-Alger,
rue d'Isly
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Ces portes, démolies en 1895 ou 1906,( les colonnes ornent le square Nelson) semblent avoir été déplacées au moins une fois. Voir illustration du texte" des portes d'Isly à la Colonne Voirol"...à moins qu'il y ait eu un profond remaniement du paysage. |
Quand j'étais enfant, et assoté
du bric-à-brac romantique par la lecture assidue des romans
de Walter Scott, il me semblait, à franchir les portes d'Isly,
revivre pour un moment les temps périmés qui furent,
dans mon imagination, héroïques. Ces grandes diablesses
de portes, avec leurs vantaux cuirassés de fer, cloutés
de fer et plaqués de crasse et de poussière, leurs pentures
de fer, les colonnes accouplées qui les flanquaient et surtout
leur pont-levis, réapparaissaient ouvertes sur une époque
forcenée où s'affrontaient chevaliers chrétiens
et maures mécréants. Les gosses voient volontiers le
monde à la façon de l'Arioste. Je construisais un roman
mental, bourré de gens fort occupés à s'entre-détruire
devant ces fortifications merveilleuses, où rien ne manquait
de ce qu'enseignaient les bons auteurs de ma dilection, ni un fossé,
ni une poterie, ni un rempart, ni une casemate. J'assistais à
des mêlées théâtrales de preux, hérissées
de lances, de haches, d'épées, de flèches, et
l'âme tranquille, parce que je savais que le bon droit triompherait
et que les païens seraient repoussés et exterminés.
Mon allégresse était complète quand mon grand-père,
qui habitait une maison a jardinet dans le village d'Isly, me conduisait
en promenade jusqu'au bout du chemin du
Télemly, où une passerelle franchissait le
profond fossé qui défendait Alger contre les incursions
des malveillants. J'avais le vertige à sonder cet abîme
et déclarais, en considération de la peur qu'il me donnait,
que la place était imprenable. Ce sont là des sensations
que l'on n'oublie plus. *** La qualité médiocre des photos de cette page est celle de la revue. Nous sommes ici en 1934. Amélioration notable plus tard, dans les revues à venir. " Algeria " en particulier. N.B : CTRL + molette souris = page plus ou moins grande TEXTE COMPLET SOUS L'IMAGE. |
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Un carrefour. Quand j'étais enfant, et assoté du bric-à-brac romantique par la lecture assidue des romans de Walter Scott, il me semblait, à franchir les portes d'Isly, revivre pour un moment les temps périmés qui furent, dans mon imagination, héroïques. Ces grandes diablesses de portes, avec leurs vantaux cuirassés de fer, cloutés de fer et plaqués de crasse et de poussière, leurs pentures de fer, les colonnes accouplées qui les flanquaient et surtout leur pont-levis, réapparaissaient ouvertes sur une époque forcenée où s'affrontaient chevaliers chrétiens et maures mécréants. Les gosses voient volontiers le monde à la façon de l'Arioste. Je construisais un roman mental, bourré de gens fort occupés à s'entre-détruire devant ces fortifications merveilleuses, où rien ne manquait de ce qu'enseignaient les bons auteurs de ma dilection, ni un fossé, ni une poterie, ni un rempart, ni une casemate. J'assistais à des mêlées théâtrales de preux, hérissées de lances, de haches, d'épées, de flèches, et l'âme tranquille, parce que je savais que le bon droit triompherait et que les païens seraient repoussés et exterminés. Mon allégresse était complète quand mon grand-père, qui habitait une maison a jardinet dans le village d'Isly, me conduisait en promenade jusqu'au bout du chemin du Télemly, où une passerelle franchissait le profond fossé qui défendait Alger contre les incursions des malveillants. J'avais le vertige à sonder cet abîme et déclarais, en considération de la peur qu'il me donnait, que la place était imprenable. Ce sont là des sensations que l'on n'oublie plus. Je garde aussi un souvenir déférent aux boisements d'eucalyptus qui revêtaient les glacis. Ces boisements ont été, depuis le début du siècle, fort grignotés ou détruits pour la construction de nouveaux quartiers. Il est à déplorer que les magnifiques ravins fourrés qu'enjambait le Télemly et où abondaient les oliviers, les caroubiers, les lentisques, las genêts épineux et les églantiers aient été dépouillés de leur verdure et transformés en terrains à bâtir biscornus, auxquels s'accrochent de laides et souvent malsaines cassines, partie terriers, partie colombiers. Quelques méchantes cahutes de chevriers et de jardiniers, des enclos dont les haies étaient d'aloès et de figuiers de Barbarie, des terrains vagues devenus des dépotoirs, occupaient la trouée qui séparait l'enceinte fortifiée du chemin menant au village d'Isly. L'emplacement actuel du lycée de jeunes filles était planté d'eucalyptus ; de même les terrains qui s'étendaient entre la rue Michelet, la rue de Constantine et le boulevard Laferrière, et que continuaient, le long de la rue Charras, dans la direction du carrefour de l'Agha, des entrepôts de bois et de ferraille. Les routes étaient fort poudreuses. Le vent y soulevait sans cesse d'épais tourbillons de poussière blanche, qui enfermaient les arbres et les broussailles. Les voitures à chevaux geignaient et grinçaient du matin au soir, broyaient le macadam sous leurs roues; il y avait des attelages considérables, qui traînaient les galères chargées d'énormes blocs de pierre bleue extraits des carrières de Bab-el-Oued. On connaissait à l'odorat les charrettes de fumier qui portaient l'engrais aux maraîchers de Mustapha ; dans les corricolos à nom pimpant s'entassaient les femmes indigènes. Il était de bon ton pour les potaches et les militaires, de descendre avec grâce d'un omnibus en marche. Le samedi soir et le dimanche, on dansait sous les eucalyptus, Il y eut même un jardin public, avec bassin et gardien. Alger étouffait dans son corset de moellons. Il cherchait à le rejeter. Des cités grandissantes ne formaient au delà de la zone militaire que le service du génie déclarait intangible : l'Agha, Mustapha, Belcourt, Hussein-Dey, El-Biar, le faubourg Bab-el-Oued, Saint-Eugène. Il était entendu qu'en cas de troubles, leurs habitants gagneraient la ville et abandonneraient leurs maisons. Responsable de la sécurité de la population, l'armée estimait que les remparts et les bastions avaient une utilité que seuls les hérétiques osaient contester ; ferme dans sa volonté, elle ne croyait pas que quelque chose eût changé en Algérie depuis 1830. Il fallut de longues années et d'innombrables démarches pour que l'autorisation fût accordée d'abattre les remparts entre le fort Bab-Azoun, ruine sans gloire, et l'actuelle rue Berthezène ; il y avait près de soixante-dix ans que la France était installée à Alger. Une trouée analogue devait donner de l'air au quartier Bab-elOued La démolition n'était au reste permise qu'avec restriction : il fallait qu'une grille, destinée à abriter la défense en cas d'attaque, séparât la ville ancienne des nouveaux quartiers. De nouvelles démarches laissèrent enfin toute liberté à la municipalité. En 1898, on rasa la porte d'Isly. Je ne puis m'empêcher encore de regretter sa disparition. Elle n'avait d'ailleurs aucune originalité, aucun caractère, aucune valeur artistique ou historique. Elle était banale et impersonnelle. Mais mes yeux d'enfants l'avaient vue et s'étaient habitués à elle. Pour la même raison, je m'attristai à la destruction du fort démantelé de Bab-Azoun, remplacé par le square Guynemer, et à celle de l'église anglicane si curieusement plaquée contre la falaise qui dominait la rue de Constantine, là où s'élève de nos jours la Grande Poste. L'un des plus beaux carrefours d'Alger a été aménagé à l'endroit où s'ouvraient les portes d'Isly, portes que nous ne manquions jamais de fermer avec soin, mes camarades et moi, quand j'étais étudiant, au retour de quelque innocente et tumultueuse vadrouille en ville. Cette occlusion inopinée provoquait les maraîchers qui, dès deux heures du matin, s'assemblaient devant le pont-levis, à jurer Dieu,, à maugréer et à nous maudire de toutes façons. Il est beau d'avoir été jeune. |