Louis Fernez
Un grand classique de la peinture algerienne
par Marion Vidal-Bué
Né le 1er mai
1900 en Avignon, Louis Fernez, dont la mère appartenait à
une vieille famille de notables nîmois, arriva à Alger avec
ses parents en 1913, après quelques années passées
avec eux à Montpellier, puis à Toulon.
Encouragé dans sa vocation précoce pour les arts plastiques,
il put entrer immédiatement à l'École nationale des
Beaux-Arts d'Alger que dirigeait alors Léon Cauvy, et étudia
également avec Louis Antoni. Bien structurés par l'enseignement
de ces deux maîtres de la peinture algérienne, ses dons personnels
le firent remarquer par le gouverneur général Lutaud, au
cours d'une exposition de fin d'année, qui lui fit accorder une
bourse pour lui permettre de poursuivre ses études artistiques
à Paris.
À partir de 1917, en même temps que son complice de longue
date, le sculpteur algérois Paul
Belmondo, il suit la formation des Beaux-Arts de Paris sous
la direction de Fernand Cormon. Mais de nature indépendante, il
préfère très vite à l'atmosphère de
l'atelier les longues séances d'étude des maîtres
anciens dans la riche bibliothèque de l'école ou au Louvre,
avec son autre compatriote, le peintre oranais Maurice Adret' Il acquiert
là une vaste culture et une parfaite maîtrise technique qui
lui assureront un art sans failles.
Sur les quais de la Seine, auxquels nul artiste n'a résisté,
il brosse des toiles empreintes de cette poésie sereine qui demeurera
caractéristique de ses paysages algériens.
Il se livre en même temps à différents travaux de
décoration qui lui permettent de vivre plus à l'aise, et
gardera d'ailleurs tout au long de sa carrière le goût de
créer meubles et agencements d'intérieurs.
L'opéra d'Alger, 1926,
coll. part.
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Ayant perdu son père en 1924, il retourne
auprès de sa famille à Alger tout en continuant à
séjourner et à exposer régulièrement dans
la capitale où il devient sociétaire du Salon d'automne.
Désormais membre de la Société des Artistes algériens
et orientastes, il trouve rapidement sa place au rang, des meilleurs,
et participe pleinement à toutes les manifestations importantes
de la vie artistique algéroise. Parmi ses amis les plus proches,
le sculpteur André Greck.
Le professeur Jean Alazard, futur doyen de la faculté de lettres
d'Alger et conservateur du Musée national des Beaux-Arts à
partir e 1929, apprécie entre tous, ce jeune peintre pour sa personnalité
affable, sa culture, son intelligence et la solidité classique
de son art, il lui accorde son amitié assortie d'un soutien total.
Lorsque le nouveau musée sera édifié, au-dessus du
Jardin d'Essai, à l' occasion
de la célébration du Centenaire de l'Algérie il lui
confiera la création du mobilier de la bibliothèque et des
salles de lecture, ainsi que l'agencement de diverses salles d'exposition.
La collaboration des deux hommes se poursuivra jusqu'à l'indépendance,
Fernez contiuant d'occuper un poste d'attaché au musée.
Louis Fernez s'est tout de suite intéressé
au paysage urbain d'Alger, qu'il a représenté avec la plus
grande finesse, tant dans la omposition que dans la luminosité,
donnant par exemple en 1926 ne série de toiles des grandes places
de la ville à ranger parmi les meilleures oeuvres qu'on leur ait
consacrées. " Fernez renouvela notre ision d'Alger, écrivait
Victor Barrucand. Audacieuses perspectives, raccourcis, contrastes,
il voit d'un coup d'oeil qui rassemble et qui précise. Quand une
particularité le retient, il nous y attache et n'a pas cessé
de nous surprendre ». On peut ressentir dans ces vues une certaine
parenté avec celles d'Albert Marquet, pour la simplification des
ensembles notamment, mais le style subtil et poétique de Fernez
dégage un charme aussi personnel qu'intemporel.
Le port d'Alger, surtout, lui a inspiré d'innombrables études,
que les amateurs de la ville s'arrachaient lors des expositions. Le professeur
Félix Lagrot rappelait dans l'algérianiste, en septembre
1985, leur passion commune pour les sports nautiques et la beauté
du spectacle qu'ils leur permettaient d'admirer : « Ce cher Rowing,
un des bonheurs de notre vie, où notre équipe, avec Fernez,
se retrouvait à 5 heures du matin, pour sillonner en yole ou en
canoë, le port et la rade d'où bientôt on voyait la
Casbah rosir, puis s'éclairer sous les premiers rayons du soleil,
au-dessus de la mer aigue-morte, émeraude ».
En 1925, Louis Fernez dessine pour les chemins
de fer algériens une affiche vantant les charmes
de Touggourt
et du Sud algérien. En 1940, il réalise l'affiche
invitant à souscrire " l'emprunt africain ". Les
deux affiches sont imprimées par Baconnier à Alger.
Le timbre " Marianne d'Alger " est également réalisé
par l'artiste. Il est gravé par Jamignon et imprimé
en lithographie par l'Atelier Carbonnel à Alger.
Le premier tirage est effectué en mars 1944 en Corse et en
Algérie après le débarquement allié, puis
à Paris en novembre de la même année. Ce timbre
a également été édité immédiatement
après la guerre par le Gouvernement provisoire sous l'autorité
de Charles De Gaulle. |
Il a su trouver dans la campagne du Sahel,
notamment dans les environs
d'El-Biar où il habitait, des notes d'une grande fraîcheur.
Dans ses années de maturité ce fut le paysage environnant
la ferme de de
Miliana, au pied du mont Zaccar, qui lui suggéra des
rurales paisibles autour des grands bâtiments, ou bien en pleine
nature sur les pentes verdoyantes, là où les enfants circulent
parmi les arbres et les hautes prairies, où les chevaux vivent
en toute liberté.
Fernez a de plus toujours pratiqué avec bonheur l'art du portrait
dans la belle tradition classique, caractérisant ses personnages
par des accessoires raffinés tels qu'instruments de musique, fruits,
bouquets ou détails vestimentaires recherchés, et celui
de la nature morte où il excellait à représenter
poteries et draperies. Mais il a aussi toujours privilégié
les fleurs, une autre de ses passions, composant de somptueux arrangements
aux couleurs fraîches ou intenses, selon les saisons.
Toutes les techniques lui ont été familières pour
ces créations, le crayon et la plume comme le pastel, la gouache
et l'huile.
Alors qu'il n'avait que 25 ans, en 1925, le Grand Prix artistique de l'Algérie
vint récompenser un talent qui se démarquait totalement
de la veine orientaliste par l'absence de sujets pittoresques, mais ',lisait
honneur à l'Ecole d'Alger en démontrant qu'elle pouvait
produire des artistes tout à fait dans la lignée des maîtres
et de la grande tradition française.
Fernez deviendra membre du jury de ce prix en 1940.
La bourse de la Casa Velazquez lui permit de séjourner à
Madrid en 1929-1930 comme pensionnaire dans ce prestigieux établissement,
et d'accroître ainsi sa science picturale au contact des maîtres
espagnols, dont l'art correspondait si bien à sa propre nature.
Nommé en 1941 professeur à l'Ecole nationale des Beaux-Arts
(l'Alger, il prit la direction de l'atelier de peinture à la suite
de Louis A ntoni, ainsi que plus tard celle des études du dessin,
enseignant désormais là où il avait fait ses premières
classes.
Fréquemment présent à Paris dans les manifestations
du Salon d'Automne, du Salon des Indépendants et du Salon des Tuileries,
il participa aux grandes expositions internationales organisées
avec le musée d'Alger sous les auspices de l'Association française
(l'échanges artistiques et du Gouvernement général
de l'Algérie, à Bruxelles, Prague, Rome, Bucarest, La Haye,
Le Caire, entre autres, ainsi qu'aux expositions de l'Afrique française
à Alger, Paris, Marrakech, Oran, Tunis, Monte-Carlo, Bordeaux.
EL- Biar , coll. Marie-Jeanne
Renaud.
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Les meilleures galeries d'Alger et d'Oran
l'accueillaient volontiers pour des expositions personnelles ou de groupe
avec d'autres peintres de l'École d'Alger, et les critiques tels
Gustave Mercier, Louis Julia ou. Louis-Eugène Angeli louaient sa
sensibilité, l'élégance et la séduction de
ses compositions.
D'importantes commandes publiques lui furent confiées, en particulier
pour le
Foyer civique d'Alger édifié entre 1933 et 1935
sur l'ancien Champ-de-Manoeuvre de Mustapha,
où il exécuta une toile marouflée de 50 m2 sur le
thème de
l'activité méditerranéenne dans la campagne
algéroise. Il créa également plusieurs décorations
murales dans les bureaux du Palais des Assemblées algériennes,
de grandes peintures décoratives pour l'hôpital de Beni-Messous,
pour la Cité universitaire de Ben-Aknoun, pour les
lycées Fromentin et de Kouba, pour l'école de
garçons d'El-Biar ainsi que pour une école de Mostaganem
où il représenta Abd el-Kader à cheval, dans l'esprit
de l'imagerie d'Épinal.
Après 1962 et le départ d'Algérie, Louis Fernez continue
sa carrière d'enseignant à l'École nationale des
beaux-arts de Bourges, ainsi qu'à l'École Camondo pour les
Arts et Techniques, à Paris. Mais les difficultés de cette
nouvelle installation entravent ses travaux personnels, et il s'adonne
surtout à des peintures d'extérieur, par exemple en Bretagne
où ses paysages et ses marines montrent un esprit très impressionniste.
Selon les termes de son épouse, elle-même portraitiste: "
Lorsque l'âge lui interdit de peindre sur le motif, il peignit,
jusqu'à son dernier souffle, les fleurs de son jardin ".
Il s'éteint à Savigny-sur-Orge le
10 novembre 1983, ayant donné l'exemple d'un homme de goût
et d'esprit et d'un artiste en tous points attachant.
o
Oeuvres
au Musée national des Beaux-Arts d'Alger
La leçon de chant ", " La leçon
d'histoire ", " Fleurs ", " Notre-Dame de Paris
sous la pluie ", " Quais de Paris ", Paysage de Bretagne
", " Port breton ", " La place d'Isly à
Alger ", " Nature morte ", " Nature morte à
la perdrix ", " Environs de Miliana ", " Intérieur
", " Paysage du Sahel " (détruit en 1958).
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Bibliographie :
- L'Afrique du Nord
illustrée, 22 janvier 1927.
- Notre Rive, mai 1927, " Louis Fernez ", par M. Michel.
- L'Algérie et les peintres orientalistes, Victor Barrucand, 1930.
- Algéria, septembre - octobre 1949, " Les maîtres de
la peinture algérienne, Louis Fernez ", par Georges Martin.
- Collection " Les peintres nord-africains ", Les éditions
Iris, Alger, 1949, Louis Fernez par Georges Martin, plaquette comportant
21 reproductions en noir et blanc.
- L'Algérianiste, n° 31, septembre 1985, " Louis Fernez
", par le professeur Félix d et Mme Christiane Fernez.
- Alger et ses peintres, 1830-1960, et L'Algérie des Peintres,
1830-1960, Marion -Bué .
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