HISTOIRE de L'OPÉRA D'ALGER
Épisodes de la vie théatrale algéroise
1830-1840
Fernand Arnaudiès

PREMIÈRES HEURES du THÉÂTRE ALGÉROIS pages 17 à 37

« Il sera construit une salle de spectacles dans la ville d'Alger»
(Général Comte Clauzel, arrété du 12 novembre 1830)


sur site le 14-06-2003
L'OCR a laiisé des "coquilles" que je n'ai pas reprises. Veuillez me pardonner. Vous pouvez me les signaler..

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---------Avant la conquête, on ne connut guère d'autre théâtre en Alger, que celui de " Kara-Kouche ", rudimentaire et primitif, en honneur surtout durant le mois de Ramadan.
---------" Kara-Kouche " est un héros de légendes alertes, impudiques, un héros monstrueux, dont les folles aventures, naïvement silhouettées et projetées en ombres chinoises, déchaînent les bravos et les rires, parmi un auditoire où se mêlent vieillards et enfants.
---------" Kara-Kouche ", dans son costume turc, un turban énorme sur la tête, se livre à toutes sortes d'excentricités. Il est dans un harem, dans un marché d'esclaves, dans un café, et partout, en toutes circonstances, il abuse de sa force et de son prestige.
---------" Kara-Kouche " dont on a fait parfois «Garagousse", tient une grande place dans les conversations ; on se plaîtà évoquer ses exploits ; il a sa légende.
---------" Kara-Kouche ", l'Oiseau noir, fut gouverneur du Caire
sous le règne de Saleh-ed-Din ; désireux d'augmenter la puissance défensive de la ville sur laquelle il veillait, ce gouverneur, prudent avant tout, donna l'ordre de raser tombeaux et mosquées et d'édifier une citadelle à leur place. Ce sacrilège lui valut, non seulement la réprobation des habitants qui lui donnèrent le surnom " d'Oiseau noir ", mais encore la réprobation divine. " KaraKouche ", voué depuis lors aux missions ridicules, devint un amuseur de badauds.
---------Longtemps après la reddition d'Alger, les représentations de ces farces optiques eurent lieu surtout dans les cafés maures.
---------Dans l'une des scènes, les plus goûtées et les plus applaudies " Kara-Kouche " combat, seul, contre un groupe de soldats français : ceux de Sidi-Ferruch. Chacun imagine la facilité avec laquelle il leur tient tête, en arrive à bout, et les soumet à sa loi. Tout aussi aisément comprendra-t-on qu'un ordre du Comte Guyot, directeur de l'intérieur vint, en 1843, mettre fin aux prouesses de " l'Oiseau noir ".

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---------Après la conquête, à côté du théâtre officiel ou subventionné qui, seul, nous intéresse ici, Alger vit fleurir d'assez nombreuses boîtes à musique ou à comédie qui dispensaient, à bon compte, des spectacles sans prétention. Le " Théâtre Mayeux ", du nom de son propriétaire, situé aux abords de la place du Gouvernement fut, dans la catégorie, le plus en vogue.
---------Son inconfort, sa vétusté, trouvaient dans la modicité du prix des places, une compensation suffisante. L'entrée coûtait dix sous et donnait droit en outre à une consommation...
---------Le théâtre Mayeux où l'on jouait « les fureurs de l'amour " bien " La foire de Saint-Laurent» eut une fin tragique.
---------En 1845 l'incendie de la Djenina le réduisit en cendres.
---------Je passe sur les cafés-concerts, mais il faut accorder cependant un souvenir au " Café de la Perle " installé au premier étage de la galerie Duchassaing, à l'angle de la rue Bab-el-Oued et de la place du Gouvernement.
---------Ce café, très bien fréquenté d'ailleurs, était dirigé par un sieur Emmanuel Mickreditz, homme des mieux avisés et de commerce agréable, qui sut mériter toutes les sympathies.
---------Le chansonnier Bordas y chanta et les violonistes Sulot et Maurin dirigèrent son brillant orchestre.
---------Transporté sur le boulevard de la République, à l'emplacement du Crédit Foncier actuel, ce café chantant se donna des airs de théâtre et y réussit parfois. Il eut le même sort que le " Mayeux ": il brûla et Emmanuel Mickreditz n'eut pas le courage de le reconstruire. De 1837 à 1865 " La Perle ", plus tard installé rue des Trois Couleurs, connut une gloire dont les échos passèrent au delà de la Méditerranée.

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---------La création d'un théâtre subventionné à Alger remonte aux tout premiers mois qui suivirent la reddition de la ville, survenue le 5 Juillet 1830.
---------L'idée en revient au Général Gouverneur Comte Clauzel, soucieux de soutenir le moral de ses hommes et fort bien renseigné, autant sur les tendances que sur la précarité des distractions que pouvait offrir une cité inquiète et hostile.
---------Dès le 12 Novembre 1830 le Général promulgua un arrêté en trois articles, dont voici le texte intégral
---------Art. 1er. - Il sera construit une salle de spectacles dans la ville d'Alger.
---------Art.2.- Le choix de l'emplacement, le devis estimatif et les travaux qu'exigera cette construction seront soumis à l'approbation du Général en Chef.
---------Art. 3. - L'Intendant est chargé de l'exécution du présent arrêté.

---------Le Gouvernement, souscrivant à l'idée du Général Clauzel, accorda une subvention de trois mille francs, à l'effet de monter sans délai un théâtre provisoire, en attendant la réalisation, qui devait singulièrement tarder, du projet définitif.
---------Restait cependant à trouver un local convenable et propice. Après d'assez laborieuses recherches le choix se porta tout simplement sur le Palais des Deys, la Djénina ! Le recrutement de la troupe donna bien quelque souci à l'organisateur, André Guillaume, auteur dramatique, mais l'Armée et l'Administration lui fournirent bientôt tous les éléments d'action indispensables.
---------Ainsi fut monté à peu de frais le " Théâtre d'amateurs d'Alger ", en faveur duquel André Guillaume publia un prospectus fort édifiant, que je transcris ici, mot pour mot:
---------« L'occupation d'Alger étant pour ainsi dire à jamais assurée, un théâtre devenait indispensable dans une ville aussi peu attrayante, où rien ne saurait fixer les yeux ou reposer l'esprit. Au vrai, Alger n'offre à l'européen qu'un amas de maisons dont la construction bizarre et uniforme est totalement étrangère à ses goûts. D'un côté, le manque de promenades et de points de réunion, la fréquentation habituelle des rues étroites, sombres et tortueuses, forcent la bonne société qui s'augmente chaque jour, à se créer chez elle des amusements et des distractions qu'elle chercherait en vain ailleurs.
---------La nécessité d'établir une fusion dans le beau monde était vivement désirée ; elle ne pouvait s'opérer que par le théâtre, on va l'élever, mais par qui sera-t-il desservi ? On avait d'abord pensé à faire venir de Paris des comédiens soldés, quand les dépenses énormes qu'entraînerait le personnel du plus mince spectacle, ont fait abandonner ce projet, aussitôt avorté que conçu.
- ---------Dans cette occurrence une réunion d'officiers de l'armée et des diverses administrations qui la composent, ont bien voulu se dévouer pour la cause commune, ils vont jouer la comédie
---------Souscripteurs eux-mêmes, comme les personnes qui jouiront de leurs entrées, ces artistes de bonne volonté s'imposeront, de plus, la tâche d'apprendre des rôles et celle bien plus pénible encore de jouer devant une assemblée choisie et nombreuse. Aussi les spectateurs ne devront attacher aux représentations aucune espèce de censure publique qui serait de nature à froisser l'amour propre des acteurs et à troubler le spectacle.
---------S'il en était autrement, la scène changerait de face et le théâtre de tranquilles amateurs se transformerait en un forum tumultueux.
---------Ceci une fois compris, on sentira que ceux qui se sacrifient à l'amusement de tous ont droit, en revanche, à des égards qu'on ne saurait leur refuser d'ailleurs sans blesser toutes les convenances, et jeter parmi eux un découragement qui amènerait infailliblement la rupture de la société.
"

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Disons ici que le projet de création d'un théâtre à Alger souleva d'assez vives controverses.
---------Le Député Desjobert, entre autres, prétendait dans une lettre assez irréfléchie, que le théâtre " révélerait aux indigènes l'odieuse nudité des Robert Macaire ". La presse, par contre, mena le bon combat, insistant sur " l'utilité du théâtre, comme moyen de propagande civilisatrice ".
---------André Guillaume fut dès l'abord très embarrassé; car il ne réussit pas à trouver à Alger des dames pouvant s'associer à œuvre des amateurs. Il fut donc obligé de s'assurer le concours de trois artistes parisiennes
---------1 ° Jeune première amoureuse, premier rôle et grande coquette ;
---------2° Soubrette de drames, comédies, vaudevilles et opéras-comiques ;
---------3° Duègne, premiers rôles marqués et caricatures.
---------Mais il fallait rémunérer ces trois artistes, il fallait faire tous les frais de leur long voyage... De là un embarras financier primordial, une de ces difficultés que le destin semble avoir réservé aux théâtres de tous les temps.

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On songea donc à former une société avec des souscripteurs-fondateurs, des souscripteurs ordinaires et des abonnés.

---------Le baron Berthezène, général en chef, donna à André Guillaume l'autorisation de constituer un conseil d'administration. Ce conseil se composa de MM. Péron, régisseur; Grosrichard, caissier; Rolland de Bussy, secrétaire ; Lambert, chef d'orchestre.
---------M. de Guiroye, intendant militaire, futur maire d'Alger, en accepta la présidence.
---------L'orchestre comptait vingt-cinq musiciens, que M. Lambert choisit et prépara parfaitement à leur rôle.
---------Quant à la salle, on l'installa du mieux possible. Les matériaux ne manquaient pas, les bras non plus.
---------On ménagea un rang de premières loges, quatre de ces loges étant réservées au baron Berthezène, général en chef ; à M. l'Intendant en chef ; à M. de Guiroye, président du conseil d'administration et à M. André Guillaume, directeur-administrateur.
---------Le constructeur créa en outre trois foyers : un pour les artistes, un pour les figurants, un pour les musiciens. La cour mauresque de la Djénina, limitée par de belles colonnes de marbre, fut mise à la disposition des spectateurs durant les entractes.

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---------La salle de la Djénina fut assez tôt abandonnée. On réinstalla le théâtre, d'abord dans une impasse de la rue de la Marine puis, en 1832, dans une salle relativement vaste, sise rue des Consuls.
---------La direction de cette salle fut confiée à un sieur Guillet, " de l'Académie Royale de musique ", protégé de Mme la duchesse de Rovigo ; puis à M. Mirecourt et, à partir du 1 e' Septembre 1833, à Mme Dacosta dont l'activité, le grand désir de s'acquitter au mieux d'une tâche difficile, furent, semble-t-il, vivement appréciés.
---------Je livre en passant, à la méditation des amateurs, le prix des places de ce théâtre : parterre, un franc ; parquet, deux francs cinquante ; loge de quatre places, quinze francs pour une soirée et mille francs pour la saison.

---------Plus tard, pour des raisons de commodité, le Théâtre d'Alger, choeur chantant d'histrions en voyage, fut transféré rue de l'Etat-Major, où s'ouvrait son entrée principale, tout près du groupe de beaux palais arabes qui abritent actuellement la Bibliothèque Nationale et les services de la Division d'Alger : une seconde entrée avait été prévue, par précaution, rue du Soudan.
---------La salle était coquette. Les journalistes lui donnaient volontiers le joli nom de " Bonbonnière ", évocateur d'intimité charmante et de confort. Elle ne contenait guère que six à sept cents places. On y jouait l'opéra-comique, le drame, le vaudeville. En été, d'excellentes troupes italiennes, qu'on avait la bonne fortune d'engager, donnaient de très honnêtes représentations d'opéra.
---------Il convient de préciser d'ailleurs, qu'à la suite de démarches pressantes, la subvention de trois mille francs allouée à l'origine, fut portée par le Gouvernement à huit mille francs : ainsi les organisateurs eurent les moyens d'acquérir des concours plus précieux et d'éviter enfin la collaboration de maints jeunes premiers, dont de fâcheux débuts n'avaient sans doute pu trouver grâce sur les plateaux de la Métropole.
---------C'est ainsi que, parmi d'autres recrues de premier ordre, le ténor Berton et sa jeune et séduisante femme, souvent sa partenaire, connurent, rue de l'état-major, une carrière particulièrement heureuse. La direction du théâtre avait été confiée, dès le début, à M. Honoré Curet qui mourut peu après l'ouverture. Sa veuve, femme de grand mérite, intelligente et active, reçut mission de lui succéder. Elle était la sueur du compositeur et chansonnier algérien Lucien Desormes. Les noms de MM. Mantégazza et Bozio se retrouvent aussi dans les archives directoriales.
---------Le prix des places n'avait guère varié. On payait quatre francs pour les loges et les stalles ; trois francs pour les balcons ; deux francs pour les galeries ; un franc pour les parterres. L'abonnement pour douze représentations revenait à vingt-deux francs.
---------En 1842, le tableau de la troupe - il n'est pas inutile de le rapporter - était le suivant:

Administration

---------MM. Honoré Curet, directeur privilégié
Thurbet, premier régisseur chargé de la mise en scène.

Mise en scène

---------MM. Hyppolyte, deuxième régisseur-inspecteur
---------Leuliette, chef d'orchestre
---------Francelle, répétiteur
---------Cabassous, souffleur
---------Bocca, machiniste.

Acteurs (vaudeville-comédie-drame de genre)

---------MM. Armand Biré, premiers rôles marqués, les Ferville, Saint-Aubin, etc...
---------Mirecourt, jeunes premiers rôles
---------Sandré, premiers amoureux en tous genres
---------Alliès, deuxième et troisième amoureux
---------Dessonville, premiers comiques en tous genres. Les Arnal, Odry, Vernet, etc...
---------Thurbet, les financiers et troisièmes rôles
---------Vermez, deuxièmes comiques
---------Givot, grimes et caricatures
---------Adolphe, utilités.
---------Mmes Sandré, les grandes coquettes, premiers rôles ---------Richetti, premiers rôles
---------Mauroy, les jeunes premières en tous genres, ingénuités, travestis
---------Caroline, soubrettes en tous genres
---------Grainer, deuxième et troisième amoureux
---------Louise, deuxième et troisième amoureux
---------Gardem, les duègnes et les mères nobles.

---------Nous pouvons dire que le succès de ce théâtre fréquenté par la plus haute société de la Colonie, dépassa largement tous les espoirs. Le nombre des spectateurs grandissait sans cesse. Faute de place, on se trouvait bien souvent dans l'obligation de fermer les guichets, alors qu'une foule encore considérable stationnait sur la chaussée étroite.

 



---------Toutefois, ce n'est que vers 1850 qu'il fut décidé d'agrandir la salle. M. Robinot-Bertrand, chargé de mener les travaux à bonne fin, sut, à cette occasion, tirer le meilleur parti du vieil immeuble.
---------Les travaux, auxquels contribuèrent les condamnés du colonel Marengo, furent achevés le 15 Septembre 1851 et, sans tarder, l'on ouvrit les portes.
---------Cependant, bien que remanié et assez considérablement agrandi, le théâtre de la rue de l'état-major devenait par trop insuffisant. Les citoyens responsables se trouvaient entièrement d'accord sur la nécessité urgente de construire enfin un édifice digne de la ville. Or, une question les divisait et les divisa longtemps. Sur quel emplacement devait être construit cet édifice ? A vrai dire, le choix était plutôt limité, et il aurait pu limiter la discussion. Il n'en fut rien. Au contraire. On discuta à perte de souffle : l'humour et, reconnaissons-le, le ridicule, se partageaient ces palabres.
---------M. Poirel Ingénieur des Ponts et Chaussées qui, conscient de l'avenir d'Alger, tenait en réserve le plan d'une salle de deux mille places, avait amorcé en 1837, une première discussion sérieuse. Elle n'aboutit à rien. En 1846, M. le conseiller Ballyet, rapporteur, reprit l'affaire en conseil d'administration : il proposait de construire le théâtre sur la face ouest de la place du Gouvernement qu'il considérait comme étant le seul dégagement à retenir. Mais l'opposition s'insurgeait. Invoquant la présence de la Cathédrale et de l'Archevêché aux alentours de la place, elle objectait que le voisinage d'un Opéra n'y serait guère souhaitable et proposait le choix d'un terrain aux abords du square Bab-Azoun.
---------Ce à quoi M. le Conseiller Rolland de Bussy répondait, qu'en se décidant pour le square de la porte Bab-Azoun, refuge des automédons et des chariots de transport, on choisissait un coin " peu fréquenté " - ce sont ses propres paroles - voué aux travaux de voirie, encombré, où les spectateurs " redouteraient de se rendre, par le plus léger mauvais temps " !
---------Et la discussion continuait.
---------Enfin, en 1849, une note ministérielle enjoignit au Conseil Municipal de trancher l'affaire et d'en décider une fois pour toutes.
---------Ce fut le signal du rassemblement et l'effet produit fut immédiat : des palabres le Conseil Municipal passa à l'action et ainsi fut choisi l'emplacement actuel.

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L'entrepreneur Sarlin avait soumis au Conseil Municipal le projet de deux architectes : MM. Frédéric Chassériau, ancien architecte des bâtiments civils et Ponsart, architecte de Toulon.
M. Sarlin se chargeait de la construction dans des conditions exceptionnelles, puisqu'elles rendaient quittes de toute dépense et le Gouvernement et la ville, lesquels cédaient en compensation sept mille mètres carrés de terrain dans la Djénina.
En tous cas, le plan Chassériau-Ponsart fut agréé, sans doute après de nouvelles joutes oratoires, de nouvelles réticences et de nouveaux enthousiasmes.

---------Frédéric Chassériau, principal artisan de œuvre, né le 29 Janvier 1802 à Port-au-Prince, fils d'un général d'Empire, se destina, tout d'abord, à la carrière militaire. Reçu à l'École spéciale de Saint-Cyr en 1819, il démissionna peu après l'ouverture des cours, n'ayant pu obtenir une bourse d'études. Il se fit alors inscrire à l'École des Beaux-arts de Paris, où il fut élève de Mesnager. II obtint en 1824 son diplôme d'architecte.
Frédéric Chassériau eut une carrière des plus actives, au cours de laquelle il occupa de nombreux postes de premier plan. C'était un homme d'une belle intelligence, d'un grand savoir, d'une sûreté de vue peu commune.
---------Nous le trouvons, successivement, Inspecteur de la grande voirie de la ville de Paris ; chargé d'importants travaux à Alexandrie d'Égypte ; Directeur des Travaux publics à Marseille (1833-1839).

---------Puis, en 1849, architecte en chef de la ville d'Alger, poste qu'il occupa par deux fois encore, en 1859 et 1874.
---------Son oeuvre algéroise est importante. Il est l'auteur, notamment, d'un projet de ville moderne " Alger-Mustapha " (1858), d'un projet de Musée et du plan des voûtes et façades monumentales du boulevard de l'Impératrice, aujourd'hui boulevard Maréchal Pétain.
---------Frédéric Chassériau était l'oncle de Théodore Chassériau, peintre orientaliste, né à Saint-Domingue le 20 Septembre 1819, mort à Paris le 8 octobre 1856.
---------Théodore Chassériau est représenté au Musée National des Beaux-Arts d'Alger par de nombreuses toiles ou dessins, donnés, la plupart, par le Baron Arthur Chassériau, que beaucoup d'Algérois ont connu et tenu en haute estime.
Arthur Chassériau naquit à Alger, au numéro 15 de la rue de Tanger, où Frédéric Chassériau avait installé son bureau d'archifecte.

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Une légende ridicule a longtemps couru sous le manteau : le suicide de Frédéric Chassériau, inconsolable d'avoir " commis quelques erreurs " dans l'élaboration de ses plans de l'Opéra d'Alger.
---------L'Opéra a été achevé en 1853 ; Chassériau est mort quarante-trois ans après, en 1896. Le rapprochement de ces dates suffit à détruire la légende.
---------Mais ne disait-on point, entre gens bien renseignés, que Marochetti, l'auteur de la statue équestre du Duc d'Orléans inaugurée à Alger le 25 Octobre 1845 s'était, lui aussi, envoyé du plomb dans la tête parce qu'il avait omis de placer une gourmette au mors de bride de son cheval ?

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---------Qu'était au juste, cette Djénina, objet de la transaction ? Djénina - petit jardin - désignait alors plus exactement - nul ne sait pourquoi - un groupe de maisons de style mauresque qui s'étendait, vraisemblablement, de l'actuelle Place du Gouvernement au Square Bab-Azoun et servait, avant la conquête, de résidence au Gouvernement turc. Pour cette raison, les indigènes la tenaient en grande vénération.
---------La Djénina, " Dar et Sultan et Khédima " - la vieille maison du Sultan - fut morcelée au gré des ans et de la fantaisie des Pouvoirs publics. Peu à peu, cours voûtées (l'une d'entre elles servit de cadre à la fin tragique de Martin de Vargas, le défenseur du Pénon), colonnades, fontaines aux faïences multicolores, dômes ajourés, disparurent.
---------Au moment de la construction de l'Opéra, la Djénina dévastée par un incendie en 1845, avait à peu près complètement disparu et il n'en restait qu'un vaste terrain.

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---------Un décret du 10 Août 1850 signé de Louis-Napoléon Bonaparte, Président de la République, contresigné du Ministre de la Guerre d'Hautpoul et du Conseiller civil rapporteur Louis Majorel, pour le Gouverneur Général de l'Algérie, autorise la concession gratuite à la Commune d'Alger, du terrain nécessaire à la construction du théâtre et à la transaction dont nous venons de parler.
---------Le texte de ce décret, assez long, est pour notre historique d'une importance qui n'échappera pas au lecteur

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Au nom du Peuple Français,
---------Le Président de la République,
---------Sur le rapport du Ministre de la Guerre, le Conseil de Gouvernement de l'Algérie préalablement entendu ;
---------Vu les ordonnances des 28 Septembre 1847 et 31 Janvier 1848, relatives à l'organisation des municipalités en Algérie et à l'érection de la ville d'Alger en commune ;
---------Vu l'arrêté du Président du conseil, chargé du Pouvoir exécutif, en date du 16 Août suivant, concernant l'établissement des dites municipalités ; Vu les art. 4-7 et 8 de l'arrêté du Chef du Pouvoir exécutif du 4 Novembre 1848,
sur la constitution de la propriété et de la dotation immobilière des communes de l'Algérie ;
---------Vu les délibérations du Conseil municipal de la ville d'Alger, en date des 7 Août 1849 et 14 Février 1850 relatives au projet de construction d'un théâtre communal sur le terrain domanial, sis à Alger, à l'ouest de la place Bresson moyennant un prix fixé à forfait avec les soumissionnaires à 820.000 Fr., payable en terrains communaux ;
---------Vu la décision du 23 Juillet 1850, par laquelle le Ministre de la guerre, sur la proposition du Préfet du département d'Alger et l'avis du Gouverneur Général, a approuvé les délibérations et le projet dont il s'agit, ensemble l'arrêté ministériel dudit jour, 23 Juillet, qui fixe les alignements des terrains destinés soit à recevoir cet édifice, soit à être livrés par la commune pour l'acquit des charges de l'entreprise ;
---------Vu les plans et pièces à l'appui ;
---------Considérant que les recettes ordinaires et extraordinaires de la ville d'Alger sont entièrement absorbées par ses dépenses et qu'il y a lieu, conformément à l'arrêté susvisé du 4 novembre 1848, de venir à son aide par subvention, en lui concédant des terrains et bâtiments domaniaux disponibles, à la charge de les affecter, partie à l'emplacement du théâtre et des rues projetées, partie au paiement du prix stipulé pour la construction de cet édifice,

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--DÉCRÈTE
---------Art. 1er - Il est fait concession gratuite à la commune d'Alger d'un terrain domanial d'une superficie d'environ 2.562 mètres carrés, situé à l'ouest de la place Bresson, à Alger, ledit terrain comprenant : 1 ° au centre, une parcelle d'une contenance de 1.500 mètres, et qui devra être affectée à la construction même du théâtre projeté ; 20 au sud, une parcelle d'une contenance d'environ 255 mètres, déduction faite d'une parcelle appartenant à un tiers ; 3° au nord, une parcelle d'une contenance d'environ 575 mètres ; 4° et à l'ouest, une parcelle d'une contenance d'environ 232 mètres ; ces trois dernières parcelles à attribuer en totalité à l'ouverture des trois rues destinées à desservir le théâtre.
---------Art. 2. - Il est également fait concession gratuite à la commune d'Alger des terrains domaniaux, bâtis ou non bâtis, d'une superficie totale d'environ 7.000 mètres 85 centimètres carrés, situés à l'ouest de la place du Gouvernement, entre les rues Porte-Neuve et de Chartres, la place de la Cathédrale, et les rues Bruce, Jénina et Bab-el-Oued, lesdits terrains se composant des parcelles suivantes, savoir :
---------1° îlot d'une contenance d'environ 998 mètres, déduction faite d'une propriété particulière d'une superficie d'environ 52 mètres ;
---------2° îlot d'une contenance d'environ 1.120 mètres ; lesdits îlots actuellement disponibles ;
---------3° îlot d'une contenance d'environ 220 mètres, mais comprenant une partie du palais épiscopal, qu'il n'y aura lieu de livrer à la commune qu'à l'époque indéterminée et facultative où l'État jugera convenable d'attribuer une autre résidence à l'Évêque d'Alger ;
---------4° îlot d'une contenance d'environ 625 mètres comprenant partie du bâtiment de la Djenina, ainsi que diverses boutiques bordant le passage du Divan, et réserves faites des droits des tiers qui paraissent élever des prétentions de propriété ;
---------5° îlot d'une contenance d'environ 525 mètres, déduction faite d'une maison particulière d'une superficie d'environ 75 mètres et comprenant partie du bâtiment de la Djenina, de la Manutention et de l'Évêché, pour lesquels la réserve exprimée au N° 3 ci-dessus est également faite ;
---------6° îlot d'une contenance d'environ 1.074 mètres 85 centimètres, comprenant la partie des bâtiments de la Djenina et de la Manutention militaire ;
---------7° îlot d'une contenance d'environ 302 mètres et comprenant partie des bâtiments de la Manutention ;
8° îlot d'une contenance d'environ 2.136 mètres, et comprenant le surplus des bâtiments de la Manutention.
Lesdits îlots non disponibles immédiatement.
---------Art. 3. - Sous les réserves relatives à l'Évêchéet aux propriétés privées, le département de la guerre fera remise à la commune d'Alger des immeubles domaniaux bâtis ou non bâtis et susmentionnés aux époques ci-après déterminées, à savoir
Les terrains disponibles, désignés à l'art. 107 ci-dessus, seront immédiatement livrés à la commune ;
---------Les terrains et bâtiments également disponibles et composant les îlots de l'art. 2, seront remis dans le délai d'un mois.
---------Art. 4. - La commune d'Alger devra attribuer les terrains compris à l'article 107 du présent décret à l'emplacement du théâtre dont la construction a été autorisée, ainsi qu'à l'ouverture des rues qui doivent le desservir,
---------Elle sera tenue d'employer successivement le surplus des immeubles présentement concédés à l'acquit des charges de cette entreprise et à l'ouverture des rues projetées sur les terrains de concession à l'ouest de la place du Gouvernement ; le tout conformément au traité passé entre elle et les soumissionnaires de l'entreprise du théâtre, et suivant le tracé des alignements arrêtés pour ces parties de la ville d'Alger.
---------Art. 5. - Il est expressément fait abandon à la commune des matériaux de démolition des bâtiments présentement concédés. Toutefois, lors de la démolition, elle devra faire remise à l'administration départementale des colonnettes et embrasures de portes en marbre qui pourraient exister dans lesdits bâtiments, comme aussi des objets d'art ou d'antiquité qui seraient trouvés sous le sol.
---------Art. 6. - Le Ministre de la Guerre est chargé de l'exécution du présent décret qui sera inséré au " Bulletin Officiel des Actes du Gouvernement " et publié au " Moniteur Algérien ".
---------Fait à Paris, le 10 Août 1850.
---------Signé : L.-N. BONAPARTE.

Le Ministre de la Guerre,
Signé : D'HAUTPOUL.

Vu pour être promulgué en Algérie
Alger, le 9 Septembre 185o,
LE GOUVERNEUR GÉNÉRAL,

Pour le Gouverneur Général et par son ordre
Le Secrétaire Général du Gouvernement, Pour le Secrétaire Général du Gouvernement en congé
Le Conseiller civil, rapporteur,
L. MAJOREL.