HISTOIRE de L'OPÉRA D'ALGER
Épisodes de la vie théatrale algéroise
1830-1840
Fernand Arnaudiès

INAUGURATION DU THÉÂTRE IMPÉRIAL pages 39 à 70

«La lumière étincellera, les toilettes resplendiront; tout aura, ce soir-là, un air de fête et de plaisir ; tout le monde en jouira, ceux de dedans comme ceux de dehors ; et tout le monde manifestera son impression heureuse...» Garnier (Théâtres)

sur site le 14-06-2003
L'OCR a laiisé des "coquilles" que je n'ai pas reprises. Veuillez me pardonner. Vous pouvez me les signaler..
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----------Les travaux commencèrent dans les derniers mois de 1850, Place Bresson, ancienne Place Massinissa.
----------Ce coin d'Alger, comme tant d'autres, a son histoire.
----------C'est là, notamment, que le 25 Octobre 1541, Pons de Balaguer, chevalier de Savignac, porte-étendard des Chevaliers de Malte venus, sous la bannière de Charles Quint, combattre l'infidèle, c'est là que Pons de Balaguer, défiant la mort, vint enfoncer sa dague dans la porte d'Azoun en s'écriant : " Nous reviendrons ! ... "
----------Une plaque, apposée sur le mur d'une maison occupant l'emplacement de la porte d'Azoun, rappelle ce geste. Voici cette plaque

plaque bab-azoun

----------Ravoux, Balle, de Rocqueville, plus près de nous Henri Klein, nous ont fourni de révoltants détails, sur la destination macabre donnée par les Turcs aux murailles et à la voûte de la porte d'Azoun. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis .Ces murailles et cette voûte virent l'agonie des condamnés pendus, ou empalés sur des crochets de fer.
----------Hatin nous apprend qu'en 1830 on trouva, aux abords de la porte d'Azoun, un demi-millier de crânes humains : ceux d'indigènes qui avaient refusé de payer leurs impôts.
----------Là aussi, au pied d'une roche énorme dont le dérasement au moment de la construction du théâtre, coûta près de vingt-cinq mille francs, se tenait le Rahbat-el-Fam, le marché au charbon, qui servait en outre de champ de tir aux janissaires des casernes voisines.

----------Le 3 Mai 1842 eut lieu, devant la Porte d'Azoun, la dernière exécution au yatagan. Le condamné, un jeune et vigoureux garçon, voleur et assassin, fut livré à un bourreau sans assurance, dont la maladresse inqualifiable déchaîna parmi la foule compacte une véhémente indignation.

----------Et le fameux platane de Sidi Mansour ? Il se dressait sur cette place. Ainsi que nous le dit un numéro de " L'Akhbar ", ce platane trois fois séculaire, avait vu passer plus de vingt-cinq gouverneurs généraux ; il avait assisté à bien des victoires et à bien des revers...

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À ses pieds, se trouvaient le tombeau de Sidi Mansour et le sanctuaire dédie à ce marabout dont l'influence, dès la fin du XVI le siècle, fut des plus grandes.
----------En 1846, l'autorité militaire décida le transfert des restes de Sidi Mansour au Marabout Sidi-Abd-er-Rahman. Un détachement de zouaves escorta le convoi.
----------Le platane tricentenaire, tant de fois reproduit sur les estampes de l'époque, fut impitoyablement abattu en 1853, sur les conseils pressants d'une commission agronomique. http://perso.wanadoo.fr/ bernard.venisLe géant se mourait. Les indigènes se persuadèrent qu'il n'avait pu survivre au déplacement du tombeau de Sidi Mansour...

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----------La place Bresson fut souvent le théâtre d'émouvantes cérémonies. C'est ainsi qu'elle servit de cadre, en 1857, à la réception des troupes ayant pris part à l'expédition de Kabylie ; et en 1860, lors de leur premier voyage, à la réception de l'Empereur Napoléon III et de l'Impératrice. L'Impératrice devait, à cette occasion, poser la première pierre du Boulevard qui porta son nom.
----------C'est également sur cette place que fut planté, en 1870, un arbre de la Liberté et, en 1920, un arbre de la Victoire.

----------Au moment où les premiers coups de pioche sont donnés, il reste encore aux alentours de vastes terrains à bâtir. La rue Bab-Azoun cependant, devient le centre d'une grande activité commerciale. De nombreux magasins s'y établissent. La rue de Constantine, la rue Dumont-d'Urville s'amorcentà peine. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis. Et, quoiqu'ait pu en dire M. le Conseiller Rolland de Bussy, une grande animation règne déjà dans cette partie de la ville, proche des quartiers de la Marine et de Bab-el-Oued.
----------Un groupe de vieux bâtiments en paliers se dresse à quelques mètres du chantier. Avant la conquête, deux casernes de Janissaires y étaient installées : celle dite des " Marchands de légumes " et celle, en contre-bas, des " Jeteurs de balles d'argent ", allusion aux tireurs fameux qu'elle logeait. Après 1830, ces casernes reçurent des destinations diverses : entrepôt du génie et de l'administration, école religieuse, etc...
----------C'est là, que plus tard, en 1878, le Général de Division Wolff devait installer le " Cercle Militaire " (Réunion des officiers d'Alger).

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----------Nombreux sont les curieux venus chaque jour suivre par l'interstice des palissades le progrès des terrassements et de la construction.
----------Et le chantier connaît pendant près de quarante et un mois une activité fébrile. La pierre d'Arles, la pierre de Valence, le marbre, encombrent ses abords. De lourdes charrettes amènent à pied d'oeuvre le bois de charpente. Toute une armée de terrassiers, de charpentiers, de maçons, français, italiens, espagnols, indigènes, travaille à longueur de journée, sous la surveillance constante de l'entrepreneur, M. Sarlande, du constructeur M. Sarlin et des architectes, MM. Chassériau et Ponsart, que l'on voit souvent dans l'encombrement des matériaux et sur les échafaudages, lesquels, de mois en mois, gagnent en hauteur.


----------En Mai 1853 la construction, d'une superficie dépassant mille quatre cents mètres carrés, est à peu près achevée.http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis. Elle a occasionné une dépense de un million cent mille francs.
----------Le 15 Août les architectes procèdent, en présence des autorités, aux épreuves réglementaires de résistance. Un millier de soldats et cinq cents civils se prêtent aux expériences avec bonne humeur ; et c'est le succès.

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----------De style Renaissance, ce monument de trente mètres de façade dominé de haut par un groupe de quatre statues allégoriques et par un aigle impérial aux ailes déployées, est l'un des plus considérables, sinon des plus beaux de la ville.
----------Douze marches de pierre aux rampes de bronze donnent accès aux sept portiques d'entrée et à un vestibule orné avec art. Deux escaliers de marbre le relient au grand Foyer, au premier étage.
----------Ce grand Foyer, enrichi de tentures et de lourds candélabres, est éclairé en façade par trois larges baies vitrées et quatre doubles fenêtres à entrecolonnement, qui s'ouvrent sur la Place Bresson et par delà le boulevard, sur le port, la mer, les vallonnements de Kouba.
----------Un second Foyer en attique s'élève au-dessus du premier. Plus modeste, il est réservé aux fumeurs. Ses portes- fenêtres donnent accès à des terrasses d'où l'on découvre l'indescriptible fouillis de masures et de gourbis délabrés qui, de loin en loin, tachent de gris, de rose et de blanc, le vert sombre des coteaux.
----------La salle offre un aspect cossu et du meilleur goût. Le blanc, la pourpre et l'or ont servi à sa décoration. Les tentures artistement distribuées sont rouges. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis. Le plafond, en coupole, a été décoré par le peintre Cambon, de motifs floraux et emblématiques. Un lustre à triple rang de feux en occupe le centre.
----------La scène couvre une superficie de deux cent trente mètres carrés. Le nombre de places est de mille cent dix-neuf, exactement. Mais déjà certains esprits chagrins reprochent au nouveau théâtre d'avoir une scène beaucoup trop basse pour une salle beaucoup trop haute et d'offrir une tapisserie trop éclatante à l'intérieur des loges. D'autres se plaignent de la mauvaise perspective et d'une acoustique défectueuse.
----------Ne sait-on pas que si l'art théâtral est difficile la critique reste toujours aisée ?
----------Par contre, on a pu recueillir de chaleureuses approbations. Il nous plaît de retenir celle d'Eugène Fromentin, venu chercher en Algérie une exaltation des couleurs, une pureté de lumière que n'aurait pu lui donner sa ville natale, La Rochelle, trop souvent plongée dans les grisailles de la brume.
----------A ce propos, on a prétendu que l'auteur passionnant d' " Une année dans le Sahel " et d' " Un été dans le Sahara ", avait brossé certains décors de l'Opéra. Je ne le crois pas et du moins rien de précis ne nous autorise à le croire. Je pense plutôt qu'il y a eu sur ce point une double confusion de personne et d'objet.
----------On sait qu'Horace Vernet, alors Directeur de l'Académie Royale de France de peinture à Rome, peintre illustre et grand chasseur, avait acheté, aux environs de Boufarik, une fort belle ferme, Haouch ben Koula, qui longtemps lui servit de rendez-vous pour ses expéditions cynégétiques.
----------Il prenait ses repas dans le village même de Boufarik, à l'hôtel Mazagran, tenu par les époux Girard, braves gens, de mœurs simples et de commerce agréable, qu'il tenait en grande estime. Aussi bien répondit-il à leur désir quand, le plus ingénument du monde, ils lui demandèrent de brosser, pour le fronton de leur porte, une enseigne quelconque avec cependant " beaucoup de soldats et de couleurs ". Horace Vernet choisit pour sujet un épisode de la prise de Laghouat et termina son " enseigne " en 1852. Il n'est pas absurde d'admettre qu'un rapprochement de dates a pu contribuer à créer la confusion dont je viens de faire état, qui fit attribuer à Fromentin une œuvre de Vernet et, du même coup, fit d'un panneau de porte un décor d'Opéra...

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Peu de jours avant l'inauguration, les journaux de l'époque - ils n'étaient pas nombreux - s'attardèrent en de multiples considérations sur de multiples sujets touchant l'avenir du nouveau Théâtre Impérial, dont la direction fut confiée, par décret du Ministre de la Guerre, à Madame Curet, précédemment directrice du théâtre de la rue de l'état-major.
----------On ignorait ce que serait le programme inaugural. Il était cependant question, en coulisse, d'une oeuvre écrite par une personnalité Algéroise connue et qui, déjà, avait donné l'agréable mesure de son talent ; mais on se gardait d'affirmer la chose.
Le 25 Août 1853, Mme Curet fit connaître aux Algérois, par lettre envoyée à la presse, la composition de sa troupe.
----------En voici le tableau complet

Orchestre

M. Van Ghele aîné, premier chef
M. Van Ghele jeune, second chef

M. Roy, accompagnateur
38 musiciens

Opéra-Comique
M. Juette, premier ténor
M. Ressini, second ténor
M. Fleuret, troisième ténor philippe
M. Joliet, baryton
M. Martin, première basse
M. Lacroix, basse comique, seconde basse
M. Dumontier, troisième basse
M. Félix Ceret, ténor comique, trial
M. Basson, ténor grime, laruette
Mme Félix Voiron, première chanteuse
MmeBaudoin, première dugazon, jeune chanteuse
MmeLucie Mesnard, seconde chanteuse, jeune mère dugazon
Mme Edmond Satiné, duègne, mère dugazon au besoin
Mme Mongellas, seconde dugazon
20 choristes.

Divertissement

M. Edmond Durand, premier danseur, chargé de régler les pas
Mme Thérésa, première danseuse
Mme Alphonse Durand, seconde danseuse.

Comédie, Drame, Vaudeville

M. Edmond Satiné, premier rôle
M. Prosper Delimbre, premier rôle marqué, père noble et grand troisième rôle
M. Prietz, jeune premier, jeune premier rôle
M. Mongellas, deuxième amoureux
M. Félix Ceret, premier comique jeune
M. Basson, premier comique marqué, financier
M. Girardot, second comique
M. Hector, comique grime, deuxième père
M. Fleuret, troisième rôle
M. Lacroix, rôles de convenance
Mme C. Dalloca, premier rôle, jeune premier rôle
Mme Dumonthier, jeune première, forte ingénuité
Mme A. Evrard, soubrette déjazet, des jeunes premières
Mme Mongellas, deuxième amoureuse ingénuité
Mme Marie Trouville, troisième amoureuse
Mme L. Mesnard, coquette
Mme Edmond Satiné, duègne

***

----------Le 29 Septembre 1853, les journaux publièrent l'information suivante

THÉÂTRE IMPÉRIAL D'ALGER

Aujourd'hui jeudi 29 Septembre 1853
Sans débuts - Ouverture -
Première représentation de
" ALGER "
ou " 1830 et 1853 "
Pièce d'inauguration en 2 époques et 6 tableaux.

On commencera à 8 heures.

----------Et, en effet, le nouveau Théâtre ouvrit ses portes le jeudi 29 Septembre 1853.
----------Dès 6 heures - le lever du rideau était, je le rappelle, pour 8 heures - une foule innombrable, indisciplinée, se pressait aux abords des guichets. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis. Les gardes de service ne purent éviter les bousculades et se résignèrent avec philosophie. L'un d'eux cependant - détail savoureux rapporté par les journaux - se laissa dans un remous, subtiliser un pistolet...
----------À vrai dire, beaucoup d'Algérois regrettèrent que la Municipalité se fut montrée si peu prodigue de lumière, d'ornements extérieurs et de drapeaux. Beaucoup déplorèrent l'absence de lampions, indispensables pour une vraie et grande manifestation.
----------On fit état, avec amertume, de la seule installation au milieu du rond-point, d'un lumignon fumeux, signalant, tant bien que mal, la présence inopportune d'un tas énorme de gravier...
----------Toutefois, l'inauguration du théâtre de Chassériau fut officiellement présidée par le Maréchal Comte Randon, Sénateur, Gouverneur Général, accompagné du Préfet Latour-Mezeray ; du général de Division Daumas, Conseiller d'Essai, directeur général des affaires de l'Algérie, véritable promoteur de la construction de l'Opéra ; du Maire, M. de Guiroye, et d'une suite chamarrée.
----------Le grand Foyer resplendissait. Aux toilettes des dames, que je regrette de ne pouvoir décrire, se mêlaient les uniformes les plus somptueux et les plus variés de l'Armée d'Afrique : dolmans rouges des officiers de spahis, dolmans bleus des chasseurs d'Afrique, dolmans bleu clair des turcos et des zouaves. Il y avait là les uniformes non moins imposants, originaux et fantaisistes des fonctionnaires du Trésor, des Postes, de l'Enregistrement, des Douanes, des Domaines.


----------Cependant, des centaines d'européens et d'indigènes stationnaient devant le péristyle, ne quittant pas des yeux les hautes baies du premier étage, dans lesquelles se découpaient parfois de fugitives silhouettes.
----------D'autres, mieux avertis ou plus agiles, s'étaient massés sur le terrain vague qui, à l'endroit même où se trouve aujourd'hui le Café Tantonville dominait la Place en à-pic.
----------De ce belvédère rapidement conquis, malgré la menace furieuse des chiens nichés au fond des masures proches, la vue s'étendait sur toutes les fenêtres latérales, derrière lesquelles il se passait tant de choses.
----------Fiacres et calèches encombraient la chaussée : tandis que durait la représentation, les cochers sommeillaient sur leur siège étroit ; et les chevaux, paisiblement, comme tous les chevaux de calèches et de fiacres, grattaient le sol en baissant la tête, et agitaient de temps en temps des dizaines de ces grelots que nous n'entendrons plus...

***

----------Le livret de la pièce jouée était de M. Descous, capitaine d'état-major sous le premier Empire, féru de poésie, qui en avait confié l'interprétation musicale au baron Bron, chef de Cabinet du Préfet.
----------Cette pièce, dédiée par l'auteur au Préfet Latour-Mézeray, était assez médiocre. Elle visait, au delà de l'intrigue, épisode sans relief des temps alors peu éloignés où s'exerçait la piraterie, à chanter les louanges des hommes du jour

Salut à vous guerriers, conquérants de ces bords,
A vous français, l'orgueil d'une patrie auguste !
Salut au Gouverneur, dont l'esprit sage et juste,
Des magistrats d'Alger seconde les efforts !
Honneur au Maréchal qui tient en main la guerre
Et fut un des héros de cette illustre terre !
Gloire à son lieutenant, au rare dévouement
Aussi brave soldat qu'il est homme d'étude,
La dernière coeur due à sa sollicitude
Est écrite au fronton de ce beau monument !

----------Les rôles principaux étaient tenus par MM. Martin (Abdallah, pirate algérien) ; Prosper (chef arabe) ; Mongellas (un officier du 148 de ligne) ; Félix Céret (un zouave) ; Bassan (un brigadier de chasseurs d'Afrique) ; Edmond Saliné (le Dieu Mercure).
----------Mmes Evrard (vivandière du 14e de ligne) ; et les muses : Dalloca (Melpomène) ; Dumonthier (Thalie) ; Betton (Terpsichore) ; Mongellas (Clio). Clio : " couronnée de lauriers, tenant dans sa main droite la trompette de la renommée et, dans sa main gauche, un livre. "

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Le public accueillit quelques airs avec une certaine faveur, notamment le " Chant du pirate "

O Mahomet pardonne,
Si parfois je déraisonne ;
Mais quand le jus d'automne
Échauffe mon cerveau,
Moi, je vois tout en beau !

----------Les décors furent brossés par Brémontier, qui s'occupa également de la mise en scène, aidé de ses collaborateurs : Saniti, Mérelle et Provins.
Brémontier s'acquitta parfaitement de sa tâche, malgré les difficultés qu'il rencontra. Ses reconstitutions fidèles et ses arrangements ingénieux lui valurent beaucoup de compliments.
----------Voici, d'ailleurs, les six tableaux choisis par M. Descous
----------1er tableau. - Vue du port d'Alger à l'époque de la conquête. Au premier plan un bâtiment corsaire, armé en guerre est amarré au quai ; il porte un pavillon rouge, au milieu duquel on doit distinguer le croissant.
----------2° tableau. - Un cachot éclairé par une vieille lanterne suspendue au milieu de la voûte. Les esclaves, hommes et femmes, sont couchés sur la paille par groupes. Bruit de clairon dans le lointain.
----------3° tableau. - La place Juba, où se tenait le marché des esclaves.
----------4° tableau. - La place du Gouvernement.
----------5° tableau. - L'intérieur du théâtre impérial.
----------6e tableau. - Apothéose.

----------La France, assise sur un trône resplendissant, étend ses bras sur les bustes de L.L.M.M. l'Empereur et l'Impératrice.
----------Dans une gloire, au-dessus du trône, on voit le portrait transparent de Napoléon le Grand, supporté par un aigle d'or aux ailes déployées.
----------Les cinq muses, avec leurs attributs, se tiennent debout, au pied du trône. A droite et à gauche sont les militaires de tous les corps de l'Armée d'Afrique et après eux les Colons et les Peuples des diverses nations.

----------Cependant, malgré l'accompagnement d'un intermède de danses le succès resta flottant.
----------Il est vrai que les artistes de premier plan annoncés et tenus en réserve par Mme Curet, ne parurent pas sur la scène en ce soir d'inauguration. II leur fallait d'ailleurs, au préalable - et suivant la coutume - recevoir l'agrément du public, à l'issue d'une première épreuve.

 

***

----------J'ai gardé, pour la fin de ce chapitre, la pièce capitale, le bouquet pourrai-je dire, de cette inauguration.
----------II s'agit d'un discours d'ouverture prononcé par M. M.-T. Luxeuil, attaché - d'après ce que j'ai pu savoir - aux services de Direction du Gouvernement Général.
----------M. Luxeuil ne manque pas d'esprit et manie la plume avec assez d'aisance.
----------Bien entendu, je donne ici, in extenso, le texte en vers de cette épître qui, imprimée par A. Bourget, 1, rue Sainte, à Alger, parut en librairie en 1853.
----------Cette plaquette, ai-je besoin de le souligner, est d'une insigne rareté et je bénis le hasard qui me la fit découvrir.

-------------------Au Public
----------Messieurs,

Pour les premiers débuts notre rideau se lève,
Et nous venons déjà demander une trêve,
Le décor n'est pas prêt ; je vous en fais l'aveu,
Et pour gagner du temps, je viens causer un peu.
Le régisseur voulait, dans cette conjoncture,
Se présenter pour faire un discours d'ouverture.
Il avait endossé l'habit noir dans ce but.
Mais il m'a dit soudain : " C'est un mauvais début.
http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis.

Quand le public me voit venir en ambassade
Il suppose à l'instant qu'un artiste est malade.
Puisque vous êtes là, rassurez-le pour moi.
Mon salut solennel inspire de l'effroi.
Le premier j'en gémis ; on sait trop qu'en principe
J'annonce la migraine ou précède la grippe.
Mais vous, qui n'avez pas à craindre cet écueil,
A ma place entrez donc ; on doit vous faire accueil. "
Ma foi, vous faire attendre eût été malhonnête
Et j'ai, par pur hasard, pris ma part de la fête.
Ne voyez donc, Messieurs, qu'un fondé de pouvoir
Dans l'orateur obscur qui vous parle ce soir.
S'il peut trouver ici l'auditeur bénévole,
C'est un honneur pour lui de prendre la parole.
Eh bien ! il est ouvert, ce théâtre si beau !
Qui ne devait jamais sortir de son berceau ;
A ce que prétendaient ces frondeurs incrédules
Qui, comptant sans leur hôte, apprêtaient leurs férules
Pour donner sur les doigts de nos municipaux,
S'ils avaient un instant ralenti les travaux...
L'autorité qui fait un pareil sacrifice
Verra durer son nom autant que l'édifice,
Et lorsqu'elle accomplit une œuvre de Titans,
Il ne faut pas au moins lui marchander le temps.

Prenant possession de la nouvelle salle,
Qui dans la métropole à peine a son égale,
Heureux d'y pénétrer, l'amateur éperdu
A l'air de retrouver un bien qu'il a perdu.
Le peuple Algérien, en moderne Moïse,
Désespérait d'entrer dans la terre promise,
Tant il prêtait l'oreille à des propos menteurs.
Ce soir, ouvrons la porte aux calomniateurs...
Qu'ils viennent s'abriter sous la coupole altière..
A son centre, ils verront la riche cordelière
D'un lustre étincelant de cristaux, de vermeil
Qui, de feu Pompignan imitant le soleil,
----------" Verse des torrents de lumière
----------" Sur ses obscurs blasphémateurs... "
Contemplant de la mer l'horizon pittoresque,
Te voilà donc debout, monument gigantesque !...
Souvenir en granit jeté dans la cité
À l'éternel honneur de notre Edilité !

Alors qu'il vient de haut, on doit suivre l'exemple.
Les desservants de l'Art seront dignes du Temple.
Et nous ne craignons pas d'engager l'avenir,

Sans promettre pourtant plus qu'on ne peut tenir.
Sans prétendre au parfait, sommet inaccessible...
Nous atteindrons, pour vous, les bornes du possible,
En vous offrant ici le programme complet
D'un triple personnel : Drame, Opéra, Ballet.

Il faut, bien entendu, quelquefois que l'on rie ;
A son tour, nous jouerons aussi la Comédie.
C'est un genre si vrai !... surtout quand nos auteurs
De l'élément comique atteignent les hauteurs.
Peut-être pourront-ils, héritiers de Molière,
Écrire encore pour nous une La Seiglière
Qui du front d'un bon père arrache le bandeau.
Puisque je cite ici cette œuvre de Sandeau,
Sur l'interprète un mot.., c'est l'honneur du Théâtre,
Cet artiste lettré que Paris idolâtre,
L'auteur qui nous donna La Famille Poisson,
Cet honnête homme enfin !... c'est vous nommer Samson
De nos travers humains si la mine est féconde,
Tant mieux ! l'écrivain peut exercer sa faconde,
Puisqu'il nous reste Augier, Scribe, Ponsard, Dumas,
Dont le fils fait mourir sous les camélias
Une femme sans nom, au cœur de pécheresse,
Qui dépensa si mal des trésors de tendresse,
Parce qu'il manquait un refuge éternel
Au tabernacle ouvert du giron maternel !
Les goûts sont différents, surtout dans notre ville.
Or, pour les partisans du joyeux Vaudeville,
Nous fouillerons aussi le comique arsenal
De Numa, de Bouffé, de notre maître Arnal.
Variant nos travaux, nous servirons d'organe
Aux ouvrages si gais des Duvert, des Lauzanne.
Par leurs joyeux refrains l'esprit est entraîné,
Comme vous l'a prouvé le bon Lepeintre aîné.
Dans les sujets choisis respectant la morale,
Nous ne chercherons pas un succès de scandale.
Dans un sens équivoque un mot mal appliqué
Plus tard est innocent quand il est expliqué.
Au théâtre l'on suit des règles d'acoustique.
Un trait bénin grossit par un effet d'optique.
Car le peintre de mœurs, en prenant son pinceau
Pour mieux flétrir un vice en force le tableau.
Dans les jeux de la scène, une phrase légère
Ne fait que précéder celle qui la tempère.
Souvent d'un mot hardi, d'un refrain de chanson,
L'auteur fait ressortir une grande leçon
Comme aux enfants de Sparte, un sage de la Grèce
Prêchait la tempérance en leur montrant l'ivresse.
La moitié des mortels rit de l'autre moitié.
Nous raillerons la femme et l'homme marié.
Aux dames nous dirons : Chez nous venez sourire...
Quand on décrochera contre vous la satire,
Si vous comprenez trop, n'y comprenez plus rien ;
Ce sera toujours mieux, si ce n'est pas très bien.

Paris a de l'esprit la noble dictature.
Alger pourrait avoir une littérature...
En parlant de l'Egypte et des guerriers géants
Dont nos héros du jour sont les fiers descendants,
Notre Homère français, enfant de la Provence, Méry, disait : " Jadis !es soldats de la France
Avec la baïonnette incrustaient un grand nom
Sur l'ongle dévasté de l'orteil de Memnon.
La France a toujours eu l'Orient pour domaine ".
Ici nous achevons cette épopée humaine.
Les exemples donnés n'ont pas été perdus.
Nos aïeux ont des fils qui les ont entendus ".
Eh bien ! nous dirons, nous, à des plumes locales
Puisez quelques sujets dans nos riches annales.
Contents de voir ainsi le répertoire accru,
Nous ouvrirons la scène aux poètes du crû,
S'ils chantent les hauts faits, la vieille renommée
Des chefs et des soldats de notre brave armée
Qui dans Sidi-Ferruch livre un premier combat,
Et porte, après vingt ans, notre aigle à Laghouat.

Tout à l'heure, je crois, j'ai parlé de la Danse.
Si le ballet chez nous tombait en décadence,
C'est que, sur l'autre scène un plancher mal uni
Gâtait les tibias de nos Toglioni ;
L'espace leur manquait... Ce n'est pas tout encore.
Il faut un certain luxe à dame Terpsichore.
Tous nos anciens décors ont subi quelque échec ;
Le palais est sans voûte et la rivière à sec...
Les rats l'ont avalée... et, de leurs dents perfides,
Ils avaient dentelé les ailes des sylphides.
Il fallut tout brûler... et chaque Camargo
Criait comme Caton : Delenda Corthargo !
A moins de recourir à quelques acrobates,
Jamais Déesse, ici, n'eût planté ses pénates.
Dans ces lieux, tout est neuf, et la danse sera
L'accessoire obligé de tous nos opéras.

Notre théâtre est vaste et digne d'un Mécène ;
On peut y déployer les splendeurs de la scène.
Aussi, nous jouerons tout : Donizetti, Reber,
Halévy, puis Grisar, Adam, Thomas, Auber ;
Et, d'oiseaux gazouillants en peuplant notre cage.
Nous saurons du parterre obtenir le suffrage.
D'artistes de talents nous pourrons faire un choix,
Le climat mieux connu ne fait plus peur aux voix.
Car jadis les chanteurs qui venaient en Afrique, Calpurnius doublés d'un souvenir classique,
Prétendant que l'Atlas était leur Golgotha,
Ne foulaient qu'en tremblant le sol de Jugurtha.
Ils savent aujourd'hui notre ciel sans nuages ;
Ils traversent la mer sans craindre les naufrages ;
Ils quittent leurs manteaux pour porter le burnous,
Les plus délicats même ont goûté du couscous.
Repassant sains et saufs la Méditerranée,
Si de retour chez eux, à la fin de l'année,
Quelqu'un médit d'Alger, ils disent aux railleurs
Qu'on n'y meurt pas plus tôt, qu'on y vit mieux qu'ailleurs.

À discourir ici, vraiment je me hasarde,
Sans trouver que ma muse est tant soit peu bavarde,
Car je parle de tout... Excepté du public.
C'est en fait de théâtre un fâcheux pronostic.
Si, comme les Romains, je croyais aux augures.
Je craindrais que, rendant injures pour injures,
Ce public oublié, nous montrant son dédain,
Oubliât, à son tour de revenir demain.
Cet oubli de ma part est de l'ingratitude.
Du théâtre pour tous quand la route est si rude,
Le public bienveillant, qui m'a tendu la main,
Sut écarter pour moi les ronces du chemin.
J'ai toujours près de lui trouvé de l'indulgence,
L'oublier un instant, cela crierait vengeance.

Ma pensée en courant errait à l'abandon,
Mon coeur n'est pas complice... Il demande pardon.
Puisque je suis en train de faire une prière,
Je veux interpeller la salle toute entière,
Désarmer ce public, notre protecteur né,
Et tâcher, en passant, de fléchir... l'Abonné.
Les abonnés, dit-on, ont l'humeur exigeante.
A tous les débutants ils servent d'épouvante,
Et leur sens auditif est quelque peu... nerveux.
On les connait mal. Moi, j'ai confiance en eux.
Ils ne sont pas méchants, ces abonnés féroces...
Minotaures d'Afrique aux appétits précoces,
Que la crainte tranforme en gros serpents Pithons, Déjeunant des ténors, soupant des barytons.
Tudieu ! Quels estomacs !... Allons donc, qu'on raisonne,
L'abonné n'a jamais voulu manger personne ;
Mais il veut qu'on lui plaise... Il a raison, ma foi !
II se range en cela sous la commune loi.
Et si, grands ou petits, cette loi nous protège
L'abonné, plus qu'un autre, aura ce privilège.
Car l'abonné qui vient au spectacle, le soir,
Dans la stalle oublier les ennuis du comptoir,
Le travail des bureaux, la fatigue des armes,
D'un morceau bien rendu veut savourer les charmes.
S'il est un peu rétif à prodiquer l'encens,
Il ne fait qu'obéir à la loi du bon sens
Qui veut que chez celui dont la raison s'épure
L'esprit comme le corps trouve sa nourriture.
Or, dès qu'il a payé, tout homme intelligent
A droit de consommer au moins pour son argent.
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Mais, lorsque des débuts, il vient subir l'épreuve
(Triste position... qui pourtant n'est pas neuve),
Du supplice éternel, l'artiste à l'avant goût.
S'il avait peu de voix, il n'en a plus du tout ;
Ou d'un chat discordant redoutant la surprise,
Si le parterre est plein, la peur le paralyse.
Hirondelle égarée en ce vaste océan,
Il peut briser son aile aux coups de l'ouragan.
Placé devant son juge et craignant les tempêtes
Qui grondent sourdement dans cette mer de têtes,
L'artiste est presque mort !... Soyez officieux...
Si vous l'encouragez, peut être ira-t-il mieux.
Savez-vous ce que c'est qu'un pauvre artiste en scène !...
Mais c'est l'esclave ancien expirant dans l'arène.
Pour vous sourire, il prend plus d'un masque menteur
Et quand il doit tomber, tombe en gladiateur.
Ne le traitez donc pas, au grand jour des batailles,
En Charles-Quint vivant, voyant ses funérailles.
Si dans un tel combat il doit être vaincu,
Il ne peut pas mourir avant d'avoir vécu.
Ne traitez pas l'artiste en lièvre pris au gîte.
Sur ce gibier craintif ne tirez pas trop vite.
Qui sait?... Faible d'abord, par un trait réussi,
Il peut voir tout à coup son juge radouci ;
Dans ce duel d'un jour, quelque gamme bien faite
Fait parade au sifflet.., c'est la botte secrète
Qui touche le Public... Ce Jupiter Stator,
Que tout Pollux acteur voudrait pour son Castor.
Que le chanteur se borne à charmer vos oreilles ;
Souvent le souffle manque à tenter des merveilles,
Et l'on meurt écrasé par le fardeau porté,
Quand on s'attèle au char de la célébrité.
Les réaux de l'Espagne et les boudjous d'Afrique
Ne feraient pas trouver un diamant lyrique.
A défaut de sublime on entendra du bon.
Vouloir exiger plus serait de mauvais ton.
Ponchard a su chanter, et sans effort pénible.
Prisais... modérément certain Ut impossible,
Très beau, s'il réussit... Ca réussit bien peu,
Cette note infernale, et qui n'était qu'un jeu
Pour le fameux Duprez (bon père de famille,
Qui légua tout entier son talent à sa fille) .
L'Ut est un criminel... et sachez bien surtout
Qu'un ténor pour cet Ut est capable de tout.
Pour atteindre aux hauteurs de la note homicide,
Le ténor sans pitié commet un suicide.
Contre un son filandreux sa voix, en s'escrimant,
A l'air d'aller chercher son Ut au firmament...
Cette note espérée... et toujours attendue,
Qu'aucune oreille hélas ! n'a peut-être entendue,
C'est beau, de temps en temps. Vient-elle trop souvent ?
Au lieu d'un son bien plein, il ne sort que du vent.
L'Ut ne part qu'étranglé du gosier qu'il déchire.
Bref, au lieu d'émouvoir, le povero fait rire.
Car c'est maintenant pour ce malheureux Do,
Que du théâtre on dit : Castigat ridendo.
L'Ut a déjà causé des malheurs en Afrique ;
Rappelez-vous la mort du vieux Caton d'Utique,
Percé de son épée, il mourut sur le dos,
En poussant contre Rome un Ut mal à propos.
L'Ut, héros musical, appartient à l'histoire...
M. Malbroug est mort ; pleurons sur la mémoire
De ce Do regretté, qu'un chanteur immortel
Nous donna le dernier dans le Guillaume-Tell
Du divin maëstro, l'Apollon de Pézare.
Chantons donc sans crier, sans viser au bizarre
Si près du ridicule... et laissons au lutteur
Le soin d'un tour de force inutile au chanteur.
La méthode et le jeu valent bien, j'imagine,
Tous ces sauts de tremplin, nommés Do de poitrine,
Qu'en renard on convoite, et qu'on n'atteint jamais...
Les raisins sont trop verts... Laissons pour les gourmets
Cette note d'extra, qu'un critique ordinaire
A si bien baptisé du nom d'Ut poitrinaire
L'aigle ne chante pas, mais bien le rossignol.
Estimons nous heureux d'entendre un Si bémol.
Pourtant, consolez-vous, Messieurs les Utophiles,
On franchira pour vous ce Do des Thermopyles ;
Regardez-le du moins comme un fait incident ;
Vous l'aurez quelquefois, mais par pur accident.
La voix, grâce au local, sera plus assurée,
Si l'oiseau chante mieux quand sa cage est dorée.

Pour notre art éprouvé les mauvais jours ont fui
Un rayon d'avenir va refléter sur lui
Or, pour l'encourager, tâchez qu'on applaudisse.
Formulez vos arrêts. Danseur, acteur, actrice,
Vous devez tout juger. C'est un droit acheté,
Usez donc largement de votre liberté.
Pourtant, réfléchissez qu'un sifflet sur les lèvres
Suffit en ce climat pour vous donner les fièvres...
Cela gâte les dents... C'est très contagieux.
Mais en applaudissant, on se porte bien mieux...
C'est plus hygiénique... et puis, ne vous déplaise,

On est plus indulgent quand on est à son aise.
Ce théâtre est si beau ! ... Chasseriau, Ponsart,
Des besoins du public ont si bien fait la part.
Un foyer grandiose illustré de peintures,
Aux arabesques d'or, aux savantes sculptures,
Étendant son manteau comme un Samaritain
Vous présente un abri par un temps incertain.
Caressant mollement le velours de sa stalle,
Le spectateur charmé des splendeurs de la salle,
Du bien être qu'il goûte, en faisant le récit,
Dira : Sarlin nobis haec otia fecit
Pour paraître blasés, par amour pour la mode,
Dormez vous au théâtre ? ... Un fauteuil est commode.
Vous en avez partout, du parquet au balcon.
Derrière votre loge, on a mis un salon
Dont le rideau vous offre un élégant trophée
Pour bercer votre ennui dans les bras de Morphée.
Ainsi, venez toujours. Chez nous, sans nul effort,
D'un doux farniente vous aurez le confort.
Oh 1 vous ne pourrez plus inventer un prétexte
Pour fuir notre spectacle et chanter l'ancien texte
" Ma loge est trop petite ou mon banc est trop dur.
" J'attends pour m'abonner le théâtre futur... "
Maintenant vous l'avez... si, par un jour d'orage,
Vous avez peur de l'eau, venez en équipage.
Le quartier Bab-Azoun est pavé, Dieu merci
Du moins il pourrait l'être... Avez vous le souci
Du cigare ? Avez-vous l'habitude assassine
Qui porte à s'infiltrer l'extrait de nicotine ?
L'architecte a prévu ce besoin des fumeurs.
On peut, sous un palier ouvert aux amateurs,
Voir d'un panatellas l'odorante fumée
Serpenter au plafond en spirale embaumée.

Loin de nous le projet d'insulter au vaincu
Pauvre petit Théâtre, où nous avons vécu,
Nous te disons adieu !... Nous quittons ton asile
Pour le palais construit avec l'or de la ville. L'Administration de la localité,
A noblement montré sa libéralité.
J'ai très peu parlé d'elle. On ne peut guère mettre
L'Administration dans un vers hexamètre.
J'eusse remercié ce pouvoir collectif
Sans la place qu'il faut à son long substantif
Qui marche sur six pieds. Quantité fort gênante
Qui seule a pu couvrir ma voix reconnaissante.

Maintenant qu'elle voit la couleur du drapeau,
Puisse à son tour la foule envahir le bureau.
Notre esquif est lancé! ... Notre pavillon flotte !
Nous espérons avoir le public pour pilote.
A des prix différents on prend le passager,
Et qu'il soit riche ou pauvre, on pourra le loger.
Pour fréter le navire, on appelle à la ronde
Les simples travailleurs, les heureux du grand monde, L'employé, le marchand, le commis, le soldat,
Nous ne demandons pas de titre au candidat.
Et vous, solliciteurs, accablés de disgrâces,
Ici, pour quelques sous, vous obtiendrez des places.
Si vous venez chercher un plaisir attrayant
Vous trouverez chez nous des égards... en payant.
Je parle au nom de tous, accueillez ma supplique.
Si ces vers, par malheur, éveillent la critique,
Au moins sur ce Théâtre ouvert à vos bravos,
J'ai l'honneur d'avoir dit, Messieurs, les premiers mots.

M. T. LUXEUIL.

van ghele
Van Ghélé ainé, chef d'orchestre de l'Opéra d'Alger