Alger - l'Algérie
         BREVES MONOGRAPHIES COMMUNALES
Les trois villages du sahel de Koléa

 o        FOUKA

Texte, illustrations : Georges Bouchet

mise sur site le 2-6-2008

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o        FOUKA

Historiquement le village de Fouka est un village Bugeaud créé par et pour des militaires libérés de leurs 7 ans de service militaire. Mais Guyot fut néanmoins étroitement associé à cette fondation, ainsi qu'il l'explique lui-même fort bien.

Le génie militaire s'est chargé de la construction de ce village. Monsieur le Gouverneur Général tente un essai de colonisation militaire et de travail en commun. Je n'ai eu à m'en occuper que pour les distributions de terres aux colons et le paiement par les fonds coloniaux des dépenses de tout genre.

Il sera indispensable d'avoir sur le rivage un second village où s'établiront les commerçants et leurs entreprises L'emplacement de ce village est déterminé par l'existence d'une crique où les débarquements sont possibles plus de la moitié de l'année

Le nouveau village est placé sur les ruines d'une ancienne station romaine et autour d'une fontaine qui évidemment date de ce temps. La position sera saine. Le terrain est d'une fertilité médiocre mais meilleure toutefois que sur le bord de mer où selon moi il eut été plus avantageux de placer le village.

Ce texte fait clairement allusion à deux villages : celui du futur Fouka créé en 1842 et celui du futur Fouka-Marine que Bugeaud et Guyot tentèrent de créer en 1846. Il laisse entrevoir les différences d'appréciations entre le Gouverneur Général et son Directeur de l'Intérieur, de la Colonisation et des Travaux Publics. Comme le village de l'intérieur a connu un certain succès, et que l'autre a échoué tout de suite, c'est Fouka qui a laissé le plus de traces dans les ouvrages. De plus Fouka a précédé Fouka-Marine.

                 • FOUKA ( ou Aïn Fouka)
Le nom le plus logique serait le dernier qui signifie la source d'en haut ou du dessus. Mais le souci du moindre effort a légitimé le choix de Fouka seul en oubliant Aïn.

Ce village est un bon exemple de succès pour le village et d'échec pour son concepteur, Bugeaud, qui n'a pas réussi à imposer sa préférence pour une colonisation de peuplement par des militaires. Fouka fut le premier essai de colonisation par des soldats tout juste libérés de leurs 7 ans d'obligations
militaires instituées par la loi Soult du 21 mars 1832.

Résumé de la loi Soult de 1832
Le service est de 7 ans (au lieu de 8 de 1824 à 1832, ou de 6 avant.)
Les appelés sont désignés par tirage au sort d'un numéro dans le cadre du canton. Ensuite les numéros permettent de distinguer 3 groupes.
         Les conscrits incorporés pour 7 ans
         Les appelés versés dans la réserve mobilisable si besoin est
         Les exemptés
Les conscrits peuvent se faire remplacer, c'est-à-dire en fait " acheter " un remplaçant choisi parmi les appelés ou les exemptés déclarés bons pour le service.

N.B Le remplacement fut supprimé en 1855
La durée du service fut de 9 ans en 1868 et de 5 ans en 1872

En 1841 Bugeaud vint en personne haranguer tous les libérables du contingent de 1834 réunis à Alger, pour les exhorter à participer à l'œuvre de peuplement et de mise en valeur de cette nouvelle province française, la Régence d'Alger ayant été officiellement annexée le 22 juillet 1834.

Il y eut 63 volontaires ; Bugeaud en garda 60, dont deux paysans.

Il entretenait une correspondance à ce sujet avec le Maréchal Soult, Président du Conseil. Il lui demanda l'autorisation d'accorder aux 60 volontaires, pour commencer, une solde de 1 franc par jour, doublée les jours de garde dans un des blockhaus de protection de l'enceinte.

En août 1842 il obtint de Soult la permission d'accorder un congé de trois mois aux 20 soldats les plus méritants afin qu'ils aillent à Toulon se choisir une épouse. Les 20 soldats furent désignés pas le commandant de la place de Koléa ; les demoiselles furent sélectionnées par le maire de Toulon qui semble avoir été un ami de Bugeaud. Le lendemain de leur arrivée à Toulon, les soldats furent mis en présence des jeunes filles à la mairie de Toulon. Ces dernières avaient été choisies parmi des domestiques de la bourgeoisie et des employées de commerce ; la plupart étaient orphelines. Les futurs mariés eurent donc trois mois pour s'entendre : ce qu'ils réussirent à faire " après maintes péripéties, échanges de fiancées entre camarades, ruptures et raccommodements ". Les couples ainsi formés furent mariés tous ensemble " en grande pompe avec tambour, clairon, discours et sermons. Précédés d'une fanfare, ils défilèrent sous une pluie de fleurs, partant joyeux et fiers pour l'Afrique ". Ces " mariages au tambour " ne furent pas moins solides que les autres, d'autant que le divorce civil était interdit depuis 1816 (et jusqu'à la loi Naquet de 1884).

Les nouveaux couples avaient reçu deux allocations de 250 francs, l'une pour améliorer la maison de Fouka (cloisons et sols), l'autre pour l'équiper (meubles et vaisselle). Cette faveur accordée aux couples soulignait l'inachèvement des maisons livrées aux célibataires.Les fiancées avaient de plus, reçu de la mairie de Toulon, une dot de 700 francs.

Sur 20 Toulonnaises, 15 s'enracinèrent à Fouka ; c'est beaucoup : et beaucoup mieux que le pourcentage observé chez les célibataires. Les raisons avancées pour expliquer les défections des célibataires (1 ou 2 sur 3 ?) sont les conditions imposées par Bugeaud : organisation commune des défrichements et du travail de la terre sous la surveillance d'un officier (ici le Capitaine Blanchet), puis partage des revenus. C'était une organisation militariste et quasi communiste, un " Kholkoze " avant la lettre. Certains colons partirent dès 1843 ; les autres demandèrent à être désassociés afin de travailler chacun pour soi.

Le Capitaine Blanchet approuva l'idée du curé d'Aïn Fouka d'écrire à deux de ses collègues de l'Isère pour leur demander de trouver des remplaçants mariés. Ils en trouvèrent 10. Soult ayant accordé le financement pour l'acheminement de 13 couples, Bugeaud trouva dans le Var trois autres couples ; ce sont donc treize couples qui arrivèrent en 1844 avec femme et enfants. Fouka avait perdu des célibataires et gagné des ménages.

Les débuts de Fouka durent être moins difficiles qu'ailleurs, et surtout que dans les zones paludéennes. Un argument en faveur de cette hypothèse est fourni par la liste des colons ayant obtenu une aide. Les noms figurent dans un document signé le 31 décembre 1847 par le Lieutenant Général commandant la division : on y trouve les noms, le village, l'aide souhaitée et l'aide obtenue. Pour 30 noms de colons de Mahelma, autre colonie militaire, il y en a un seul (celui d'un dénommé Despan) de Fouka. Il avait demandé une paire de bœufs et obtenu 250 francs.

Les cultures des premiers temps furent comme partout ailleurs les céréales et les fourrages ; et quelques légumineuses robustes tels les fèves ou les pois.

La vigne connut à la fin du siècle un succès tel qu'elle occupait vers 1930 900 ha : ce qui est considérable pour cette petite commune. Presque toutes les terres cultivables étaient couvertes de vigne, avec la possibilité de cultures intercalaires. Une cave coopérative avait été inaugurée en 1927.

Il est très probable qu'après la guerre, la vigne céda quelques hectares au profit des cultures maraîchères, mais moins qu'à Douaouda ou qu'à Staouéli, car les possibilités d'irrigation étaient bien moindres. Il fallait se contenter de cultures en terre sèche, moins rémunératrices.

En 1848 arrivèrent dans les deux communes voisines de Tefeschoun et de Castiglione, par le " 4è convoi ", des ouvriers parisiens éloignés de France après les émeutes de juin 1848. Ces 2 villages font partie des 42 " colonies agricoles " dites de 1848. La plupart de ces colons avaient des opinions républicaines et anticléricales. Même si beaucoup repartirent dès qu'ils le purent, les autres auraient influencé leurs voisins de Fouka dans un sens contestataire qui fit de cette circonscription électorale un bastion hostile à Napoléon III et au Second Empire.

Fouka, comme Douaouda, a été rattaché à la commune de Koléa devenue CPE en 1851. Elle l'est encore en 1886, si l'on en croit la Géographie de l'Algérie d'Achille Fillias. J'ignore la date de son émancipation : si un lecteur connaît cette date, qu'il en informe Bernard Venis. Merci d'avance.

                 • FOUKA-MARINE (ou N.D de Fouka)
L'histoire de N.D de Fouka est l'histoire de l'échec ultra rapide d'un village de pêcheurs créé en 1846. Notre-Dame de Fouka est l'un des trois villages de la côte du Sahel (les deux autres étant Guyotville et Sidi-Ferruch) où l'on attira des pêcheurs français afin d'exploiter une mer que l'on croyait très poissonneuse.

A Notre-Dame de Fouka on fit venir des pêcheurs bretons. Ils auraient été moins dépaysés au Sénégal qu'en Méditerranée ! L'échec fut immédiat. Ils eurent tout de suite le mal du pays sur le rivage de cette mer dont ils ignoraient les conditions de navigation, les techniques de pêche et les ressources. La Méditerranée leur était trop étrangère ; et si l'on avait fait exprès de choisir un nom qui semblait les mettre sous la protection de la Sainte Vierge, ce fut peine perdue. Le nom de Notre-Dame s'effaça après leur départ.

A vrai dire le rivage était fréquenté, à la belle saison, par des pêcheurs venus d'Italie, de Sicile ou de Malte avec leurs provisions et leur stock de sel pour la conservation des poissons pêchés. Cette " population flottante prenait tout sans rien donner en échange "écrit A. Bernard. Cependant assez vite certains équipages ne retournèrent pas au pays, se fixèrent et firent venir femme et enfants. Ainsi fut créé spontanément un Fouka-Marine, par des familles sûrement italiennes et peut-être siciliennes comme dans le petit port voisin de Chiffalo. Fouka-Marine est néanmoins un " port de pêche " sans port, avec juste une plage, mal abritée des vents du nord, où on pouvait haler les barques non pontées sur le sable. Les bancs de poissons saisonniers étaient proches de la côte : il s'agissait de poissons dits bleus, notamment de sardines et d'anchois. Il y avait dans les années 1930 une usine de conserve de poissons : sardines ou anchois ? je ne saurais dire.

Beaucoup plus tard une très modeste station balnéaire familiale vint aligner ses cabanons, puis ses villas, à côté de la plage des pêcheurs. Elle était, paraît-il la plage des Européens de la région de Blida. Ce ne fut possible que lorsque le parc automobile fut assez développé, donc pas avant 1930, et plutôt après 1945 ou 1950.

Quelques dates

1841 - Bugeaud cherche des soldats libérés volontaires
1842 - Fondation de Fouka, village militaire
  Mariage à Toulon, de 20 colons de Fouka
1843 - Premières défections de militaires ; précédant l'arrivée de colons civils en 1844
1846 - Fondation de Notre-Dame de Fouka
1848 - Fondation, de 2 " colonies agricoles " voisines : Tefeschoun et Castiglione
1903 - Arrivée à Fouka-Marine des trains des CFRA (ligne de Castiglione)
1927 - Construction d'une cave coopérative
1935 - Arrêt du trafic ferroviaire

Le territoire communal

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Territoire communal de Fouka
Territoire communal de Fouka

Cette commune est l'une des plus petites du Sahel : 3 km du nord au sud pour 4km d'est en ouest, soit environ 1200 ha. Son territoire est sûrement le plus homogène : pas de collines, pas de ravins encaissés, pas de versants abrupts, pas de grande vallée, pas de forêt. Juste deux plateaux séparés par un talus intermédiare en partie couvert de broussailes. Le plateau supérieur est à 120-130m d'altitude, l'autre qui est en bordure de mer ne dépasse pas les 40m.

Les espaces plats dominent très largement. Ils sont presque entièrement cultivés par des colons exploitant de modestes propriétés, en faire valoir direct, ou en location plus rarement car il n'y a pas de grands domaines. La platitude du relief est confirmée par les routes rectilignes, à l'exception de celles qui dévalent le talus entre Fouka et Fouka-Marine. Elle a permis aux chemins qui desservent les parcelles cultivées de former un réseau de damiers.

Le plateau du bas surplombe la Méditerranée par une falaise morte d'une dizaine de mètres de haut au grand maximum. La côte est rocheuse, escarpée, mais presque rectiligne. Les criques y sont peu enfoncées dans les terres et n'offrent qu'un abri incertain à la mauvaise saison.

Sur la carte des années 1930 les mechtas sont rares : leurs points noirs ne se voient qu'au nord du village, vers le talus. Pourtant les musulmans étaient déjà largement majoritaires en 1930. Et en 1954 seules les communes de Mahelma et de Draria avaient, dans le Sahel, un pourcentage de non musulmans plus faible : à savoir 8% à Mahelma, 11% à Draria et 14% à Fouka, soit un européen pour 7 musulmans. Un regard, même attentif sur la carte, ne permet pas de visualiser cette disproportion, même si l'on remarque les deux marabouts.

Le village centre

Son plan avait, en 1930 encore, parfaitement conservé son allure de castrum hérité de son origine militaire, avec cardo et decumanus, mais sans place centrale et avec une église pseudo-romane en périphérie. L'emplacement du château d'eau est étonnant.

Le village est à 116 m d'altitude, assez près de la bordure du talus, à un kilomètre de la mer.

Le village est à 116 m d'altitude, assez près de la bordure du talus, à un kilomètre de la mer.


Cette photo date des années 1950. Les trottoirs plantés d'arbres et les maisons bien alignées sont conformes aux souhaits et aux instructions du Comte Guyot, même si ce village fut militaire à l'origine.

La taille des parcelles cultivées jusqu'aux limites du village en haut de la photo, fait songer à des cultures maraîchères, plutôt qu'à des vignes. Il n'y a pas de place perdue.

Fouka-Marine

Il semble y avoir deux hameaux sur la côte.

A l'est les maisons sont disposées le long d'une route en impasse, ou carrément sur la plage.

A l'ouest elles sont alignées le long d'une route parallèle à la côte. Cette route n'est pas une impasse :on peut entrer d'un côté et sortir de l'autre. Elle dessert l'usine, et vraisemblablement un quartier de pêcheurs.

 
Deux aspects des plages de Fouka-Marine extraits du livre de photos d'E. Fechner.

Si la photo de droite est celle d'une plage familiale de la fin des années 1950 à n'en pas douter, il me
paraît difficile de qualifier de port de pêche la plage de gauche C'est pourtant bien là qu'étaient mises
à l'abri les barques des pêcheurs de sardines.

Les maisons ont été bâties au pied de la falaise, et si près de la mer que c'en est étonnant : on semble ne pas avoir craint les tempêtes, à juste titre sûrement.

La desserte de la commune fut assurée de 1903 à 1935 par les trains des CFRA. Une station, sur la ligne de Castiglione existait à Fouka-Marine ; étant donné la proximité du village centre, un kilomètre à peine, il y avait sans doute une correspondance assurée en diligence avant l'essor du trafic par autobus. La route littorale était parcourue par les cars de trois sociétés : celle des Transports R. et A. Roques, celle des Messageries du Littoral et Transports Mory, et enfin celle des Routes Nord-Africaines. Seuls les cars de cette dernière société montaient sur le plateau pour desservir le village.

Suppléments sur les aides apportées par les militaires à la colonisation

Sans les militaires il n'y aurait eu aucune colonisation rurale avec peuplement européen. On sait, certes, qu'au début la création de villages de colons dans le Sahel a été en partie spontanée et en partie accidentelle. Je pense aux 415 Allemands bloqués dans le port du Havre et échoués finalement en Algérie, que l'on installa tant bien que mal à Kouba et à Dély Ibrahim dans des tentes montées en hâte par l'armée près de ses camps. Le décret de création officielle du village ne fut d'ailleurs signé qu'en septembre 1832 alors que les familles étaient là depuis février.

Dans le Sahel, il n'y eut aucune création de village sans sécurisation du nouveau centre par une enceinte de protection et des tours de guet. Nos villages ont été créés au milieu d'une population indigène hostile, et souvent dépossédée de ses terres pour les avoir " libérées " en " émigrant " à l'automne 1839, vers les zones tenues par les partisans d'Abd el-Kader. Cela nous permit de saisir ces terres libérées et donc vacantes.

Quand, un siècle plus tard, l'armée ne fut plus capable d'assurer la sécurité des fermiers, même au prix d'immenses dépenses de maintien de l'ordre, le Gouvernement français, sous de Gaulle, mit fin à cette colonisation de peuplement engagée au milieu d'une population hostile. Les colons bouclèrent même leurs valises avant que les soldats aient terminé leurs paquetages, laissant à leur tour leurs biens vacants. Tant il est vrai qu'après 1839 et après 1962 il a existé en Algérie trois catégories morales : le Bien, le Mal, et le Bien Vacant qui transcendait les deux autres en rendant possibles des appropriations hors norme.

Bref, les militaires furent à la base de tout, indispensables d'un bout à l'autre de la période et d'un bout à l'autre du territoire, même si on a eu parfois tendance ici ou là, à l'oublier. Leur rôle ne se borna pas, surtout au début, à assurer la sécurité : il fut multiple. Je me propose d'en survoler quelques aspects en privilégiant les exemples observés dans le Sahel, sans m'interdire quelques coups d'œil hors de cette région qui fut la première à connaître une colonisation officielle systématique.


                 • Les rôles des militaires avant Bugeaud 1830-1841
Il sera question de colonisation seulement : la conquête n'est pas mon sujet.

Dès l'été 1830 l'armée créa autour d'Alger des camps militaires de protection dans la banlieue d'abord, donc dans le Sahel : Dély Ibrahim, Birkhadem, Kouba et, au pied du Sahel, Maison Carrée. Ils avaient aussi à jouer un rôle de surveillance qui leur a valu, de façon non officielle, l'appellation de camps " sentinelle ".

D'autres camps du même genre suivirent pour protéger les routes en cours d'aménagement : dans le Sahel,

Douéra en 1834 et Koléa en 1838 ; et entre temps, en bas de Douéra, Boufark en 1836.

Tous ces camps eurent à subir ou à repousser le choc du Djihad proclamé le 14 novembre 1839 par Abd el-Kader.

                           o L'aide au peuplement européen
Cette aide fut d'abord involontaire ou imposée par des circonstances quasi accidentelles. Je pense aux courageux civils qui vinrent dès 1831 s'agglutiner auprès de ces camps pour fournir leurs services aux soldats (auberges, débit de boissons, réjouissances diverses) et à l'institution (aide aux charrois notamment). Je pense aussi aux 415 Allemands déjà cités bloqués dans le port du Havre sans le sou et qui ont accepté la proposition d'aller cultiver l'Algérie. L'idée était de Clauzel, mais c'est Berthezène qui eut à l'appliquer, bien qu'il la désapprouvât.
Même si ces premières expériences étaient spontanées ou un peu improvisées, elles n'auraient pas pu se faire sans l'armée. Il en va de même pour les villages de banlieue, El Biar, Birmandreis et Birkhadem protégés par les soldats en garnison à Alger ou logés autour de Birkhadem.

                           o La construction des infrastructures
Les premières routes et les premiers ponts furent construits dans le Sahel. On commença par les routes de Dély Ibrahim à Douéra avec prolongement vers la Mitidja et Blida par Boufarik, de Staouéli et de Birkhadem : c'est-à-dire par les futures nationales 36, 1 et 11. A Maison-Carrée il y avait un pont ; on se contenta de le consolider, sur le Mazafran on dut en construire un neuf.

Jusqu'à l'arrivée de Bugeaud, et un peu au-delà, la grande route était celle de Douéra.

A cette oeuvre est attaché le nom du Gouverneur Général Voirol. Le carrefour qui sert de zéro aux kilomètres de la RN 1 est celui dit de la Colonne Voirol, au seuil du Sahel.

Le service de santé de l'armée, médecins, chirurgiens et pharmaciens fut au service des militaires et des civils. C'est lui qui assurait par exemple l'importation de la quinine distribuée ensuite par les commerces civils, cabarets ou auberges notamment. C'est lui qui construisit les premiers hôpitaux, à Alger et Douéra.

Pour mener à bien ces travaux tout en lançant quelques opérations militaires d'envergure, mais sans suite, dans le Titteri notamment, les effectifs dont disposèrent les premiers Gouverneurs Généraux furent de l'ordre de 30 000 hommes.

Ils n'augmentèrent vraiment qu'à l'occasion de la deuxième opération vers Constantine, en 1837, puis en 1839 lorsque le danger d'avoir à combattre Abd el-Kader se précisa. Ils doublèrent.

Lorsque les Hadjoutes attaquèrent fermiers et postes isolés de la Mitidja, les camps du Sahel ne furent pas attaqués directement et ils purent venir en aide à ceux de la plaine et recueillir les réfugiés.

La défaite des Hadjoutes le 31 décembre 1839 n'établit pas aussitôt une totale sécurité. En 1840 près de Koléa un détachement de reconnaissance sans doute trop léger, est attaqué : il y eut 60 soldats tués.

                 •Les rôles des militaires sous Bugeaud : 1841-1847
Bugeaud est nommé Gouverneur Général par Soult, en remplacement de Valée, le 29 décembre 1840. Soult et son ministre Guizot lui laissent les mains libres pour remplir une double mission : battre Abd el-Kader et engager une colonisation de peuplement. Seule la seconde mission concernera ce qui suit.

Il débarque à Alger le 22 février 1841. Entre sa nomination et son arrivée, l'intérim de Valée avait été tenu par le plus vieux Général présent en Algérie, le général Schramm.
Il y trouve un Directeur de l'Intérieur et de la Colonisation en place depuis 1838 et tout à fait favorable à une colonisation de peuplement : c'est le Comte Eugène Guyot. Les relations entre les deux hommes ne furent pas toujours amènes, mais un but commun les fit travailler de concert : la création de villages européens dans tout le Sahel. Guyot était partisan de ne faire appel qu'à des colons civils ; Bugeaud avait une préférence de principe pour des colons militaires. Pourtant Bugeaud signa, sans réticence l'arrêté du 18 avril 1841 qui permit à Guyot de distribuer ses concessions gratuitement. Dans un cas comme dans l'autre la participation de l'armée s'avéra fondamentale.

Il trouve aussi une armée d'Afrique très renforcée avec des effectifs portés à 78 000 hommes.

Et une situation guère reluisante : je laisse à un futur journaliste célèbre plus tard, Louis Veuillot, alors secrétaire de Bugeaud, le soin d'exposer l'état des lieux. Il le fait très bien.

texte de Veuillot

L. Veuillot est sans doute pessimiste. Bugeaud, pour mener à bien ses missions de conquête et de colonisation demanda des renforts. Il les obtint ; c'est en 1846 que (du moins au XIXè siècle) il y eut le plus de soldats français, troupes indigènes comprises : soit 107 000 dont 4 ou 5 000 indigènes.

                           o Les villages civils du Sahel
Ils sont les plus nombreux et forment un réseau assez dense pour avoir complètement transformé le paysage originel, avec ses villages éloignés de 3, 4 ou 5 kilomètres l'un de l'autre, avec ses clochers et ses champs cultivés.

Même s'ils ont été peuplés par des civils, par des familles presque toujours, et non par des célibataires, les aides de l'armée furent nombreuses et indispensables.

Partout le Génie a construit les routes d'accès, traçant dans tout le Sahel un réseau routier à mailles serrées appuyées sur les trois routes de ceinture prévues par le plan Guyot de 1842.

Partout le Génie a procédé aux travaux de terrassement indispensables sur certains sites, ainsi qu'à l'aménagement du damier des rues bordées de trottoirs. Ce damier est inscrit dans un carré ou un rectangle, celui du périmètre de protection, chaque fois que le relief ne s'y oppose pas.
Partout l'armée a établi l'enceinte de protection, généralement un talus de terre et un fossé avec tours de garde. Et partout ses officiers ont encadré les exercices et les astreintes des colons obligés
d'appartenir à une milice. C'était, pour ceux qui l'ont connue, la " territoriale des années 1955-1959 avant l'heure ".

Partout l'armée a aidé au transport des fournitures et des matériaux (poutres, planches, sable, pierres etc.) nécessaires à la construction des maisons, laquelle restait l'affaire des colons sauf exceptions.

Le plus souvent l'armée bâtit les équipements collectifs nécessaires pour acheminer et fournir l'eau indispensable à la vie quotidienne des gens et du bétail : conduites, abreuvoir et bassin. Elle détacha quelques escouades de soldats pour, aux tout débuts, donner un coup de main aux défricheurs de broussailles à palmiers nains. Exceptionnellement le Génie construisit des maisons qui, alors durent être achetées par leurs bénéficiaires.

                           o Les villages militaires du Sahel et d'ailleurs
C'était une marotte à laquelle Bugeaud tenait beaucoup ; elle le conduisit à des échecs partiels qui entraînèrent sa démission lorsqu'au printemps 1847 la Chambre et le Gouvernement lui refusèrent les 3 millions de crédits qu'il avait demandés au profit de la colonisation militaire. Il démissionna le 30 mai 1847 et quitta l'Algérie le 5 juin.

Pourtant cette pratique avait connu de vrais succès avant ou ailleurs. Rome avait établi ses vétérans, après leurs 20 ou 25 ans de carrière dans une légion, dans des colonies situées, soit sur les grandes d'accès vers le limes, soit en arrière du limes, celui-ci étant confié à la garde des légionnaires en activité. On considère que ce fut un succès en Algérie au moins jusqu'à l'invasion vandale en 429.

A la même époque les Autrichiens installaient des villages de soldats aux frontières de l'ennemi héréditaire ottoman ; et les Russes créaient des villages de cosaques pour lutter contre la guérilla menée par le " lion du Daghestan Chamyl " qui s'opposait à la conquête russe du Caucase comme Abd el-Kader s'opposait à la conquête de l'Algérie. L'un et l'autre avaient proclamé le djihad contre l'infidèle : Chamyl en 1830, Abd el-Kader en 1839. Abd el-Kader demanda l'aman le 22 décembre 1847 et Chamyl le 25 août 1859.La France versa une pension à Abd el-Kader et la Russie une pension à Chamyl. La France laissa Abd el-Kader se fixer à Damas, mais la Russie obligea Chamyl à résider à Kalouga, près de Moscou.

Bugeaud proposa à Paris trois vastes projets de colonisation militaire : ils furent tous repoussés. Il réussit néanmoins, malgré les réticences de Soult et de Guizot, à expérimenter sur place, les trois formules que nous avons déjà rencontrées dans le Sahel.

A Fouka ce fut le peuplement par des soldats volontaires, libérés de leurs 7 ans de service.

A Mahelma ce fut le peuplement par des soldats, également volontaires, auxquels il restait 3 ans de service militaire à accomplir A Fouka et à Mahelma, les travaux étaient menés en commun sous la supervision d'un officier responsable. Dans les deux villages les soldats supportèrent mal la discipline militaire et le travail en commun qui aurait poussé tous les colons " à se mettre au niveau des paresseux ", et ceci d'autant plus logiquement que les revenus étaient divisés en parts égales. On considère que ces villages furent un échec car il y eut beaucoup de défections ; mais ce ne fut pas un désastre car certains militaires restèrent et fondèrent une famille, et les autres furent remplacés sans peine par des civils. Aucun village ne disparut : ils étaient encore tous là en 1962, avec un peuplement européen.

A Saint Ferdinand et à Sainte Amélie les soldats condamnés du Colonel Marengo construisirent les maisons et défrichèrent les premiers hectares de chaque concession. Les concessions furent attribuées gratuitement aux colons civils, mais les maisons leur furent vendues.

Ailleurs en Algérie des soldats libérés demandèrent et obtinrent des concession dans des villages civils " normaux " sans que leur passé militaire leur vaille privilège ou handicap particulier. Ainsi à Orléansville, en 1845, donc sous Bugeaud, il y avait 79 colons ex-militaires et 35 civils. Bien sûr ce n'était pas un cas fréquent.

A l'arrivée de Bugeaud il y avait 29 000 européens en Algérie, à son départ 120 000 dont à peu près 20 000 colons. Pour conclure ce paragraphe laissons parler Bugeaud qui s'adressa ainsi à ses soldats le 5 juin 1847:

discours Bugeaud

                 •Après Bugeaud, donc après 1847

Le Sahel n'est plus au cœur du mouvement de colonisation de peuplement, mais il y participe encore un peu, au moins jusqu'en 1852.

                           o L'évolution d'ensemble
Le duc d'Aumale, premier successeur de Bugeaud donna le la de la nouvelle politique en s'efforçant de mettre fin aux activités non militaires de l'armée. Il commença par rappeler tous les soldats qui oeuvraient au service d'intérêts particuliers ; au défrichement par exemple.

Le rôle des militaires diminua progressivement, en commençant par les zones proches du littoral et des centres urbains. Une analyse régionale serait nécessaire. Dans la région du Sahel la sécurité est suffisante pour que, dès le Second Empire, on cesse d'entretenir les enceintes de protection et d'occuper les tours de guet. Les milices sont dissoutes. On a vu, avec Saoula sur la carte de 1873, que seul ce village avait gardé en 1870 son fossé et ses tours de garde.

Par contre dans d'autres régions on se protège encore. Ainsi Djelfa créé en 1861 dans les monts des Ouled Naïls sur la piste principale vers le Sahara est entouré d'un mur avec portes. A vrai dire c'est plus un mur de clôture assez bas qu'une vraie muraille ; il n'aurait pas offert une protection efficace contre un adversaire déterminé.

Après 1900 il n'y eut de constructions défensives nulle part : on s'est même mis à démolir des pans de muraille pour des considérations d'urbanisme. Et dans le Sahel on avait fermé les camps de Dély Ibrahim, de Kouba et de Birkhadem.

Les militaires cessèrent aussi de s'occuper des infrastructures civiles : il y avait les Ponts et Chaussées pour les routes et des entrepreneurs privés pour les villages (et des compagnies privées pour les chemins de fer).

                           o Les exceptions politiques de la période 1847-1852
Elles furent une retombée accidentelle des émeutes de juin 1848 à Paris et du coup d'état du Prince Président le 2 décembre 1851. Nous les avons déjà rencontrées. On a parfois traité de " colonies semi-militaires " les 42 colonies agricoles de 1848 fondées par l'arrêté du 19 septembre 1848.

On avait demandé au Gouverneur général Charon, dans l'urgence de prévoir l'aménagement de 42 villages pour recevoir des ouvriers, parisiens essentiellement, éloignés de France pour raisons politiques. Ce n'étaient pas des déportés : ils étaient volontaires pour tenter l'expérience. Ils furent amenés en Algérie en 17 convois de 600 à 800 personnes. Ils ne trouvèrent sur place que des baraquements provisoires sans confort et rien de ce qu'on leur avait promis : semences, bétail, outils. Ils eurent l'impression d'avoir été bernés. De surcroît les récoltes de 1849 et 1851 furent dévastées par des vols de sauterelles, et celle de 1850 diminuée par un printemps sec. Quand ce fut possible une bonne partie des colons de 1848 retournèrent en France.

Dans le Sahel deux villages limitrophes de Fouka furent des colonies agricoles de 1848 : Tefeschoun et Castiglione.

En 1852 nous avons rencontré le cas des Transportés à Douéra. En fait ce sont deux camps militaires du Sahel, ceux de Douéra et de Birkhadem, qui furent mis à contribution pour héberger et trier quelques centaines de républicains transportés pour s'être opposés ou coup d'état. Il s'agissait de choisir ceux que l'on enverrait peupler de nouveaux villages ou travailler sur des chantiers de routes. Aucun village du Sahel ne reçut de transportés : le village le plus proche qui en reçut fut Birtouta, limitrophe de Crescia.

Quand l'amnistie fut décrétée en 1859 la majorité des transportés prit, à ses frais, le bateau du retour

                           o Une étrangeté oubliée : les zmoul de Spahis
Le nom déjà est étrange, tant ce pluriel arabe régulier, comme gour pour gara ou ksour pour ksar, est déconcertant pour une oreille française. J'écrirai donc, plus sobrement, une smalah, des smalahs.

Les smalahs de cavaliers sont une forme de colonisation militaire que nos Bureaux Arabes, recréés en février 1844, ont empruntée aux Turcs. Ces smalahs ottomanes étaient des groupes de cavaliers auxquels le Dey d'Alger concédait des terres ; à charge pour eux de les cultiver, tout en assurant la sécurité des voyageurs et la surveillance du bled Siba (région mal soumise, par opposition au bled Makhzen). Elles étaient postées sur les axes de communication majeurs.

Les soldats vivaient sous la tente, mais près d'un bâtiment en dur où les officiers des colonnes turques en déplacement pouvaient faire étape.

Les smalahs françaises installées sous l'Empire ne furent qu'une adaptation de ce modèle turc.

Elles regroupèrent autour d'un bordj solide, des spahis indigènes qui avaient reçu des terres à cultiver, 10 à 20 hectares selon la zone. Ils se logeaient comme ils l'entendaient, sous la tente ou dans des gourbis. Ils n'étaient pas encasernés et vivaient en famille. Le bordj ne servait qu'aux cadres dispensés d'agriculture ; il pouvait aussi offrir un refuge en cas d'alerte.

Chaque spahi devait prendre soin de son fusil et de son cheval. Ses missions non agricoles étaient de servir de sentinelle en renseignant les autorités françaises sur l'état d'esprit des populations, et de participer à des enquêtes de police ou à des arrestations dans les tribus voisines.

Pour le choix des emplacements des smalahs, les Français suivirent la même stratégie que les Turcs La carte souligne que l'on a privilégié les axes de communication majeurs en région montagneuse (ex. Berrouaghia et Moudjebeur dans le Titteri sur la RN 1) ou en périphérie de massif montagneux (ex. Aïn Touta, El Outaya ou Zeribet el Oued autour de l'Aurès).

En 1871, quand les Bureaux Arabes furent supprimés par la République, il y avait 16 smalahs correspondant chacune à un escadron. Aucune, bien évidemment, n'était située dans le Sahel algérois. Mais cette expérience exceptionnelle de colonisation française par des soldats-cultivateurs arabes, a dépassé de beaucoup, en importance et en durée (les deux dernières furent dissoutes après 1918) celle des soldats-colons de Bugeaud dans le Sahel, pourtant mieux connue. C'est la raison de ce rappel historique un peu en marge de mon sujet.

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des emplacements des smalahs

emplacements des smalahs

Le nombre de smalahs proches de la frontière tunisienne, si loin des grands axes de communication est étonnant.

Il s'explique néanmoins aisément par le souci d'empêcher les incursions de pillards kroumirs venus de Tunisie, dans cette zone montagneuse des monts de la Medjerda difficiles à surveiller. C'était bien sûr avant le traité du Bardo de 1881 qui fit de la Tunisie un protectorat français.Là les spahis des smalahs jouaient le rôle de gardes-frontiére. Il en allait de même du côté du Maroc, face à Oujda.