindre n'est pas l'assimilation de deux races qui
ont suivi depuis des siècles des voies divergentes, mais un rapprochement
progressif, aboutissement naturel d'une éducation conçue
pour permettre aux divers éléments ethniques de se connaître,
de s'estimer et de s'aider réciproquement.
...ET LE RÔLE
DES INSTITUTEURS.
-------L'instituteur
a d'ailleurs été excellemment défini à l'époque
comme " un agent général de
civilisation élémentaire plutôt qu'un maître
d'école au sens ordinaire du mot ". Et il faut
reconnaître que la réalité ne devait pas donner de
démenti à cette définition idéale. Nombreux
sont les directeurs qui ont laissé, pendant des années,
des souvenirs durables et profonds dans les localités où
ils avaient 'exercé leurs fonctions. Bien des voyageurs parcourant
le territoire de Biskra ont entendu, avec surprise la foule des indigènes
s'exprimer couramment en français : c'était un modeste instituteur
de village, dont le nom est resté populaire parmi les Biskris,
M. Colombo, qui, par sa sympathie pour les habitants, par la connaissance
qu'il avait acquise de leur caractère et de. leurs murs,
avait nourri de' nos idées et façonné à notre
langage des générations d'écoliers. Même résultat
en Kabylie où un jeune maître franc-comtois, M. Verdy, s'était
attaché à l'école qui porte encore aujourd'hui son
nom, n'avait jamais voulu quitter la région de Taourit-Mimoun dans
laquelle on lui avait confié son premier poste, et qui y termina
sa carrière en instruisant les descendants de ses premiers élèves.
-------La
besogne, pourtant, n'était ni aisée ni matériellement
avantageuse, que ce fut au milieu des steppes des Hauts-Plateaux, sur
la la rive de quelque chott salé, dans les dunes où' s'ensablent
les oasis ou dans des villages de Kabylie perchés; suivant l'usage,
fort 'haut dans la montagne,' juste sur la crête, et auxquels on
n'arrive que par des sentiers de mulet, à peu près impraticables
pour tout autre qu'un autochtone.
-------On
trouve du reste, dans les dossiers de l'époque, la description
de quelques écoles nouvellement créées, telles que
les trouvèrent les maîtres envoyés pour y enseigner,
entre autres, de celle devenue chère à M. Verdy :
" L'école de Taourit-Mimoun se trouvant
achevée, je me rendis aussitôt à mon nouveau poste.
Elle est située au centre de la tribu des Béni-Yenni, sur
la pente nord-est d'une colline ; et s'aperçoit de loin dans sa
blancheur, surtout de la route départementale qui relie Fort-National
à Michelet. Tel que nous l'avait livré le propriétaire
kabyle, le terrain, sur lequel elle est bâtie, présentait
une inclinaison de 32 et était traversé par une rigole servant
d'écoulement aux eaux pluviales. La terre était argileuse
et n'avait, pour toute façon culturale, que des labours peu profonds.
Quant à l'engrais, elle n'en avait jamais vu.
-------J'avais
donc tout à faire, et, avant de préparer le jardin scolaire,
je m'occupai, tout d'abord, de la cour. Il n'y en avait point, ou, plutôt,
le chemin du village passant devant la porte, en tenait lieu. Cela était
fort incommode et même assez dangereux. Je tenais absolument à
ce qu'elle fut vite aménagée et bien avant l'arrivée
des élèves, car le coup d'oeil devait contribuer à
les attirer. Nous possédions des pierres, reste de la bâtisse,
des brouettes, des pelles et des pics. Nous creusâmes donc la pente
de manière à faire, devant la porte, une plaine de cinq
mètres de large sur cinquante de long, puis nous construisîmes
un mur sur le bord opposé au bâtiment. La cour était
prête et, pour l'ombrager plus tard, nous plantâmes des mûriers,
des frênes, des noyers et des acacias, niais je ne commençai
ma classe que, le 1er janvier 1883, car je n'avais, à ma disposition,
ni tables ni fournitures scolaires.
-------"
Je suis content de mon poste d'Aït-Itelli, je m'y trouve assez bien.
Je suis installé dans une maison kabyle à peu près
restaurée. Le logement est propre et, par le fait, assez convenable.
Il est vrai que les trois pièces dont je dispose sont grossièrement
crépies, qu'elles n'ont, pour tout plancher, qu'un mauvais glacis
de chaux et, pour plafond, que de la volige placée à plein
joint ; mais, quand on est garçon, on n'y regarde pas de si près.
On vient, du reste, de faire. une cheminée dans ma chambre ; jusqu'à
ce jour, j'avais dû faire nia cuisine en plein air. La salle de
classe est attenante à mon logement. Elle mesure 12 mètres
de long sur 2 m. 70 seulement de large. Elle est donc trop étroite
et ne pourra jamais contenir un grand nombre d'élèves. L'intérieur
est peu éclairé ; deux petites fenêtres y laissent
pénétrer un peu de lumière que tamisent les feuilles
de deux grands arbres placés devant l'école.. Quant au mobilier
scolaire, il se compose, seulement, de quatre 'tables de classe de 2 mètres
chacune, de 6 bancs et d'un tout petit tableau noir. Comme vous le voyez,
je ne suis guère outillé ".
-------Pour
ce qui est des locaux, je mettrai, tout d'abord en dehors de la question
trois maisons d'école : celle de Taourit-Mimoun, de Djemaâ-Saharidj
et de Taxnazirt, les plus anciennes, qui sont de grandes habitations.
Partout ailleurs, les écoles sont construites avec la 'plus grande
simplicité. Des murs épais, faits pour résister aux
vents violents de la montagne, aux pluies et aux neiges de l'hiver. Les
salles de classe, toutes nues, sont aménagées avec la même
simplicité et ne se distinguent du reste du village que par leur
masse et l'observance de l'hygiène élémentaire. Quant
aux logis 'des habitants, ils sont bas et étroits, construits (le
pierres amoncelées, sans mortier qui les unisse, à peine
percés de quelques petites ouvertures ".
-------Isolement,
inconfort de la vie journalière, logement insuffisant, ravitaillement
précaire. Les instituteurs acceptent ne bon cur toutes ces
difficultés et s'ingénient à les vaincre, parce qu'ils
sont animés d'une foi absolue dans l'intérêt, l'utilité
et la valeur civilisatrice de uvreà laquelle ils participent.
Si jamais le titre de " missionnaires de l'enseignement "
a mérité d'être attribué à des maîtres,
c'est à eux qu'il revient de plein droit. Ils se sentent chargés,
non seulement de l'instruction qu'on donne d'ordinaire à l'école,
niais de l'éducation des enfants ,qui, ailleurs, incombe à
la famille, quand ce n'est pas de l'éducation de la famille elle-même.
Ils sont, ou s'improvisent, menuisiers, maçons, écrivains
publics,. moniteurs d'agriculture, infirmiers. Leurs femmes, institutrices
ou non, les secondent dans leur tâche, et, souvent, avec plus de.
facilités, parce que leur sexe leur permet de' pénétrer
dans les intérieurs, de faire plus ample connaissance avec les
indigènes, et d'en profiter pour leur donner quelques précieuses
notions de puériculture ou d'hygiène, ' d'enseigner aux
mères, les remèdes les plus courants pour les malaises ou
les accidents habituels. Il est vrai que tous ces efforts, toute cette
activité aux aspects si divers sont encouragés, soutenus,
suscités par des chefs aussi bienveillants qu;énergiques,
qui ont souvent acquis leur propre expérience dans les postes les
plus déshérités du bled.
-------Le
plus connu, comme le plus aimé, était certainement, à
l'époque, M. Scheer, qui devait mourir
à 37 ans, épuisé par le travail. Rien de plus juste,
à ce propos, que l'hommage rendu 'à son inlassable volonté,
au lendemain même de sa mort, par l'ami qui écrivait :
-------"
Au seuil d'une école perdue dans quelque
oasis du sud, l'instituteur stupéfait voit s'agenouiller un dromadaire,
et celui qui descend de la selle touareg, c'est son inspecteur. Sur un
piton de Kabylie, ou dans un recoin de l'Aurès, un autre instituteur
aperçoit un mulet qui dévale par un sentier en casse-cou
; celui qui saute du bât de bois, véritable instrument de
torture, c'est son inspecteur.... Pendant des mois entiers, il est en
route, dans le désert de pierraille où se creusent les fossés
qui sont Tés oasis du M'Zab, ou dans les dunes colossales de l'Oued
Sarf qui semblent les vagues pétrifiées d'un furieux océan
de sable... Scheer visite les écoles qui existent ; il détermine
les emplacements de celles qu'il faut créer, Toutes les régions
de l'Algérie; il les a étudiées en détail
: topographie, ethnographie, situation économique. Sur chacun,
il a envoyé des rapports au Rectorat ".
LE PLAN JEANMAIRE.
-------C'était,
en effet, à cette date (1891), la préoccupation de l'Académie
que de dresser le bilan sincère de ce qui avait été
déjà fait et, surtout, d'établir un 'plan d'ensemble
pour tout ce 'qui restait à faire. La première des conclusions
à laquelle aboutissaient les enquêtes était. la nécessité
de concentrer les efforts au lieu de les disperser, de choisir des zones
déterminées et d'y créer assez d'écoles pour
recevoir, non pas un. e minorité, mais la totalité des enfants
; de répartir l'exécution du programme prévu sur
un certain -nombre d'années. Et, -sans doute, ce plan finirait-il
par, embrasser toutes les tribus sédentaires mais la marche serait
progressive sous le- rapport de l'espace ; les zones successivement choisies,
en seraient les étapes.
-------Partant
de ce principe, on se proposait donc de commencer par les régions
où la population était la plus dense et, en même temps,
la mieux disposée à accueillir favorablement l'instruction,
c'est-à-dire, d'une part, les villes et, d'autre part, la Kabylie.
Ceci n'excluait pas, d'ailleurs, la possibilité de construire exceptionnellement
des écoles isolées pour répondre aux demandes pressantes
des habitants ou à_ 'des besoins locaux dûmentétablis.
L'idée générale n'en restait pas moins de doter,
par priorité, les grands centres urbains et le pays berbère,
de part et d'autre de la Soummam, au nord du Djurdjura et des Babors.
Ainsi s'explique la caricature, où la malice n'excluait pas tout
à' fait la compréhension, qui représentait, dans
un journal illustré de l'époque, M. le Recteur Jeanmaire
sous les traits d'un ours hirsute, mené en laisse par un enfant
kabyle.
LA FORMATION DES MAÎTRES.
-------Mais M. 'le
Recteur Jeanmaire se souciait peu d'être raillé-. Il poursuivait
avec une ténacité paisible le développement de l'enseignement
des musulmans. Il 'songeait à refondre le plan d'études
de cet enseignement, en s'appuyant sur l'expérience acquise, et
à améliorer encore la formation des maîtres, de plus
en plus nombreux, qui seraient mis en service dans les classes nouvelles.
Jusque-là, les instituteurs français avaient été
choisis dans le personnel des écoles européennes et transférés
d'emblée dans les écoles de jeunes :musulmans ; mais il
était indéniable qu'on ne pouvait élever 'ceux-ci
comme on élève des, enfants européens ; que lés
matières enseignées ne pouvaient pas être identiques
ou qu'elles n'avaient pas la -même importance relative ; que les
procédés pédagogiques devaient être dissemblables
; que le maître français était; par la force des choses,
amené à faire un apprentissage difficile, quand il, n'était
pas dirigé, de la langue parlée par ses élèves
et leurs familles ; qu'il lui était indispensable de posséder
de sérieuses connaissances accessoires en matière d'agriculture,
de travail manuel, de pharmacie usuelle et de médecine élémentaire.
De ces constatations naquit l'idée de faire suivre, aux maîtres,
une 'fois munis des brevets requis' pour l'enseignement, un cours de préparation
propre à les familiariser avec les méthodes particulières
à l'enseignement dans les écoles arabes ou kabyles, à
les initier à la connaissance des langues dut pays, et à
leur inculquer. enfin les notions extraprofessionnelles qui leur seraient
le plus utiles dans des postes souvent éloignés de tout
centre. Cette idée fut traduite bientôt dans la pratique,
par l'arrêté ministériel du 20 octobre 1891, qui créa
une " section spéciale " , annexée
à l'École normale d'Alger-Bouzaréah, en s 'autorisant
d'une disposition du décret de 1887 qui avait déjà,
théoriquement, prévu la possibilité d'organiser des
" cours normaux destinés à
l'étude de l'arabe ou du berbère, des murs indigènes
et de l'hygiène ".
-------Le
nombre des : " sectionnaires ", d'abord fixé à
4o par l'arrêté de création; a varié naturellement
avec les besoins en personnel ; il a oscillé ainsi entre 12 et
50, mais, sauf pendant les interruptions causées par les guerres,
la Section a continué à se recruter parmi les instituteurs
déjà en exercice ou les candidats nés en majorité
dans la Métropole, et, de ce fait, sans doute plus sensibles à
l'attrait d'un certain exotisme pédagogique, plus curieux aussi
des caractéristiques particulières de l'enseignement des
musulmans.
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