SQUARES et JARDINS : Alger, royaume de la flore.
Des jardins toujours verts
Sous un ciel toujours bleu.

par Claude-Maurice Robert - Algeria, mars-avril 1953, pages 37 à 44, édition de l'OFALAC

mise sur site le 30-9-2005
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-------Une autre fois, indifférente aux crimes et aux folies des hommes, indifférente aux indifférents qui ne voient ni ne sentent les splendeurs dont elle pare l'univers rajeuni, la Nature munificente renouvelle ses prodiges : tout ressuscite et refleurit !
-------Dès février, dans notre Éden d'Alger, Hespéride enchantée où rien ne parle de déclin, les amandiers et les pêchers qui, plus que l'hirondelle et plus que la cigogne, prophétisent le Renouveau, ont épanoui leurs dômes de nacre et de corail.
Par des sentiers voûtés de branches.
Neigent sur nous, en avalanches,
Des corolles roses et blanches.

-------En janvier déjà, dans tous nos squares et nos jardins, alors que la radio annonce : - 30 au Canada, des raz-de-marée en Flandres et en Hollande et un brouillard de suie sur la Seine et la Tamise, les aloès érigent leurs cierges de rubis.
-------À la même époque - mais combien d'Algérois le le savent ? - une haie de camélias allume une rampe ardente au pied des murailles bleues de l'Université (Je précise qu'il s'agit da tronçon inférieur de la rue Lys-du-Parc. Malheureusement, cet endroit est un garage de motards, et les précieux et somptueux camélias sont invisibles pour être inabordables. Comment la municipalité, qui a la générositéet le goût d'effectuer de telles dépenses somptuaires, ne prend-elle pas des mesures pour qu'elles ne soient pas un sacrifice superflu)(le Déjanté: eh oui! en 1953, les problèmes de stationnement existent) cependant que là-bas, contraste éblouissant, par delà le miroir de la mer bleue ou verte, par delà la guirlande des villages littoraux, le culmen du Djurdjura, où sont les cèdres bibliques, transformé en névé par la neige amoncelée, scintille dans le soleil comme l'Atlas de Marrakech !

Borée s'appelle Zéphyr et Frimaire Floréal

-------Mais , puisqu'il n'y a pas de déclin, pourquoi parler de Renouveau ?
-------Disons plus justement, un ralentissement de sève, une économie d'efflorescence, une pause méditative des forces de la terre, une recueillement des germes, une oraison des tiges, à quoi tout de suite succèdent un foisonnement nouveau, une nouvelle luxuriance, une explosion unanime de fleurs et de pollens.
-------Ainsi, pas d'hiatus entre l'automne et le printemps, ce qui explique que tant de feuilles n'aient pas le temps de tomber et qu'abeilles et papillons ne cessent pas de butiner.
-------Les cyclamens et les colchiques d'octobre durent encore, que déjà s'épanouissent les bruyères et les genêts, les iris et les narcisses, les anémones et les jacinthes, les mimosas et les jasmins. Ici, Borée s'appelle Zéphyr et Frimaire, Floréal.
-------Dans la mythologie grecque, Coré, fille de Déméter, déesse de la terre nourricière, celle qui fit don aux hommes du premier grain de blé, descend six mois chaque année chez les morts, où la réclame Hadès, son époux ravisseur, puis elle remonte à la lumière où elle vit les six autres mois.
-------Selon la fable, cette double vie de Coré-Perséphone, symbolise le deuil de la terre, après la mort annuelle de la végétation et sa résurrection au retour des beaux jours. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis .C'est-à-dire le flux et le reflux des sèves.
-------Vouée à Flore, Alger ne connaît pas l'hiver. L'élan vital, ici, . est ininterrompu et Coré-Perséphone ne va pas chez les morts. Pleut-il ? C'est pour rincer le feuillage et les nues et pour que le soleil puisse faire un arc en-ciel, et aussi pour permettre à la mer d'écumer et de faire des geysers en battant les récifs.
-------Mais il n'est jamais loin, Hélios, le dieu du Jour, qui, nulle part mieux qu'ici, ne mérite l'épithète homérique "d'invincible". Artificier du ciel, à toute heure il est là, présent même invisible, et prêt à resurgir, ou souriant hilare. S'il s'éclipse, ou c'est par coquetterie, car il sait qu'après l'ombre sa lumière est plus belle et que nous l'aimons mieux; ou c'est par charité : il veut que terre boive pour que les germes croissent qu'il fera s'épanouir fructifier et mûrir.

Les Vandales en action
(le Déjanté:le phénomène n'est donc pas nouveau)

-------Pas besoin d'être poète pour être ému par la parure florale d'El-Djezaïr. Qui ne serait ravi, s'il a des yeux pour voir, par ces corbeilles éparses tout le long de nos rues, par ces massifs de palmes et ces bosquets de strélitzies, par ces lianes de lierre et de convolvulus, par ces bougainvilliers qui pavoisent et chamarrent chaque mur et chaque lustre où leur présence est possible?

-------Et le mérite est grand de ceux qui ont la charge d'orner de fleurs Alger. Car ces parterres, qui charment nos yeux et notre esprit, ne sont pas spontanés. Que, de soins assidus implique leur entretien ! La simple volonté ne saurait y suffire. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis . Il y faut de l'entêtement. Je pense à toutes ces jardinières aménagées sur les trottoirs de nos artères majeures auxquelles on dut renoncer, à cause de l'acharnement de certains à les détruire.
-------Un exemple entre mille : j'admirais, récemment, le personnel municipal occupé à planter, à dextre et à senestre de l'entrée des Facultés, dans l'ove double qui cerne deux ficus, des plants de cinéraires issus des serres de la ville. Et " in petto ", instruit par une longue expérience, je déplorais cette peine et cet argent perdus, puisque, me disais-je, demain, ce soir peut-être, ils seront dévastés.
-------Pessimisme ? Oui ! mais lucide et motivé. En effet, deux jours plus tard, deux cinéraires avaient été volés et cinq les jours suivants. Et à l'heure où j'écris, je le sais " de visu ". c'est la moitié d'un de ces jardinets (le côté qui la nuit est le moins éclairé) qui est devenu chauve ! L'effet est lamentable, et combien révélateur de l'esprit anarchique de certaines zones de notre société - au pluriel, pour l'amour de la sainte vérité - que j'appelle la C.A.V. - Confédération Amicale desVandales !
-------Et si je les stigmatise, c'est qu'à cause de leurs saccages impies, Alger ne peut pas être encore, malgré le bon vouloir de son édilité, ce qu'on voudrait la voir : plus belle que les plus belles villes de la Côte d'Azur ; plus belle que Nice et Menton, plus belle que Cannes et Villefranche...

Alger, havre de joie

-------N'importe, en dépit des barbares qui sont partout pour tout détruire, mon amour la magnifiant, Alger reste pour moi la plus belle ville de la terre.
-------Dès mon arrivée en Afrique, l'homme de l'Est que je suis, ébloui par une terre où l'on voit ce prodige : des arbres toujours verts sous un ciel toujours bleu, où la joie est partout pour qui sait la cueillir, avait jeté ce cri de surprise éblouie :

Algérie ! Algérie ! ô merveilleux exil !
Pays des orangers, pays des lauriers-roses,
Éden où l'on ne voit jamais de ciels moroses,
Où frimaire et nivôse ont des tiédeurs d'avril !

-------Je ne renie pas ces vers écrits à vingt-trois ans ; ils témoignent que ma tendresse pour Alger fut spontanée. Sur un seul mot, qui est une rime, je trace un " deleatur ", car j'ai fait ma patrie de mon exil d'antan, sans pour cela, faut-il le dire? renier la terre de ma naissance. Pas d'exclusion : annexion ! http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis .D'une étreinte filiale, j'unis l'Afrique à la France et de l'une et de l'autre, dans mon cœur confondues, je fais ma patrie unique.
-------J'ai pour Alger l'étonnement du nordique qui la découvre. L'accoutumance n'a pas émoussé ma ferveur. Régulièrement, comme un devoir de cœur et de conscience, je m'impose d'en revoir les différents quartiers, comme si demain j'allais partir pour ne plus revenir. Et du môle ou de la Casbah, du balcon de Saint-Raphaël ou du Forum, chaque fois je pousse le cri émerveillé de Maupassant, beau vers involontaire donné par l'euphorie
------------------" Féerie inespérée et qui ravit l'esprit !"
-------Alger est le havre de joie, l'arche de plénitude, la Capoue, où j'oublie les fantasmes et les sortilèges du Sud.

Le Square Bresson

-------À cette époque vernale, mes pèlerinages saisonniers sont consacrés aux jardins. Du boulevard Guillemin, cascades de bellombras et de ficus géants, par le jardin Marengo, le Square Bresson et le Square Guynemer, que de stations fleuries avant d'atteindre les parterres étagés du Forum, les bocages de Montriant et du Parc de Galland et le jardin d'Essai !
-------Est-ce en changeant de nom ou en perdant les grilles qui l'entouraient naguère, que le Square Bresson, devenu Square Briand, a changé d'atmosphère ? Que nous sommes loin, en 1953, du square de 1933. Baudelaire avait raison
---------------" La forme d'une ville
---------------Change plus vite, hélas ! que le cœur d'un mortel. "

-------Logé, à l'époque dont je parle, dans un hôtel voisin qui regarde la mer, je traversais le square au moins dix fois par jour et j'y faisais de longues haltes assis contre la grille d'un des quatre bassins, pièce d'eau minuscule, dont le jet filiforme ondoie au gré du vent, puis retombe sur un roc habillé de lichen en tintinnabulant. Maigre musique ! Mais cela suffisait à nourrir ma rêverie, en ce temps-là mélancolique. http://alger-roi.fr .Des cyprins croisaient dans ce bief exigu, et je suivais leurs jeux qui moiraient la surface de rides entremêlées.
-------Aujourd'hui comme hier, les jets d'eau virent et girent au souffle de la brise et s'égouttent sur la mousse en chantant une ariette. Mais plus de poissons rouges dans les eaux sans mystère
-------Et les moineaux chantés par Gide, au temps qu'il séjournait à l'hôtel de l'Oasis, où sont-ils les moineaux ? Il y a vingt ans, fidèles encore aux frondaisons du square, leur retour vespéral de la campagne nourricière où ils passent la journée, suscitait une émeute. C'était, dans les ficus où ils dormaient la nuit, un tel charivari de battements d'ailes et de cris, que les clameurs ambiantes en étaient étouffées. Car si, à cette même heure, les moineaux du Luxembourg, qui sont des parisiens, font un bruit de friture, les nôtres, qui sont des africains, bien que le docteur Sergent en fasse des espagnols : bispaniolensis, se doivent de faire, et font, une rumeur de marée.
-------Aujourd'hui, tous les moineaux - ou presque déserté le Square Bresson.
-------Et les " petits pères Grognatous ", caricaturés par Montherlant dans ses " Images d'Alger " ? Et " le Général de brigade ", gardien du square, ainsi nommé parce qu'il traquait les yaouleds, qu'il surnommait les " calamares ", avec une canne à pêche ? Gavroches et poulbots algérois, les " calamares " sont toujours là, et toujours aussi espiègles, irréductibles et fripons, mais plus de " Général " et plus de " Grognatous " !

Beaux arbres inconnus

-------Les vieux ficus n'ont pas changé, c'est dire qu'ils sont toujours beaux. Mais plus précieux d'être plus rares, il y a les trois chorisia, merveille végétale, que personne ne regarde et ne semble connaître, et je m'estimerai chanceux si ceux qui les ignorent - et c'est neuf cents sur mille - ne m'accusent pas de bluff.
-------Non seulement les chorisia se singularisent en fleurissant en octobre, mais leur tronc, galbé à sa base, est entièrement hérissonné d'une multitude d'excroissances aculées (leurs branches aussi ) qui en rendraient l'escalade impossible à quiconque. Ce qui leur vaut leur épithète latine de " spinosa ".
-------Inadéquate, d'ailleurs. Car il ne s'agit pas d'épines, de dards, d'aiguillons, comme chez les mimosea et les dattiers du Sud, mais de clous, dont la pointe est aussi dure que la griffe d'un rapace et, que l'on dirait d'acier. Et quelles sont belles les fleurs roses dont ils jonchent, à l'automne, tout le sol autour d'eux !
-------Mais personne ne s'arrête pour les admirer au passage. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis .Chacun les les foule, indifférent. Je suis seul à leur faire des visites d'action de grâces et à pieusement recueillir quelques gisantes corolles qui rappellent les orchidées.
-------Au Japon, patrie du chorisia et du jacaranda, la presse locale annonce l'éclosion des glycines, des iris et des fleurs du pêcher, et les populations des villages et des villes vont en cortège les admirer. Il y a là comme un culte de la beauté et de la vie. Ainsi font aussi les habitants de Londres, lorsque le " Nymphea Regina " s'épanouit.
-------Mais pourquoi vais-je chercher des exemples si loin ? N'est-ce pas en Algérie même, dans l'Aurès, que les Berbères célèbrent la naissance du printemps, nommé " rbya " en arabe, en se rendant en forêt, d'où chacun et chacune reviennent parés de rameaux, au tintamarre des raïtas ? Cérémonie que connut d'ailleurs la France médiévale.
-------C'était la fête de Mai - célébrée dans l'Aurès sous le nom de " Maïou ", qui est Mai en latin. On processionnait à travers les bourgades décorées de verdure ; on se rendait dans les bois en bandes joyeuses et fleuries, et chacun et chacune - comme dans l'Aurès - devait porter sur soi une ramille de feuillages sous risque de se voir l'objet d'une avanie, d'où notre locution : " Je vous prends sans vert ", et notre tradition survivante du muguet...

Les plus beaux palmiers du monde

-------Je plains les Algériens qui peuvent passer place Bugeaud sans dédier, ne fût-ce qu'un regard furtif d'admiration, aux phénix des Canaries qui font une garde d'honneur au maréchal, duc d'Isly. Moi qui crois à la vertu thérapeutique de la beauté, que de fois je leur ai chanté un hymne de gratitude pour faire de ce carrefour, avec les mosaïques fleurs qui les encadre, un reposoir de poésie
-------Ces phénix, ont des frères au boulevard Laferrière. http://alger-roi.fr .Sont-ils beaux, dites ? ceux qui escaladent la rampe des numéros impairs, colonnes végétales aux chapiteaux sonores !Ils n'ont d'égaux que ceux du boulevard Victor-Hugo, dont double alignement symétrique est plus beau que les Propylées
------O O Phénix bien nommés ! quelle force ! quelle noblesse !quelle majesté sereine!
-------Dans tout le règne végétal, il n'est rien de mieux construit, de mieux architecturé.
-------Émerveillé, j'admire cette vigueur sans violence, cette luxuriance disciplinée et cette économie, cette mesure et cet équilibre, qui sont ceux du vers et de la tragédie classiques. Énergie concentrée, passionnément dardée vers son accomplissement, qui est l'épanouissement triomphal du panache, comme la " chute " du sonnet est l'obsession du poète.
-------Mais l'image qui s'impose, inéluctable, est celle d'un double portique de fontaines jaillissantes aux fûts annelés et squameux, ciselés, cloisonnés, dont les vasques aériennes débordent en cataractes. L'entendez-vous, dites ? le ruissellement mouillé des palmes balancées... Et vous représentez-vous combien Alger serait plus belle si, au lieu d'un mirage, c'était une réalité ?
-------Je serais trop incomplet si je taisais les tendres plantes qui prolifèrent à la base bulbeuse de chaque cimier, véritable corbeille, d'où s'effusent et s'incurvent les " djérids " foisonnants. Présumablement semées par les moineaux, ces herbes parasites, astragales de fleurs et de feuilles, ajoutent une grâce frêle et gaie à la rigidité des arbres solennels. Et tellement ces guirlandes surprennent et amusent œil, que j'ai vu des touristes refuser de croire qu'elles sont dues uniquement au hasard !

Ils ont des yeux et ne voient pas.

-----Eh bien, ces émouvants palmiers, chefs-d'œuvre de la Nature, de même que les choriasus spinosa du Square Briand, personne ne les regarde ! Je suis tout seul à m'arrêter et à leur faire ma révérence. Abstraits dans leurs soucis de joies plus positives, œil terne et le cœur morne, les autres passent sans les voir. Savent-ils même qu'ils sont là ?
-----Leur seule excuse, c'est que l'accoutumance peut devenir une cécité : on ne voit plus ce qu'on voit trop. Les autres ! http://alger-roi.fr .Quant à moi, je m'excepte de la règle commune. L'habitude, à moi, ne me met pas œillères, et je pourrais passer vingt fois par jour devant ces arbres, que leur magnificence chaque fois m'émerveillerait.
-----Que de fois, ici et partout, devant ces automates que l'on me dit mes frères, ces hommes machinisés, qui ne voient pas le ciel qui chatoie sur leur tête, j'ai eu l'envie de crier : " Mais levez donc le front ! regardez et voyez ! ouvrez vos yeux et votre âme à la beauté des heures ! la vie est belle ! la terre est belle ! Alger est belle ! c'est votre absence de ferveur qui rend vos jours moroses. Ayez des yeux pour voir et un cœur peur sentir ! et votre vie sera trop courte pour cueillir toutes les roses et vider toutes les coupes de la beauté et de la joie ! "

Le Jardin d'Essai, joyau de la couronne d'Alger

-----Le Square Guynemer est beau, Montriant est beau, le Parc de Galland est beau. Mais la gloire botanique d'Alger, le joyau de sa couronne, c'est le Jardin d'Essai, qu'un Prince de Galles a comparé au Parc de Batavia.
-----Créé dès 1832 ( Le Guide bleu " écrit impavidemeut : 1823) sur l'emplacement ou campèrent, en 1541, les 24.000 hommes qui composaient l'armada de Charles-Quint, dont la fin fut calamiteuse, la superficie du Jardin du Hamma (tel était son premier nom), était, à l'origine, de cinq hectares seulement, qui furent portés à 75, ( Le même Guide, avec la même impavidité que ci-dessus écrit : 48 hectares ! Pour l'amour de la vérité, ne suivez pas le Guide!).
-----Comme le Parc de Versailles, il est né d'un marécage dont
la fièvre était l'Hydre et, comme lui, eut la chance d'être dirigé par un homme qui, sans être l'émule du " Jardinier du Roi " - car pour faire un Le Nôtre, il faut un Louis XlV - était mieux qu'un artisan et qu'un Français moyen.
-----Est-ce Hardy, est-ce Rivière qui traça le lacis des capricantes allées de la section sylvestre, nommée jardin anglais, mais que j'appelle la jungle ? Que ce soit l'un ou l'autre, il a bien mérité de l'Algérie et de la France, car il a créé une œuvre qui honore la Nation.
-----Visiteur assidu de ce musée des plantes, je ne vais pas, on le pense bien, en dire toutes les merveilles ni tout ce que j'en pense. http://alger-roi.fr .Je veux indiquer seulement les sensations qui m'envahissent chaque fois que j'erre sous ces voûtes de feuillages. J'ai beau connaître à l'avance les ondes d'exaltation qui vont me traverser, chaque fois j'en suis surpris, tant est brusque et intense le changement d'atmosphère.
-----La vie quotidienne est là. À cinquante mètres, les tramways crissent et les motos vrombissent. Et, soudain, tout est changé. Le vol impétueux du temps s'est arrêté. Un silence unanime d'avant la Création nous isole du monde adjacent. On se croit transporté sur une autre planète, aux confins du rêve et de l'hallucination, sous des sylves invraisemblables, inimaginées, véhémentes, aux souches zoomorphes, aux racines pythoniennes, ou comme lapidifiées, aux ramures désordonnées, d'où des lianes tombent et se balancent comme des cordes de pendus, des filaments de méduse et des chevelures de Mélisande. Aux endroits où des rameaux ont été sectionnés, on croit voir des cicatrices d'hydres décapitées. Ah ! que nous voici loin des harmonieux phénix
-----Tellement tout se recueille sous ce plafond opaque qu'aucun vent ne remue, qu'on sent battre son cœur et le sang de ses veines et perçoit la reptation des racines-tentacules dans les entrailles de la terre, et la fermentation des sèves et des latex.
-----Ce n'est pas, qu'on m'en croie, de la littérature. Telle heure de tel jour, je fus si bouleversé par ces splendeurs végétales, par cette odeur de faune de la terre en gésine, par cette lumière diffuse, stagnante, couleur de vert-de-gris, par ces sentiers humides et feutrés de lichens, par ce silence enfin, qu'accroît le cri strident, véritable you-you, d'un merle qui s'esquive, que pantelant, suffocant presque, j'ai dû m'asseoir pour que s'apaise mon tumulte intérieur : la même exultation de l'esprit et des moelles, la même ivresse dionysiaque, que j'ai connues sous les cèdres et dans les oasis, où j'ai senti en moi battre le coeur de Pan!

Un temple végétal sculpté par la Nature

-----J'ai connu, au Jardin d'Essai, des émotions moins centauresques, mieux accordées à la grâce svelte des lataniers qu'aux dracoenas convulsés et aux ficus tentaculaires; mes joies y sont aussi nombreuses que la flore y est diverse.http://alger-roi.fr . Et si j'admire les pachydermes et bée devant les monstres de sylve exotique, j'aime la majesté calme de l'allée des platanes, moins tourmentés et plus humains, dont les fûts blancs moirés de dartres, et les augustes ramures, composent la nef médiane d'une cathédrale hyperbolique, dont la mer qui miroite à l'horizon est le vitrail.
-----Vaguer sous ces arceaux est une élévation, une purification.
-----Aussi pleurons sur ceux qui pourraient s'y promener en théories jacassantes, car ils refuseraient la grâce consentie au solitaire réceptif et fervent. Ils n'entendraient pas le murmure de litanies des feuilles. Ils ne verraient pas les frissons de l'ombre et du soleil sur les écorces lisses. Ils ne verraient pas non plus les sylphes de lumière qui dansent et farandolent dans les rayons qui trouent, comme des épées de feu, l'ogive dorée des branches ; ni les mouvantes ocelles dont est jonché le sol de ce temple vivant, créé par la Nature et l'Homme industrieux.. Ils ne sentiraient pas l'odeur d'encens des tubéreuses qui monte avec le soir. De même ils n'entendraient pas, dans les taillis voisins, le tintinnabulis des clochettes du Yucca, qui sonne l'Élévation avec le Datura...

Mais le poète en qui la Grâce soudain luit,
Éperdu de ferveur et l'émerveillement,
Le poète tressaille à sentir brusquement
Quelque chose qui bat de l'aile au fond de lui...

Être un myosotis ou un jaearanda

-----FLAUBERT a écrit : " Il m'est doux de songer que je servirai peut-être un jour à faire croître des tulipes." Je suis plus ambitieux ! _ Contemplant ces arbres avant de les quitter, ces sous-bois et ces fleurs, je soupire ce quatrain

Ah ! croire à la métempsycose !
Croire qu'un jour on renaîtra
Myosotis, tulipe ou rose,
Palmier, cèdre ou jacaranda !

Le passage de Flore

-------La féerie vernale se déroule dans les rues même d'Alger. Outre les magasins de fleurs, qui rivalisent de goût dans l'élégance, et dont le nombre à vingtuplé depuis vingt ans, il y a - innombrables - les " nouardji " à l'éventaire et les nouardji ambulants.
-------Rue d'Isly, rue Michelet, dans l'encoignure de chaque porte, sur les trottoirs, des Kabyles vendent des bottes d'anémones et des pâquerettes, de capucines et de jacinthes, de violettes et de narcisses, de mimosas et de genêts, de pois de senteur, de giroflées, et des jonchées de branches d'arbres fruitiers en fleurs, dont les fragrances mêlées saturent l'air attiédi de capiteux effluves.
-------Dans les brasseries, on vend des jasmins en collier, aux corolles blanches et safranées, les mêmes que l'on voit, portées par des Amours sur les fresques de Pompeï.
-------Mais la plus belle image du printemps que j'aie vue, et que je veux dire pour finir, c'est celle d'une jeune fille qui passait avec, dans ses bras nus, des fleurs de prunelliers. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis .Radieuse comme sa gerbe, je la baptisai Flore, car c'était tout le Printemps, toute la jeunesse de la Terre.

O jeune fille qui passiez...
Qui êtes passée...
Et tout le printemps avec...

 

Claude-Maurice ROBERT.