Alger - l'Algérie
         BREVES MONOGRAPHIES COMMUNALES
Les trois villages du sahel de Koléa

 o        KOLEA

Texte, illustrations : Georges Bouchet

mise sur site le 14-6-2008

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o        KOLEA

Koléa, c'est vraiment tout autre chose que les 21 autres villages et communes du Sahel mentionnés dans le plan Guyot du 12 mars 1842 qui m'a servi de fil conducteur pour rédiger ces 22 monographies. Son originalité dans cette galerie de portraits communaux, concerne et sa géographie, et son histoire.

Koléa est plus qu'un village ; sans être une vraie ville
Koléa n'est pas une création française. En 1830 c'était une petite ville et une garnison turque
Koléa a un territoire communal presque aussi étendu sur la Mitidja que sur les collines du Sahel
Koléa est la plus vaste des communes du Sahel, même après la perte de ses nombreuses annexes
Koléa est la plus peuplée des communes du Sahel non englobées dans le Grand Alger de 1959
Koléa était, en 1830, une ville auréolée d'une réputation de ville moralement pure, presque sainte et quasiment ville de pèlerinage vers le tombeau, ou la Koubba, d'un de ses habitants du XVIIè siècle doué de tant de vertus que la bénédiction d'Allah ne souffrait aucun doute.

Pour le lecteur dubitatif, G. Esquer, dans un ouvrage sur Alger de 1957, nous rappelle tous les mérites effectivement prodigieux du marabout Sidi Ali M'Barek (ou Embarek) qui était venu de Mascara peu après 1600. Jugez vous-mêmes.

Quelques moments de l'édifiante vie de Sidi Ali M'Barek, à Koléa

Pour gagner sa vie, il s'était placé comme khammès (métayer) chez un nommé Ismaïl ben Mohammed. Quoiqu'il passât ses journées dans la contemplation et la prière, les bœufs attelés à sa charrue faisaient d'eux-mêmes tout le travail. Ismaïl prévenu se cacha et vit en effet l'attelage travaillant sans guide… Le bruit de ce prodige se répandit ; les fidèles accoururent, apportant au saint homme offrandes et aumônes qu'il entassait dans des pots... Il construisit une zaouïa où les croyants vinrent en foule. Mais le Dey d'Alger apprenant qu'un nouveau et considérable contribuable était à sa portée, lui dépêcha un collecteur d'impôts. " Prends mes meilleurs chevaux pour transporter l'argent ", lui dit Sidi M'Barek. Lorsque le chariot fut parvenu à la Djénina,(trésorerie du Dey), les chevaux se mirent à lancer des flammes qui risquèrent de tout incendier et prudemment on reconduisit l'attelage avec son chargement à leur propriétaire.

Sidi M'Barek eut des descendants. L'un d'eux, qui avait fait le pèlerinage de La Mecque, El Hadj Mahieddin fut choisi par Berthezène, qui était venu camper aux portes de la ville le 25 septembre 1831, pour tenir le poste d'Agha des Arabes. Le Hadj accepta la mission d'assurer la sécurité autour de Koléa et dans le bout de Mitidja situé à proximité. Il accepta aussi le beau traitement de 70 000francs (une maison bâtie par le Génie fut après 1840, facturée 1500 francs aux colons intéressés) ; mais il posa une condition : que les Français ne sortent pas de la banlieue d'Alger. Je ne sais ce que Berthezène a imaginé. Il est sûr que ses successeurs ne purent respecter une promesse aussi paralysante.

De toute façon Rovigo, en 1832, se persuada que Mahieddin jouait double jeu en poussant les indigènes à s'insurger, tout en protestant de son innocence. Il fit arrêter des marabouts de sa famille et imposa une lourde indemnité à la ville où l'on n'avait pas encore fait entrer de troupes.

En 1833 Voirol (on changeait souvent de Gouverneur Général à l'époque) fit libérer les marabouts et les fit reconduire à Koléa sous escorte militaire ; il restitua même une bonne partie de l'amende. S'il avait imaginé gagner ainsi les bonnes grâces de Mahieddin, il s'est lourdement trompé.

Lorsque Valée fit occuper la ville par le Colonel La Moricière (on écrit aussi Lamoricière) en mars 1838 Mahieddin et sa famille avaient choisi leur camp, c'est-à-dire celui d'Abd el-Kader. Ce dernier l'avait nommé à Miliana Khalifa (c'est mieux qu'agha et même que bachaga) pour le Zaccar et le haut Chéliff. L'un de ses fils, Ben Aïssa combattit dans les troupes de l'émir et connut une mort glorieuse en Oranie près de Saïda en 1843. La France lui fit rendre les honneurs militaires et ramena le corps à Koléa.

C'est ainsi que la région de Koléa et ses illustres marabouts sont entrés dans l'histoire de France.

Historiquement le site de Koléa semble avoir été occupé par quelques maisons (casae) romaines, mais pas par une ville, ni même une véritable colonia. Quoi qu'il en soit, il n'en restait rien après l'invasion des Beni Hillal au Xè siècle.

Après de longs siècles d'oubli une agglomération réapparaît dans les annales en 1550 lorsque le Dey Hassan Kheir ed Dine (la gloire de la religion) établit sur cette colline un poste fortifié. Il attire à Koléa les Maures chassés d'Andalousie par Charles Quint. La citadelle est agrandie à partir de 1571.

Malgré le séisme désastreux de 1825 qui ébranla même les murailles, les maisons en pisé des habitants furent vite reconstruites. Et la ville ne perdit pas sa renommée qui lui permettait d'attirer de nombreux étudiants venus suivre les enseignements d'une zaouïa célèbre dans toute la Régence.

C'est néanmoins une ville de toute petite taille que La Moricière fit occuper par ses zouaves le 29 mars 1838. La région n'était alors pas du tout sûre, surtout du côté de la plaine où sévissaient les Hadjoutes. Le camp des zouaves tint bien le choc du Djihad de l'automne 1839 et put apporter un soutien efficace lors des évacuations de postes de la Mitidja imposées par Valée. Sa victoire du 31 décembre 1839 sur les Hadjoutes diminua le danger sans établir une réelle sécurité : en 1840 encore, 60 soldats en patrouille dans la région, sont tués dans une embuscade.

Guyot croit cependant, en 1842, à l'avenir de cette position autour de laquelle il souhaite attirer des colons

Coléah est appelé à jouer un rôle important dans notre colonisation. Sa position avantageuse, la fertilité du sol, la salubrité qui y règne, les débris de construction encore existants, le camp que nous avons bâti ; tout concourt à appeler sur Coléah la sollicitation de l'autorité qui, à mon avis, doit s'en occuper sans retard. Je proposerai dans peu de temps d'y créer un commissariat civil.

On a d'abord écrit Coléah, puis Coléa, puis Koléah avant que ne s'impose finalement Koléa.
Avant même la fondation d'un centre de peuplement européen, Guyot veut en faire un centre administratif avec, comme à Douéra, un représentant local de l'administration civile : ce qui signifie que Guyot estime que la région doit échapper le plus vite possible à l'autorité militaire. Un commissaire civil était, sous la Monarchie, une sorte de sous-préfet, et pas du tout un policier. Durant une dizaine d'années le territoire militaire commença là où s'arrêtait le territoire communal de Koléa.

1851 fut une grande année pour le Koléa des Français en devenant le 21 novembre une immense commune civile qui englobait alors les futures communes de Zéralda (émancipée en 1905), de Douaouda, de Fouka, de Castiglione, de Tefeschoun et sans doute aussi d'Attatba. Il est probable que toutes ces communes annexes avaient échappé à la tutelle de Koléa, au plus tard, en 1912.

Ce fut une grande année aussi en raison de la création de 5 hameaux peuplés par des colons venus de Suisse. Ces 5 hameaux ont gardé longtemps l'appellation de hameaux suisses, même quand tous les habitants furent devenus français. C'est une page très originale de la colonisation du Sahel. Elle mérite un assez long développement rendu possible par un travail quasi universitaire mené par Eric Maye en 1995.

Histoire de la fondation des 5 " hameaux suisses " de Koléa
        •Les points communs
Les points de vue des autorités suisses et françaises de l'époque sur cette immigration suisse valaisane sont si différents qu'il est honnête de les exposer sans tenter d'arbitrage.

Les Suisses du Valais disaient qu'ils avaient été bernés par de fallacieuses promesses françaises. Les immigrants auraient dû trouver à leur arrivée dans la commune de Koléa, à partir de mai ou juin 1851, des terres cultivables et des maisons bâties. En fait ils ont trouvé une brousse à palmiers nains, des tentes et des baraquements collectifs sans confort, des moustiques et des fièvres. On leur aurait promis une dizaine d'hectares, sans les avertir qu'il leur faudrait un an de travail pour défricher le premier hectare et 2 ans pour obtenir la première récolte.

Les Français affirmaient que les communes suisses du canton de Sion concernées, avaient organisé une " émigration de débarras subventionnée ". De débarras car ce n'est pas l'élite des agriculteurs du canton qui avait pris le bateau d'Alger, mais une sélection d'indigents, alcooliques, marginaux ou goitreux. S'il est abusif de parler de " crétins des Alpes ", il est avéré que la sélection avait obéi à des critères inaptes à détecter les plus aptes à s'adapter à une vie difficile en milieu inconnu. Et subventionnée car les règles habituelles imposées par la France exigeaient, outre un certificat de bonne vie et mœurs, la possession par chaque candidat, d'une somme de 1200 à 1800 francs selon le nombre d'enfants. Or les candidats pressentis ou désignés étaient sans le sou ; ce sont leurs parents et leur commune qui ont financé le départ.

Les colons arrivés en juin souffrirent de la canicule et des fièvres, ceux arrivés en octobre supportèrent sans mal l'hiver algérois. Mais au printemps le retour des moustiques et du paludisme firent des ravages. Durant l'été 1852 un Inspecteur de la colonisation recense le nombre d'alcooliques et de malades et en conclut qu'un colon sur trois est incapable de travailler. Les hameaux se vidèrent en partie de leur population, soit par décès (une soixantaine dont de nombreux enfants) soit par retour au pays, soit par déménagement vers des concessions libérées dans les villages voisins (7 à Crescia, 12 à Douéra, 10 à Saint Ferdinand et 3 à Sainte Amélie).

Les 28 familles qui retournèrent dans leur village n'y furent pas les bienvenues car, totalement démunies, elles furent alors à la charge de leur commune en vertu d'une loi récente sur la mendicité, celle du 29 septembre 1850. Lorsque la famille du rapatrié était riche, la commune pouvait, par voie judiciaire, " faire placer les pauvres revenus chez leurs parents aisés " On devine l'ambiance. Une solution fut trouvée pour 22 familles qui acceptèrent de repartir : 12 en Algérie, et 10 en Argentine. Ces départs avaient dû être, une fois encore, financés par les communes et les familles qui, au prix d'une dépense unique, mirent fin à une situation conflictuelle et plus coûteuse à long terme.

Ceux qui tinrent le coup en Algérie (la moitié peut-être ?) reçurent des aides par l'intermédiaire de l'armée (fourniture de matériaux de construction, et rations de vivres) mais financées sur le budget de la colonisation. L'administration leur fournit aussi diverses semences et une paire de bœufs ; et lors de l'achèvement du défrichement du deuxième hectare, une prime de 100 francs.

Une certaine aisance serait apparue vers 1860. Les titres de propriété furent délivrés en 1862 ou 1864 à la suite de sérieuses opérations de vérification du respect des engagements pris par le concessionnaire. A Berbessa (alors appelé Chaiba d'en bas) l'inspecteur de le colonisation Learrez rédigea un rapport élogieux, s'étonnant de trouver là un magnifique verger et des constructions non exigées : écurie, hangar, puits et four. C'est qu'au début il fallait faire son pain, une fois par semaine : il n'y avait pas de boulanger. C'est pourtant le hameau qui, en un siècle, a le moins grandi.

Comparaison des 5 hameaux

Nom du hameau
Nombre de familles
Surface concédée
Surface moy. d'un lot
Berbessa(Chaiba bas)
8
44
5,5ha
Chaiba (haut)
5
27
5,4ha
Messaoud
9
46
5,1ha
Saïghr
21
157
7,5ha
Zoudj el Abess
26
150
5,7ha

Pour l'emplacement de ces hameaux par rapport à Koléa on se reportera à la carte du territoire communal. Un seul est en limite de la plaine de la Mitidja : Berbessa.
Sur cette carte Zoudj el Abess figure sous le nom de Saint Maurice.

Les sources consultées concordent pour 4 hameaux mais diffèrent pour Saïghr. J'ai choisi, sans preuve, le nombre de familles le plus élevé.

Les totaux sont alors de 69 familles bénéficiaires de 424 hectares. Avec 3 ou 4 enfants par famille, cela ferait entre 207 et 276 personnes. C'est très modeste ; mais il ne faut pas oublier les 32 familles parties pour d'autres villages du Sahel. Ces familles furent assez vite " francisées " par des mariages avec des Français (on disait mariages croisés) qui avaient remplacé les valaisans repartis en Suisse, et qui étaient pour la plupart Alsaciens ou Francs-Comtois ; sans oublier la naturalisation automatique des enfants nés en Algérie à partir de la loi de 1889.

Pour être complet il faudrait ajouter les familles suisses installées à Ameur el-Aïn en 1849 ; et plus tard en Kabylie, entre Tizi-Ouzou et Fort National. Je ne me hasarderai pas à proposer un chiffre pour le nombre de Suisses restés en Algérie, sur un total de l'ordre 1000 personnes débarquées à Alger.

En ce qui concerne l'évolution des cultures entre 1838 et 1962 il n'est guère possible, sauf à Berbessa, de distinguer le cas des colons résidant à Koléa de celui des colons habitant les hameaux, ou les fermes. Partout les colons ont commencé par planter des céréales et par récolter des fourrages ; et un peu plus tard du tabac. Ensuite ici comme ailleurs au Sahel la vigne a tout recouvert ou presque avec un maximum d'extension dans les années 1930. Le léger recul intervenu ensuite a libéré des terres pour des cultures de pommes de terre primeurs et de légumes de printemps.

L'originalité de la région de Koléa est d'avoir hérité de la période ottomane une tradition d'arboriculture irriguée avec orangers, citronniers et grenadiers notamment. Cette tradition n'a jamais disparu.

La particularité de Berbessa, après la guerre et l'interruption des importations de riz d'Indochine, est d'avoir développé de vastes rizières à la place des anciens marécages de la Mitidja asséchés dans les années 1930.


Quelques dates

1550 - Fondation d'un centre fortifié par le Dey Hassan Kheir ed-Din
1802 - Secousses telluriques
1825 - Séisme destructeur
1831 - 25 septembre Berthezéne campe près de Koléa sans entrer dans la ville
1832 - Deuxième passage de troupes françaises. Rovigo arrête quelques marabouts
1833 - Voirol libère les marabouts
1838 - 29 mars La Moricère conquiert Koléa et y installe un camp de zouaves
1839 - Visite du duc d'Aumale
1839 - novembre Les Hadjoutes dévastent la Mitidja, au pied du Sahel de Koléa
1840 - Valée crée un centre de peuplement européen et reconstruit 2 blockhaus
1844 - Aménagement d'un lavoir et d'un abreuvoir
1848 - Création d'une paroisse avec église provisoire
1851 - 21 novembre Création de la commune de Koléa ; très vaste
  en juin et octobre arrivée de colons valaisans : naissance des 5 hameaux suisses
1860 - Ouverture d'une synagogue
1865 - Visite de l'Empereur Napoléon III en mai
1867 - Epidémie de choléra et nouvelles secousses telluriques sans gravité
1870 - Inauguration d'un temple protestant
1872 - Consécration par Mgr Lavigerie de l'église Saint Simon et Saint Jude
1900 - Aménagement d'un poids public
1914 - Inauguration de la voie ferrée des CFRA Alger- Koléa par Zéralda
1912 - Fixation des limites définitives de la commune de Koléa
1914 - Inauguration de la statue de La Moricière
1925 - Construction de la cave coopérative de Chaïba-Messaoud
1927 Construction de la cave coopérative de Berbessa
1932 Inauguration du Monument aux morts de la guerre de 1914-1918
1935 Fermeture de la voie ferrée
1939-1942 Démontage et récupération des rails de la voie ferrée
1951 - Transfert de l'EMP (école militaire préparatoire) de Miliana à Koléa
1955 - Ouverture d'un CFPA
1957 - 13 personnes, dont 5 musulmans, assassinés par le FLN

Le territoire communal

C'est, de loin, le plus vaste de tous les territoires des communes citées dans le plan Guyot. Il s'étend en effet très largement sur la plaine de la Mitidja, alors que les autres communes limitrophes de la plaine, de Kouba à Douéra, n'en possédaient qu'un étroit liseré limité par le tracé de la RN 1.

La superficie de la commune était, depuis 1912 et la perte de ses annexes, de 6172 hectares, alors que la majorité des étendues communales dans le Sahel allaient de 1000 à 3000ha. Les collines du Sahel en représentaient 54% et la plaine de la Mitidja 46%.

Ce territoire offre un bon éventail des reliefs présents dans le Sahel, à l'exception des reliefs littoraux perdus lors de l'émancipation des annexes de Fouka, Douaouda et Castiglione.
On peut y distinguer 4 types de relief et de paysage.

Cliquer sur l'image pour une meilleure lecture ( 150 ko)
Territoire communal de Koléa
Territoire communal de Koléa

                 •Un bout de la trouée du Mazafran
Ce fleuve reçoit l'oued Fatis juste avant d'entrer dans sa large percée encaissée de 150m dans les collines du Sahel. En aval le Mazafran suit d'assez près le pied du versant, ne laissant à la culture qu'une étroite bande ; en amont le lobe de rive convexe offrait aux vignes de riches terres alluviales malheureusement pas à l'abri des inondations hivernales. Le Mazafran sert de limite avec Mahelma.


                 •Des coteaux du Sahel
A l'ouest du Mazafran, les collines du Sahel s'aplanissent tellement que le relief prend ici des allures de plateau à peine entaillé par des oueds temporaires très peu enfoncés. Il est en pente très douce du sud vers le nord. C'est la totalité du plateau qui a été mise en culture : c'est une fois encore la vigne qui domine avec plus de 2 000ha. Mais grâce à l'abondance des sources et à une tradition héritée des Andalous réfugiés d'Espagne, il s'est maintenu et développé une arboriculture fruitière de complément. L'orge et le blé dur ont été également cultivés jusqu'en 1962, justifiant l'existence d'une entreprise de battage.

Sur ce plateau ont été bâtis, non seulement le bourg de Koléa, mais également 4 des 5 hameaux suisses. Toutes ces agglomérations sont reliées entre elles et avec les villages voisins par de nombreuses routes où les tournants sont rares. Routes et chemins desservaient de nombreuses fermes.

                 •Le versant qui limite ce plateau présente deux aspects assez dissemblables.
Au-dessus de la trouée du Mazafran il est abrupt et a un aspect d'escarpement de faille. Il domine la vallée de 150mètres et est entièrement recouvert de denses broussailles ou, dans le bois de Mockta Khéra, par une vraie forêt méditerranéenne à chênes verts avec oléastres, lentisques et arbousiers.

Un seul chemin dévale ce talus et se termine en impasse dans un champ riverain du Mazafran.

Au-dessus de la Mitidja le versant est moins abrupt et raviné par de courts oueds qui y découpent des interfluves dits " en chevron " caractéristiques de ce type d'érosion semi-torrentielle en climat peu humide. On y trouve beaucoup de broussailles, mais le bas du talus a été souvent mis en culture. Il abrite aussi deux hameaux, Berbessa et Tekteka dont les champs débordent sur la plaine jusqu'aux rives du Mazafran ou de son affluent l'oued Djer qui participe au drainage de l'ancien lac Halloula.

Quatre bonnes routes descendent du plateau vers la Mitidja où elles rejoignent la route de ceinture nord de la Mitidja, la départementale 7 qui relie les 4 chemins à Marengo, par Attaba et Montenotte.

                 •La plaine de la Mitidja

la Mitidja inondée

La commune de Koléa s'étend sur cette partie de la plaine qui est comprise entre le Mazafran et son affluent, l'oued Fatis. C'est l'un des lieux privilégiés pour les inondations hivernales, des champs et même parfois des routes. On y trouve les points les plus bas de la plaine, pas tout à fait 14m au confluent. Il faut savoir que cet entonnoir de confluence est placé au milieu de l'une des 5 cuvettes de la plaine de la Mitidja. Ces cuvettes étaient en 1830 marécageuses ou lacustres, même si, au regard, les pentes sont imperceptibles. La commune de Koléa est traversée par le Mazafran en deux parties très inégales : sur la rive gauche la plaine est étroite, sur la rive droite la plaine est partout et se poursuit dans les communes voisines de Boufarik et d'Oued el-Alleug. A l'ouest, en face du hameau de Tekteka, la commune est limitée par l'oued Djer.

Tous ces cours d'eau sortaient facilement de leur lit mineur en hiver. Les marécages de ces zones bases n'ont été correctement drainés qu'après l'achèvement des travaux entrepris en 1927. Auparavant les vignes plantées là étaient souvent inondées : les rendements étaient supérieurs à ceux du plateau, mais les vins étaient de qualité médiocre.

Au XXè siècle deux cultures ont connu le succès ; d'abord les agrumes, ensuite, après 1945, le riz.

Avec le riz les colons ont enfin trouvé, bien tard, la plante idéale. Le riz n'a jamais trop d'eau et supporte bien la très légère salinité de certaines eaux de surface. Le risque de fournir aux moustiques un nouveau paradis a été évité grâce à la gambusie (on disait la gambouse). Ce petit poisson américain se gave de larves de moustiques. Toutefois l'aménagement des rizières suppose une maîtrise des opérations onéreuses de nivellement qui permettent l'alternance, sans érosion, des mises en eau et des assèchements, pour la moisson, des parcelles cultivées. Il faut pouvoir régler avec une grande précision le niveau de l'eau. En 1962 le riz était, avec plus de 400ha, la céréale la plus cultivée à Koléa.

Quoi qu'il en soit, il est toujours resté de larges espaces incultes ; notamment ceux occupés par trois forêts hygrophiles où dominaient ormes, frênes et peupliers blancs, avec en sous bois saules et clématites. Le plus connu de ces espaces, car proche d'une route, était le bois de Farghen, le plus étendu celui de Chaïba inférieur.

La nature argileuse des alluvions explique, comme pour les rives de l'Harrach près de Baba Ali, la présence d'une briqueterie qui était protégée des débordements du fleuve par de hauts remblais.

                 •Le bourg centre
Un simple et rapide coup d'œil sur la carte permet de constater que Koléa est plus qu'un village sans être vraiment une ville. Il est plus étendu et n'est pas inclus, comme les classiques villages de colonisation, dans le carré ou le rectangle des ses origines. C'est que le Koléa des Français n'a pas été créé ex nihilo. Le centre européen créé par Valée a été juxtaposé à une médina antérieure ; même si les maisons en pisé ont disparu depuis belle lurette, il demeurait avant 1962 quelques belles villas de style mauresque d'avant la conquête.

Après 1830 ou 1838 les Turcs ont été " rapatriés " à Istanbul ou ailleurs dans l'Empire Ottoman. Mais les autres citadins de Koléa, Koulouglis, Maures et juifs, sont restés. Les Koulouglis, métis de Turcs et de femmes indigènes, n'auraient pas été admis à Istanbul ; les Maures étaient la majorité car ce sont leurs ancêtres fuyant l'Espagne qui avaient peuplé la ville recréée par les Turcs en 1550 ; les juifs formaient une minorité attirée là, comme à Alger, Médéa ou Constantine, par la protection espérée du pouvoir turc en place. Beaucoup ont dû partir à Alger après1830 mais il en est resté assez pour qu'une synagogue soit fréquentée jusque vers 1918.

la mosquée

Bâtiments et institutions religieuses abondent dans cette ville ; surtout pour les musulmans. Il n'y avait qu'une église, d'une architecture des plus banales, qu'un temple protestant, et qu'une synagogue abandonnée après la guerre. Mais il y avait une mosquée du XVIII è, 4 koubbas et une medersa. La mosquée, avec son minaret octogonal avait dû avoir un architecte turc, car au Maghreb les minarets sont à base carrée. C'est au Machrek qu'ils sont le plus souvent octogonaux. La medersa était une école coranique héritière modeste de la zaouïa de Sidi Embarek. Parmi les 4 koubbas, celle de Sidi Embarek constituait un but de pèlerinage, moins glorieux, mais plus accessible que celui de La Mecque ; le fidèle pouvait aussi se recueillir près du tombeau de notre adversaire Ben Allal tué en Oranie en 1843, mais enterré près de cette koubba.
Grâce à tous ces édifices marqués par l'Islam, Koléa n'était pas tout à fait une ville sainte ; c'était une ville " pure " qui a gardé, même après 1838, une partie de son aura.

photo du centre de la " ville " française
Cette photo du centre de la " ville " française permet de voir de gauche à droite la mairie, l'église le Kiosque à musique et au carrefour central, la statue du Colonel et futur Gouverneur Général par intérim Christophe Juchault de La Moricière. Ce n'est pas lui qui a créé le corps des zouaves, (c'est Clauzel le 1er octobre 1830) mais c'est lui qui a pris la ville et installé le premier camp militaire français. Les deux bâtiments parallèles et semblables, à l'arrière plan, sont les écoles. Leur style Jonnart les date du début du XXè siècle.

La proximité des champs et le nombre d'immeubles à deux niveaux, donnent la mesure de l'extension de ce centre ; ni ville, ni village. La photo permet aussi de constater l'absence de murailles, malgré la construction de 2 blockhaus en 1840.

Koléa est situé juste au bord du plateau dominant, en 1830, les marécages de la Mitidja. Guyot avait noté la salubrité du site appelé à un bel avenir, pensait-il. Il y avait fait nommer tout de suite un commissaire civil que la République supprima en 1848. Mais elle fit de Koléa un chef-lieu de canton qui accueillit, plus encore que Douéra autre chef lieu de canton, tout une série de services et d'institutions absents des villages. Il n'est pas inutile d'essayer d'en dresser la liste.

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Pour la sécurité : camp militaire avec champ de manœuvre et champ de tir
Gendarmerie
Commissariat de police
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Pour la santé ; des médecins, des pharmaciens, des dentistes.
Un hôpital de 300 lits, d'abord militaire, puis mixte, puis civil, avec des chirurgiens
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Pour l'enseignement 7 écoles, une école ouvroir assez tôt, un collège technique tardif et une école coranique prenant le relais de la Zouaïa d'avant 1830
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Pour les affaires 4 banques, un notaire, des huissiers une recette des contributions
Et une marché traditionnel, un souk el djemaa, le vendredi. Et au moins un hôtel.

Il n'y avait pas à Koléa de monument remarquable digne d'attirer les touristes, mais on peut noter la statue de La Moricière, le monument aux morts d'une taille inhabituelle, et le jardin des zouaves interdit au public après 1918 et où se trouvait le cercle militaire réservé aux officiers.

Le blockhaus a été restauré dans les années 1840.
 
Le monument aux morts est de 1832.
Le blockhaus a été restauré dans les années 1840.
 
Le monument aux morts est de 1932.

Koléa, à partir de 1951 a possédé une école unique en Afrique du Nord, l'EMP, encore appelée Ecole des enfants de troupe.

Cette Ecole Militaire Préparatoire fut installée dans la grande caserne Aurelle de Paladines.

Bref résumé historique d'un article d' Albert Porcel et Maxime Martinez
" Edification d'un cantonnement pour les Zouaves du Général Lamoricière en 1838 par le Génie puis transformation en Caserne, dite d'Aurelle de Paladines, la plus vieille et l'une des plus vastes d'Algérie.

Elle abrita successivement les Zouaves (jusqu'à la fin de la Guerre de 14.18), les Tirailleurs Sénégalais ( jusqu'en 1937), les Tirailleurs Algériens (jusqu'en 1939).

Elle devint un Centre de Mobilisation de 1939 à 41 puis un Centre d' Hébergement, au moment de l'Armistice, des Allemands et Autrichiens de la Légion Etrangère en transit avant de regagner leurs Pays d'origine.

A nouveau en 1941, elle habrita le 9e Régiment de Tirailleurs Algériens (jusqu'en 1951) .

A partir de 1951, elle se transforma en Ecole Militaire Préparatoire Nord Africaine.

A partir du 03.07.62, elle devint l'Ecole Nationale des Cadets de la Révolution. "


caserne Aurelle de Paradines

Ce nom perpétua jusqu'en 1962 le souvenir d'un militaire qui fit deux séjours en Algérie : 1841-1848 et 1850-1854. Arrivé capitaine, il repartit colonel. Mais si son nom a été donné à cette caserne, et pas à une autre, c'est qu'il fut le colonel d'un régiment de zouaves. En 1854 on l'envoya combattre les Russes en Crimée. Il y gagna ses étoiles de général.

Avant d'être affectée à l'EMP la caserne avait hébergé es zouaves jusqu'en 1914, des tirailleurs sénégalais jusqu'en 1937, puis des tirailleurs algériens jusqu'en 1951 avec une parenthèse en 1940-1941, quand il fallut réunir, avant leur rapatriement imposé par l'armistice de 1940, les Allemands et les Autrichiens engagés dans la Légion Etrangère

L'EMP avait été créée en 1942 à Hammam-Righa (voir ce lieu) dans un ancien hôtel thermal qui avait été réquisitionné.. C'était assez isolé dans le Zaccar.

En 1946 l'EMP déménagea pour la ville la plus proche : Miliana,(voir ce lieu) où on ne manquait pas de casernes.

En 1951 l'EMP fut rapprochée d'Alger par une décision ministérielle du 22 mai 1951. Les premiers élèves arrivèrent pour la rentrée d'octobre. La théorie était que les élèves étaient choisis soit parmi les enfants de sous-officiers ou de soldats de carrière, soit parmi les pupilles de la nation, catégorie d'enfants instituée par la loi du 29 juillet 1917 pour fournir aux orphelins de guerre le secours moral et financier de l'Etat jusqu'à leur majorité ( 21 ans). Par la suite on créa un grand nombre de catégories de pupilles de la nation.
En échange d'un engagement de servir au moins 5 ans dans l'armée, les études étaient gratuites. A Koléa, vers 1960, on pouvait présenter le baccalauréat. J'ai connu des professeurs qui étaient en fait des appelés sursitaires, professeurs avant leur incorporation, et qui passaient là 2 ans à enseigner après avoir terminé leurs classes militaires.
L'école fur fermée en 1962.

                 •Les hameaux
La commune de Koléa compte 6 hameaux, ou 5 si l'on compte pour un seul les hameaux " suisses " de Chaïba et de Messaoud qui se touchent presque.

Tous ces hameaux sont dans le Sahel ; soit sur le plateau, soit en bordure de la Mitidja (Tekteka et Berbessa) mais un peu au-dessus de la plaine.

Seul Saint Maurice (d'abord appelé Zoudj el Abess) présente un plan rectangulaire avec une route de ceinture qui semble avoir pris la place d'une enceinte de protection des origines.
Les autres hameaux sont des groupes de maisons alignées le long d'une route. Ils ne présentent pas sur une carte l'aspect des villages créés d'un coup par une décision du Gouvernement Général. Ils sont postérieurs au plan Guyot et leur aménagement semble marqué par une création en plusieurs étapes dues à des initiatives privées.

Ces hameaux ne possédaient sûrement pas tous les commerces nécessaires à la vie quotidienne : boulangeries, boucherie, épicerie ou poissonnerie. Il est sûr que des commerçants ambulants de Koléa ou de Castiglione desservaient, dans les années 1930, ces hameaux et les fermes proches de la route. Ensuite chaque fermier fut motorisé ; et Koléa n'était pas loin : 4 à 5km au maximum.

Sur le plateau les fermes et les lieux habités sont très nombreux, sur la carte, autour de Koléa ; et un peu moins ailleurs. Mais il y en a partout.

Au contraire dans la plaine les lieux habités à l'emplacement des anciens marécages sont très rares et très espacés les uns des autres.

A partir de 1955 ou 1956 ces hameaux reçurent des détachements de soldats ; à Chaïba ce fut la 1ère compagnie du groupe de transport 535. La compagnie de commandement était à Koléa.

La desserte de Koléa par les transports publics a commencé, comme partout par des services de diligences ou de corricolos. Il y avait deux itinéraires desservis ; l'un vers Alger, l'autre vers Blida. A l'époque les vitesses commerciales de ces véhicules donnaient une grande importance aux distances : 20km pour Blida contre 42 km pour Alger.

En temps, Blida était nettement plus proche : d'autant qu'une fois passé le pont des zouaves sur le Mazafran, la route était toute droite, avec une pente très faible et régulière pour rattraper les 120m de dénivelé de la Mitidja qui n'était pas une plaine vraiment plate. Au contraire vers Alger le parcours était sinueux, avec une vraie montée à l'approche de Dély Ibrahim.

En 1900, le 4 décembre, Koléa inaugura sa gare de chemin de fer. Il est probable que le service des diligences a continué à fonctionner vers Blida jusqu'à l'apparition des autobus, mais il a dû vite disparaître vers Alger.

pont sur ma

La décision de construire cette ligne avait été prise en janvier 1892 ; et la concession fut attribuée à un Monsieur Cazes, prête-nom du baron Empain, puis, en 1894, à la société anonyme des CFRA qui exploitait déjà des tramways à Alger. Les CFRA construisirent une ligne à voie unique étroite de 1, 055 m. Il y avait évidemment, sur les 54 km que comptait cette ligne, des endroits à voie double équipés pour les croisements.

Son établissement n'a exigé aucun tunnel, mais il fallut lancer trois ponts sur le Mazafran car la ligne remontait sa vallée, moitié en site propre, moitié sur le bas-côté de la route. Le secteur terminal était le plus difficile avec la montée de la plaine (altitude 18m) jusqu'au bourg (à 124m). La voie était en site propre. Les trains tenaient plus du tramway à vapeur que des trains des grandes lignes.

En 1892, et jusqu'en 1914, on avait imaginé que la gare de Koléa (orthographié alors Coléa)deviendrait une gare de bifurcation, au centre d'une étoile à trois branches, vers Alger, vers Marengo par Attatba, et vers Blida par Oued el-Alleug. Ces lignes ont été déclarées d'utilité publique le 7 mai 1914 et concédées aussitôt aux CFRA. Mais dès le 28 octobre 1914 la direction des CFRA fit savoir qu'à cause de la guerre, elle devait surseoir à leur construction. Et après 1918 il n'en fut plus question.

L'essor simultané du trafic automobile et du déficit d'exploitation de la ligne entraîna sa fermeture en 1935, ainsi que la fermeture de l'antenne de Castiglione ouverte au trafic en 1903. Les rails furent déposés, à une date que j'ignore, pour être récupérés et réutilisés ailleurs après l' armistice de 1940 et surtout après la rupture des relations avec la métropole à la suite du débarquement américain du 8 novembre 1942. Ces rails ont alors permis à la voie ferrée d'Ouled Rahmoun (Constantine) à Tébessa et vers la Tunisie, de supporter la surcharge de transport de munitions, de ravitaillement et de troupes vers le front tunisien après l'occupation de la Tunisie par les nazis en mai 1943.

gare de coléa
C'est le timbre de France (et non d'Algérie) qui permet de
dater la carte postale
Sur le schéma du réseau projeté la voie partant de la gare qui se serait appelée Mitidja aurait abouti à BoufariK. Et celle partant de Castiglione aurait atteint Bérard
projet extension

Après 1935 le relais fut pris par les autobus de la Société des Routes Nord-Africaines qui montaient à Koléa par Douaouda. Dans la plaine la société des Messageries littorales et transports Mory exploitait une ligne d'autobus vers Marengo qui empruntait la route longeant les collines du Sahel et traversait Baba Ali, Birtouta, Attaba et Montebello. Il est sûr qu'un arrêt était prévu en face de Berbessa et un autre en face de Tekteka.


Suppléments sur le vignoble algérien

I° Sa création et son évolution

En 1830 les rêveurs qui songeaient à cultiver des terres autour d'Alger, dans la ferme modèle de Birkhadem par exemple, espéraient y faire pousser canne à sucre, coton, indigo et toutes sortes de plantes dites coloniales. Aucune de ces cultures ne pouvait réussir malgré l'éphémère succès du coton vers 1855.

En attendant de trouver la plante providentielle qui ferait la richesse des cultivateurs et du territoire, les colons ont récolté des fourrages, du blé, de l'orge, plus quelques fruits et légumes s'ils étaient poches d'un marché urbain.

Cette plante fut enfin trouvée vers 1880 grâce au phylloxera et à quelques progrès techniques : c'est la vigne à vin.

                 •1830-1880 : cinquante ans de croissance très lente
Personne ne saurait dire combien d'hectares la vigne couvrait dans la Régence d'Alger. Il est cependant permis d'affirmer sans hésitation qu'il y en avait très peu.

Pourtant la vigne avait prospéré aux époques phénicienne, romaine et byzantine. Mais les interdits de l'Islam concernant la consommation des boissons alcoolisées, avaient éliminé la vigne à vin. Ne restaient à El Biar ou Birmandreis, que quelques treilles de raisins de table à consommer frais. Un seul cépage est identifié comme maghrébin, le raisin Ahmeur ben ameur appelé par nous raisin kabyle. C'est un raisin plutôt tardif, à gros grains rosés pourvus d'une peau épaisse qui, dirent les chrétiens qui l'appréciaient, permettait de conserver quelques grappes jusqu'à Noël.

Les colons ont sûrement tenté dès le début de planter des cépages destinés à la production de vins. Le résultat ne fut pas désastreux ; seulement très décevant car la qualité médiocre ou mauvaise du vin obtenu excluait à la fois sa conservation, son transport lointain et donc, sa commercialisation. Les colons pouvaient le boire, mais pas le vendre ; d'ailleurs la France n'en aurait pas eu besoin.

Les surfaces plantées en vigne s'accrurent tout de même au fur et à mesure de l'implantation de villages de colonisation dans des zones au climat favorable, soit aux raisins de table (le chasselas précoce serait apparu à Guyotville en 1867 et vendu à Alger tout proche dès juillet), soit aux raisins à vins à usage familial.

Je n'ai trouvé aucune statistique antérieure à 1872 : il couvrait alors environ 10 000 hectares. En 1880, date choisie par les historiens comme point de départ du boom vitivinicole, cette surface avait doublé en 8 ans avec 23 000ha. Ce n'était qu'un début.


                 •1880-1904 : 25 ans de croissance accélérée
Le succès assez prodigieux de la vigne en Algérie à cette époque, est dû à une série de chances concomitantes.

Le premier coup de pouce du destin survint en 1864 quand un minuscule puceron américain immigré dans le Bordelais, se mit à grignoter avec appétit, les racines françaises. Ce phylloxera se plut tellement en France qu'il goûta à tous les cépages locaux : il fit chuter dramatiquement la production de la boisson nationale de 84 millions d'hectolitres en 1875
                à 24 millions en 1887, l'année terrible.
Un expert envoyé en Algérie décréta que la vigne pouvait y être plantée sur au moins 2 millions d'hectares. C'était plus que suffisant.

Le second coup de pouce fut technique. Le vin d'Algérie était médiocre à cause des températures excessives subies par les moûts au début de leur fermentation. Il aurait fallu ne pas dépasser 37°. Il se trouva, à la suite des travaux de Pasteur sur les fermentations, des esprits curieux qui testèrent alors des procédés de réfrigération

On peut lire que ce serait un dénommé Brame qui, à Fouka, aurait trouvé en 1884 le moyen de contrôler la température des moûts. On peut lire aussi que c'est en 1887 qu'un brasseur aurait eu l'idée de transférer vers la vinification, la méthode employée pour la fabrication de la bière.

Par la suite, après 1900, fut généralisé l'usage de l'anhydride sulfureux.

extension du vignoble

Le troisième coup de pouce fut législatif
En 1892 une loi douanière admit en franchise l'importation de vins d'Algérie. C'était ouvrir largement le marché métropolitain, à peu près au moment où s'achevait le reconstitution du vignoble français grâce à des plants américains non attaqués par le phylloxera.

Les vins d'Algérie prirent le chemin des ports de Rouen (pour les vins destinés à la consommation ) ou de Sète pour les vins de coupage destinés à améliorer le degré et la couleur des vins rouges du Bas-Languedoc. Le " vin de secours " des années de pénurie devint vite un vin concurrent pour les vins de consommation courante. Une première crise de mévente survint dès 1893 qui provoqua, en Algérie, quelques faillites de colons qui s'étaient sur endettés. La banque d'Algérie était un peu fautive car elle avait consenti des prêts fonciers qui n'entraient pas du tout dans les attributions d'une banque d'émission. La banque, qui en 1893 ne put recouvrer ses créances, se retrouva à la tête d'un grand nombre d'exploitations, qu'elle eut du mal à revendre. La liquidation n'en fut terminée qu'en 1900.

Quelques chiffres mesurent la croissance du vignoble : 1880    23 000 ha
                                                                                  1888    103 000 ha
                                                                                  1903    174 000ha soit 7,5 fois plus qu'en 1880

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Vignobles de coteaux (ex. le Sahel d'Alger)
sur des sols légers, caillouteux ou sablonneux
Degré 11-13 ; rendement de l'ordre de 50hl/ha
Vins ordinaires
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Vignobles de plaine (ex. la Mitidja)
Sur des sols lourds, parfois irrigués, notamment dans la Soummam
Degré faible mais au moins 10 ; rendement plus de 60hl/ha, voire 100 si irrigués
Vins très ordinaires ; vins de coupage par destination
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Vignobles de montagne (ex. Médéa)
En zone à hiver froid avec neige
Degré fort 12-15 ; rendement faible, moins de 40hl/ha.
Ces vins de qualité ne servaient jamais au coupage.

environs d'alger

                 •1905-1924 : vingt ans de difficultés et de conflits avec le midi languedocien
Le marché connaît une crise sévère de 1904 à 1907 à cause de la chute des cours par engorgement du marché métropolitain. Quelques vastes domaines de vins très ordinaires sont cette fois-ci encore ruinés, notamment, dans la Mitidja, celui de Charles Debonno (870ha de vignes).

La mévente disparaît en 1908 grâce à une mauvaise récolte en France. Mais elle réapparaît l'année suivante et dès 1910 la CGV (Confédération Générale des Vignerons) demande, sans l'obtenir, un contingentement des importations de vins algériens. Pour mieux se faire entendre les colons créent la CVA (Confédération des Vignerons Algériens) qui fait pendant à la CGV.

Une autre très mauvaise année fut 1920 avec une baisse de 50% des tonnages exportés.
Ces aléas ont entraîné la stagnation des surfaces plantées en vigne, autour de 150 000 à 170 00ha. Mais les vignes ont été normalement renouvelées ; une incitation supplémentaire à ce rajeunissement des vignobles fut imposée par l'apparition du phylloxera, en Oranie dès 1885 et dans l'Algérois en 1905.

                 •1925-1938 : un doublement paradoxal
Le doublement, et même un peu plus, est inscrit dans le marbre des statistiques gouvernementales :
                                160 000ha en 1925
                                412 000 ha en 1938, le record ; et 21 millions d'hl comme en 1934
Le paradoxe est que ce nouveau doublement a été réalisé alors que l'engorgement rituel du marché était aggravé par les retombées de la crise de 1929. Même s'il est vrai que cette crise de déflation et de restriction des échanges a touché la France avec retard et moins gravement qu'ailleurs, elle a provoqué des méventes en 1932 et 1934, séparées par une excellente année en 1933.

Je sais d'autant moins expliquer ce doublement que des mesures restrictives avaient été décidées dès 1934 : distillations imposées et taxes " de rendement " au-dessus de 50 (gros colon) ou de 80hl/ha (petit colon). Pour qu'un vin soit vendable on avait fixé un degré minimum.

Il faut croire que les planteurs de 1937 partageaient l'opinion qu'Augustin Bernard expose dans son histoire de l'Algérie parue en 1930. C'est un morceau d'anthologie.

Sans la viticulture toute la vie de la colonie s'arrêterait ; c'est elle qui permet les hauts salaires ruraux et apporte le bien-être aux masses indigènes qui achètent alors largement les tissus et le sucre ; c'est elle qui, presque exclusivement alimente le commerce des villes de la côte et contribue à l'essor de la construction ; c'est elle enfin qui, avant tout, fait vivre les transporteurs, depuis les camionneurs jusqu'aux compagnies de chemins de fer et de navigation.



Ce graphique souligne aussi le rôle marginal des vignobles du Maroc et de la Tunisie.


Une nuance est toutefois nécessaire, c'est que si les surfaces augmentent, les récoltes sont extrêmement variables et vont du simple au double, avec un creux en 1936, et deux pointes marquées en 1934 et 1938.

Ces fortes oscillations sont dues au climat jusqu'en 1939. La diminution ensuite est due à la guerre.

Après 1945 la production a oscillé entre 12 et 15 millions d'hl. Elle a alimenté des exportations vers la métropole comme toujours, et vers l'Indochine comme jamais.

Après l'indépendance la production a d'abord peu varié, puis a presque disparu avec un creux en 2002 à moins de 300 000hl. Depuis cette date il y aurait une légère reprise.

Ce graphique souligne aussi le rôle marginal des vignobles du Maroc et de la Tunisie.

                 •1939-1962 : d'une guerre à l'autre

 
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Les effets de la guerre furent d'abord très négatifs. La difficulté, puis la rupture des
duvindex
relations avec la métropole en novembre 1942, génèrent beaucoup le négoce : plus moyen de vendre le vin en France, ni d'importer le sulfate de cuivre contre lemildiou ou le soufre contre l'oïdium, et pas davantage le raphia malgache utilisé pour attacher les rameaux au printemps. La production chuta à 9Mhl et les stocks furent gonflés, malgré des mesures de distillation obligatoire qui transformaient en excédent d'alcools les excédents de vin ; avec l'avantage de prendre moins de place et de libérer des cuves.

Des négociants avisés surent bénéficier de l'absence du Cinzano ou du Martini pour fabriquer et vendre des apéritifs made in Algeria. J'ai connu le cas du DUXOR inventé et vendu par Camille Dudex, négociant important et également maire de Birmandreis.
Sa société s'appelait DUVINDEX associant son nom et le vin. Joli raccourci, avec au-dessus DUX pour DUXOR.

En 1945-1946 Duxor disparut et les stocks de vins se vidèrent grâce à de mauvaises productions en France pendant la guerre.
 
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L'après-guerre connut une certaine reprise des plantations, ne serait-ce qu'à cause de la nécessité de remplacer les plants trop vieux ; du moins jusqu'en 1957, car ensuite l'insécurité rendit attentistes même les viticulteurs qui auraient pu financer les travaux de défoncement profond préalables à toute plantation. La vigne avait souffert du manque de produits de traitement, du manque d'engrais, et, peut-être, d'une loi du 20 août 1940 qui préconisait d'autres cultures vivrières sur les parcelles arrachées.

Pourtant le marché était bien orienté avec 1954 comme année charnière. Avant les négociants algérois ont profité du recul métropolitain pour ravitailler le corps expéditionnaire d'Indochine ; ensuite vint en Algérie la clientèle des troupes de maintien de l'ordre.
Pour réapparaître, la concurrence conflictuelle avec les viticulteurs du midi, attendit
l'indépendance de l'Algérie en 1962.

                 •Après 1962 : la vigne est un héritage encombrant
L'essor du vignoble à la fin du XIXè siècle avait correspondu à des objectifs conjoncturels (profiter de la ruine du vignoble français ruiné par le phylloxera) et structurels (offrir des vins de coupage pour améliorer le degré et la couleur des vins du Bas-Langhedoc).

Ces deux raisons disparaissent brutalement en 1962 : il n'y a pas de pénurie en France et les vins italiens vont prendre, dans l'Europe des 6, le relais des vins algériens. S'ajoute une troisième bonne raison d'alléger le poids de cette culture : l'absence de consommateurs locaux. Les Européens sont presque tous partis et les musulmans ne peuvent pas boire de vin.

Les gouvernements Ben Bella (jusqu'en juin 1965) et Boumediene, pour lesquels le sort de la vigne n'était pas une priorité, eurent à arbitrer ou à louvoyer entre les 4 options suivantes.

 
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Développer la consommation intérieure
Inenvisageable pour des raisons religieuses. Ben Bella a, de surcroît fait voter une législation anti-alcool
 
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Maintenir les exportations vers la France. Impossible au niveau antérieur. Il était seulement possible de gérer une baisse en douceur avec des tractations du genre avantages pétroliers contre achat de vins. En 1967 la France acheta encore 6 millions d'hectolitres, mais le déclin était inéluctable. Dans les années 1980 l'entrée de la Grèce en 1981 et de l'Ibérie en 1986 accrut les excédents à l'échelle de l'Europe.

 
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Trouver des clients de substitution. Pas facile de faire boire du vin à qui n'en a pas l'habitude. Pourtant en 1969 le miracle parut se produire avec l'accord de l'URSS pour acheter, à moitié prix, 5 millions d'hectolitres pendant 5 ans. C'était une opération purement politique : après s'être encombrée du sucre de canne cubain, l'URSS allait s'encombrer d'un vin pour lequel en 1969 elle ne possédait ni les navires pinardiers, ni les caves de stockage, ni les clients. Mais elle y trouvait des avantages politiques et un client pour ses armements. Elle pouvait aussi essayer de revendre le vin avant de l'avoir importé !
L'Algérie a dû songer aussi au marché européen ; mais ce dernier s'auto suffisait.
 
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Spécialiser et reconvertir le vignoble vers les raisins de table et les vins de grande qualité. Possible dans une certaine modeste mesure, à condition de maîtriser les techniques nécessaires pour assurer une bonne qualité régulière. Et de toute façon, pour le vin, il n'y avait pas de clients locaux, et pour le raisin il n'y en avait pas assez pour 300000 ha.

Toutes ces difficultés non surmontées firent que le vignoble fut arrachée au fur et à mesure qu'il vieillissait ou qu'il ne trouvait plus de clients nulle part. Les vignobles de vins de coupage disparurent complètement ; les vignobles de qualité déclinèrent sans disparaître. En 2002 il n'en subsistait pas même 20 000 ha pour 300 000 hl. Et sans doute beaucoup moins car sinon les rendements auraient été vraiment minimes.

L'arrachage des vignes a multiplié les sans emplois et diminué les revenus partout où aucune culture de main d'œuvre, comme le maraîchage, ne fut possible.

Si bien qu'en 2002 le Ministre de l'Agriculture envisagea une timide reprise des plantations dans les 7 AOG (Appellation d'Origine Garantie) que sont Mascara, Tlemcen, Tessala, Dahra, Miliana, Médéa, et Aïn-Bessem. Les replantations seraient aidées par l'Etat a hauteur de 60%. Le raisin est acheté aux 2600 viticulteurs par l'ONCV (Office National de Commercialisation des produits Viticoles). Donc si la culture est une affaire privée, la vinification et le commerce sont des affaires d'Etat. Il est permis de rester sceptique quant à l'avenir de l'entreprise, même si les buts affichés sont modestes : atteindre les 50 000hectares.

II° Quelle place et quels rôles pour le vignoble du Sahel d'Alger ?
Le vignoble est essentiel pour la prospérité du Sahel.
Le Sahel n'est pas essentiel pour la prospérité du vignoble algérien

                 • Le vignoble est essentiel pour les colons du Sahel à partir des années 1880, même si la vigne n'a jamais été une monoculture, et même si elle a dû largement partager le terrain avec le maraîchage dans les plaines littorales, après 1945 surtout. C'est vrai pour le Sahel en général, et pour chacune de ses communes, sauf celles de Bouzaréa et d'El Biar rattrapées par la croissance du Grand Alger.

C'est la culture qui a fourni le plus de revenus, offert le plus d'emplois et payé le plus d'impôts. La comparaison avec la culture du blé, avant 1939, est éclairante :
            la vigne fournissait 3 à 5 fois plus d'emplois par hectare cultivé ;
            elle dégageait 7 à 10 fois plus de revenus par hectare cultivé ;
            elle payait 10 fois plus d'impôts par hectare, sans compter les droits sur le transport du vin.

La vigne a permis au Sahel de garder jusqu'au bout une population européenne rurale importante. Aucun de ses villages de colonisation n'a été menacé de dépérissement. Le Sahel d'Alger est l'une des rares régions où aucun village n'a été déclaré vers 1930 " en voie de dépérissement ". En 1954 on pouvait croire légitimement au succès de cette colonisation de peuplement ; rares étaient alors les zones de colonisation rurale dans ce cas. La proximité d'Alger est sûrement, avec la vigne, l'une des clés de cette réussite.

                 • Le Sahel n'est pas essentiel pour les revenus et les exportations de l'Algérie. Je ne possède pas de statistiques précises, seulement des estimations fiables. Le vignoble du département d'Alger couvrait 85 000 ha (chiffre précis). La part du Sahel devait être de l'ordre de 30% ; soit quelque 25 000 ha au maximum. Il est bon de savoir que c'est en Oranie que se trouvaient les vignobles les plus étendus.

Le vignoble du Sahel est un vignoble de coteaux donnant des vins rouges de coupage parmi les plus appréciés. Les principaux cépages étaient le Cinsault et le Carignan, avec, pour la couleur, l'Alicante-Bouchet. Dans le département d'Alger c'était le principal vignoble de coteaux.

Son extension est schématisée de façon très approximative par la carte placée plus haut, où la limite du Sahel avec la Mitidja n'est malheureusement pas indiquée et sur laquelle le blanc de la trouée du Mazafran, est démesurée, car il y avait un vignoble de plaine.

Si l'on retient l'extension de 25 000 ha, alors le Sahel représente :
                                         6% de l'extension du vignoble algérien ;
                                         4% de la valeur de la production agricole, toutes cultures confondues ;
                                         2% de la valeur des exportations totales de l'Algérie d'avant le pétrole.
Ce n'est pas si mal pour une si petite région. La coupe ci-dessous est là pour souligner cette petitesse par rapport aux dimensions de l'arrière-pays. Et encore à Laghouat, il reste 1960 km pour atteindre la frontière du Niger.

coupe  est là pour souligner cette petitesse par rapport aux dimensions de l'arrière-pays.