Opération
" Torch "
Le débarquement anglo-américain en Algérie du 8 novembre
1942
François Vernet
Alger
Dans la nuit du 7 au 8 novembre
1942 je fus réveillé par le bruit d'une canonnade et de
mon balcon je vis au loin corner des éclairs illuminer le ciel.
Je pensai à un combat naval. C'était l'opération
" Torch " qui commençait.
Au matin, j'aperçus une colonne de prisonniers anglais et américains
qui remontait la rue Berthézène, encadrée par des
soldats français. On les dirigeait vraisemblablement vers la
caserne d'Orléans.
À peu près au même moment un sous-marin français
quittait le port et je le vis plonger sitôt la passe franchie alors
que deux ou trois appareils britanniques Fairey-Swordfish (Biplans
lents de la Royal Navy, embarqués sur des porte-avions et utilisés
comme bombardiers ou comme torpilleurs.) lâchaient un
chapelet de bombes sur son sillage. Je devais apprendre plus tard que
ce submersible avait rejoint Toulon.
Mon père, employé des PTT, était, cette nuit du 7
au 8, affecté aux communications avec la métropole et, en
plein travail, il s'était trouvé avec le canon menaçant
d'un fusil sous le nez et était allé rejoindre ses collègues
ahuris alignés contre le mur.
Voilà résumé en quelques lignes ce qu'a été
le 8 novembre. À l'époque, j'avais seize ans et, pour être
franc, j'étais presque ravi que des événements inattendus
viennent rompre la monotonie de ma vie de lycéen.
La situation
Dès l'entrée en guerre des USA les chefs
militaires britanniques et américains avaient décidé
d'abattre l'Allemagne avant le Japon. Des divergences profondes ne tardèrent
pas à se manifester entre les états-majors ( Irving
David), La guerre entre les généraux, éd. Belfond.).
Rommel menaçait le canal de Suez. Aussi le principe d'une intervention
en Afrique du Nord fut décidé dans les hautes sphères
fin juin 1942.
Le 14 août le général Eisenhower fut nommé
commandant en chef des forces terrestres, navales et aériennes
de la coalition. Les
ordres étaient d'établir de solides têtes de pont
au Maroc français et entre Oran et la Tunisie, sans toutefois s'avancer
trop vers l'est. Aussi fut-il décidé de ne pas dépasser
Alger dans un premier temps.
Les Alliés entreprenaient cet assaut avec de graves appréhensions.
Il fallait tenir compte de l'élément politique; les forces
terrestres alliées étaient considérées comme
faibles, le mauvais temps risquait de tout retarder. Comment réagirait
la flotte française de Toulon? En fait les forces françaises
n'étaient guère à redouter: peu d'armement, pas de
radar, pas de carburant, pas ou très peu d'aviation.
Organisation des convois
L'expédition fut divisée en trois groupes
:
- La Task Force 34, entièrement
américaine : une trentaine de transports avec 35 000 hommes de
troupe, escortée par trois cuirassés, six croiseurs, cinq
porte-avions, une quarantaine de torpilleurs et divers autres navires.
Cette Task Force, partant des Etats-Unis, devait opérer au Maroc
sous les ordres du général Patton et de l'amiral Hewitt.
- La Central Task Force: 39 000 soldats
américains embarqués en Grande-Bretagne. Les forces navales
de l'amiral Troubridge comprenaient : le Largos bâtiment
d'état-major, le cuirassé Rodney, les porte-avions
Furious, Biter et Dasher, le croiseur antiaérien Delhi,
treize destroyers, six corvettes, huit dragueurs de mines, etc. Cette
Task Four était chargée de l'attaque d'Oran.
- L'Eastern Task Force: 23 000 soldats
britanniques et 10 000 Américains commandés par le général
Ryder et embarqués en Grande-Bretagne. L'amiral Burrough commandait
les forces navales: un bâtiment d'état-major, le Bulolo,
trois croiseurs britanniques Sheffield, Scylla, Charybdya; deux
porte-avions, Argus et Avenger; trois navires antiaériens,
Palomares, Pozarica, Tynwald; un monitor Roberts; treize
destroyers, trois sloops, sept corvettes; des navires auxiliaires et les
transports.
Tous ces convois étaient protégés au large par une
force de couverture (Covering Force); les cuirassés Nelson et
Duke-of-Yak, le croiseur de bataille Renown, les porte-avions
Victorious et Formidable, les croiseurs légers Bermuda,
Argonaut, Sirius, Phoebe, dix-sept destroyers. Tous ces navires étaient
britanniques.
Ce ne fut pas une mince affaire pour tous ces convois, partis de ports
différents et naviguant à des vitesses différentes,
de se concentrer !
L'attaque d'Alger
Trois débarquements étaient prévus
:
- Le groupe " Charlie " devait débarquer à l'est
du cap Matifou,
sur les magnifiques plages d'Aïn-Taya
et de Surcouf.
- Le groupe " Beer " entre Sidi-Ferruch et le
cap Caxine.
- Le groupe " Apple " à l'est de
Castiglione.
Deux torpilleurs britanniques, Broke et Malcolm, devaient entrer
dans le port d'Alger et débarquer une équipe américaine
chargée de prévenir le sabotage des navires et des installations
du port. Le convoi arriva en vue des sous-marins postés en jalons
qui indiquaient les lieux d'atterrissage. Les débarquements s'effectuèrent
dans la nuit avec un peu de retard et dans un certain désordre.
La batterie du cap Matifou esquissa une résistance symbolique.
Le groupe " Charlie " s'empara bien vite de l'aérodrome
de Maison-Blanche. À Castiglione il n'y eut aucune opposition et
les troupes filèrent vers Blida, rencontrant une résistance
sporadique. A Sidi-Ferruch il n'y eut pas de lutte.
Quant aux Broke et Malcolm, ils furent saisis dans les faisceaux
des projecteurs, après avoir manqué l'entrée du port.
Alors qu'ils renouvelaient leur tentative, ils furent canonnés.
Le Malcolm fut atteint dans ses chaudières et se retira.
Le Broke força l'entrée, débar-
qua ses soldats, qui furent entourés et capturés ( Ce
sont ceux que j'ai vu passer rue Berthézène.).
Puis, manuvrant avec habileté, il sortit du port et, endommagé,
il fut pris en remorque par le torpilleur Zetland. Il coula le
10 novembre au large, toujours en remorque. Le 8 à midi, l'amiral
Darlan, qui se trouvait fortuitement à Alger, donnait l'ordre de
cesser le feu.
L'attaque d'Oran
Trois débarquements étaient prévus
:
- Le groupe " Z " devait débarquer à Arzew, se
saisir du port et marcher sur Oran par Saint-Cloud.
- Le groupe " Y " débarquerait dans la baie des Andalouses
et attaquerait Mers
el-Kébir.
- Le groupe " X " débarquerait à Mersa-bou-Zedjar
et s'emparerait, avec les parachutistes, des aérodromes de Tafaraoui
et de La Sénia.
Deux corvettes britanniques, Hartland et Walney entreraient dans le port
d'Oran et débarqueraient des commandos.
À Arzew la surprise fut complète. Les feux du port étaient
allumés, comme d'ailleurs sur toute la côte algérienne.
Les navires pénétrèrent dans le port et les commandos
saisirent la ville pendant que le débarquement s'effectuait sans
encombre.
Peu de résistance aux Andalouses, ni à Mersa-bou-Zedjar,
sauf sur la route de
Lourmel où il y eut un engagement assez vif. Soudain,
aux Andalouses, la colonne débarquée fut arrêtée
par des tirs des forts de Mers el-Kébir et le cuirassé britannique
ouvrit le feu.
À Oran les corvettes Hartlancl et Walney furent coulées
par le tir des navires français et les commandos furent pris. Les
torpilleurs français firent une tentative de sortie; mais furent
engagés par les croiseurs britanniques qui coulèrent la
Tramontane, la Surprise et la Tornade le 8; l'Épervier
et le Typhon le 9.
Au Maroc, la lutte avait été plus chaude.
L'opération " Torch " était, dans l'ensemble,
un succès : pertes faibles et gains considérables. Une révision
de la technique du débarquement s'imposait cependant: péniches
mal chargées, d'autres échouées, certaines noyées
pour cause de porte ouverte, d'autres enfin égarées.
Les réactions de
l'Axe
Les germano-italiens avaient eu connaissance des préparatifs
dès août 1942. Supermarina (état-major de la marine
italienne) demanda dès lors que l'occupation de la Tunisie fut
préparée sans toutefois indisposer les Français.
Le 4 novembre la force anglo-américaine apparut en Méditerranée
et Supermarina pensa à un convoi de ravitaillement pour Malte.
Mais le 6 le convoi, d'une importance inhabituelle, fit comprendre qu'une
tentative d'invasion était proche.
L'Italie avait une flotte de guerre magnifique mais qui était indisponible
pour ce qui concernait les navires de ligne par manque de combustible.
Les petites unités et l'aviation protégeaient les convois
de ravitaillement vers l'Afrique. Tous les navires italiens avaient une
artillerie antiaérienne insuffisante.
La flotte sous-marine de l'Axe avait été renforcée
par une trentaine de submersibles allemands qui avaient déjà
obtenu de beaux succès (destruction du porte-avions Eagle par
le U.73 devant Alger le 8 août 1942, faisant suite au torpillage
de l' Ark Royal à l'est de Gibraltar). Supermarina fit descendre
de La Spezia les cuirassés Littorio, Vittorio-Veneto, Roma. Des
mines furent mouillées dans le détroit de Sicile. Mais ces
opérations étaient insuffisantes pour stopper l'armada des
anglo-américains. La marine italienne, consciente de ses insuffisances
techniques (manque de radar, d'artillerie antiaérienne, de combustible,
de couverture aérienne) n'avait pas un moral de vainqueur. Elle
avait subi une défaite au cap Matapan les 28 et 29 mars 1941, se
trouvant dans la situation d'un aveugle qui combat un adversaire aux yeux
ouverts. La défaite de Matapan faisait suite à celles de
Punta Stilo, du cap Spada, du cap Teulada. Ajoutons l'attaque de la flotte
italienne par l'aviation embarquée britannique (deux vagues de
douze Swordrish venus des porte-avions Mustrious et Eagle) le 11 novembre
1940. Les Anglais y perdent deux avions et coulent les cuirassés
Cavour et Littorio; le cuirassé Duilio est gravement endommagé
par une torpille. Et tout cela en rade ! En conclusion, disons que les
Alliés avaient la maîtrise totale aéronavale en Méditerranée
occidentale.
Le 11 novembre 1942 les Allemands envahirent en France la zone libre.
Les Italiens occupèrent la Corse et Nice. Mais dès le 8
novembre des Junkers 88 et des Heinkel 111 allemands attaquaient
les transports à Matifou et coulaient le Leedstown et avariaient
quelques navires.
Le 9, des troupes aéroportées de la Luftwaffe occupaient
l'aérodrome d'El-Aouina à Tunis, suivies par les Italiens
le 13 et des renforts allemands, pendant que les Français se repliaient
vers l'ouest. Le même jour, un convoi britannique de vingt-huit
navires se formait à Alger, et le 11 il déposa les troupes
à Bougie sans ennuis; mais il fallut employer les parachutistes
pour prendre Djidjelli,
à cause de la mer très forte. Ce même 11 novembre
le croiseur antiaérien Tynwald fut coulé. Le 12 Bône
fut occupé.
Pour expulser l'Axe de Tunisie il faudra cinq mois de batailles. Alger
fut défendue par une DCA formidable et des ballons captifs qui
rendaient les bombardements en piqué très hasardeux. Le
courage des jeunes aviateurs allemands doit être salué car
ils plongeaient de nuit dans un véritable " chaudron de sorcière
" ( J'en parle en témoin
et victime puisqu'un chapelet de bombes détruisit une aile du Gouvernement
géné ral et l'appartement de mes parents en janvier 1943.).
La colonne
Bailloud, élevée en 1912 près du Fort
l'Empereur, fut détruite parce que, paraît-il, elle servait
de repère aux avions allemands.
Signalons l'exploit du sous-marin italien Ambra qui réussit
à franchir les filets de la rade d'Alger le 11 décembre
1942. Il transportait trois torpilles pilotées et des plongeurs
qui coulèrent un navire et en endommagèrent trois autres,
dont deux s'échouèrent.
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Le débarquement
anglo-américain le 8 novembre 1942
Louis Laplace
Muté depuis peu à Alger, la chance m'avait
souri puisque j'appartenais dès le 3 novembre 1942 à la
3e batterie i le D.C.A. du 3e groupe de F.T.A., unité en position
au Musoir Nord. Pour rejoindre ma nouvelle affectat ion, j'avais dû
passer par l'Amirauté,
emprunter la jetée Nord... J'étais émerveillé
par le spectacle qui s'offrait à mes yeux : une ville blanche,
baignée de soleil, se détachant sur un ciel bleu... et je
m'étais trouvé devant les grilles de la batterie.
La veille d'un certain
dimanche
Ce samedi 7 novembre 1942, à 22 heures, rue Michelet,
je pris le tramway
des T.A., desservant les rues d'Isly et Dumont-d'Urville,
jusqu'au square Bresson. Là, un C. F.R.A. me conduisit à
la place
du Gouvernement. Cette nuit d'automne était tiède.
De temps en temps une brise légère venait la rafraîchir.
Il faisait doux... Par le boulevard Anatole-France j'arrivais en vue de
l'Amirauté. Une faible pente menait à l'entrée des
bâtiments. Je m'attendais aux allées et venues habituelles
des marins mais quelque chose de nouveau était survenu: les grilles,
ouvertes d'ordinaire, étaient fermées et les hommes de garde
à l'intérieur du poste. Un sous-officier s'assura de mon
identité et de mes coordonnées et me permit de continuer
mon chemin. Des questions me vinrent à l'esprit: pourquoi toutes
ces précautions? Mais je ne pouvais leur trouver de réponses...
Une fois les voûtes franchies la jetée s'ouvrait devant moi...
vision rare que je contemplais : les lumières de la ville, le boulevard
de la République se reflétaient dans la mer... Poursuivant
ma route, je parvins à l'entrée de la batterie, surmontée
de sa devise fort gracieuse : " Avec le sourire ". Il était
23 heures.
L'attente
À l'intérieur du Musoir une vive activité
se manifestait un peu partout : les servants s'affairaient aux pièces,
casques à leur portée. Je rejoignis mon poste : une mitrailleuse
de 20 mm devant le poste central de tir et surplombant les installations.
Mes camarades, tireur et pourvoyeur, m'apprirent que nous étions
placés en état d'alerte. Je commençais à comprendre
les mesures de contrôle de la Marine. Cette pièce, pensais-je,
constitue une superbe cible, sans aucune protection : elle semblait vouloir
attirer l'attention. D'ailleurs, tout se trouvait groupé dans un
espace fort restreint: de plain-pied, les bureaux, chambres, magasins
et cuisines. Des rampes conduisaient aux quatre pièces de 75 D.C.A.
17/34, complétées par deux canons de marine et une seconde
mitrailleuse de 20 mm. Tous les hommes se tenaient prêts à
assurer leurs fonctions. Quant à moi, deuxième pourvoyeur,
je graissais des balles...
Nous attendions donc une attaque, mais de qui? Je l'ignorais totalement,
ne connaissant pas la nationalité du futur ennemi et mes camarades
n'étaient pas mieux informés. Devant nous, la mer éclairée
par les lumières, des installations, puis le noir. Seul le bruit
des vagues se percevait. En me retournant, je voyais le port, les quais
et ce magnifique front de mer animé par les tramways circulant
dans les deux sens, en direction de Maison-Carrée
et de Saint-Eugène.
Aux environs de 3 heures, l'Amirauté envoya l'ordre de prendre
immédiatement le régime D, ce qui ne me renseigna pas davantage,
mais cela devait aboutir à tenir la batterie prête. Naturellement
les officiers devaient savoir ce qu'il en était. Le capitaine Essert,
commandant l'unité, qui avait été opéré
à la clinique CohenSolal, nous rejoignit. Son arrivée fut
fort appréciée, car cette force de la nature savait se montrer
bienveillante. L'intervention qu'il avait subie tirait ses traits, mais
son visage grave reflétait la résolution. À son tour,
le M.D.L. Capaldo, en permission pour la naissance d'un enfant, se présenta
à la 34e batterie pour assurer son poste
de chef de pièce de 20 mm que je devais servir. Dans le lointain,
de nombreux points lumineux s'allumaient, s'éteignaient. Sur les
hauteurs d'Alger des lumières intermittentes leur répondaient.
Premiers combats
Brusquement, les sirènes retentirent; je les entendais
pour la première fois en Afrique du Nord. Puissant, leur bruit
recouvrait la ville. Tout s'éteignit brutalement, ce fut l'obscurité
totale. Quelques minutes après, nous vîmes un avion biplan,
à train de roues fixes, volant au ras de l'eau, lâcher un
rideau de fumée. Je sus enfin quelle était sa nationalité
: c'était un américain de type Fairey-Swordfish.
Puis, l'ordre fut donné par l'Amirauté de tirer sur une
barque éclairée par le projecteur Amirauté et se
trouvant à trois milles environ.
À 3 h 20 la batterie ouvrit le feu sur un torpilleur identifié
lui aussi américain, grâce à la lunette de 12 x 70.
Ce bâtiment était illuminé par le projecteur du Fort
des Arcades, lequel s'allumait par intermittence et notre batterie tirait
chaque fois que l'objectif était visible. A 4 heures, le torpilleur
prit le large en tirant des obus dont l'un tomba sur l'Amirauté.
Un deuxième torpilleur fut pris à son tour par le projecteur
des Arcades. Aussitôt la batterie l'attaqua et mit un coup au but,
ce qui provoqua un incendie sur le pont du navire. Le torpilleur riposta
sur le projecteur et l'éteignit... Jusqu'à 4 h 30 le tir
continua sur l'objectif incendié. Les pièces ne voyaient
pas le but, le gisement de ce dernier étant donné d'une
façon continue par la lunette et la distance évaluée
à vue. De son côté, Fort l'Empereur participait à
l'action.
Placé par le destin aux premières loges, je ne pouvais disposer
d'une meilleure situation pour regarder et observer ce qui se déroulait.
Le silence succéda au départ et à l'éclatement
des obus... Nous étions dans l'attente... De quoi exactement? Nous
n'en savions rien, mais je pressentais qu'il y aurait une suite.
À 6 h 20, l'Amirauté nous signala un torpilleur en face
d'Hussein-Dey. La lunette prit l'objectif et envoya continuellement le
gisement aux pièces. La batterie se mit à tirer mais la
riposte vint sous forme d'obus fusants, qui éclatèrent en.
avant du Musoir. Le feu se poursuivit et le torpilleur fut obligé
de se réfugier dans l'arrière-port de l'Agha, en forçant
la passe sud, où il fut masqué par un cargo Schiaffino,
ce qui provoqua l'arrêt du tir.
À 7 h 30, l'avion biplan FaireySwordfish reparut et lança
quatre bombes sur le sous-marin Caiman qui venait de plonger à
la sortie du port. La batterie le prit à partie avec ses canons
de 20 mm et mit un coup au but : nous vîmes une grande flamme au
milieu du fuselage et l'avion s'éloigna vers la mer.
À 8 heures, une patrouille de chasse américaine passa à
portée de tir. À 8 h 20, tir sur un Fairey-Fulmar. À
9 h 30 le feu est repris sur le torpilleur dans le port de l'Agha.
Une pièce de marine tira une vingtaine de coups dont certains atteignirent
le bâtiment; ce dernier répondit et mit un coup sur le mur
du Musoir, un peu au-dessous de la troisième pièce. À
10h 40 le navire tenta de sortir mais fut touché; une grande flamme
s'éleva à son avant. La batterie poursuivit un tir continu
avec une pièce de marine et une de 17/34. Puis elle tira avec la
seconde pièce de marine et la deuxième pièce de 17/34.À
10 h 55 le feu cessa, l'objectif disparaissant dans la fumée. De
nouveau ce fut le calme après l'orage, mais un calme précédant
la tempête.
Le drame
La journée promettait d'être belle en ce
dimanche 8 novembre 1942. Une brise agréable venait me rafraîchir.
Mais à 12 heures le drame commença. Il allait se dérouler
dans un cadre enchanteur, en avant de la baie d'Alger couronnée
par un ciel bleu, sous un soleil de rêve, comme si la nature voulait
rendre plus cruelle la fin de ceux qui allaient succomber.
Une batterie amie, la 153e, tira sur six avions à étoile
blanche qui se dirigeaient vers l'Amirauté. En réalité,
c'était la 34e batterie qui devait faire l'objet de leur attaque.
Ils piquèrent droit sur nous; j'entendis un cri : " Avion
pique ". Toutes les pièces se mirent à tirer: la première
un coup, la deuxième et la troisième un coup. Les appareils
se rapprochèrent et foncèrent sur notre mitrailleuse de
20 mm en mitraillant et en lâchant des bombes par chapelets de six.
Tout se déroula ensuite en un éclair: j'eus le temps de
voir la forme d'un homme à bord du premier avion et une flamme
jaillit de ses pièces; à mes côtés, le M.D.L.
Capaldo s'écroula, frappé par plusieurs balles explosives
et le chargeur Blatche fut tout d'abord aveuglé, tout cela en quelques
secondes... À son poste le tireur Datta poursuivait son tir, imperturbable.
Autant de bruit, de fumée dans un si petit espace, cela paraissait
être l'enfer... La formation s'éloigna, mais ce n'était
qu'un mince répit. Pendant qu'on s'occupait des blessés,
elle revint achever son oeuvre de mort; une fois encore le cri retentit
: " Avion pique ". Bombes, mitraillages tuèrent une nouvelle
fois. L'une explosa devant Blatche qui ne voyait plus... Dans la cour
intérieure, trois hommes tombèrent: le brigadier Fezzari,
les canonniers Billaut et Djellouli. Enfin, les biplans prirent le large.
On se porta au secours des blessés : Bellières, Dedourge,
Defresne, Haddadi, Penin, Vareilles. Le remorqueur Balaruc accosta au
Musoir et ils purent être évacués vers l'Amirauté,
accompagnés par les corps de leurs camarades. Autour de nous, la
désolation : détruits le réfectoire, le mess des
sous-officiers, la rampe sud, la baraque des marins de la passe, les chambres,
la cantine, les magasins, une partie du bureau et du nouveau casernement.
En effet, onze bombes étaient tombées sur le Musoir nord;
neuf avaient explosé, l'une sur le mur de la jetée coupant
d'un seul coup les communications téléphoniques et l'électricité.
Rapidement le capitaine Essert fit procéder à l'appel. Nous
étions au garde-à-vous. Lorsqu'un nom restait sans réponse
il le faisait suivre de la mention " mort au champ dlionneur ".
C'est ainsi que cinq fois j'entendis ces mots... L'émotion nous
étreignait. Nous avions été épargnés,
pourquoi et comment? Parce que notre heure n'était pas encore venue.
Le temps passa. À 17 h 40 nous reçûmes l'ordre d'arrêter
le combat. Depuis le début des opérations la batterie avait
tiré quarante-six obus de 28,213 de 75 97 et 200 de 20 mm. Le trompette
Gorse sonna le cessez- le-feu. Nous amenâmes le drapeau qui flottait
sur le Musoir nord pour montrer que nous arrêtions le tir, puis
nous le hissâmes à nouveau. C'était donc la fin d'un
combat inutile. Le fait que le drapeau était toujours hissé
au mât de notre unité prouvait qu'une page était tournée
et que nous allions reprendre la lutte contre l'Allemagne... Je ressentais
une joie profonde : pour moi, l'entrée en guerre de l'Afrique du
Nord devait être immédiate et ne pouvait aboutir qu'à
la libération de la France. Alger allait devenir la capitale de
la France en guerre. Pour me confirmer dans mon espérance, il me
suffisait de regarder autour de moi... La mer était recouverte
de navires. Mes yeux ne voyaient qu'eux, ne distinguaient plus les flots
tant ils étaient nombreux. Ils entraient maintenant sans risques
dans le port et pour cela devaient passer à notre portée.
À leur bord les hommes faisaient le " V " de la victoire.
Aussitôt à quai ils déchargeaient du matériel
et en premier lieu des canons antiaériens avec les servants à
leur poste. Les opérations se déroulaient dans un ordre
parfait et témoignaient d'une grande organisation, d'une volonté
aussi de triompher. Je ne réalisais pas à ce moment que
ces préparatifs allaient se révéler terriblement
efficaces. À nouveau les sirènes. Mais leur hurlement ne
me parut pas aussi triste que la première fois. Comme il fallait
s'y attendre les avions allemands étaient signalés, se dirigeant
sur Alger. Les Stukas attaquèrent et bombardèrent la ville
jusqu'à 18 h 45, mais ils subirent une dure correction à
laquelle ils ne s'attendaient pas. Les pièces alliées débarquées
sur les quais tiraient à volonté; leur feu était
terriblement meurtrier.
Comme je regrettais que nos canons ne puissent pas prendre part à
ce concert... mais leurs assises avaient été ébranlées
par le bombardement. La 34e batterie avait donc " participé
à la lutte pour la défense de l'Afrique du Nord ",
mais ce " baroud d'honneur " nous avait coûté cinq
morts et sept blessés et avait retardé la riposte française
à l'ennemi nazi. Le responsable en était l'amiral Darlan
qui, installé dans les soutes du Fort l'Empereur, avait donné
l'ordre de résister à outrance au débarquement allié.
Il allait falloir attendre notre mise en position au " Retour de
la chasse " le 23 décembre 1942, pour pouvoir enfin ouvrir
le feu contre les Allemands et les Italiens. La 34e batterie reprenait
le combat et sa mission consistait à défendre le terrain
d'aviation de Maison-Blanche et Alger, contre les incursions aériennes
adverses. Elles furent nombreuses et causèrent des victimes dans
la population, particulièrement les 25 et 26 décembre 1942,
les 1er, 4, 6 et 15 janvier 1943. Les lueurs étaient visibles de
fort loin. Avec joie, les servants de l'unité s'activaient aux
pièces pour essayer d'interdire l'accès du ciel algérois
aux avions porteurs de la croix noire. Plus que jamais la 34e batterie
portait bien sa devise " Avec le sourire " !
o
" [. . .1 Français de l'Afrique du Nord !
que par vous nous rentrions en ligne, d'un bout à l'autre de la
Méditerranée, et voilà la guerre gagnée grâce
à la France ! ".
Charles De Gaulle
(extrait de son discours radiodiffusé, Londres, 8 novembre 1942)
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