Alger
- l'Algérie
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Texte, illustrations
: Georges Bouchet
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o KOLEA Koléa, c'est vraiment tout autre chose que les 21 autres villages et communes du Sahel mentionnés dans le plan Guyot du 12 mars 1842 qui m'a servi de fil conducteur pour rédiger ces 22 monographies. Son originalité dans cette galerie de portraits communaux, concerne et sa géographie, et son histoire.
Pour le lecteur dubitatif, G. Esquer, dans un ouvrage sur Alger de 1957, nous rappelle tous les mérites effectivement prodigieux du marabout Sidi Ali M'Barek (ou Embarek) qui était venu de Mascara peu après 1600. Jugez vous-mêmes.
Sidi M'Barek eut des descendants. L'un d'eux, qui avait fait le pèlerinage de La Mecque, El Hadj Mahieddin fut choisi par Berthezène, qui était venu camper aux portes de la ville le 25 septembre 1831, pour tenir le poste d'Agha des Arabes. Le Hadj accepta la mission d'assurer la sécurité autour de Koléa et dans le bout de Mitidja situé à proximité. Il accepta aussi le beau traitement de 70 000francs (une maison bâtie par le Génie fut après 1840, facturée 1500 francs aux colons intéressés) ; mais il posa une condition : que les Français ne sortent pas de la banlieue d'Alger. Je ne sais ce que Berthezène a imaginé. Il est sûr que ses successeurs ne purent respecter une promesse aussi paralysante. De toute façon Rovigo, en 1832, se persuada que Mahieddin jouait double jeu en poussant les indigènes à s'insurger, tout en protestant de son innocence. Il fit arrêter des marabouts de sa famille et imposa une lourde indemnité à la ville où l'on n'avait pas encore fait entrer de troupes. En 1833 Voirol (on changeait souvent de Gouverneur Général à l'époque) fit libérer les marabouts et les fit reconduire à Koléa sous escorte militaire ; il restitua même une bonne partie de l'amende. S'il avait imaginé gagner ainsi les bonnes grâces de Mahieddin, il s'est lourdement trompé. Lorsque Valée fit occuper la ville par le Colonel La Moricière (on écrit aussi Lamoricière) en mars 1838 Mahieddin et sa famille avaient choisi leur camp, c'est-à-dire celui d'Abd el-Kader. Ce dernier l'avait nommé à Miliana Khalifa (c'est mieux qu'agha et même que bachaga) pour le Zaccar et le haut Chéliff. L'un de ses fils, Ben Aïssa combattit dans les troupes de l'émir et connut une mort glorieuse en Oranie près de Saïda en 1843. La France lui fit rendre les honneurs militaires et ramena le corps à Koléa. C'est ainsi que la région de Koléa et ses illustres marabouts sont entrés dans l'histoire de France. Historiquement le
site de Koléa semble avoir été occupé par
quelques maisons (casae) romaines, mais pas par une ville, ni même
une véritable colonia. Quoi qu'il en soit, il n'en restait rien
après l'invasion des Beni Hillal au Xè siècle. Malgré le séisme désastreux de 1825 qui ébranla même les murailles, les maisons en pisé des habitants furent vite reconstruites. Et la ville ne perdit pas sa renommée qui lui permettait d'attirer de nombreux étudiants venus suivre les enseignements d'une zaouïa célèbre dans toute la Régence. C'est néanmoins une ville de toute petite taille que La Moricière fit occuper par ses zouaves le 29 mars 1838. La région n'était alors pas du tout sûre, surtout du côté de la plaine où sévissaient les Hadjoutes. Le camp des zouaves tint bien le choc du Djihad de l'automne 1839 et put apporter un soutien efficace lors des évacuations de postes de la Mitidja imposées par Valée. Sa victoire du 31 décembre 1839 sur les Hadjoutes diminua le danger sans établir une réelle sécurité : en 1840 encore, 60 soldats en patrouille dans la région, sont tués dans une embuscade. Guyot croit cependant, en 1842, à l'avenir de cette position autour de laquelle il souhaite attirer des colons
On a d'abord écrit Coléah, puis Coléa,
puis Koléah avant que ne s'impose finalement Koléa. 1851 fut une grande année pour le Koléa des Français en devenant le 21 novembre une immense commune civile qui englobait alors les futures communes de Zéralda (émancipée en 1905), de Douaouda, de Fouka, de Castiglione, de Tefeschoun et sans doute aussi d'Attatba. Il est probable que toutes ces communes annexes avaient échappé à la tutelle de Koléa, au plus tard, en 1912. Ce fut une grande année aussi en raison de la création de 5 hameaux peuplés par des colons venus de Suisse. Ces 5 hameaux ont gardé longtemps l'appellation de hameaux suisses, même quand tous les habitants furent devenus français. C'est une page très originale de la colonisation du Sahel. Elle mérite un assez long développement rendu possible par un travail quasi universitaire mené par Eric Maye en 1995. Histoire de la fondation des
5 " hameaux suisses " de Koléa Les Suisses du Valais disaient qu'ils avaient été bernés par de fallacieuses promesses françaises. Les immigrants auraient dû trouver à leur arrivée dans la commune de Koléa, à partir de mai ou juin 1851, des terres cultivables et des maisons bâties. En fait ils ont trouvé une brousse à palmiers nains, des tentes et des baraquements collectifs sans confort, des moustiques et des fièvres. On leur aurait promis une dizaine d'hectares, sans les avertir qu'il leur faudrait un an de travail pour défricher le premier hectare et 2 ans pour obtenir la première récolte. Les Français affirmaient que les communes suisses du canton de Sion concernées, avaient organisé une " émigration de débarras subventionnée ". De débarras car ce n'est pas l'élite des agriculteurs du canton qui avait pris le bateau d'Alger, mais une sélection d'indigents, alcooliques, marginaux ou goitreux. S'il est abusif de parler de " crétins des Alpes ", il est avéré que la sélection avait obéi à des critères inaptes à détecter les plus aptes à s'adapter à une vie difficile en milieu inconnu. Et subventionnée car les règles habituelles imposées par la France exigeaient, outre un certificat de bonne vie et murs, la possession par chaque candidat, d'une somme de 1200 à 1800 francs selon le nombre d'enfants. Or les candidats pressentis ou désignés étaient sans le sou ; ce sont leurs parents et leur commune qui ont financé le départ. Les colons arrivés en juin souffrirent de la canicule et des fièvres, ceux arrivés en octobre supportèrent sans mal l'hiver algérois. Mais au printemps le retour des moustiques et du paludisme firent des ravages. Durant l'été 1852 un Inspecteur de la colonisation recense le nombre d'alcooliques et de malades et en conclut qu'un colon sur trois est incapable de travailler. Les hameaux se vidèrent en partie de leur population, soit par décès (une soixantaine dont de nombreux enfants) soit par retour au pays, soit par déménagement vers des concessions libérées dans les villages voisins (7 à Crescia, 12 à Douéra, 10 à Saint Ferdinand et 3 à Sainte Amélie). Les 28 familles qui retournèrent dans leur village n'y furent pas les bienvenues car, totalement démunies, elles furent alors à la charge de leur commune en vertu d'une loi récente sur la mendicité, celle du 29 septembre 1850. Lorsque la famille du rapatrié était riche, la commune pouvait, par voie judiciaire, " faire placer les pauvres revenus chez leurs parents aisés " On devine l'ambiance. Une solution fut trouvée pour 22 familles qui acceptèrent de repartir : 12 en Algérie, et 10 en Argentine. Ces départs avaient dû être, une fois encore, financés par les communes et les familles qui, au prix d'une dépense unique, mirent fin à une situation conflictuelle et plus coûteuse à long terme. Ceux qui tinrent le coup en Algérie (la moitié
peut-être ?) reçurent des aides par l'intermédiaire
de l'armée (fourniture de matériaux de construction, et
rations de vivres) mais financées sur le budget de la colonisation.
L'administration leur fournit aussi diverses semences et une paire de
bufs ; et lors de l'achèvement du défrichement du
deuxième hectare, une prime de 100 francs. Comparaison des 5 hameaux
Pour l'emplacement de ces hameaux par rapport à
Koléa on se reportera à la carte du territoire communal.
Un seul est en limite de la plaine de la Mitidja : Berbessa. Les sources consultées concordent pour 4 hameaux mais diffèrent pour Saïghr. J'ai choisi, sans preuve, le nombre de familles le plus élevé. Les totaux sont alors de 69 familles bénéficiaires de 424 hectares. Avec 3 ou 4 enfants par famille, cela ferait entre 207 et 276 personnes. C'est très modeste ; mais il ne faut pas oublier les 32 familles parties pour d'autres villages du Sahel. Ces familles furent assez vite " francisées " par des mariages avec des Français (on disait mariages croisés) qui avaient remplacé les valaisans repartis en Suisse, et qui étaient pour la plupart Alsaciens ou Francs-Comtois ; sans oublier la naturalisation automatique des enfants nés en Algérie à partir de la loi de 1889. Pour être complet il faudrait ajouter les familles suisses installées à Ameur el-Aïn en 1849 ; et plus tard en Kabylie, entre Tizi-Ouzou et Fort National. Je ne me hasarderai pas à proposer un chiffre pour le nombre de Suisses restés en Algérie, sur un total de l'ordre 1000 personnes débarquées à Alger. En ce qui concerne l'évolution des cultures entre
1838 et 1962 il n'est guère possible, sauf à Berbessa, de
distinguer le cas des colons résidant à Koléa de
celui des colons habitant les hameaux, ou les fermes. Partout les colons
ont commencé par planter des céréales et par récolter
des fourrages ; et un peu plus tard du tabac. Ensuite ici comme ailleurs
au Sahel la vigne a tout recouvert ou presque avec un maximum d'extension
dans les années 1930. Le léger recul intervenu ensuite a
libéré des terres pour des cultures de pommes de terre primeurs
et de légumes de printemps.
Le territoire communal C'est, de loin, le plus vaste de tous les territoires
des communes citées dans le plan Guyot. Il s'étend en effet
très largement sur la plaine de la Mitidja, alors que les autres
communes limitrophes de la plaine, de Kouba à Douéra, n'en
possédaient qu'un étroit liseré limité par
le tracé de la RN 1. Un
bout de la trouée du Mazafran
Le
versant qui limite ce plateau présente deux aspects assez
dissemblables. Au-dessus de la Mitidja le versant est moins abrupt et
raviné par de courts oueds qui y découpent des interfluves
dits " en chevron " caractéristiques de ce type d'érosion
semi-torrentielle en climat peu humide. On y trouve beaucoup de broussailles,
mais le bas du talus a été souvent mis en culture. Il abrite
aussi deux hameaux, Berbessa et Tekteka dont les champs débordent
sur la plaine jusqu'aux rives du Mazafran ou de son affluent l'oued Djer
qui participe au drainage de l'ancien lac Halloula. La plaine de la Mitidja La commune de Koléa s'étend sur cette partie de la plaine qui est comprise entre le Mazafran et son affluent, l'oued Fatis. C'est l'un des lieux privilégiés pour les inondations hivernales, des champs et même parfois des routes. On y trouve les points les plus bas de la plaine, pas tout à fait 14m au confluent. Il faut savoir que cet entonnoir de confluence est placé au milieu de l'une des 5 cuvettes de la plaine de la Mitidja. Ces cuvettes étaient en 1830 marécageuses ou lacustres, même si, au regard, les pentes sont imperceptibles. La commune de Koléa est traversée par le Mazafran en deux parties très inégales : sur la rive gauche la plaine est étroite, sur la rive droite la plaine est partout et se poursuit dans les communes voisines de Boufarik et d'Oued el-Alleug. A l'ouest, en face du hameau de Tekteka, la commune est limitée par l'oued Djer. Tous ces cours d'eau sortaient facilement de leur lit mineur en hiver. Les marécages de ces zones bases n'ont été correctement drainés qu'après l'achèvement des travaux entrepris en 1927. Auparavant les vignes plantées là étaient souvent inondées : les rendements étaient supérieurs à ceux du plateau, mais les vins étaient de qualité médiocre. Au XXè siècle deux cultures ont connu le
succès ; d'abord les agrumes, ensuite, après 1945, le riz. Quoi qu'il en soit, il est toujours resté de larges espaces incultes ; notamment ceux occupés par trois forêts hygrophiles où dominaient ormes, frênes et peupliers blancs, avec en sous bois saules et clématites. Le plus connu de ces espaces, car proche d'une route, était le bois de Farghen, le plus étendu celui de Chaïba inférieur. La nature argileuse des alluvions explique, comme pour les rives de l'Harrach près de Baba Ali, la présence d'une briqueterie qui était protégée des débordements du fleuve par de hauts remblais. Le
bourg centre Après 1830 ou 1838 les Turcs ont été " rapatriés " à Istanbul ou ailleurs dans l'Empire Ottoman. Mais les autres citadins de Koléa, Koulouglis, Maures et juifs, sont restés. Les Koulouglis, métis de Turcs et de femmes indigènes, n'auraient pas été admis à Istanbul ; les Maures étaient la majorité car ce sont leurs ancêtres fuyant l'Espagne qui avaient peuplé la ville recréée par les Turcs en 1550 ; les juifs formaient une minorité attirée là, comme à Alger, Médéa ou Constantine, par la protection espérée du pouvoir turc en place. Beaucoup ont dû partir à Alger après1830 mais il en est resté assez pour qu'une synagogue soit fréquentée jusque vers 1918. Bâtiments et institutions religieuses abondent dans
cette ville ; surtout pour les musulmans. Il n'y avait qu'une église,
d'une architecture des plus banales, qu'un temple protestant, et qu'une
synagogue abandonnée après la guerre. Mais il y avait une
mosquée du XVIII è, 4 koubbas et une medersa. La mosquée,
avec son minaret octogonal avait dû avoir un architecte turc, car
au Maghreb les minarets sont à base carrée. C'est au Machrek
qu'ils sont le plus souvent octogonaux. La medersa était une école
coranique héritière modeste de la zaouïa de Sidi Embarek.
Parmi les 4 koubbas, celle de Sidi Embarek constituait un but de pèlerinage,
moins glorieux, mais plus accessible que celui de La Mecque ; le fidèle
pouvait aussi se recueillir près du tombeau de notre adversaire
Ben Allal tué en Oranie en 1843, mais enterré près
de cette koubba.
Koléa est situé juste au bord du plateau dominant, en 1830, les marécages de la Mitidja. Guyot avait noté la salubrité du site appelé à un bel avenir, pensait-il. Il y avait fait nommer tout de suite un commissaire civil que la République supprima en 1848. Mais elle fit de Koléa un chef-lieu de canton qui accueillit, plus encore que Douéra autre chef lieu de canton, tout une série de services et d'institutions absents des villages. Il n'est pas inutile d'essayer d'en dresser la liste.
Il n'y avait pas à Koléa de monument remarquable digne d'attirer les touristes, mais on peut noter la statue de La Moricière, le monument aux morts d'une taille inhabituelle, et le jardin des zouaves interdit au public après 1918 et où se trouvait le cercle militaire réservé aux officiers.
Koléa, à partir de 1951
a possédé une école unique en Afrique du Nord, l'EMP,
encore appelée Ecole des enfants de troupe.
Ce nom perpétua jusqu'en 1962 le souvenir d'un militaire qui fit deux séjours en Algérie : 1841-1848 et 1850-1854. Arrivé capitaine, il repartit colonel. Mais si son nom a été donné à cette caserne, et pas à une autre, c'est qu'il fut le colonel d'un régiment de zouaves. En 1854 on l'envoya combattre les Russes en Crimée. Il y gagna ses étoiles de général. Avant d'être affectée à l'EMP la caserne avait hébergé es zouaves jusqu'en 1914, des tirailleurs sénégalais jusqu'en 1937, puis des tirailleurs algériens jusqu'en 1951 avec une parenthèse en 1940-1941, quand il fallut réunir, avant leur rapatriement imposé par l'armistice de 1940, les Allemands et les Autrichiens engagés dans la Légion Etrangère L'EMP avait été créée en 1942
à Hammam-Righa (voir
ce lieu) dans un ancien hôtel thermal qui avait été
réquisitionné.. C'était assez isolé dans le
Zaccar. Les
hameaux Seul Saint Maurice (d'abord appelé Zoudj el Abess)
présente un plan rectangulaire avec une route de ceinture qui semble
avoir pris la place d'une enceinte de protection des origines. Ces hameaux ne possédaient sûrement pas tous les commerces nécessaires à la vie quotidienne : boulangeries, boucherie, épicerie ou poissonnerie. Il est sûr que des commerçants ambulants de Koléa ou de Castiglione desservaient, dans les années 1930, ces hameaux et les fermes proches de la route. Ensuite chaque fermier fut motorisé ; et Koléa n'était pas loin : 4 à 5km au maximum. Sur le plateau les fermes et les lieux habités
sont très nombreux, sur la carte, autour de Koléa ; et un
peu moins ailleurs. Mais il y en a partout. A partir de 1955 ou 1956 ces hameaux reçurent des
détachements de soldats ; à Chaïba ce fut la 1ère
compagnie du groupe de transport 535. La compagnie de commandement était
à Koléa. En 1900, le 4 décembre, Koléa inaugura sa gare de chemin de fer. Il est probable que le service des diligences a continué à fonctionner vers Blida jusqu'à l'apparition des autobus, mais il a dû vite disparaître vers Alger. La décision de construire cette ligne avait été
prise en janvier 1892 ; et la concession
fut attribuée à un Monsieur Cazes, prête-nom du baron
Empain, puis, en 1894, à la
société anonyme des CFRA qui exploitait déjà
des tramways à Alger. Les CFRA construisirent une ligne à
voie unique étroite de 1, 055 m. Il y avait évidemment,
sur les 54 km que comptait cette ligne, des endroits à voie double
équipés pour les croisements. En 1892, et jusqu'en 1914, on avait imaginé que la gare de Koléa (orthographié alors Coléa)deviendrait une gare de bifurcation, au centre d'une étoile à trois branches, vers Alger, vers Marengo par Attatba, et vers Blida par Oued el-Alleug. Ces lignes ont été déclarées d'utilité publique le 7 mai 1914 et concédées aussitôt aux CFRA. Mais dès le 28 octobre 1914 la direction des CFRA fit savoir qu'à cause de la guerre, elle devait surseoir à leur construction. Et après 1918 il n'en fut plus question. L'essor simultané du trafic automobile et du déficit d'exploitation de la ligne entraîna sa fermeture en 1935, ainsi que la fermeture de l'antenne de Castiglione ouverte au trafic en 1903. Les rails furent déposés, à une date que j'ignore, pour être récupérés et réutilisés ailleurs après l' armistice de 1940 et surtout après la rupture des relations avec la métropole à la suite du débarquement américain du 8 novembre 1942. Ces rails ont alors permis à la voie ferrée d'Ouled Rahmoun (Constantine) à Tébessa et vers la Tunisie, de supporter la surcharge de transport de munitions, de ravitaillement et de troupes vers le front tunisien après l'occupation de la Tunisie par les nazis en mai 1943.
Après 1935 le relais fut pris par les autobus de la Société des Routes Nord-Africaines qui montaient à Koléa par Douaouda. Dans la plaine la société des Messageries littorales et transports Mory exploitait une ligne d'autobus vers Marengo qui empruntait la route longeant les collines du Sahel et traversait Baba Ali, Birtouta, Attaba et Montebello. Il est sûr qu'un arrêt était prévu en face de Berbessa et un autre en face de Tekteka.
I° Sa création et son évolution En 1830 les rêveurs qui songeaient à cultiver
des terres autour d'Alger, dans la ferme modèle de Birkhadem par
exemple, espéraient y faire pousser canne à sucre, coton,
indigo et toutes sortes de plantes dites coloniales. Aucune de ces cultures
ne pouvait réussir malgré l'éphémère
succès du coton vers 1855. Cette plante fut enfin trouvée vers 1880 grâce au phylloxera et à quelques progrès techniques : c'est la vigne à vin. 1830-1880
: cinquante ans de croissance très lente Les colons ont sûrement tenté dès le début de planter des cépages destinés à la production de vins. Le résultat ne fut pas désastreux ; seulement très décevant car la qualité médiocre ou mauvaise du vin obtenu excluait à la fois sa conservation, son transport lointain et donc, sa commercialisation. Les colons pouvaient le boire, mais pas le vendre ; d'ailleurs la France n'en aurait pas eu besoin. Les surfaces plantées en vigne s'accrurent tout de même au fur et à mesure de l'implantation de villages de colonisation dans des zones au climat favorable, soit aux raisins de table (le chasselas précoce serait apparu à Guyotville en 1867 et vendu à Alger tout proche dès juillet), soit aux raisins à vins à usage familial. Je n'ai trouvé aucune statistique antérieure à 1872 : il couvrait alors environ 10 000 hectares. En 1880, date choisie par les historiens comme point de départ du boom vitivinicole, cette surface avait doublé en 8 ans avec 23 000ha. Ce n'était qu'un début.
Le premier coup de pouce
du destin survint en 1864 quand un
minuscule puceron américain immigré dans le Bordelais, se
mit à grignoter avec appétit, les racines françaises.
Ce phylloxera se plut tellement en France qu'il goûta à tous
les cépages locaux : il fit chuter dramatiquement la production
de la boisson nationale de 84 millions d'hectolitres en 1875 Le second coup de pouce
fut technique. Le vin d'Algérie était médiocre à
cause des températures excessives subies par les moûts au
début de leur fermentation. Il aurait fallu ne pas dépasser
37°. Il se trouva, à la suite des travaux de Pasteur sur les
fermentations, des esprits curieux qui testèrent alors des procédés
de réfrigération Le troisième coup de pouce
fut législatif Les vins d'Algérie prirent le chemin des ports de Rouen (pour les vins destinés à la consommation ) ou de Sète pour les vins de coupage destinés à améliorer le degré et la couleur des vins rouges du Bas-Languedoc. Le " vin de secours " des années de pénurie devint vite un vin concurrent pour les vins de consommation courante. Une première crise de mévente survint dès 1893 qui provoqua, en Algérie, quelques faillites de colons qui s'étaient sur endettés. La banque d'Algérie était un peu fautive car elle avait consenti des prêts fonciers qui n'entraient pas du tout dans les attributions d'une banque d'émission. La banque, qui en 1893 ne put recouvrer ses créances, se retrouva à la tête d'un grand nombre d'exploitations, qu'elle eut du mal à revendre. La liquidation n'en fut terminée qu'en 1900. Quelques chiffres mesurent la croissance du vignoble :
1880 23 000 ha
1905-1924
: vingt ans de difficultés et de conflits avec le midi languedocien Une autre très mauvaise année fut 1920 avec
une baisse de 50% des tonnages exportés. 1925-1938
: un doublement paradoxal Je sais d'autant moins expliquer ce doublement que des
mesures restrictives avaient été décidées
dès 1934 : distillations imposées et taxes " de rendement
" au-dessus de 50 (gros colon) ou de 80hl/ha (petit colon). Pour
qu'un vin soit vendable on avait fixé un degré minimum.
Ces fortes oscillations sont dues au climat jusqu'en 1939. La diminution ensuite est due à la guerre. Après 1945 la production a oscillé entre 12 et 15 millions d'hl. Elle a alimenté des exportations vers la métropole comme toujours, et vers l'Indochine comme jamais. Après l'indépendance la production a d'abord peu varié, puis a presque disparu avec un creux en 2002 à moins de 300 000hl. Depuis cette date il y aurait une légère reprise. Ce graphique souligne aussi le rôle marginal des vignobles du Maroc et de la Tunisie. 1939-1962 : d'une guerre à l'autre
Après
1962 : la vigne est un héritage encombrant Ces deux raisons disparaissent brutalement en 1962 : il n'y a pas de pénurie en France et les vins italiens vont prendre, dans l'Europe des 6, le relais des vins algériens. S'ajoute une troisième bonne raison d'alléger le poids de cette culture : l'absence de consommateurs locaux. Les Européens sont presque tous partis et les musulmans ne peuvent pas boire de vin. Les gouvernements Ben Bella (jusqu'en juin 1965) et Boumediene, pour lesquels le sort de la vigne n'était pas une priorité, eurent à arbitrer ou à louvoyer entre les 4 options suivantes.
Toutes ces difficultés non surmontées firent que le vignoble fut arrachée au fur et à mesure qu'il vieillissait ou qu'il ne trouvait plus de clients nulle part. Les vignobles de vins de coupage disparurent complètement ; les vignobles de qualité déclinèrent sans disparaître. En 2002 il n'en subsistait pas même 20 000 ha pour 300 000 hl. Et sans doute beaucoup moins car sinon les rendements auraient été vraiment minimes. L'arrachage des vignes a multiplié les sans emplois
et diminué les revenus partout où aucune culture de main
d'uvre, comme le maraîchage, ne fut possible. II° Quelle place et quels rôles
pour le vignoble du Sahel d'Alger ? Le vignoble est essentiel pour les colons du Sahel à partir des années 1880, même si la vigne n'a jamais été une monoculture, et même si elle a dû largement partager le terrain avec le maraîchage dans les plaines littorales, après 1945 surtout. C'est vrai pour le Sahel en général, et pour chacune de ses communes, sauf celles de Bouzaréa et d'El Biar rattrapées par la croissance du Grand Alger. C'est la culture qui a fourni le plus de revenus, offert
le plus d'emplois et payé le plus d'impôts. La comparaison
avec la culture du blé, avant 1939, est éclairante : La vigne a permis au Sahel de garder jusqu'au bout une population européenne rurale importante. Aucun de ses villages de colonisation n'a été menacé de dépérissement. Le Sahel d'Alger est l'une des rares régions où aucun village n'a été déclaré vers 1930 " en voie de dépérissement ". En 1954 on pouvait croire légitimement au succès de cette colonisation de peuplement ; rares étaient alors les zones de colonisation rurale dans ce cas. La proximité d'Alger est sûrement, avec la vigne, l'une des clés de cette réussite. Le Sahel n'est pas essentiel pour les revenus et les exportations de l'Algérie. Je ne possède pas de statistiques précises, seulement des estimations fiables. Le vignoble du département d'Alger couvrait 85 000 ha (chiffre précis). La part du Sahel devait être de l'ordre de 30% ; soit quelque 25 000 ha au maximum. Il est bon de savoir que c'est en Oranie que se trouvaient les vignobles les plus étendus. Le vignoble du Sahel est un vignoble de coteaux donnant des vins rouges de coupage parmi les plus appréciés. Les principaux cépages étaient le Cinsault et le Carignan, avec, pour la couleur, l'Alicante-Bouchet. Dans le département d'Alger c'était le principal vignoble de coteaux. Son extension est schématisée de façon très approximative par la carte placée plus haut, où la limite du Sahel avec la Mitidja n'est malheureusement pas indiquée et sur laquelle le blanc de la trouée du Mazafran, est démesurée, car il y avait un vignoble de plaine. Si l'on retient l'extension de 25 000 ha,
alors le Sahel représente : |