-------Une
autre fois, indifférente aux crimes et aux folies des hommes, indifférente
aux indifférents qui ne voient ni ne sentent les splendeurs dont
elle pare l'univers rajeuni, la Nature munificente renouvelle ses prodiges
: tout ressuscite et refleurit !
-------Dès
février, dans notre Éden d'Alger, Hespéride enchantée
où rien ne parle de déclin, les amandiers et les pêchers
qui, plus que l'hirondelle et plus que la cigogne, prophétisent le
Renouveau, ont épanoui leurs dômes de nacre et de corail.
Par des sentiers voûtés
de branches.
Neigent sur nous, en avalanches,
Des corolles roses et blanches.
|
-------En janvier
déjà, dans tous nos squares et nos jardins, alors que la
radio annonce : - 30 au Canada, des raz-de-marée en Flandres et
en Hollande et un brouillard de suie sur la Seine et la Tamise, les aloès
érigent leurs cierges de rubis.
-------À
la même époque - mais combien d'Algérois le le savent
? - une haie de camélias allume une rampe ardente au pied des murailles
bleues de l'Université (Je précise qu'il
s'agit da tronçon inférieur de la rue Lys-du-Parc. Malheureusement,
cet endroit est un garage de motards, et les précieux et somptueux
camélias sont invisibles pour être inabordables. Comment
la municipalité, qui a la générositéet le
goût d'effectuer de telles dépenses somptuaires, ne prend-elle
pas des mesures pour qu'elles ne soient pas un sacrifice superflu)(le
Déjanté: eh oui! en 1953, les problèmes de stationnement
existent) cependant que là-bas, contraste éblouissant,
par delà le miroir de la mer bleue ou verte, par delà la
guirlande des villages littoraux, le culmen du Djurdjura, où sont
les cèdres bibliques, transformé en névé par
la neige amoncelée, scintille dans le soleil comme l'Atlas de Marrakech
!
Borée s'appelle
Zéphyr et Frimaire Floréal
-------Mais ,
puisqu'il n'y a pas de déclin, pourquoi parler de Renouveau ?
-------Disons
plus justement, un ralentissement de sève, une économie
d'efflorescence, une pause méditative des forces de la terre, une
recueillement des germes, une oraison des tiges, à quoi tout de
suite succèdent un foisonnement nouveau, une nouvelle luxuriance,
une explosion unanime de fleurs et de pollens.
-------Ainsi,
pas d'hiatus entre l'automne et le printemps, ce qui explique que tant
de feuilles n'aient pas le temps de tomber et qu'abeilles et papillons
ne cessent pas de butiner.
-------Les
cyclamens et les colchiques d'octobre durent encore, que déjà
s'épanouissent les bruyères et les genêts, les iris
et les narcisses, les anémones et les jacinthes, les mimosas et
les jasmins. Ici, Borée s'appelle Zéphyr et Frimaire, Floréal.
-------Dans
la mythologie grecque, Coré, fille de Déméter, déesse
de la terre nourricière, celle qui fit don aux hommes du premier
grain de blé, descend six mois chaque année chez les morts,
où la réclame Hadès, son époux ravisseur,
puis elle remonte à la lumière où elle vit les six
autres mois.
-------Selon
la fable, cette double vie de Coré-Perséphone, symbolise
le deuil de la terre, après la mort annuelle de la végétation
et sa résurrection au retour des beaux jours. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis
.C'est-à-dire le flux et le reflux des sèves.
-------Vouée
à Flore, Alger ne connaît pas l'hiver. L'élan vital,
ici, . est ininterrompu et Coré-Perséphone ne va pas chez
les morts. Pleut-il ? C'est pour rincer le feuillage et les nues et pour
que le soleil puisse faire un arc en-ciel, et aussi pour permettre à
la mer d'écumer et de faire des geysers en battant les récifs.
-------Mais
il n'est jamais loin, Hélios, le dieu du Jour, qui, nulle part
mieux qu'ici, ne mérite l'épithète homérique
"d'invincible". Artificier du ciel, à toute heure il
est là, présent même invisible, et prêt à
resurgir, ou souriant hilare. S'il s'éclipse, ou c'est par coquetterie,
car il sait qu'après l'ombre sa lumière est plus belle et
que nous l'aimons mieux; ou c'est par charité : il veut que terre
boive pour que les germes croissent qu'il fera s'épanouir fructifier
et mûrir.
Les Vandales en action
(le Déjanté:le
phénomène n'est donc pas nouveau)
-------Pas
besoin d'être poète pour être ému par la parure
florale d'El-Djezaïr. Qui ne serait ravi, s'il a des yeux pour voir,
par ces corbeilles éparses tout le long de nos rues, par ces massifs
de palmes et ces bosquets de strélitzies, par ces lianes de lierre
et de convolvulus, par ces bougainvilliers qui pavoisent et chamarrent
chaque mur et chaque lustre où leur présence est possible?
-------Et le mérite
est grand de ceux qui ont la charge d'orner de fleurs Alger. Car ces parterres,
qui charment nos yeux et notre esprit, ne sont pas spontanés. Que,
de soins assidus implique leur entretien ! La simple volonté ne
saurait y suffire. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis . Il y faut de
l'entêtement. Je pense à toutes ces jardinières aménagées
sur les trottoirs de nos artères majeures auxquelles on dut renoncer,
à cause de l'acharnement de certains à les détruire.
-------Un
exemple entre mille : j'admirais, récemment, le personnel municipal
occupé à planter, à dextre et à senestre de
l'entrée des Facultés, dans l'ove double qui cerne deux
ficus, des plants de cinéraires issus des serres de la ville. Et
" in petto ", instruit par une longue expérience,
je déplorais cette peine et cet argent perdus, puisque, me disais-je,
demain, ce soir peut-être, ils seront dévastés.
-------Pessimisme
? Oui ! mais lucide et motivé. En effet, deux jours plus tard,
deux cinéraires avaient été volés et cinq
les jours suivants. Et à l'heure où j'écris, je le
sais " de visu ". c'est la moitié d'un de ces
jardinets (le côté qui la nuit est le moins éclairé)
qui est devenu chauve ! L'effet est lamentable, et combien révélateur
de l'esprit anarchique de certaines zones de notre société
- au pluriel, pour l'amour de la sainte vérité - que j'appelle
la C.A.V. - Confédération Amicale desVandales !
-------Et
si je les stigmatise, c'est qu'à cause de leurs saccages impies,
Alger ne peut pas être encore, malgré le bon vouloir de son
édilité, ce qu'on voudrait la voir : plus belle que les
plus belles villes de la Côte d'Azur ; plus belle que Nice et Menton,
plus belle que Cannes et Villefranche...
Alger, havre de joie
-------N'importe,
en dépit des barbares qui sont partout pour tout détruire,
mon amour la magnifiant, Alger reste pour moi la plus belle ville de la
terre.
-------Dès
mon arrivée en Afrique, l'homme de l'Est que je suis, ébloui
par une terre où l'on voit ce prodige : des arbres toujours verts
sous un ciel toujours bleu, où la joie est partout pour qui sait
la cueillir, avait jeté ce cri de surprise éblouie :
Algérie ! Algérie ! ô merveilleux
exil !
Pays des orangers, pays des lauriers-roses,
Éden où l'on ne voit jamais de ciels moroses,
Où frimaire et nivôse ont des tiédeurs d'avril
!
|
-------Je ne renie
pas ces vers écrits à vingt-trois ans ; ils témoignent
que ma tendresse pour Alger fut spontanée. Sur un seul mot, qui
est une rime, je trace un " deleatur ", car j'ai fait ma patrie
de mon exil d'antan, sans pour cela, faut-il le dire? renier la terre
de ma naissance. Pas d'exclusion : annexion ! http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis
.D'une étreinte filiale, j'unis l'Afrique à la France et
de l'une et de l'autre, dans mon cur confondues, je fais ma patrie
unique.
-------J'ai
pour Alger l'étonnement du nordique qui la découvre. L'accoutumance
n'a pas émoussé ma ferveur. Régulièrement,
comme un devoir de cur et de conscience, je
m'impose d'en revoir les différents quartiers, comme si demain
j'allais partir pour ne plus revenir. Et du môle ou de la Casbah,
du balcon de Saint-Raphaël ou du Forum, chaque fois je pousse le
cri émerveillé de Maupassant, beau vers involontaire donné
par l'euphorie
------------------" Féerie inespérée
et qui ravit l'esprit !"
-------Alger
est le havre de joie, l'arche de plénitude, la Capoue, où
j'oublie les fantasmes et les sortilèges du Sud.
Le Square Bresson
-------À
cette époque vernale, mes pèlerinages saisonniers sont consacrés
aux jardins. Du boulevard
Guillemin, cascades de bellombras et de ficus géants,
par le
jardin Marengo, le Square
Bresson et le Square
Guynemer, que de stations fleuries avant d'atteindre les parterres
étagés du Forum, les bocages de Montriant et du Parc
de Galland et le jardin
d'Essai !
-------Est-ce
en changeant de nom ou en perdant les grilles qui l'entouraient naguère,
que le Square Bresson, devenu Square Briand, a changé d'atmosphère
? Que nous sommes loin, en 1953, du square de 1933. Baudelaire avait raison
---------------" La forme d'une
ville
---------------Change plus vite, hélas
! que le cur d'un mortel. "
-------Logé,
à l'époque dont je parle, dans un hôtel voisin qui
regarde la mer, je traversais le square au moins dix fois par jour et
j'y faisais de longues haltes assis contre la grille d'un des quatre bassins,
pièce d'eau minuscule, dont le jet filiforme ondoie au gré
du vent, puis retombe sur un roc habillé de lichen en tintinnabulant.
Maigre musique ! Mais cela suffisait à nourrir ma rêverie,
en ce temps-là mélancolique. http://alger-roi.fr .Des cyprins
croisaient dans ce bief exigu, et je suivais leurs jeux qui moiraient
la surface de rides entremêlées.
-------Aujourd'hui
comme hier, les jets d'eau virent et girent au souffle de la brise et
s'égouttent sur la mousse en chantant une ariette. Mais plus de
poissons rouges dans les eaux sans mystère
-------Et
les moineaux chantés par Gide, au temps qu'il séjournait
à l'hôtel de l'Oasis,
où sont-ils les moineaux ? Il y a vingt ans, fidèles encore
aux frondaisons du square, leur retour vespéral de la campagne
nourricière où ils passent la journée, suscitait
une émeute. C'était, dans les ficus où ils dormaient
la nuit, un tel charivari de battements d'ailes et de cris, que les clameurs
ambiantes en étaient étouffées. Car si, à
cette même heure, les moineaux du Luxembourg, qui sont des parisiens,
font un bruit de friture, les nôtres, qui sont des africains, bien
que le docteur Sergent en fasse des espagnols : bispaniolensis,
se doivent de faire, et font, une rumeur de marée.
-------Aujourd'hui,
tous les moineaux - ou presque déserté le Square Bresson.
-------Et
les " petits pères Grognatous ", caricaturés
par Montherlant dans ses " Images d'Alger " ? Et "
le Général de brigade ", gardien du square, ainsi
nommé parce qu'il traquait les yaouleds, qu'il surnommait les "
calamares ", avec une canne à pêche ? Gavroches
et poulbots algérois, les " calamares " sont toujours
là, et toujours aussi espiègles, irréductibles et
fripons, mais plus de " Général " et plus de "
Grognatous " !
Beaux arbres inconnus
-------Les vieux
ficus n'ont pas changé, c'est dire qu'ils sont toujours beaux.
Mais plus précieux d'être plus rares, il y a les trois chorisia,
merveille végétale, que personne ne regarde et ne semble
connaître, et je m'estimerai chanceux si ceux qui les ignorent -
et c'est neuf cents sur mille - ne m'accusent pas de bluff.
-------Non
seulement les chorisia se singularisent en fleurissant en octobre, mais
leur tronc, galbé à sa base, est entièrement hérissonné
d'une multitude d'excroissances aculées (leurs branches aussi )
qui en rendraient l'escalade impossible à quiconque. Ce qui leur
vaut leur épithète latine de " spinosa ".
-------Inadéquate,
d'ailleurs. Car il ne s'agit pas d'épines, de dards, d'aiguillons,
comme chez les mimosea et les dattiers du Sud, mais de clous, dont la
pointe est aussi dure que la griffe d'un rapace et, que l'on dirait d'acier.
Et quelles sont belles les fleurs roses dont ils jonchent, à l'automne,
tout le sol autour d'eux !
-------Mais
personne ne s'arrête pour les admirer au passage. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis
.Chacun les les foule, indifférent. Je suis seul à leur
faire des visites d'action de grâces et à pieusement recueillir
quelques gisantes corolles qui rappellent les orchidées.
-------Au
Japon, patrie du chorisia et du jacaranda, la presse locale annonce l'éclosion
des glycines, des iris et des fleurs du pêcher, et les populations
des villages et des villes vont en cortège les admirer. Il y a
là comme un culte de la beauté et de la vie. Ainsi font
aussi les habitants de Londres, lorsque le " Nymphea Regina "
s'épanouit.
-------Mais
pourquoi vais-je chercher des exemples si loin ? N'est-ce pas en Algérie
même, dans l'Aurès, que les Berbères célèbrent
la naissance du printemps, nommé " rbya
" en arabe, en se rendant en forêt, d'où chacun et chacune
reviennent parés de rameaux, au tintamarre des raïtas ? Cérémonie
que connut d'ailleurs la France médiévale.
-------C'était
la fête de Mai - célébrée dans l'Aurès
sous le nom de " Maïou ",
qui est Mai en latin. On processionnait à travers les bourgades
décorées de verdure ; on se rendait dans les bois en bandes
joyeuses et fleuries, et chacun et chacune - comme dans l'Aurès
- devait porter sur soi une ramille de feuillages sous risque de se voir
l'objet d'une avanie, d'où notre locution : "
Je vous prends sans vert ", et notre tradition survivante
du muguet...
Les plus beaux palmiers
du monde
-------Je plains
les Algériens qui peuvent passer place
Bugeaud sans dédier, ne fût-ce qu'un regard furtif
d'admiration, aux phénix des Canaries qui font une garde d'honneur
au maréchal, duc d'Isly. Moi qui crois à la vertu thérapeutique
de la beauté, que de fois je leur ai chanté un hymne de
gratitude pour faire de ce carrefour, avec les mosaïques fleurs qui
les encadre, un reposoir de poésie
-------Ces
phénix, ont des frères au boulevard Laferrière. http://alger-roi.fr
.Sont-ils beaux, dites ? ceux qui escaladent la rampe des numéros
impairs, colonnes végétales aux chapiteaux sonores !Ils
n'ont d'égaux que ceux du boulevard
Victor-Hugo, dont double alignement symétrique est plus
beau que les Propylées
------O O
Phénix bien nommés ! quelle force ! quelle noblesse !quelle
majesté sereine!
-------Dans
tout le règne végétal, il n'est rien de mieux construit,
de mieux architecturé.
-------Émerveillé,
j'admire cette vigueur sans violence, cette luxuriance disciplinée
et cette économie, cette mesure et cet équilibre, qui sont
ceux du vers et de la tragédie classiques. Énergie concentrée,
passionnément dardée vers son accomplissement, qui est l'épanouissement
triomphal du panache, comme la " chute " du sonnet est l'obsession
du poète.
-------Mais
l'image qui s'impose, inéluctable, est celle d'un double portique
de fontaines jaillissantes aux fûts annelés et squameux,
ciselés, cloisonnés, dont les vasques aériennes débordent
en cataractes. L'entendez-vous, dites ? le ruissellement mouillé
des palmes balancées... Et vous représentez-vous combien
Alger serait plus belle si, au lieu d'un mirage, c'était une réalité
?
-------Je
serais trop incomplet si je taisais les tendres plantes qui prolifèrent
à la base bulbeuse de chaque cimier, véritable corbeille,
d'où s'effusent et s'incurvent les " djérids "
foisonnants. Présumablement semées par les moineaux, ces
herbes parasites, astragales de fleurs et de feuilles, ajoutent une grâce
frêle et gaie à la rigidité des arbres solennels.
Et tellement ces guirlandes surprennent et amusent il, que j'ai
vu des touristes refuser de croire qu'elles sont dues uniquement au hasard
!
Ils ont des yeux et
ne voient pas.
-----Eh bien, ces émouvants
palmiers, chefs-d'uvre de la Nature, de même que les choriasus
spinosa du Square Briand, personne ne les regarde ! Je suis tout seul
à m'arrêter et à leur faire ma révérence.
Abstraits dans leurs soucis de joies plus positives, il terne et
le cur morne, les autres passent sans les voir. Savent-ils même
qu'ils sont là ?
-----Leur seule excuse, c'est que l'accoutumance
peut devenir une cécité : on ne voit plus ce qu'on voit
trop. Les autres ! http://alger-roi.fr .Quant à moi, je m'excepte
de la règle commune. L'habitude, à moi, ne me met pas illères,
et je pourrais passer vingt fois par jour devant ces arbres, que leur
magnificence chaque fois m'émerveillerait.
-----Que de fois, ici et partout, devant
ces automates que l'on me dit mes frères, ces hommes machinisés,
qui ne voient pas le ciel qui chatoie sur leur tête, j'ai eu l'envie
de crier : " Mais levez donc le front !
regardez et voyez ! ouvrez vos yeux et votre âme à la beauté
des heures ! la vie est belle ! la terre est belle ! Alger est belle !
c'est votre absence de ferveur qui rend vos jours moroses. Ayez des yeux
pour voir et un cur peur sentir ! et votre vie sera trop courte
pour cueillir toutes les roses et vider toutes les coupes de la beauté
et de la joie ! "
Le Jardin d'Essai, joyau
de la couronne d'Alger
-----Le
Square Guynemer est beau, Montriant est beau, le Parc de Galland est beau.
Mais la gloire botanique d'Alger, le joyau de sa couronne, c'est le Jardin
d'Essai, qu'un Prince de Galles a comparé au Parc de Batavia.
-----Créé dès 1832 (
Le Guide bleu " écrit impavidemeut : 1823) sur
l'emplacement ou campèrent, en 1541, les 24.000 hommes qui composaient
l'armada de Charles-Quint, dont la fin fut calamiteuse, la superficie
du Jardin du Hamma (tel était son premier nom), était, à
l'origine, de cinq hectares seulement, qui furent portés à
75, ( Le même Guide, avec la même impavidité
que ci-dessus écrit : 48 hectares ! Pour l'amour de la vérité,
ne suivez pas le Guide!).
-----Comme le Parc de Versailles, il est
né d'un marécage dont la fièvre
était l'Hydre et, comme lui, eut la chance d'être dirigé
par un homme qui, sans être l'émule du " Jardinier du
Roi " - car pour faire un Le Nôtre, il faut un Louis XlV -
était mieux qu'un artisan et qu'un Français moyen.
-----Est-ce Hardy, est-ce Rivière
qui traça le lacis des capricantes allées de la section
sylvestre, nommée jardin anglais, mais que j'appelle la jungle
? Que ce soit l'un ou l'autre, il a bien mérité de l'Algérie
et de la France, car il a créé une uvre qui honore
la Nation.
-----Visiteur assidu
de ce musée des plantes, je ne vais pas, on le pense bien, en dire
toutes les merveilles ni tout ce que j'en pense. http://alger-roi.fr .Je
veux indiquer seulement les sensations qui m'envahissent chaque fois que
j'erre sous ces voûtes de feuillages. J'ai beau connaître
à l'avance les ondes d'exaltation qui vont me traverser, chaque
fois j'en suis surpris, tant est brusque et intense le changement d'atmosphère.
-----La vie quotidienne est là. À
cinquante mètres, les tramways crissent et les motos vrombissent.
Et, soudain, tout est changé. Le vol impétueux du temps
s'est arrêté. Un silence unanime d'avant la Création
nous isole du monde adjacent. On se croit transporté sur une autre
planète, aux confins du rêve et de l'hallucination, sous
des sylves invraisemblables, inimaginées, véhémentes,
aux souches zoomorphes, aux racines pythoniennes, ou comme lapidifiées,
aux ramures désordonnées, d'où des lianes tombent
et se balancent comme des cordes de pendus, des filaments de méduse
et des chevelures de Mélisande. Aux endroits où des rameaux
ont été sectionnés, on croit voir des cicatrices
d'hydres décapitées. Ah ! que nous voici loin des harmonieux
phénix
-----Tellement tout se recueille sous ce
plafond opaque qu'aucun vent ne remue, qu'on sent battre son cur
et le sang de ses veines et perçoit la reptation des racines-tentacules
dans les entrailles de la terre, et la fermentation des sèves et
des latex.
-----Ce n'est pas, qu'on m'en croie, de la
littérature. Telle heure de tel jour, je fus si bouleversé
par ces splendeurs végétales, par cette odeur de faune de
la terre en gésine, par cette lumière diffuse, stagnante,
couleur de vert-de-gris, par ces sentiers humides et feutrés de
lichens, par ce silence enfin, qu'accroît le cri strident, véritable
you-you, d'un merle qui s'esquive, que pantelant, suffocant presque, j'ai
dû m'asseoir pour que s'apaise mon tumulte intérieur : la
même exultation de l'esprit et des moelles, la même ivresse
dionysiaque, que j'ai connues sous les cèdres et dans les oasis,
où j'ai senti en moi battre le coeur de Pan!
Un temple végétal
sculpté par la Nature
-----J'ai connu, au Jardin
d'Essai, des émotions moins centauresques, mieux accordées
à la grâce svelte des lataniers qu'aux dracoenas convulsés
et aux ficus tentaculaires; mes joies y sont aussi nombreuses que la flore
y est diverse.http://alger-roi.fr . Et si j'admire les pachydermes et
bée devant les monstres de sylve exotique, j'aime la majesté
calme de l'allée des platanes, moins tourmentés et plus
humains, dont les fûts blancs moirés de dartres, et les augustes
ramures, composent la nef médiane d'une cathédrale hyperbolique,
dont la mer qui miroite à l'horizon est le
vitrail.
-----Vaguer sous ces arceaux est une élévation,
une purification.
-----Aussi pleurons sur ceux qui pourraient
s'y promener en théories jacassantes, car ils refuseraient la grâce
consentie au solitaire réceptif et fervent. Ils n'entendraient
pas le murmure de litanies des feuilles. Ils ne verraient pas les frissons
de l'ombre et du soleil sur les écorces lisses. Ils ne verraient
pas non plus les sylphes de lumière qui dansent et farandolent
dans les rayons qui trouent, comme des épées de feu, l'ogive
dorée des branches ; ni les mouvantes ocelles dont est jonché
le sol de ce temple vivant, créé par la Nature et l'Homme
industrieux.. Ils ne sentiraient pas l'odeur d'encens des tubéreuses
qui monte avec le soir. De même ils n'entendraient pas, dans les
taillis voisins, le tintinnabulis des clochettes du Yucca, qui sonne l'Élévation
avec le Datura...
Mais le poète en qui la Grâce soudain
luit,
Éperdu de ferveur et l'émerveillement,
Le poète tressaille à sentir brusquement
Quelque chose qui bat de l'aile au fond de lui...
|
Être un myosotis
ou un jaearanda
-----FLAUBERT
a écrit : " Il m'est doux de songer
que je servirai peut-être un jour à faire croître des
tulipes." Je suis plus ambitieux ! _ Contemplant ces arbres
avant de les quitter, ces sous-bois et ces fleurs, je soupire ce quatrain
Ah ! croire à la métempsycose !
Croire qu'un jour on renaîtra
Myosotis, tulipe ou rose,
Palmier, cèdre ou jacaranda !
|
Le passage de Flore
-------La féerie
vernale se déroule dans les rues même d'Alger. Outre les
magasins de fleurs, qui rivalisent de goût dans l'élégance,
et dont le nombre à vingtuplé depuis vingt ans, il y a -
innombrables - les " nouardji " à l'éventaire
et les nouardji ambulants.
-------Rue
d'Isly, rue
Michelet, dans l'encoignure de chaque porte, sur les trottoirs,
des Kabyles vendent des bottes d'anémones et des pâquerettes,
de capucines et de jacinthes, de violettes et de narcisses, de mimosas
et de genêts, de pois de senteur, de giroflées, et des jonchées
de branches d'arbres fruitiers en fleurs, dont les fragrances mêlées
saturent l'air attiédi de capiteux effluves.
-------Dans les brasseries, on vend des jasmins
en collier, aux corolles blanches et safranées, les mêmes
que l'on voit, portées par des Amours sur les fresques de Pompeï.
-------Mais la plus belle image du printemps
que j'aie vue, et que je veux dire pour finir, c'est celle d'une jeune
fille qui passait avec, dans ses bras nus, des fleurs de prunelliers.
http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis .Radieuse comme sa gerbe, je la
baptisai Flore, car c'était tout le Printemps, toute la jeunesse
de la Terre.
O jeune fille qui passiez...
Qui êtes passée...
Et tout le printemps avec...
|
Claude-Maurice
ROBERT.
|