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-Dossier: l'Armée d'Afrique
Naissance de l'Armée d'Afrique
Michel Sapin-Lignières

---------Si la création de l'Armée d'Afrique a constitué un phénomène auquel nous sommes tout particulièrement sensibles, il ne faut pas oublier que cet événement eut une répercussion internationale dont nous pouvons, à juste titre, nous enorgueillir. Il y eut des zouaves dans les insurgés qui tentèrent en vain d'obtenir la résurrection de la Pologne, dans les deux camps de la guerre civile américaine, dont les fameux zouaves du Potomac et, chose plus surprenante encore, ce furent des zouaves - les Zouaves pontificaux - qui seront les derniers défenseurs du Trône de saint Pierre sous le commandement de celui-là même qui avait été le premier chef en Algérie, Lamoricière.

Tous les textes de ce dossier sont extraits d'un numéro spécial de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information. - n°19-15 septembre 1982 avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"

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--------------Si la création de l'Armée d'Afrique a constitué un phénomène auquel nous sommes tout particulièrement sensibles, il ne faut pas oublier que cet événement eut une répercussion internationale dont nous pouvons, à juste titre, nous enorgueillir. Il y eut des zouaves dans les insurgés qui tentèrent en vain d'obtenir la résurrection de la Pologne, dans les deux camps de la guerre civile américaine, dont les fameux zouaves du Potomac et, chose plus surprenante encore, ce furent des zouaves - les Zouaves pontificaux - qui seront les derniers défenseurs du Trône de saint Pierre sous le commandement de celui-là même qui avait été le premier chef en Algérie, Lamoricière.

--------------Juillet 1830. - Le Corps expéditionnaire français, que commande le lieutenant-général Louis de Ghaisne, comte de Bourmont, vient de prendre Alger. Exploit d'autant plus remarquable que tous ceux qui, en France, n'étaient pas légitimistes, avaient prédit pour cette armée les pires malheurs. Des Orléanistes aux Républicains en passant par les Bonapartistes, tout avait été dit et fait pour empêcher l'expédition d'Alger et cela s'était accompagné d'inimaginables violences verbales. Uniquement pour des raisons de politique intérieure, on était contre parce que le roi était pour et cela justifiait d'imaginer, voire même de souhaiter pour l'armée une cuisante défaite et pour que ces prévisions aient plus de chance de se réaliser, certains journaux allèrent même jusqu'à publier non seulement l'ordre de bataille et la date de départ de l'armée mais aussi son point de débarquement, et les passions politiques étaient alors telles qu'aucun de ces journalistes n'eut le sentiment de commettre une trahison. Le roi en conçut une irritation qui sera un des principaux motifs qui lui feront promulguer les ordonnances qui déclencheront la Révolution où sombrera la monarchie.
--------------L'armée était naturellement très imprégnée des souvenirs de l'Empire. Presque tous les officiers, sauf les plus jeunes, avaient participé à l'épopée, quelques-uns contre l'Empereur, voire même successivement dans les deux camps comme le général en chef, d'où cette chanson de marche que fredonnaient les soldats
--------------Alger est loin de Waterloo
--------------On ne déserte pas sur l'eau
--------------De notre général Bourmont
--------------Ne craignons pas la trahison

--------------La légende impériale commençait alors à s'implanter et les souvenirs glorieux s'étaient trouvés singulièrement renforcés par la distribution qui avait été faite à tous les officiers d'un petit ouvrage intitulé Aperçu historique, statistique et topographique sur l'État d'Alger. L'essentiel du texte venait du rapport établi par le commandant Boutin, cet officier du Génie qui, du 24 mars au 17 juillet 1808, avait séjourné à Alger sur les ordres de l'Empereur. Pourquoi cette mission ? Le titre même du rapport Boutin nous le donne. Il s'intitule : " Rapport pour servir au projet de débarquement et d'établissement définitif en ce pays ".
--------------Ainsi la conquête de l'Algérie faisait partie des projets de l'Empereur et nul doute qu'il eût mis ce projet à exécution pour peu que l'Europe et surtout l'Angleterre lui en eussent laissé le temps et - par parenthèse - c'est là qu'il faut voir les raisons de l'acharnement mis par Napoléon à se maintenir en Espagne et non point des raisons de vanité ou de népotisme. Étant donné l'infériorité de notre marine, un tel projet ne pouvait s'envisager que si la traversée état des plus courtes.
--------------Si les vues de l'Empereur sur Alger et par voie de conséquence la justification de la guerre d'Espagne dont le poids sera lourd sur le destin de l'Empire n'ont été ressenties que par quelques historiens, il n'en fut pas de même pour les officiers du corps expéditionnaire. L'idée de constituer une milice locale découlait directement de ce qui avait été fait par Bonaparte en 1798. Qui pouvait le savoir mieux que ces interprètes attachés à l'état-major et dont une bonne partie était d'anciens mamelucks de la Garde impériale ?
--------------Curieusement ce ne fut pas à un de ces " Égyptiens", comme on nommait alors ceux qui avaient fail la campagne de l'An VIII, que l'on doit les premiers contacts avec nos futurs soldats indigènes mais à un pur légitimiste, le colonel Alfred d'Aubignosc qui, dès le 5 juillet 1830, occupa à Alger les fonctions de lieutenant général de la police. Il avait fait précédemment plusieurs voyages dans les pays du Levant, il en parlait les langues et, surtout, un récent voyage à Tunis pour s'enquérir des dispositions pacifiques du bey : là, notre consul, M. de Lesseps (le père de celui qui " inventera" le canal de Suez). lui avait fait rencontrer Yusuf Bey, un des chefs des mamelucks, personnage principal du parti français de la cour beylicale, et qui, chassé de Tunis par une intrigue de palais, viendra le rejoindre à Sidi Ferruch et deviendra un des généraux les plus prestigieux de l'Armée d'Afrique.
--------------D'Aubignosc et Yusuf prennent contact avec un personnage discret et assez mystérieux, Hadj Abrachman Henni, qui se dit porte-parole de la " nation zouave ". Dès le 12 août 1830, d'Aubignosc peut présenter à Bourmont une " Note pour servir de base à un traité avec la nation zouave ". Le jour même, Bourmort reçoit Hadj Abrachman Henni en présence de d'Aubignosc auquel il prescrit de poursuivre les négociations.
--------------Que sont donc ces " zouaoua " qui se montrent si promptement désireux de nous servir ? Leur réputation est fort ancienne car dans une relation du siège de Tunis par les Espagnols en 1574 on peut lire : " Les Zouaghis forment une milice redoutable au service de la Sublime Porte. Rien ne peut résister à leur impétuosité. Lorsqu'on les voit au milieu des combats, ils ressemblent à une armée de lions furieux. C'est pourquoi les Ottomans les mettaient toujours au premier rang lorsqu'ils s'agissait de livrer un assaut car pour l'Empereur des Turcs, ils étaient une troupe d'élite. Rien ne peut être comparé à leur agilité et à leur air martial... En outre, ils supportent avec résignation les fatigues de la guerre et les longues marches et cela grâce à une gaieté intarissable qui est un de leurs traits caractéristiques. " Qui ne ressentirait l'étroite ressemblance entre ces Zouaghis et nos Tirailleurs ?
--------------Le maréchal de Bourmont (il vient d'être élevé à cette dignité par Charles X), est d'autant plus enclin à donner suite à ce projet qu'un raid sur Blidah qu'il a lancé dans les derniers jours de juillet lui a montré la nécessité d'éclairer et de protéger les colonnes qu'il envisage de lancer à travers le pays par un rideau de tirailleurs et de cavaliers. Deux jours après, le 14 août, d'Aubignosc présente au maréchal un " Mémoire exposant les conditions auxquelles Hadj Abrachman Henni offre un corps auxiliaire de 2.000 zouaves " et, le 15 août, les 500 premiers zouaves sont recrutés.
--------------Ainsi il n'aura fallu que cinq semaines pour que soit constitué le corps des Zouaves et cette rapidité prouve à l'évidence que Charles X n'envisageait pas l'expédition d'Alger comme une sorte de coup de main de va-et-vient, pour redorer son prestige, comme on s'est plu si souvent à nous le faire croire, mais bien en vue d'une occupation durable. Sinon comment expliquer la prompte constitution de cette troupe s'il ne s'était agi que d'un bref aller et retour ?
--------------A partir du 11 août parviennent à Alger les premiers échos de la Révolution et, quelques jours plus tard, confirmation en vient non par une correspondance officielle au commandant en chef mais par une visite de Duperré qui apprend à Bourmont l'abdication de Charles X, l'accession au trône de Louis-Philippe et sa propre élévation à la dignité d'Amiral de France, promotion qui pouvait avoir son explication dans la réticence si fortement marquée par Duperré à voir heureusement aboutir l'expédition d'Alger.
--------------Le 23 août, le maréchal de Bourmont écrit au ministre de la Guerre : " Il existe dans les montagnes situées à l'est d'Alger une peuplade considérable qui donne des soldats aux gouvernements d'Afrique qui veulent les soudoyer. Les hommes dont elle se compose se nomment Zouaves. Deux mille d'entre eux m'ont offert leurs services ; cinq cents sont déjà réunis à Alger. J'ai cru devoir suspendre leur organisation jusqu'à l'arrivée de mon successeur. " Bourmont ne se fait aucune illusion sur le destin de l'expédition d'Alger étant donné l'opposition forcenée de ceux-là même qui viennent de prendre le pouvoir en France. Suspendre l'organisation en cours d'une milice indigène c'est donc rendre service à son successeur qui, pense-t-il, ne peut être qu'un liquidateur, en lui épargnant la tâche d'avoir à licencier les zouaves.
--------------Envoyé par le gouvernement de Louis-Philippe, le général Clauzel arrive à Alger le 2 septembre 1830 et le 3, Bourmont s'en va sur un bateau autrichien car Duperré, qui avait mis une frégate à la disposition du dey d'Alger refusa d'en faire autant pour celui qui avait été son chef. Sans doute, le choix de Bourmont pour commander le corps expéditionnaire n'avait pas été heureux et hors de toute critique politique, l'armée n'avait pas apprécié d'être mise sous les ordres de celui qui avait déserté à Ligny mais force est de reconnaître que dans les derniers actes de son commandement, Bourmont fit preuve d'une dignité qui fit singulièrement défaut au nouveau gouvernement. Pour n'en citer qu'un exemple, lorsque les restes du lieutenant Amédée de Bourmont, qui avait été tué à Staouéli, arrivèrent à Toulon, les douaniers reçurent l'ordre d'ouvrir le cercueil pour s'assurer qu'il ne contenait rien d'autre que le corps de la victime. Louis- Philippe dont on sait l'avarice entendait ne rien négliger dans la destination qu'il réservait au trésor de la Casbah.
--------------Les pieds-noirs seront moins ingrats que les gouvernements. En 1880, les habitants d'un petit village de colonisation installé à Foum Toub, en bordure de l'Aurès, demanderont que le village s'appelle " Bourmont ". Bien sûr, ce sera refusé.
--------------Le général Clauzel a ordre de faire rembarquer une partie des troupes mais en revanche n'a reçu aucune directive sur la politique à suivre. Les Algériens, que notre rapide victoire avait frappés de stupeur se redressent en constatant notre indécision (que leur commente le consul d'Angleterre) et Clauzel n'a d'autre solution que de reprendre le projet Bourmont-d'Aubignosc sur les zouaves.
--------------Ainsi les atermoiements du gouvernement vont-ils tout à la fois favoriser la création de l'Armée d'Afrique (ce qu'il ne désirait pas) et faire sourdre une insurrection qui demandera de longues années, beaucoup de sang et de larmes avant d'être étouffée.
--------------Après avoir, le 8 septembre, avisé le ministre de la Guerre de ses intentions et reçu son accord, le général Clauzel prend, le ter octobre 1830, un arrêté précisant qu'il sera formé un bataillon de zouaves dont le complet sera de 22 officiers et 673 hommes.
--------------Pour l'encadrement, on fait appel à tout le corps expéditionnaire. Maumet, Duvivier, Levaillant, Vergé et Lamoricière, qui sera général à trente-quatre ans avec d'éblouissants états de service, seront les premiers à répondre à cet appel, bientôt suivis par de nombreux autres volontaires car, le 4 octobre, les quatre compagnies existantes de zouaves, à l'avant-garde d'une colonne, atteignent et bousculent les premiers éléments de la mehalla que le bey de Titteri envoie contre nous. Ce modeste engagement déclenche un enthousiasme tel que le général Clauzel a bientôt les cadres de deux bataillons et, le 8 octobre, il avise le ministre de la Guerre qu'il songe à en former un troisième recrute des " Zouaves à cheval " et qu'il " traite en ce moment pour avoir ce dernier corps ". Cette courte phrase est le bulletin de naissance des Chasseurs d'Afrique, qui ne sont pour l'heure que des Zouaves à cheval et ne tarderont pas à s'appeler " Chasseurs algériens " à Alger ou encore " Chasseurs numides " à Oran avant de prendre le titre définitif de " Chasseurs d'Afrique ".
--------------Les débuts des zouaves ne sont pas aussi idylliques que pouvait le faire espérer l'escarmouche du 4 octobre. Les problèmes à résoudre sont énormes, armement et habillement font défaut. Aux difficultés de langue pour les cadres s'ajoutent pour les hommes des difficultés à se soumettre à notre discipline militaire : prompts aux combats, les zouaves seront aussi prompts à la désertion. Il faudra toute la volonté, tout l'enthousiasme des cadres pour plier peu à peu cette troupe rétive à nos principes et en faire un corps solide dont la réputation ira grandissant.
--------------Les difficultés sont les mêmes aux Zouaves à cheval. Pour en faciliter la constitution, le général Clauzel y a incorporé une petite troupe de " mamelucks " que Yusuf a lui-même recrutés et qu'il paye de ses propres deniers après avoir vendu les riches armes qu'il avait rapportées de Tunis, Le chef d'escadron Marey prend le commandement des Chasseurs algériens où Yusuf est nommé capitaine à titre provisoire.
--------------Devant l'attitude de plus en plus circonspecte du gouvernement et le rappel en métropole de nombreuses unités ne lui laissant plus que 6 régiments, Clauzel imagine une solution de mise en gérance de l'Algérie au profit de princes de la cour de Tunis. Cette initiative est à l'origine d'un conflit avec le gouvernement. Il est rappelé et remplacé par le lieutenant général baron Berthezène. Juste avant son départ, Clauzel avait, en désespoir de cause, essayé de mobiliser les civils en une sorte de garde nationale baptisée " Milice africaine " mais cette tentative se solde par un échec car la maigre population d'Alger s'occupe plus de faire ses bagages de retour que de courir aux créneaux.
--------------La période du 20 février au 2F décembre 1831 pendant laquelle le général Berthezène va commander la " Division d'occupation ", nouveau titre du corps expéditionnaire sera une des plus angoissantes de toute l'histoire de l'Algérie.
--------------L'arrivée du général Berthezène avait été précédée de quelques jours par l'étonnant débarquement de quelque trois cents hommes vêtus comme pour une mascarade de tous les rebuts des magasins d'habillement depuis quarante ans. Mélange hétéroclite de tous âges, affligeant assemblage d'hommes sans discipline ni instruction militaire, sans chefs hors ceux qui présentaient des certificats signés par les marchands de vin de leurs quartiers. Cette cohue, chantant la Parisienne traverse Alger. Ce sont les " industriels ", les " volontaires de la Charte ", les " Parisiens ", autant de noms prouvant le caractère incohérent de leur formation. Ce sont, parmi les " combattants de juillet" ceux qui ont suivi les fallacieuses promesses d'un aventurier belge qui avait substitué à son nom Lacroix, celui, mieux sonnant, de baron de Boégard et qui, de surcroît, s'était attribué le grade de lieutenant général.
--------------Regroupant tous les Zouaves dans le premier bataillon, Berthezène incorpore les meilleurs de cette horde dans un " Bataillon auxiliaire d'Afrique" dont les cadres sont ceux de l'ex-2e bataillon de Zouaves. Duvivier, aidé de Lamoricière comme adjudant-major, va s'employer à faire une troupe valable des seize compagnies de fusiliers et des deux compagnies d'ouvriers qui composent ce bataillon.
--------------On comprend certes la hâte du gouvernement de Louis-Philippe de débarrasser la métropole de cette bande qui, coûteuse, aurait pu devenir dangereuse mais cela ne justifiait pas de faire de l'Algérie le dépotoir de la France. Le bataillon auxiliaire deviendra le 67e régiment d'infanterie. Il aura de remarquables états de service mais tout le mérite en revient à Duvivier et à Lamoricière et non pas à la sollicitude du pouvoir.

 

--------------A Alger, l'insécurité est devenue totale, le moral est au plus bas, les tribus se ruent à l'assaut pour piller et égorger. Une colonne sortie d'Alger le 1er mars connaît un tel climat de pagaille et de contre-ordres qu'elle échoue. Celle du 7 mars se perd dans le brouillard. Berthezène, se sentant dépassé, demande, le 15 avril, son rappel mais se voit néanmoins obligé, pour donner de l'air à Alger, de lancer une forte colonne sur Médéa.
--------------Elle y arrive sans trop de combats le 29, se replie aussitôt mais dans des difficultés inouïes, assaillie de toutes parts, arrière-garde mêlée au convoi des blessés ; les Kabyles réussissent à tronçonner la colonne, la retraite tourne à la déroute ; les Kabyles hurlants assaillent de tous côtés la colonne en panique. Alors, le général Berthezène se retrouve le vaillant soldat qu'il avait été. Il saisit un drapeau, le plante au sol, regroupe autour de lui quelques braves, rappelle le bataillon Duvivier, Zouaves et Parisiens, au coude à coude, barrent la route et leur attitude calme et cohérente en impose aux ennemis qui deviennent moins mordants. Les troupes se débanderont une deuxième fois au passage de la Chiffa mais les Chasseurs algériens, entraînés par Marey et Yusuf, ont attiré les cavaliers arabes sur une fausse piste. Sans ce subterfuge, la colonne entière eût été mas
sacrée. Elle rentre à Alger le 5 juillet, triste de ses pertes, honteuse de son attitude, notre prestige auprès des indigènes ruiné mais dans leur hâte, les tribus vont nous attaquer en ordre dispersé ce qui va nous permettre de redresser la situation. Le 17 juillet, le prince de Joinville (il a treize ans) passe une rapide revue de nos troupes entre deux combats. Il fera de cette scène une aquarelle et notera dans ses Vieux souvenirs la fière allure des Zouaves et des " voyous parisiens ".
--------------Les princes, ses frères, viendront eux aussi, plus tard, en Algérie en hommes de cœur qu'ils étaient et par un phénomène que nous verrons bien des fois se reproduire, ils deviendront d'ardents partisans du maintien de la France en Algérie et réussiront à convaincre Louis-Philippe d'infléchir son ostracisme contre notre possession d'Alger.
--------------Dans les mêmes temps, le général Pierre Boyer, que les Espagnols avaient surnommé Pierre le Cruel, vint prendre le commandement à Oran. Avec une souplesse et une finesse qu'on ne lui soupçonnait pas il réussit à enrôler sous nos drapeaux après les avoir détachés des Marocains, Moustafa ben Ismaïl, cheikh des Douairs et Moussad, cheikh des Sméla. Ce faisant, le général Boyer venait de nous donner la clef de la conquête, que de jeunes officiers sauront utiliser pour mener la pacification à son terme. Sous l'autorité des Turcs, le pouvoir aux échelons subordonnés avait appartenu successivement aux chefs aristocratiques et aux chefs religieux. Les Turcs disparus, on ne pouvait installer la paix française qu'en s'alliant avec les uns contre les autres, les chefs religieux n'ayant comme fédérateur entre eux que la djihad, la guerre sainte, c'est avec les chefs aristocratiques qu'il fallait s'allier. Avoir compris cela en 1831 prouve l'intelligence politique du général Boyer. Le courage de Mustafa ben Ismaïl, son autorité sur les Douair autant que sa fidélité lui vaudront les étoiles de général mais c'est en se battant comme un sous-lieutenant de cavalerie légère à quatre-vingts ans qu'il sera tué dans nos rangs. Progressivement, les tribus, qui se rallieront à nous, fourniront également des goums dont la participation dans nos opérations jouera un rôle très important.
--------------Le gouvernement prend enfin en considération la demande du général Berthezène d'être déchargé de ses responsabilités. Il est remplacé, le 26 décembre 1831, par le lieutenant général Savary, duc de Rovigo.
--------------Il y avait en France de très nombreux réfugiés politiques à la suite de l'ébranlement causé dans toute l'Europe par la Révolution de 1830. Il y avait aussi les débris des régiments suisses de la Monarchie, quatre régiments d'infanterie de ligne, deux de la garde et le régiment e Hohenlohe qui avaient été licenciés. De même qu'on s'était débarrassé des Volontaires de la Charte en les envoyant en Algérie, on prit les mêmes mesures envers l'afflux d'étrangers et la loi du 9 mars 1831 créa une Légion étrangère qui ne devait être employée qu'en dehors du territoire métropolitain. On en forma six bataillons et demi. Les mêmes motivations feront créer, en juin 1832, deux bataillons d'infanterie légère d'Afrique avec des hommes provenant des compagnies de discipline et des condamnés civils. Ce seront les " Zéphyrs ", plus tard les " Joyeux ".
--------------Il est vrai que la Légion deviendra le merveilleux outil de la colonisation française. Il est vrai que les Zéphyrs sauront renverser l'opinion en leur faveur après quelques exploits comme la défense de Mazagran. Il est vrai que le 67e de ligne, ex-Volontaires de la Charte, sera un des plus valeureux régiments de cette époque. Il est vrai aussi que les Zouaves ne tarderont pas à se tailler une réputation mondiale. Il est vrai enfin qu'entre troupe et officiers va se produire une symbiose à base de sollicitude de l'officier pour le soldat et de confiance du soldat pour l'officier, symbiose qui est le vrai ressort de l'extraordinaire et durable réputation qui va faire de l'Armée d'Afrique un outil que le monde entier nous enviera, mais il est aussi vrai que tous ces corps ne furent constitués que pour débarrasser le gouvernement d'éléments indésirables en métropole vers une Algérie qu'on ne voulait pas garder.
--------------C'est tellement vrai que, deux ans plus tard, en juin 1834, lorsque sera signé avec Abd-el-Kader le très mauvais traité de la Tafna dont on ne découvrira que plus tard - trop tard - toutes les lacunes et toutes les faiblesses, mais qui aura réussi à donner pendant quelques mois l'illusion de la paix, cela sera aussitôt mis à profit pour se débarrasser de la Légion et la céder à Isabelle d'Espagne pour soutenir sa lutte contre don Carlos.
--------------Le 31 juillet 1835, 123 officiers et 4.021 légionnaires s'embarqueront pour Palma. Quand cette Légion rentrera en France, le 8 décembre 1838, il y aura un peu moins de 500 survivants. Dans cette aventure où sera tué le général Conrad, un officier se distinguera entre tous par sa bravoure, réputation difficile à acquérir au milieu de ces experts en bravoure que sont les Légionnaires, le capitaine Bazaine.
--------------Revenons en 1831. L'ordonnance royale du 21 mars officialise les Zouaves en décrétant qu'il pourra être formé en Algérie, des bataillons de Zouaves dont le complet sera de 30 officiers et 900 hommes. Le 17 novembre de la même année vit la création de deux régiments de cavalerie légère sous le nom de " Chasseurs d'Afrique ". Le premier régiment constitué à Alger recevra, nous dit l'ordonnance royale, " les deux escadrons de Chasseurs algériens qui cesseront dès ce moment d'appartenir au corps des Zouaves ". Le deuxième, levé à Oran, eut pour noyau initial les " Chasseurs numides " que le général Boyer avait constitué avec des Turcs du baylik d'Oran que, contrairement à Alger, on avait su ne pas licencier.
--------------Le 29 avril 1832 entrèrent au service de la France 125 cavaliers turcs ayant servi le dey sous le titre de " spahis " et qui s'étaient signalés par leurs démêlés avec les janissaires. Le 16 juin suivant on leur adjoignit 300 cavaliers arabes qui furent retirés du 1er Chasseurs d'Afrique car on commençait à se rendre compte que la cohabitation des Français et des indigènes soulevait de nombreuses difficultés. Tel fut le premier groupement de " Spahis " encore dit " Spahis irréguliers " et dont les uniformes disparates n'avaient qu'un seul élément commun à tous, un burnous vert. Ce ne sera que le 10 septembre 1834 qu'ils prendront le nom de " Spahis réguliers d'Alger". Les Spahis réguliers d'Oran, commandés par Yusuf et où servira un élève-trompette - du Barail - qui terminera sa carrière comme général et ministre de la Guerre, ne seront créés qu'en août 1836, en même temps que ceux de Bône.
--------------Les difficultés de cohabitation entre Français et indigènes existaient aussi dans l'infanterie. Une solution provisoire avait été de grouper les indigènes dans des compagnies distinctes mais parallèlement des corps d'infanterie entièrement indigènes avaient été créés. En mars 1832, Yusuf lève un bataillon turc à Bône. En 1833 ce sera la compagnie turque de Mostaganem qui deviendra peu après Bataillon turc d'Oran. En 1837 on lèvera un bataillon turc à Constantine. Dans la province d'Alger ce seront en 1839 les compagnies de tirailleurs de Blida et de Kolea qui, avec deux compagnies de Coulouglis levées en 1840 formeront le " Demi-bataillon indigène du Titteri ".
--------------Chaque province a alors un ou deux bataillons indigènes et le duc d'Orléans, convaincu par Bugeaud et par Lamoricière de l'intérêt des troupes indigènes, va s'employer auprès du roi pour obtenir de lui que l'Armée d'Afrique prenne en considération ces troupes. A la fin de 1841 une ordonnance donne à notre armée d'Algérie une constitution qui durera jusqu'en 1962 : Zouaves, Tirailleurs, Chasseurs d'Afrique, Spahis, Légion, Bataillons d'Afrique.
--------------Entre 1830 et 1841 existèrent quantité de corps éphémères comme le Bataillon des tirailleurs d'Afrique, de 1836 à 1838, qui fut constitué avec des volontaires qui auraient servi à la Légion si celle-ci n'était devenue une troupe espagnole ; comme les Moukhalias du capitaine Walsin-Esterhazy dont parle le maréchal Clauzel dans une lettre du 14 décembre 1835 au ministre de la Guerre en décrivant son armée " précédée par les Turcs et les Arabes du bey Ibrahim dont les nombreux étendards bariolés étaient déployés et qui marchaient au bruit aigu et si original de leur musique militaire " ; comme les Maghzen d'Alger, de Blida, de Médéa, d'Oran, qui groupaient 1.600 cavaliers ; comme aussi les Gendarmes maures du capitaine d'Allonville, qu'on ne peut se contenter de citer et sur lesquels il faut s'attarder un peu.
--------------Leur origine est modeste : une dizaine de cavaliers indigènes au service de l'agha des Arabes dès juillet 1830, sous le nom de " Guides de l'Armée ". Le duc de Rovigo inventa pour eux le nom de " Gendarmes maures " et répondit au ministre qui s'étonnait de cette nouvelle création que " si l'on devait utiliser la gendarmerie aux missions qu'il réservait aux gendarmes maures, il faudrait adjoindre un interprète à chaque gendarme ". Le 7 août il augmente leur effectif. Le corps ne prit son plein développement qu'en 1833 lorsque le général Voirol, envisageant la suppression des Spahis, proposa l'augmentation parallèle des gendarmes maures, précisant qu'" outre le service de surveillance fait concurremment avec les gendarmes français, ils sont envoyés dans les tribus hostiles pour se renseigner et servir de guides à l'armée ". Ils furent alors placés sous le commandement du capitaine d'Allonville qui, outre ses qualités d'audace et de coup d'oeil faisant de lui le type même de l'officier de cavalerie d'avant-garde, se signalant par ses initiatives, son non-conformisme et son mépris des règlements. Comme on lui laissa carte blanche, il s'en donna à coeur-joie et décida de nommer lui-même ses officiers. C'est à ce titre qu'il recruta le fils d'un vieux maréchal-des-logis de gendarmerie débarqué à Alger en 1830. Ce jeune homme était chevalier de la Légion d'honneur à dix-neuf ans. En 1841 les Gendarmes maures sont dissous et incorporés aux Spahis réguliers d'Alger. Alors le jeune lieutenant, qui n'a pas de statut régulier, s'engage comme cavalier de 2° classe aux Chasseurs d'Afrique. Il aura un avancement rapide et glorieux puisque c'est comme général de division qu'il sera tué à Sedan, en 1870. Telle fut la carrière du général Margueritte.
--------------Si nous avons tenu à citer ces corps éphémères, c'est pour montrer tout le pragmatisme qui présida à la création de l'Armée d'Afrique. D'un bout à l'autre de l'échelle des grades on voit de jeunes officiers, depuis les princes jusqu'aux sous-lieutenants, prendre les initiatives que leur commandent leur audace et leur générosité. Pendant dix ans, un lot exceptionnel de guerriers va inventer, organiser, convaincre, essayer mille solutions et finalement obtenir une Armée d'Afrique que le gouvernement dont nous avons dit toutes les réticences finira pourtant pas accepter, puis par soutenir.
--------------Des innovations extra-réglementaires, voire même antiréglementaires, cette jeune armée vibrante et vivante en est pleine, que ce soit la casquette qui remplace rapidement l'incommode shako ou la czapska anachronique des Chasseurs d'Afrique, que ce soit la guitoune, la tente individuelle faite à l'origine dans des sacs à distribution décousus, que ce soit la copieuse cartouchière ventrale remplaçant la giberne trop petite et dont la banderole écrasait la poitrine, que ce soit même le petit tonnelet individuel, d'abord en bois, ancêtre du bidon de deux litres, toutes ces inventions marqueront les étapes de l'adaptation de ces guerriers à une forme de guerre que nul, au début, ne connaissait.
--------------Sans doute y aura-t-il des erreurs qui seront sanctionnées par des échecs ; sans doute y aura-t-il des outrances qui n'auront pas de lendemain comme les fantaisies du colonel Letang quant à la vesture de la tête de colonne de son 2° régiment de Chasseurs d'Afrique, mais, pour bien les comprendre, il faut aller au-delà de ce non-conformisme, au-delà de ces fantaisies et saisir que tous ces jeunes officiers vont donner à cette naissante Armée d'Afrique un enthousiasme, un idéal, une physionomie toute nouvelle et que, sur ces bases, les meilleurs d'entre eux inventeront une tactique appuyée sur une connaissance de plus en plus approfondie des archétypes secrets de leurs adversaires. Alors, peu à peu, au lieu de subir leur guerre, ils imposeront la leur jusqu'à la victoire qui ne sera pas la défaite de nos adversaires mais leur ralliement.
--------------Et pour les meilleurs de ces jeunes officiers, pour ceux qui surent penser en même temps qu'agir, un avancement digne du 1er Empire viendra augmenter leur rayonnement. Né en 1806, Lamoricière est capitaine à vingt-sept ans et général à trente-quatre ans. La carrière de Cavaignac est à peine moins brillante et Changarnier, surnommé " le général Bergamotte " pour son élégance raffinée, ne devra qu'à l'animosité de Bugeaud d'avoir eu un avancement à peine plus lent.
--------------Cette extraordinaire jeunesse, cet enthousiasme, cet idéal, ce patriotisme vont déborder de l'Algérie et venir contrebalancer sur les Grands Boulevards parisiens les jérémiades du romantisme et de là gagner les provinces.
--------------Parce qu'ils dessinent, parce qu'ils écrivent beaucoup, qu'ils clament leur joie profonde sans cacher leurs efforts, ils vont séduire, enflammer tous ceux qui dissimulent derrière leur dandysme une soif d'aventure et d'idéal.
--------------Fleury qui sera le confident de Napoléon III, s'engage aux Spahis après un dîner avec Yusuf, Bruyère, fils d'un général du ter Empire, en fait autant, suivi de Curely, le fils du célèbre cavalier léger de Napoléon, un fils de Talma, le baron Lambert et bien d'autres.
--------------Tous les éléments sont maintenant en place, l'élan est donné, l'Armée d'Afrique existe. D'abord sélection de quelques quarterons de jeunes officiers dynamiques au sein du corps expéditionnaire qui groupait lui-même les meilleurs éléments de l'Armée, leur enthousiasme a fait tache d'huile au point de drainer vers eux dans toute la nation les jeunes hommes les plus audacieux, les plus entreprenants et dont beaucoup resteront dans cette Algérie qu'ils ont appris à aimer. Ils seront une des bonnes bases des pieds-noirs auxquels ils communiqueront leur enthousiasme et leur sens de la grandeur de la patrie.

Michel SAPIN-LIGNIERES