Champ de Manoeuvres, Alger
Les panneaux décoratifs du foyer civique

Algeria et l'Afrique du nord illustrée, revue mensuelle, juillet-août 1942,n°16 .Édition de l'Office Algérien d'Action Économique et Touristique (OFALAC), 26 bd Carnot ou 40-42, rue d'Isly, Alger
sur site le 20-11-2005

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Claro.- Grande fresque murale représentant le repos des ouvriers
Claro.- Grande fresque murale représentant le repos des ouvriers

---------LA dernière manifestation picturale de la saison - l'Exposition des panneaux destinés à la décoration du Foyer Civique - aura été d'importance. Inaugurée par une vivante causerie de M. Jean Alazard, Directeur du Musée National des Beaux-Arts, que suivit une présentation des divers panneaux par leurs auteurs, elle aurait pu être, pour beaucoup d'esprits paresseux par trop indifférents aux choses artistiques, comme une sorte d'initiation au genre mal connu de la peinture murale.
---------M. Alazard avait précisément rappelé les différences essentielles qui opposent peinture murale et peinture de chevalet. La peinture murale, en effet, doit être étroitement subordonnée à l'ensemble architectural qu'elle décore : il ne faut point, par exemple, qu'elle " troue " la surface qui la supporte, comme tant de ridicules trompe-l'oeil de la période baroque. Cette première harmonisation est toujours nécessaire, mais non pas suffisante : il faut encore que la décoration réalisée constitue, par la suite qui la compose, un tout assez homogène, capable de produire un significatif effet d'ensemble. N'oublions pas enfin qu'à l'inverse de la peinture de chevalet la peinture murale ne peut être contemplée qu'à distance, ce qui la soumet fatalement aux lois impérieuses de l'éloignement perspectif.
---------Le grand organisateur de la décoration du Foyer Civique - par un retour à une tradition qui tend heureusement à se généraliser - en a été l'architecte lui-même, M. Léon Claro, qui déploya à cette occasion l'activité enthousiaste des maîtres d'oeuvres de jadis. Son noble but n'était-il pas de démontrer aux Algériens " que l'architecture actuelle du béton armé est capable de réunir dans une même composition les trois arts, comme cela a été réalisé tant de fois par nos Maîtres de l'antiquité, de la Renaissance et récemment encore, par quelques-uns des Grands de l'Epoque, tel Auguste Perret ?"
---------Après avoir vu et revu l'Exposition actuelle, je crois pouvoir affirmer que M. Claro a réussi.

Raymond ADREY.- Le travail
Raymond ADREY.- Le travail

---------Il s'occupa d'abord du décor sculptural extérieur, encore plus strictement soumis àl 'architectonique. Il chargea MM. Beguet et Belmondo de l'exécution des deux superbes bas-reliefs que nous pouvons admirer sur la façade, en dessus des pylones. Le premier représente " la jeunesse laborieuse qui grandit librement au milieu des arts et des sciences, grâce à la protection des institutions sociales. ", tandis que le second symbolise " le fruit du travail obtenu par l'effort des collectivités groupées vers un même idéal ". Puis il s'appliqua à réunir les peintres qui se chargeraient de la décoration intérieure.

FERNEZ .- Fragment d'un panneau sur l'agriculture
FERNEZ .- Fragment d'un panneau sur l'agriculture

Son choix se porta fort judicieusement sur MM. Carré, de Buzon, Assus, Fernez, Emile Claro et Adrey, auxquels il proposa les thèmes qu'il avait imaginés. Dès lors, sa constante préoccupation fut d'unifier la féconde collaboration de ces artistes, comme en pourrait témoigner toute une correspondance. Il ne me paraît pas superflu de rappeler brièvement les sujets proposés et traités, ainsi que les emplacements prévus : aux deux extrémités du Grand Hall du rez-de-chaussée, " Le Travail " d'Adrey et " Le Repos " de Claro ; sur les paliers des deux escaliers qui mènent à la Salle d'auditions, d'un côté " L'Initiation à la musique, à la danse et au chant ", et de l'autre " l'Initiation à la déclamation, au dialogue et à l'éloquence ", de Carré ; autour de la Salle d'auditions, située au deuxième étage, " La Danse " d'Assus, en huit panneaux, et " La Musique " de de Buzon, en huit autres panneaux, en quelque sorte parallèles aux précédents ; enfin, dans le Foyer Principal, le grand panneau de Fernez traduisant " les aspirations de l'homme méditerranéen vers un idéal d'intelligence et de beauté ".
---------Ce vaste ensemble, dont la conception pouvait sembler un peu ambitieuse, est pratiquement achevé aujourd'hui. Il nous donne une impression d'harmonie et de cohésion, due en grande partie à l'atmosphère méditerranéenne qui l'enveloppe, comme l'a fort bien souligné M. Alazard. J'hésite à revenir sur les qualités bien affirmées des différentes oeuvres, à la suite de nos critiques les plus autorisés. Redirai-je la subtile combinaison d'horizontales et de verticales très reposantes, suggérant à merveille l'heureux délassement des ouvriers, du panneau de Claro (horizontales des corps inscrits dans deux triangles médians, du mur et des maisons de l'arrière-plan, verticales des arbres et des figures debout), sans oublier les belles sonorités de ses accords ? Le dynamisme tournant, le savant équilibre, la couleur discrète et raffinée de celui d'Adrey ? La poésie lumineuse des compositions d'Assus, leur belle simplicité de rythme, leur couleur légère voisine de celle de la fresque ? La sobriété de ton et la facture solide de la suite, très méditée, de de Buzon ? L'indéniable élégance du panneau de Fernez, où se décèle une vague influence quattrocentiste ?

---------Nos concitoyens se laisseront-ils aisément emporter vers cet " idéal d'intelligence et de beauté " ? Sauront-ils tirer la leçon indispensable d'une telle manifestation ? Ou bien préfèreront-ils suivre une fois de plus, leurs mauvais bergers - critiques improvisés ou amateurs peu avertis - qui les détourneront inévitablement de ces originales et puissantes créations, pour les ramener aux froides élucubrations d'un académisme exsangue, dont il existe, hélas, plusieurs exemples à Alger?

---------Attaché au Musée National des Beaux-Arts
Jean LUSINCHI,