---------Avant
la conquête, on ne connut guère d'autre théâtre
en Alger, que celui de " Kara-Kouche ", rudimentaire et primitif,
en honneur surtout durant le mois de Ramadan.
---------"
Kara-Kouche " est un héros de légendes alertes, impudiques,
un héros monstrueux, dont les folles aventures, naïvement
silhouettées et projetées en ombres chinoises, déchaînent
les bravos et les rires, parmi un auditoire où se mêlent
vieillards et enfants.
---------"
Kara-Kouche ", dans son costume turc, un turban énorme sur
la tête, se livre à toutes sortes d'excentricités.
Il est dans un harem, dans un marché d'esclaves, dans un café,
et partout, en toutes circonstances, il abuse de sa force et de son prestige.
---------"
Kara-Kouche " dont on a fait parfois «Garagousse", tient
une grande place dans les conversations ; on se plaîtà évoquer
ses exploits ; il a sa légende.
---------"
Kara-Kouche ", l'Oiseau noir, fut gouverneur du Caire
sous le règne de Saleh-ed-Din ; désireux d'augmenter la
puissance défensive de la ville sur laquelle il veillait, ce gouverneur,
prudent avant tout, donna l'ordre de raser tombeaux et mosquées
et d'édifier une citadelle à leur place. Ce sacrilège
lui valut, non seulement la réprobation des habitants qui lui donnèrent
le surnom " d'Oiseau noir ", mais encore la réprobation
divine. " KaraKouche ", voué depuis lors aux missions
ridicules, devint un amuseur de badauds.
---------Longtemps
après la reddition d'Alger, les représentations de ces farces
optiques eurent lieu surtout dans les cafés maures.
---------Dans
l'une des scènes, les plus goûtées et les plus applaudies
" Kara-Kouche " combat, seul, contre un groupe de soldats français
: ceux de Sidi-Ferruch. Chacun imagine la facilité avec laquelle
il leur tient tête, en arrive à bout, et les soumet à
sa loi. Tout aussi aisément comprendra-t-on qu'un ordre du Comte
Guyot, directeur de l'intérieur vint, en 1843, mettre fin aux prouesses
de " l'Oiseau noir ".
*****
---------Après
la conquête, à côté du théâtre
officiel ou subventionné qui, seul, nous intéresse ici,
Alger vit fleurir d'assez nombreuses boîtes à musique ou
à comédie qui dispensaient, à bon compte, des spectacles
sans prétention. Le " Théâtre
Mayeux ", du nom de son propriétaire, situé
aux abords de la place du Gouvernement fut, dans la catégorie,
le plus en vogue.
---------Son
inconfort, sa vétusté, trouvaient dans la modicité
du prix des places, une compensation suffisante. L'entrée coûtait
dix sous et donnait droit en outre à une consommation...
---------Le
théâtre Mayeux où l'on jouait « les fureurs
de l'amour " bien " La foire de Saint-Laurent» eut une
fin tragique.
---------En
1845 l'incendie de la Djenina le réduisit en cendres.
---------Je
passe sur les cafés-concerts, mais il faut accorder cependant un
souvenir au " Café de la Perle
" installé au premier étage de la galerie
Duchassaing, à l'angle de la rue Bab-el-Oued et de la place
du Gouvernement.
---------Ce
café, très bien fréquenté d'ailleurs, était
dirigé par un sieur Emmanuel Mickreditz,
homme des mieux avisés et de commerce agréable, qui sut
mériter toutes les sympathies.
---------Le
chansonnier Bordas y chanta et les violonistes
Sulot et Maurin dirigèrent son brillant
orchestre.
---------Transporté
sur le boulevard de la République, à l'emplacement du Crédit
Foncier actuel, ce café chantant se donna des airs de théâtre
et y réussit parfois. Il eut le même sort que le " Mayeux
": il brûla et Emmanuel Mickreditz n'eut pas le courage de
le reconstruire. De 1837 à 1865 " La Perle ", plus tard
installé rue des Trois Couleurs, connut
une gloire dont les échos passèrent au delà de la
Méditerranée.
*****
---------La création
d'un théâtre subventionné à Alger remonte aux
tout premiers mois qui suivirent la reddition de la ville, survenue le
5 Juillet 1830.
---------L'idée
en revient au Général Gouverneur Comte Clauzel, soucieux
de soutenir le moral de ses hommes et fort bien renseigné, autant
sur les tendances que sur la précarité des distractions
que pouvait offrir une cité inquiète et hostile.
---------Dès
le 12 Novembre 1830 le Général promulgua un arrêté
en trois articles, dont voici le texte intégral
---------Art.
1er. - Il sera construit une salle de spectacles dans la ville d'Alger.
---------Art.2.- Le choix de l'emplacement,
le devis estimatif et les travaux qu'exigera cette construction seront
soumis à l'approbation du Général en Chef.
---------Art. 3. - L'Intendant est chargé
de l'exécution du présent arrêté.
---------Le
Gouvernement, souscrivant à l'idée du Général
Clauzel, accorda une subvention de trois mille francs, à l'effet
de monter sans délai un théâtre provisoire, en attendant
la réalisation, qui devait singulièrement tarder, du projet
définitif.
---------Restait
cependant à trouver un local convenable et propice. Après
d'assez laborieuses recherches le choix se porta tout simplement sur le
Palais des Deys, la Djénina ! Le recrutement de la troupe donna
bien quelque souci à l'organisateur, André Guillaume, auteur
dramatique, mais l'Armée et l'Administration lui fournirent bientôt
tous les éléments d'action indispensables.
---------Ainsi
fut monté à peu de frais le " Théâtre
d'amateurs d'Alger ", en faveur duquel André Guillaume
publia un prospectus fort édifiant, que je transcris ici, mot pour
mot:
---------«
L'occupation d'Alger étant pour ainsi dire à jamais assurée,
un théâtre devenait indispensable dans une ville aussi peu
attrayante, où rien ne saurait fixer les yeux ou reposer l'esprit.
Au vrai, Alger n'offre à l'européen qu'un amas de maisons
dont la construction bizarre et uniforme est totalement étrangère
à ses goûts. D'un côté, le manque de promenades
et de points de réunion, la fréquentation habituelle des
rues étroites, sombres et tortueuses, forcent la bonne société
qui s'augmente chaque jour, à se créer chez elle des amusements
et des distractions qu'elle chercherait en vain ailleurs.
---------La nécessité d'établir
une fusion dans le beau monde était vivement désirée
; elle ne pouvait s'opérer que par le théâtre, on
va l'élever, mais par qui sera-t-il desservi ? On avait d'abord
pensé à faire venir de Paris des comédiens soldés,
quand les dépenses énormes qu'entraînerait le personnel
du plus mince spectacle, ont fait abandonner ce projet, aussitôt
avorté que conçu.
- ---------Dans cette occurrence une réunion
d'officiers de l'armée et des diverses administrations qui la composent,
ont bien voulu se dévouer pour la cause commune, ils vont jouer
la comédie
---------Souscripteurs eux-mêmes, comme
les personnes qui jouiront de leurs entrées, ces artistes de bonne
volonté s'imposeront, de plus, la tâche d'apprendre des rôles
et celle bien plus pénible encore de jouer devant une assemblée
choisie et nombreuse. Aussi les spectateurs ne devront attacher aux représentations
aucune espèce de censure publique qui serait de nature à
froisser l'amour propre des acteurs et à troubler le spectacle.
---------S'il en était autrement,
la scène changerait de face et le théâtre de tranquilles
amateurs se transformerait en un forum tumultueux.
---------Ceci une fois compris, on sentira
que ceux qui se sacrifient à l'amusement de tous ont droit, en
revanche, à des égards qu'on ne saurait leur refuser d'ailleurs
sans blesser toutes les convenances, et jeter parmi eux un découragement
qui amènerait infailliblement la rupture de la société.
"
---------Disons ici que le projet de création
d'un théâtre à Alger souleva d'assez vives controverses.
---------Le
Député Desjobert, entre autres, prétendait dans une
lettre assez irréfléchie, que le théâtre "
révélerait aux indigènes l'odieuse nudité
des Robert Macaire ". La presse, par contre, mena le bon
combat, insistant sur " l'utilité
du théâtre, comme moyen de propagande civilisatrice ".
---------André
Guillaume fut dès l'abord très embarrassé; car il
ne réussit pas à trouver à Alger des dames pouvant
s'associer à uvre des amateurs. Il fut donc obligé
de s'assurer le concours de trois artistes parisiennes
---------1
° Jeune première amoureuse, premier rôle et grande coquette
;
---------2°
Soubrette de drames, comédies, vaudevilles et opéras-comiques
;
---------3°
Duègne, premiers rôles marqués et caricatures.
---------Mais
il fallait rémunérer ces trois artistes, il fallait faire
tous les frais de leur long voyage... De là un embarras financier
primordial, une de ces difficultés que le destin semble avoir réservé
aux théâtres de tous les temps.
---------On songea donc à former une
société avec des souscripteurs-fondateurs, des souscripteurs
ordinaires et des abonnés.
---------Le
baron Berthezène, général en chef, donna à
André Guillaume l'autorisation de constituer un conseil d'administration.
Ce conseil se composa de MM. Péron, régisseur; Grosrichard,
caissier; Rolland de Bussy, secrétaire ; Lambert, chef d'orchestre.
---------M.
de Guiroye, intendant militaire, futur maire d'Alger, en accepta la présidence.
---------L'orchestre
comptait vingt-cinq musiciens, que M. Lambert choisit et prépara
parfaitement à leur rôle.
---------Quant
à la salle, on l'installa du mieux possible. Les matériaux
ne manquaient pas, les bras non plus.
---------On
ménagea un rang de premières loges, quatre de ces loges
étant réservées au baron Berthezène, général
en chef ; à M. l'Intendant en chef ; à M. de Guiroye, président
du conseil d'administration et à M. André Guillaume, directeur-administrateur.
---------Le
constructeur créa en outre trois foyers : un pour les artistes,
un pour les figurants, un pour les musiciens. La cour mauresque de la
Djénina, limitée par de belles colonnes de marbre, fut mise
à la disposition des spectateurs durant les entractes.
*****
---------La
salle de la Djénina fut assez tôt abandonnée. On réinstalla
le théâtre, d'abord dans une impasse de la rue de la Marine
puis, en 1832, dans une salle relativement vaste, sise rue des Consuls.
---------La
direction de cette salle fut confiée à un sieur Guillet,
" de l'Académie Royale de musique ", protégé
de Mme la duchesse de Rovigo ; puis à M. Mirecourt et, à
partir du 1 e' Septembre 1833, à Mme Dacosta dont l'activité,
le grand désir de s'acquitter au mieux d'une tâche difficile,
furent, semble-t-il, vivement appréciés.
---------Je
livre en passant, à la méditation des amateurs, le prix
des places de ce théâtre : parterre, un franc ; parquet,
deux francs cinquante ; loge de quatre places, quinze francs pour une
soirée et mille francs pour la saison.
---------Plus
tard, pour des raisons de commodité, le Théâtre d'Alger,
choeur chantant d'histrions en voyage, fut transféré rue
de l'Etat-Major, où s'ouvrait son entrée principale, tout
près du groupe de beaux palais arabes qui abritent actuellement
la Bibliothèque Nationale et les services de la Division d'Alger
: une seconde entrée avait été prévue, par
précaution, rue du Soudan.
---------La
salle était coquette. Les journalistes lui donnaient volontiers
le joli nom de " Bonbonnière
", évocateur d'intimité charmante et de confort. Elle
ne contenait guère que six à sept cents places. On y jouait
l'opéra-comique, le drame, le vaudeville. En été,
d'excellentes troupes italiennes, qu'on avait la bonne fortune d'engager,
donnaient de très honnêtes représentations d'opéra.
---------Il
convient de préciser d'ailleurs, qu'à la suite de démarches
pressantes, la subvention de trois mille francs allouée à
l'origine, fut portée par le Gouvernement à huit mille francs
: ainsi les organisateurs eurent les moyens d'acquérir des concours
plus précieux et d'éviter enfin la collaboration de maints
jeunes premiers, dont de fâcheux débuts n'avaient sans doute
pu trouver grâce sur les plateaux de la Métropole.
---------C'est
ainsi que, parmi d'autres recrues de premier ordre, le ténor Berton
et sa jeune et séduisante femme, souvent sa partenaire, connurent,
rue de l'état-major, une carrière particulièrement
heureuse. La direction du théâtre avait été
confiée, dès le début, à M. Honoré
Curet qui mourut peu après l'ouverture. Sa veuve, femme de grand
mérite, intelligente et active, reçut mission de lui succéder.
Elle était la sueur du compositeur et chansonnier algérien
Lucien Desormes. Les noms de MM. Mantégazza et Bozio se retrouvent
aussi dans les archives directoriales.
---------Le
prix des places n'avait guère varié. On payait quatre francs
pour les loges et les stalles ; trois francs pour les balcons ; deux francs
pour les galeries ; un franc pour les parterres. L'abonnement pour douze
représentations revenait à vingt-deux francs.
---------En
1842, le tableau de la troupe - il n'est pas inutile de le rapporter -
était le suivant:
Administration
---------MM.
Honoré Curet, directeur privilégié
Thurbet, premier régisseur chargé de la mise en scène.
Mise en scène
---------MM. Hyppolyte,
deuxième régisseur-inspecteur
---------Leuliette, chef d'orchestre
---------Francelle, répétiteur
---------Cabassous, souffleur
---------Bocca, machiniste.
Acteurs (vaudeville-comédie-drame
de genre)
---------MM. Armand Biré,
premiers rôles marqués, les Ferville, Saint-Aubin, etc...
---------Mirecourt, jeunes premiers rôles
---------Sandré, premiers amoureux
en tous genres
---------Alliès, deuxième et
troisième amoureux
---------Dessonville, premiers comiques en
tous genres. Les Arnal, Odry, Vernet, etc...
---------Thurbet, les financiers et troisièmes
rôles
---------Vermez, deuxièmes comiques
---------Givot, grimes et caricatures
---------Adolphe, utilités.
---------Mmes Sandré, les grandes
coquettes, premiers rôles ---------Richetti,
premiers rôles
---------Mauroy, les jeunes premières
en tous genres, ingénuités, travestis
---------Caroline, soubrettes en tous genres
---------Grainer, deuxième et troisième
amoureux
---------Louise, deuxième et troisième
amoureux
---------Gardem, les duègnes et les
mères nobles.
---------Nous pouvons dire que le succès
de ce théâtre fréquenté par la plus haute société
de la Colonie, dépassa largement tous les espoirs. Le nombre des
spectateurs grandissait sans cesse. Faute de place, on se trouvait bien
souvent dans l'obligation de fermer les guichets, alors qu'une foule encore
considérable stationnait sur la chaussée étroite.
|
|
---------Toutefois, ce n'est que vers 1850
qu'il fut décidé d'agrandir la salle. M. Robinot-Bertrand,
chargé de mener les travaux à bonne fin, sut, à cette
occasion, tirer le meilleur parti du vieil immeuble.
---------Les travaux, auxquels contribuèrent
les condamnés du colonel Marengo, furent achevés le 15 Septembre
1851 et, sans tarder, l'on ouvrit les portes.
---------Cependant, bien que remanié
et assez considérablement agrandi, le théâtre de la
rue de l'état-major devenait par trop insuffisant. Les citoyens
responsables se trouvaient entièrement d'accord sur la nécessité
urgente de construire enfin un édifice digne de la ville. Or, une
question les divisait et les divisa longtemps. Sur quel emplacement devait
être construit cet édifice ? A vrai dire, le choix était
plutôt limité, et il aurait pu limiter la discussion. Il
n'en fut rien. Au contraire. On discuta à perte de souffle : l'humour
et, reconnaissons-le, le ridicule, se partageaient ces palabres.
---------M. Poirel Ingénieur des Ponts
et Chaussées qui, conscient de l'avenir d'Alger, tenait en réserve
le plan d'une salle de deux mille places, avait amorcé en 1837,
une première discussion sérieuse. Elle n'aboutit à
rien. En 1846, M. le conseiller Ballyet, rapporteur, reprit l'affaire
en conseil d'administration : il proposait de construire le théâtre
sur la face ouest de la place du Gouvernement qu'il considérait
comme étant le seul dégagement à retenir. Mais l'opposition
s'insurgeait. Invoquant la présence de la Cathédrale et
de l'Archevêché aux alentours de la place, elle objectait
que le voisinage d'un Opéra n'y serait guère souhaitable
et proposait le choix d'un terrain aux abords du square Bab-Azoun.
---------Ce à quoi M. le Conseiller
Rolland de Bussy répondait, qu'en se décidant pour le square
de la porte Bab-Azoun, refuge des automédons et des chariots de
transport, on choisissait un coin " peu fréquenté
" - ce sont ses propres paroles - voué aux travaux de voirie,
encombré, où les spectateurs "
redouteraient de se rendre, par le plus léger mauvais temps "
!
---------Et la discussion continuait.
---------Enfin, en 1849, une note ministérielle
enjoignit au Conseil Municipal de trancher l'affaire et d'en décider
une fois pour toutes.
---------Ce fut le signal du rassemblement
et l'effet produit fut immédiat : des palabres le Conseil Municipal
passa à l'action et ainsi fut choisi l'emplacement actuel.
---------L'entrepreneur Sarlin avait soumis au Conseil Municipal
le projet de deux architectes : MM. Frédéric
Chassériau, ancien architecte des bâtiments civils
et Ponsart, architecte de Toulon.
M. Sarlin se chargeait de la construction
dans des conditions exceptionnelles, puisqu'elles rendaient quittes de
toute dépense et le Gouvernement et la ville, lesquels cédaient
en compensation sept mille mètres carrés de terrain dans
la Djénina.
En tous cas, le plan Chassériau-Ponsart fut agréé,
sans doute après de nouvelles joutes oratoires, de nouvelles réticences
et de nouveaux enthousiasmes.
---------Frédéric Chassériau,
principal artisan de uvre, né le 29 Janvier 1802 à
Port-au-Prince, fils d'un général d'Empire, se destina,
tout d'abord, à la carrière militaire. Reçu à
l'École spéciale de Saint-Cyr en 1819, il démissionna
peu après l'ouverture des cours, n'ayant pu obtenir une bourse
d'études. Il se fit alors inscrire à l'École des
Beaux-arts de Paris, où il fut élève de Mesnager.
II obtint en 1824 son diplôme d'architecte.
Frédéric Chassériau eut une carrière des plus
actives, au cours de laquelle il occupa de nombreux postes de premier
plan. C'était un homme d'une belle intelligence, d'un grand savoir,
d'une sûreté de vue peu commune.
---------Nous le trouvons, successivement,
Inspecteur de la grande voirie de la ville de Paris ; chargé d'importants
travaux à Alexandrie d'Égypte ; Directeur des Travaux publics
à Marseille (1833-1839).
---------Puis, en 1849, architecte
en chef de la ville d'Alger, poste qu'il occupa par deux fois encore,
en 1859 et 1874.
---------Son oeuvre algéroise est
importante. Il est l'auteur, notamment, d'un projet de ville moderne "
Alger-Mustapha " (1858), d'un projet de Musée et du plan
des voûtes et façades monumentales du boulevard de l'Impératrice,
aujourd'hui boulevard Maréchal Pétain.
---------Frédéric Chassériau
était l'oncle de Théodore Chassériau, peintre orientaliste,
né à Saint-Domingue le 20 Septembre 1819, mort à
Paris le 8 octobre 1856.
---------Théodore Chassériau
est représenté au Musée National des Beaux-Arts d'Alger
par de nombreuses toiles ou dessins, donnés, la plupart, par le
Baron Arthur Chassériau, que beaucoup d'Algérois ont connu
et tenu en haute estime.
Arthur Chassériau naquit à Alger, au numéro 15 de
la rue de Tanger, où Frédéric Chassériau avait
installé son bureau d'archifecte.
---------Une légende ridicule a longtemps couru sous le
manteau : le suicide de Frédéric Chassériau, inconsolable
d'avoir " commis quelques erreurs " dans l'élaboration
de ses plans de l'Opéra d'Alger.
---------L'Opéra a été
achevé en 1853 ; Chassériau est mort quarante-trois ans
après, en 1896. Le rapprochement de ces dates suffit à détruire
la légende.
---------Mais ne disait-on point, entre gens
bien renseignés, que Marochetti, l'auteur
de la statue équestre du Duc d'Orléans inaugurée
à Alger le 25 Octobre 1845 s'était, lui aussi, envoyé
du plomb dans la tête parce qu'il avait omis de placer une gourmette
au mors de bride de son cheval ?
*******
---------Qu'était au juste, cette
Djénina, objet de la transaction ? Djénina - petit jardin
- désignait alors plus exactement - nul ne sait pourquoi - un groupe
de maisons de style mauresque qui s'étendait, vraisemblablement,
de l'actuelle Place du Gouvernement au Square Bab-Azoun et servait, avant
la conquête, de résidence au Gouvernement turc. Pour cette
raison, les indigènes la tenaient en grande vénération.
---------La Djénina, " Dar et
Sultan et Khédima " - la vieille maison du Sultan - fut morcelée
au gré des ans et de la fantaisie des Pouvoirs publics. Peu à
peu, cours voûtées (l'une d'entre elles servit de cadre à
la fin tragique de Martin de Vargas, le défenseur
du Pénon), colonnades, fontaines aux faïences multicolores,
dômes ajourés, disparurent.
---------Au moment de la construction de
l'Opéra, la Djénina dévastée par un incendie
en 1845, avait à peu près complètement disparu et
il n'en restait qu'un vaste terrain.
*****
---------Un décret
du 10 Août 1850 signé de Louis-Napoléon Bonaparte,
Président de la République, contresigné du Ministre
de la Guerre d'Hautpoul et du Conseiller civil rapporteur Louis Majorel,
pour le Gouverneur Général de l'Algérie, autorise
la concession gratuite à la Commune d'Alger, du terrain nécessaire
à la construction du théâtre et à la transaction
dont nous venons de parler.
---------Le texte de ce décret, assez
long, est pour notre historique d'une importance qui n'échappera
pas au lecteur
---------Au nom du Peuple Français,
---------Le Président de la République,
---------Sur le rapport du Ministre de la
Guerre, le Conseil de Gouvernement de l'Algérie préalablement
entendu ;
---------Vu les ordonnances des 28 Septembre
1847 et 31 Janvier 1848, relatives à l'organisation des municipalités
en Algérie et à l'érection de la ville d'Alger en
commune ;
---------Vu l'arrêté du Président
du conseil, chargé du Pouvoir exécutif, en date du 16 Août
suivant, concernant l'établissement des dites municipalités
; Vu les art. 4-7 et 8 de l'arrêté du Chef du Pouvoir exécutif
du 4 Novembre 1848,
sur la constitution de la propriété et de la dotation immobilière
des communes de l'Algérie ;
---------Vu les délibérations
du Conseil municipal de la ville d'Alger, en date des 7 Août 1849
et 14 Février 1850 relatives au projet de construction d'un théâtre
communal sur le terrain domanial, sis à Alger, à l'ouest
de la place Bresson moyennant un prix fixé à forfait avec
les soumissionnaires à 820.000 Fr., payable en terrains communaux
;
---------Vu la décision du 23 Juillet
1850, par laquelle le Ministre de la guerre, sur la proposition du Préfet
du département d'Alger et l'avis du Gouverneur Général,
a approuvé les délibérations et le projet dont il
s'agit, ensemble l'arrêté ministériel dudit jour,
23 Juillet, qui fixe les alignements des terrains destinés soit
à recevoir cet édifice, soit à être livrés
par la commune pour l'acquit des charges de l'entreprise ;
---------Vu les plans et pièces à
l'appui ;
---------Considérant que les recettes
ordinaires et extraordinaires de la ville d'Alger sont entièrement
absorbées par ses dépenses et qu'il y a lieu, conformément
à l'arrêté susvisé du 4 novembre 1848, de venir
à son aide par subvention, en lui concédant des terrains
et bâtiments domaniaux disponibles, à la charge de les affecter,
partie à l'emplacement du théâtre et des rues projetées,
partie au paiement du prix stipulé pour la construction de cet
édifice,
---------DÉCRÈTE
---------Art. 1er -
Il est fait concession gratuite à la commune d'Alger d'un terrain
domanial d'une superficie d'environ 2.562 mètres carrés,
situé à l'ouest de la place Bresson, à Alger, ledit
terrain comprenant : 1 ° au centre, une parcelle d'une contenance
de 1.500 mètres, et qui devra être affectée à
la construction même du théâtre projeté ; 20
au sud, une parcelle d'une contenance d'environ 255 mètres, déduction
faite d'une parcelle appartenant à un tiers ; 3° au nord, une
parcelle d'une contenance d'environ 575 mètres ; 4° et à
l'ouest, une parcelle d'une contenance d'environ 232 mètres ; ces
trois dernières parcelles à attribuer en totalité
à l'ouverture des trois rues destinées à desservir
le théâtre.
---------Art. 2. -
Il est également fait concession gratuite à la commune d'Alger
des terrains domaniaux, bâtis ou non bâtis, d'une superficie
totale d'environ 7.000 mètres 85 centimètres carrés,
situés à l'ouest de la place du Gouvernement, entre les
rues Porte-Neuve et de Chartres, la place de la Cathédrale, et
les rues Bruce, Jénina et Bab-el-Oued, lesdits terrains se composant
des parcelles suivantes, savoir :
---------1° îlot d'une contenance
d'environ 998 mètres, déduction faite d'une propriété
particulière d'une superficie d'environ 52 mètres ;
---------2° îlot d'une contenance
d'environ 1.120 mètres ; lesdits îlots actuellement disponibles
;
---------3° îlot d'une contenance
d'environ 220 mètres, mais comprenant une partie du palais épiscopal,
qu'il n'y aura lieu de livrer à la commune qu'à l'époque
indéterminée et facultative où l'État jugera
convenable d'attribuer une autre résidence à l'Évêque
d'Alger ;
---------4° îlot d'une contenance
d'environ 625 mètres comprenant partie du bâtiment de la
Djenina, ainsi que diverses boutiques bordant le passage du Divan, et
réserves faites des droits des tiers qui paraissent élever
des prétentions de propriété ;
---------5° îlot d'une contenance
d'environ 525 mètres, déduction faite d'une maison particulière
d'une superficie d'environ 75 mètres et comprenant partie du bâtiment
de la Djenina, de la Manutention et de l'Évêché, pour
lesquels la réserve exprimée au N° 3 ci-dessus est également
faite ;
---------6° îlot d'une contenance
d'environ 1.074 mètres 85 centimètres, comprenant la partie
des bâtiments de la Djenina et de la Manutention militaire ;
---------7° îlot d'une contenance
d'environ 302 mètres et comprenant partie des bâtiments de
la Manutention ;
8° îlot d'une contenance d'environ 2.136 mètres, et comprenant
le surplus des bâtiments de la Manutention.
Lesdits îlots non disponibles immédiatement.
---------Art. 3. -
Sous les réserves relatives à l'Évêchéet
aux propriétés privées, le département de
la guerre fera remise à la commune d'Alger des immeubles domaniaux
bâtis ou non bâtis et susmentionnés aux époques
ci-après déterminées, à savoir
Les terrains disponibles, désignés à l'art. 107 ci-dessus,
seront immédiatement livrés à la commune ;
---------Les terrains et bâtiments
également disponibles et composant les îlots de l'art. 2,
seront remis dans le délai d'un mois.
---------Art. 4. -
La commune d'Alger devra attribuer les terrains compris à l'article
107 du présent décret à l'emplacement du théâtre
dont la construction a été autorisée, ainsi qu'à
l'ouverture des rues qui doivent le desservir,
---------Elle sera tenue d'employer successivement
le surplus des immeubles présentement concédés à
l'acquit des charges de cette entreprise et à l'ouverture des rues
projetées sur les terrains de concession à l'ouest de la
place du Gouvernement ; le tout conformément au traité passé
entre elle et les soumissionnaires de l'entreprise du théâtre,
et suivant le tracé des alignements arrêtés pour ces
parties de la ville d'Alger.
---------Art.
5. - Il est expressément fait abandon à la commune
des matériaux de démolition des bâtiments présentement
concédés. Toutefois, lors de la démolition, elle
devra faire remise à l'administration départementale des
colonnettes et embrasures de portes en marbre qui pourraient exister dans
lesdits bâtiments, comme aussi des objets d'art ou d'antiquité
qui seraient trouvés sous le sol.
---------Art.
6. - Le Ministre de la Guerre est chargé de l'exécution
du présent décret qui sera inséré au "
Bulletin Officiel des Actes du Gouvernement " et publié au
" Moniteur Algérien ".
---------Fait à Paris, le 10 Août
1850.
---------Signé : L.-N. BONAPARTE.
Le Ministre de la Guerre,
Signé : D'HAUTPOUL.
Vu pour être promulgué en Algérie
Alger, le 9 Septembre 185o,
LE GOUVERNEUR GÉNÉRAL,
Pour le Gouverneur Général
et par son ordre
Le Secrétaire Général du Gouvernement, Pour le Secrétaire
Général du Gouvernement en congé
Le Conseiller civil, rapporteur,
L. MAJOREL.
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