Chronique de mon agonie : page 3 - quand suis-je devenu un homme ?
par Jean Boisard, professeur des Universités
-Fin 1958, un copain "patos" est abattu d'une balle dans la nuque. Quelques mois plus tard, au sortir du lycée Bugeaud, j'étais avec un autre copain "patos" dont le père, officier, venait d'être affecté à Alger. Rue Bab-Azoun, nous nous séparons. Lui va vers la Place du Gouvernement prendre son bus ; moi vers "La Jeune France", le bistrot que tenait ma mère au bas de la Casbah.
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sur site le 12/12/2002

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QUAND SUIS-JE DEVENU UN HOMME ?

-----Ce n'est pas à la Toussaint Rouge de 1954. Je n'avais que douze ans. Entre les deux siciliennes de Cefalù (ma grand-mère et ma mère), nous regardions, en ce soir, les lueurs et fumées qui montaient du côté de Montpensier, accoudés à un balcon du 98 de la rue Rovigo. Pour moi, voilà qui ressemblait à une sorte de feu de la Saint-Jean. Un car avait été incendié par les "rebelles".

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Courte explication, par parenthèse : j'ai hérité de mon celte de père une tournure syntaxique. En (vrai) breton, on commence toujours sa phrase par : "Moi, je ...". Aucune prétention, aucun nombrilisme : c'est ainsi. Mon ex-épouse normande n'a jamais voulu l'admettre. Vous non plus, peut-être, mais je m'en moque.

-----Donc il m'est possible d'affirmer avoir eu une adolescence tronquée.


-----Fin 1958, un copain "patos" est abattu d'une balle dans la nuque. Quelques mois plus tard, au sortir du lycée Bugeaud, j'étais avec un autre copain "patos" dont le père, officier, venait d'être affecté à Alger. Rue Bab-Azoun, nous nous séparons. Lui va vers la Place du Gouvernement prendre son bus ; moi vers "La Jeune France", le bistrot que tenait ma mère au bas de la Casbah. Je n'avais pas fait trente mètres que j'entends un coup de feu. Demi-tour. Je cours et vois mon copain à terre, sous les arcades. Nouvel acte de courage : une balle dans la nuque. Fort heureusement, il s'en est sorti avec, comme seule séquelle, une paralysie faciale droite.


-----Fini la Pointe-Pescade, le Cap-Caxine, Les Sables-d'Or de Zéralda, le Chenoua ...


-----Le 23 janvier 1960 (oui, vous avez bien lu : le 23), alors que nous préparions ce qui allait devenir célèbre sous le nom générique des "Barricades", je suis entré dans l'action directe. Un an et demi après, cette dernière allait s'organiser, et l'adjectif se convertir en "secrète". À ceux qui ne me croient point, je conseille la lecture (et la consultation des photographies) du "Paris-Match" de l'époque et de "Spectacle du Monde" de 1963. On peut m'y reconnaître en compagnie de LAGAILLARDE et de ZAGAMÉ (qui a fini son parcours dans l'Est de la France en qualité de sous-préfet, Gérard LONGUET dixit) : c'était à l'occasion de la fameuse "Prise des Universités" de la rue Michelet.

J'étais devenu un homme.