ESSOR DE L'ALGÉRIE - 1947
Avenir du tourisme
28. - Avenir du tourisme

Victor PROUTEAU
Directeur de l'Office Algérien d'Action Économique et Touristique.


ici, mars 2016

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Les gorges du Rhumel à Constantine

Les gorges du Rhumel à Constantine

Pour dégager les perspectives d'avenir du tourisme en Algérie, il est nécessaire de faire un léger retour dans le passé.

Les premiers qui, il y a quelques dizaines d'années, comprirent l'intérêt qu'il y avait à entraîner le touriste vers ce pays à peine sorti du chaos physique, politique et économique de la domination turque, crurent habile de n'en révéler que les types, les scènes et les sites de caractère oriental. Pour ces propagandistes sincères, mais maladroits, l'Algérie fut uniquement le pays des mosquées et des femmes voilées, des chameaux, des palmiers et des fantasias.

C'est à l'occasion de la célébration des fêtes du Centenaire, en 1930, que l'on comprit la nécessité de redresser les erreurs commises. Sans doute l'Algérie est le pays des minarets d'où partent dans l'air calme du crépuscule les appels à la prière, des caravanes nonchalantes et des fantasias bruyantes et colorées. Mais elle n'est pas que cela.

Par un labeur tenace, auquel ont collaboré tous les éléments de sa population, l'Algérie est devenue le prolongement de la France au sud de la Méditerranée. Et le touriste attiré par les visions d'Orient promises, trouve sur sa route des villes modernes, des ports équipés pour recevoir les plus grands bateaux du monde, des vergers, des vignobles et des champs de blé admirables.

Mais est-ce à dire que ce nouveau visage de l'Algérie a fait disparaître l'ancien, celui importé de l'Orient ? Pas du tout. L'Algérie, point de rencontre de l'Europe et de l'Asie en terre africaine, carrefour de races venues de trois continents, reste le pays aux ressources touristiques illimitées. La ville européenne a respecté les vieilles mosquées, le vignoble ou le verger, la kouba élevée à la mémoire d'un saint homme musulman et la loi française, les mœurs, les coutumes et les traditions des Arabes et des Berbères.

L'Algérie demeure aussi la terre des contrastes; contraste entre deux civilisations, contraste entre les villes modernes et trépidantes et les casbahs aux ruelles silencieuses, contraste entre le douar arabe ou l'agglomération kabyle et le village bâti par des paysans et des colons immigrés, contraste enfin entre les paysages typiquement africains et les riches plaines de grande culture dont l'opulence, la prospérité et l'harmonie peuvent rivaliser avec les plus belles régions agricoles de l'Europe.

Le touriste européen amateur de sites exotiques, de scènes orientales et d'architecture mauresque continuera à trouver en Algérie matière et spectacle à s'extasier. Mais dorénavant il trouvera aussi autre chose.

Par son climat tempéré qui atténue les rigueurs de l'hiver, par son soleil presque constant, par la mer qui la baigne et qui se pare de grâces tranquilles dans les criques et les baies dont son rivage est creusé, par son relief accidenté, ses vallonnements et ses hautes montagnes, l'Algérie dispose d'un grand nombre de stations climatiques propres à accueillir l'estiveur comme l'hiverneur, depuis celles blotties dans les anfractuosités de la côte jusqu'à celles de moyenne et haute montagne de l'Atlas, de la Kabylie et des Hauts-Plateaux. Faut-il en citer quelques-unes ? Bugeaud au vaste paysage et à la flore métropolitaine, Yakouren avec sa forêt profonde où vivaient encore des panthères il y a quelque vingt-cinq ans, Michelet et ses hauts pics que domine orgueilleusement le Lalla Khedidja, Tlemcen et ses vergers et sa voisine Bou Médine la pieuse où se rencontrent les plus belles mosquées du Moghreb, Teniet-El-Hâd et sa magnifique forêt de cèdres, Chréa, Tikjda et leurs pistes de ski sous les cèdres centenaires, Dellys, ses jardins et ses vieux oliviers, Ténès et son vieux pont romain unique, croyons-nous, en Algérie, Mansouriah la luxuriante, Djidjelli ceinturée de chênes-liège, Stora et sa corniche.

La guerre a porté un rude coup à l'industrie hôtelière et touristique de l'Algérie. D'innombrables hôtels ont été dévastés par des réquisitions abusives. Le linge s'est usé. La vaisselle, la verrerie ont été brisées. Mais déjà s'amorce l'oeuvre du rééquipement. Déjà la chaîne des luxueux hôtels transatlantiques est en partie remise à la disposition du voyageur. Déjà aussi, des lignes aériennes sillonnent notre ciel dans tous les sens. Ce sont là des signes indéniables de la renaissance prochaine du tourisme.

D'admirables paysages, un vivifiant soleil, un climat tempéré, des stations climatiques ne sont pas les seules richesses du tourisme algérien. Il faut y ajouter les vestiges de la domination romaine et les sources thermo-minérales.

C'est surtout au début de notre ère que Rome put étendre sa puissance en Afrique du Nord et plus particulièrement sur les provinces de Numidie et de Maurétanie Césaréenne dont les territoires ont, depuis, formé l'Algérie française. En outre de, l'organisation administrative et économique du pays, la civilisation romaine se manifesta par l'édification d'un grand nombre de villes, elles-mêmes décorées de beaux monuments.

Les troubles graves qui précédèrent la fin de l'empire, puis l'invasion de l'Afrique du Nord par les Vandales anéantirent l'ouvre magnifique de la colonisation romaine. Les villes furent ravagées par les incendies, la vie se réfugia dans les campagnes et petit à petit, en beaucoup d'endroits, sous l'action des éléments, les enceintes fortifiées, les remparts, les murs des maisons, et les pierres des monuments écroulés disparurent de la surface du sol.

Aussitôt que s'affirma la présence de la France, des historiens, des épigraphistes, des géologues et des archéologues entreprirent la tâche minutieuse et savante de rechercher les ruines des villes ensevelies et de les mettre à jour. Conduits avec patience et science, les travaux et les fouilles ont exhumé les cités disparues, redressé les colonnes abattues, rétabli les monuments effondrés. C'est ainsi qu'aujourd'hui l'Algérie s'enorgueillit de présenter au touriste et au voyageur toute une série de ruines reconstituant partiellement les villes et les monuments par quoi se manifestait, il y a deux mille ans, la grandeur de Rome. Timgad, l'ancienne Thamugadi,

Djemila
, l'antique Cuicul sont les joyaux de ces splendeurs archéologiques. Mais il y a aussi Lambèse et Tébessa, Tipasa et Cherchell, le tombeau de la Chrétienne et le Médracem, etc... Le voyageur attaché aux choses du passé, qui aime à les évoquer au spectacle de vieilles pierres chargées d'ans, d'art et de poésie, trouve sur notre sol une infinie variété de ruines. Timgad ne ressemble pas à Djemila, ni Tébessa à Lambèse, Cherchell a ses statues, Hippone ses thermes et Djemila présente, en outre de ses ruines, les plus belles mosaïques romaines. Dans maints autres lieux, les vestiges romains sont moins importants qui méritent cependant le regard du passant et soulèvent son émotion. Il en est ainsi à Tigzirt, à Tana, à Announa (l'ancienne Thibidis) à Marcatina, à Guelma, à Khemissa, enfin, où l'on peut voir les fameuses piscines qu'alimente la même source qu'il y a deux mille ans. Le seul attrait de contempler ces témoins d'un passé dont la magnificence est venue jusqu'à nous, vaut, à lui seul, le déplacement du touriste, au même titre que Pompéi, Arles ou Nîmes.

Mais les touristes, hélas, ne sont pas toujours des gens robustes. Beaucoup aimeraient pouvoir concilier la thérapeutique avec leur désir de voyager. L'Algérie leur en offre le moyen.

Les ruines dont nous venons de parler montrent par les thermes qu'elles renferment que les Romains pratiquaient abondamment l'hydrothérapie. Ils utilisaient les sources avoisinant les grandes villes ou amenaient l'eau de très loin comme le révèlent les vestiges d'aqueducà Cherchell et à Tébessa. C'est qu'il n'avait pas échappé à leur attention que le sol de notre pays est riche en sources minérales aux propriétés curatives ou aux effets bienfaisants.

Au cours de ces dernières années, des travaux de prospection ont permis d'en dresser l'inventaire et bien que non encore définitif il en fait entrevoir les vastes possibilités.

Les sources
sont parfois situées en des régions touristiques ce qui permet d'allier les exigences du traitement curatif à leur exploration. C'est le cas de l'Hammam Salahine près Biskra, de Youks-les-bains (ancienne Aquœ Canaris) à peu de distance de Tébessa, de l'Aïn Ramersit et de l'Aïn El Hammam à Khenchela d'où l'op peut visiter l'Aurès, de l'Hammam Mélouane à 35 kms d'Alger, de l'oued Ghalia à 1890 mètres d'altitude dans le massif de l'Ouarsenis, de l'Hammam des Béni-Guéchat à Fedj M'zala dans les environs de Djemila, de Hammam Rhira dans le Zaccar, de l'Hammam Guergour (l'ancienne Ad Sava Municipium) dans la commune de Lafayette et de l'Hammam Takitount d'où l'on peut rayonner dans toute la petite Kabylie qui offre tant de belles excursions (gorges du Chabet El Akra, corniche de Bougie à Djidjelli, grottes merveilleuses, etc.), de l'Hammam Meskoutine (l'ancienne Aquœ Thibilitanœ) près de Guelma, dans une région pittoresque et sauvage, à proximité de Announa et de ses ruines, des sources de Téniet-El-Hâd à près de 1.200 m. d'altitude.

D'autres sources sont situées en des régions moins favorisées du point de vue touristique mais l'itinéraire à suivre pour s'y rendre ou en revenir peut être judicieusement chc isi et faire l'objet d'une belle randonnée : Hammam Bou Hanifia (l'ancienne Aquœ Sirenses), Hammam Bou-Hadjar dans le département d'Oran, Berrouaghia, Aïn-Bessem dans le département d'Alger, l'Hammam El Biban, près des Portes de fer dans celui de Constantine et combien d'autres lieux qu'il serait fastidieux de citer. La valeur thérapeutique de ces diverses stations est de tout premier ordre et il est notamment aujourd'hui reconnu que les eaux de l'Aïn Mentila (à quelques kilomètres d'Ammi-Moussa dans le département d'Oran), de l'Hammam Meskoutine et de l'Hammam Guergour sont les plus sulfureuses, hyperthermales et radioactives du monde.

Sans doute toutes les stations que nous venons de citer ne sont-elles pas encore équipées pour recevoir la clientèle. Certaines cependant, comme Hammam-Rhira, Bou-Hanifia, Hammam Meskoutine, Hammam Bou Hadjar, etc... disposent d'établissements balnéaires et d'hôtels de première ou seconde catégorie et ont pu reprendre leur activité d'avant-guerre. L'équipement de toutes les stations thermo-minérales d'Algérie est en route et bientôt les eaux de toutes les sources connues et recensées seront mises à la disposition des malades et des touristes et leur apporteront réconfort, soulagement, guérison.

Telles sont, pensons-nous, les vues d'avenir du tourisme algérien. Elles sont brillantes. Cependant un effort considérable est à faire mais " le succès est au bout du chemin ". Déjà renaissant, le tourisme algérien sera favorisé par la réorganisation des transports maritimes, par le développement de la navigation aérienne. Il redeviendra pour l'Algérie une source de profits que la guerre avait tarie, il participera à sa prospérité et surtout il contribuera à faire mieux connaître dans le monde notre pays dont on a pu écrire qu'il est " un pays de lumière et de beauté, d'énergie féconde, de vaste avenir, dont cent ans de vaillance et de labeur ont déjà fait plus et mieux qu'une colonie, un puissant et magnifique prolongement de la France "(Georges Rozet " L'Algérie ". Editions des Horizons de France, Paris 1929.)

Victor PROUTEAU
Directeur de l'Office Algérien d'Action Économique et Touristique.