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-Alger, les alentours : Zéralda perle de la colonisation
pnha, n°91, juin 1998

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------Zéralda !... Un nom presque aussi éclatant qu'une sonnerie de trompette de cavalerie... le nom d'un village d'Algérie, comme tant d'autres, chargé de souvenirs et d'histoire.
------Zéralda, créé en 1844, se situait sur le littoral à 30 kms à l'ouest d'Alger, au fond de la célèbre baie de Sidi-Ferruch qui vit se dérouler le débarquement de l'expédition française de juin 1830 et celui des troupes alliées en novembre 1942. Son territoire de 3200 ha était limité au Nord par une plage continue de 6 km de sable fin; à l'ouest par l'oued Mazafran dont Douaouda et Koléa occupaient la rive opposée ; au sud par les collines du Sahel constituant la commune de Mahelma ; à l'est enfin par un oued baptisé "Ravin des voleurs" avec Staouéli pour vis-àvis.
------Que trouvèrent les français en arrivant sur ces lieux ? Bien peu de choses en vérité. Il en avait pourtant été autrement dans un lointain passé, principalement à l'époque romaine. Des écrits signalent en effet les ruines de thermes, ce qui suppose un habitat important. On trouva aussi quelques traces éparses de la "via romana" qui venait de Carthage (Tunisie), reliait Icosium (Alger) à Tipasa et à Césarée (Cherchell) pour aller jusqu'à Volubilis (Maroc). Les invasions vandales et arabes étaient passées par là...
------En 1830 les soldats de la 2è division du général Loverdo qui combattirent dans le secteur pour protéger le flanc droit du camp de Sidi-Ferruch, purent découvrir, de la mer vers l'intérieur des terres, le paysage suivant : une immense plage avec sans doute au large les bateaux du corps expéditionnaire à l'ancre ; ensuite des dunes de sable non boisées poussant des langues envahissantes sur les terrains voisins. Ces dunes empêchant tout écoulement des eaux de ruissellement vers la mer faisaient de la plaine limitrophe une zone marécageuse, envahie d'une végétation épaisse et luxuriante. Toujours plus au sud amorçant les premières pentes du Sahel, des collines de faible hauteur étaient couvertes d'herbes folles avec d'importants maquis broussailleux où prospéraient à l'envi : palmiers nains, figuiers de barbarie, ronces et agaves (aloès). Quelques mechtas de bergers disséminées mais pas de douars, pas de trace d'activités agricoles ou autres. C'est dans ce cadre que 14 ans plus tard, sous l'impulsion du comte Guyot et sous l'autorité du maréchal Bugeaud, fut décidée, le 13 septembre 1844, l'implantation du centre de peuplement de Zéralda.
------Rappelons que le nom de baptême fut "El-Zeradla", mais allez donc prononcer ce mot ! La déformation en Zéralda sonnait mieux et s'imposa.

Implantation militaire

------Les mobiles de cette implantation furent essentiellement militaires. Les autorités installaient les nouveaux villages de façon à former des lignes de défense successives disposées en arc de cercle autour d'Alger. Avec Douéra et Mahelma, Zéralda formait la troisième de ces lignes. Par ailleurs la distance entre Staouéli et Koléa, centres déjà exis
tants, était d'une vingtaine de km, ce qui faisait beaucoup pour les troupes à pied. Il fallait une position de bivouac intermédiaire : ce fut Zéralda à 7 km à l'ouest de Staouéli et à 12 km de Koléa.
------La nécessité de pouvoir se défendre contre d'éventuelles incursions, imposa le choix d'une colline qui dominait les environs (celle-là même où furent découverts les thermes romains). Le plan établi avait la forme d'un trapèze ; il fut divisé en lots urbains et en lots de jardin, une place publique figurait au centre ainsi qu'un bivouac avec un abreuvoir et un lavoir, un petit cimetière était aussi prévu. Le génie entreprit la mise en état des lieux: délimitation des lots, tracé des rues, ébauche d'un fossé de ceinture renforcé de redoutes avec 2 portes, l'une vers Staouéli, l'autre vers Koléa.
------Le problème capital de l'alimentation en eau sembla résolu en édifiant un barrage en amont vers l'oued dit "Ravin de Mahelma" qui, descendant du Sahel, bordait Zéralda sur son côté est. Par différence de niveau une conduite enterrée amenait l'eau à un réservoir creusé au sommet de la colline, point culminant.
------La surface cultivable nécessaire à l'établissement des colons fut estimée à 300 ha.
------Chose curieuse, les terres entourant le futur village appartenaient à deux anglais Mr de St John, consul général d'Angleterre à Alger et Mr Tulin vice-consul. Cette propriété de 900 ha qui s'appelait "Haouch Mohamed Kodja" avait appartenu à un secrétaire du Dey d'Alger et avait été régulièrement acquise par les deux diplomates. L' expropriation se traita à l'amiable. Les colons arrivèrent au printemps 85. Le projet initial prévoyait 30 familles, 15 de ces familles venaient volontairement de Dely Ibrahim, premier village de colonisation avec Kouba (1832). Elles étaient d'origine allemande pour la plupart et elles avaient déjà une solide expérience des difficultés à surmonter. Les 15 autres familles devaient venir de France. L'armée avait pris du retard, les habitations n'étaient pas faites, il fallait loger sous la tente et même en troglodytes dans des grottes existantes sur la pente sud de la colline, pente raide et rocheuse. Mais comme partout en Algérie la volonté et le courage ne manquaient pas. Il en fallait d'ailleurs une sacrée dose, car très vite les difficultés surgirent. La maladie fit des ravages immédiats, la zone marécageuse qui bordait les dunes était infestée de moustiques et le paludisme sévit. Le choléra s'y joignit car l'eau fournie par le barrage de retenue croupissait au soleil. Les premières familles installées et celles qui suivirent furent décimées. Le cimetière initial s'avéra vite trop petit et il fallut en aménager un autre plus grand et hors murs.

Des travaux de Titan

------Le problème de l'eau potable fut solutionné par la captation et l'aménagement d'une source située plus en amont sur les berges du "ravin de Mahelma".
------L'assèchement des marécages fut entrepris, tout d'abord on creusa un canal à travers les dunes, en leur point le plus étroit pour prolonger le "Ravin de Mahelma" jusqu'à la mer. Ensuite un autre canal, très long, capta les eaux de ruissellement et les ramena vers cet exutoire. Pour finir on construisit une conduite de 1 mètre de diamètre et 200 mètres de long enterrée sous les dunes pour drainer vers la mer les eaux du "grand lac" en son point le plus bas.
------Que l'on songe à l'ampleur du travail ainsi accompli ! Scrapers, buldozers et autres pelles mécaniques n'existaient pas encore. Il fallut bien des années de labeur et d'épreuves pour arriver à dompter une nature hostile. Insensiblement les conditions de vie s'améliorèrent ; les colons arrivaient, les terres étaient défrichées et mises en culture. Il fallut à plusieurs reprises agrandir le village. Le fossé de ceinture qui ne fut d'ailleurs jamais achevé, fut vite débordé. La route Alger- Koléa réalisée par l'armée désenclava la région, une économie essentiellement agricole prenait son essor. Au milieu de tout cela, la vie spirituelle eut toujours beaucoup d'importance car dans les épreuves les gens avaient besoin du secours de la religion.
------Dès la création de Zéralda, une simple baraque de planches, édifiée sur la place publique, avait fait office de lieu de culte. C'est en 1875 que fut achevée l'Eglise définitive construite au sommet de la colline du village. Elle fut inaugurée par Monseigneur le Cardinal Lavigerie. Fait remarquable une chorale de 100 indigènes catholiques participa à cette cérémonie, à signaler également que c'est dans cette même église Sainte Marie Madeleine que l'actuel curé de la paroisse de Six-Fours, le père Jean-Yves Molinas sentit naître sa vocation religieuse sous le ministère de l'abbé Stephani.
------Parallèlement la vie administrative s'organisait. Dépendant initialement du district de Koléa, Zéralda passa en 1860 sous la tutelle de Chéragas, puis sous celle de Staouéli jusqu'en 1905. C'est donc tardivement et après maintes démarches et pétitions que "l'indépendance" fut acquise et que Zéralda devint une commune de plein exercice.
------Les équipements publics furent surtout réalisés à partir de cette époque. Le premier groupe scolaire de 6 classes fut inauguré en 1905.
------La mairie logée jusque là dans les locaux de fortune, fut définitivement établie et construite au centre dans l'artère principale (route nationale 11).
------Une salle des fêtes, un abattoir, un stade suivirent ainsi qu'une gendarmerie et un dispensaire. Cette histoire semble être une réplique de celle du Far West américain et cette similitude ne fit que se renforcer avec l'arrivée du train, thème de nombreux westerns.

La voie ferrée

------Dans les années 1900/1910 l'événement majeur fut la construction et la mise en service de la voie ferrée de la Société des Chemins de Fer sur Route d'Algérie (CFRA) société qui exploitait les tramways algérois. Cette ligne partait de la capitale et suivant le tracé de la RN 11, desservait les localités du littoral. Elle franchissait l'oued Mazafran après Zéralda, par un pont métallique rail-route de style Eiffel ; elle se partageait ensuite en deux tronçons l'un vers Koléa, l'autre vers Castiglione.
------L'un de nos anciens qui connut cette époque nous raconta que le jour de l'inauguration de la ligne coïncida avec le jour de la grande fête annuelle du village ; le train marquant un arrêt en plein centre, la fête se vida et la foule s'embarqua dans et sur les wagons. Ce fut un joyeux voyage jusqu'à la gare de Mazafran et tout le monde revint à pied (4 km) au milieu des rires et des chansons.
------Le train donna un coup de fouet à l'économie locale. Les premières années il avait fallu subsister, c'est-à-dire nourrir les hommes et les bêtes, mais l'autosuffisance fut vite atteinte. Plus tard on avait planté de la vigne et miracle ! La douceur du climat avait permis la réussite spectaculaire d'un raisin de table extrêmement précoce, le chasselas. La totalité de la récolte était expédiée en France grâce à la relative proximité du port d'Alger et aux nombreux bateaux qui assuraient des traversées régulières. Les trains accédant directement aux quais d'embarquement, permirent d'augmenter considérablement les tonnages expédiés. Ce fut le pactole et cela entraîna la monoculture du chasselas. Ce faisant, camions hippomobiles et diligences disparurent du décor car voyageurs et marchandises suivirent le progrès. Plus tard encore l'arrivée de familles du sud de l'Italie, des Baléares et de Catalogne, marqua l'amorce d'un changement des cultures avec l'introduction du maraîchage méditerranéen. Celui-ci finit par prendre une place prépondérante et d'autant plus large qu'on avait pu entre-temps délimiter en sous-sol une nappe phréatique quasi inépuisable, hélas insoupçonnée en 1844. Ce fut la corne d'abondance et le début d'une ère de grande prospérité, les années de "vaches maigres" étaient loin et les pionniers des premiers temps, du haut d'un paradis qu'ils avaient bien mérité, pouvaient voir leurs rêves réalisés au-delà de leurs espérances et cela en moins d'un siècle.

------A tel point qu'en 1936 la municipalité amorça une mise en valeur touristique de la plage. Elle y aménagea un lotissement balnéaire qui s'appela plus tard les "sables d'or" et qui fut envahi par la foule des algérois. Un village de vacances fut ouvert en 1950 à l'ombre des superbes pinèdes qui, plantées quelques décennies plus tôt, fixaient définitivement les fameuses dunes. Ce centre afficha aussitôt complet grâce à l'afflux des touristes métropolitains mais il dut être fermé en 1954... et pour cause.

La joie de vivre

------Au fil des ans les Zéraldéens avaient certes beaucoup travaillé, mais ils n'avaient pas oublié d'organiser leur vie et leurs loisirs. Ils étaient tous pêcheurs et chasseurs et pour raconter leurs exploits (ou leurs tartarinades selon les mauvaises langues), ils disposaient des comptoirs de 5 bars ou plutôt de 5 "cafés" comme on disait alors. Le café avait un rôle social équivalent à celui des forum des villes antiques. Pour rencontrer ses amis, traiter ses affaires, parler sport ou politique ou, pourquoi pas, philosophie, les zéraldéens n'avaient pas d'autre choix : le café était incontournable. Il eut ses détracteurs, en particulier vers 1850, un certain géomètre, chargé d'établir un plan des terres à distribuer à un groupe de nouveaux colons, préconisa de leur attribuer un seul lot important plutôt que plusieurs petits lots séparés ; cela afin de les empêcher dans leurs déplacements incessants d'un endroit à un autre de s'arrêter à l'unique café du village comme faisaient d'habitude leurs prédécesseurs... Et pourtant l'anisette n'était pas encore inventée !
------La convivialité de ces cafés engendra assez tôt une vie associative très active. Ce fut d'abord en 1898 la naissance de l'Avenir Musical, harmonie qui compta jusqu'à cinquante exécutants plus une clique ; cette société s'illustra dans des concours fédéraux et nationaux tant en Algérie qu'en métropole. Elle offrait périodiquement des concerts à la population. Ce fut ensuite l'Etoile Sportive Zéraldéenne avec principalement son équipe de foot et aussi sa section des boulomanes et celle des gymnastes. Sous son maillot à damier noir et blanc, l'équipe de foot évoluait en première division ; elle eut ses vedettes et en maintes occasions ses heures de gloire. Les matchs dominicaux drainaient sur le stade la foule des amateurs et les commentaires allaient bon train durant toute la semaine, d'autant qu'un club de supporters éditait un hebdomadaire local baptisé "Coup Franc".
------En dehors des matchs, les zéraldéens disposaient de deux salles de cinéma pour meubler leurs loisirs. Mais ils pouvaient aussi profiter du grand air en été en allant "Aux sables d'or" ou en hiver en se promenant à travers la "forêt des planteurs".Cette forêt de 600 ha avait été dès 1845, attribuée à l'administration des eaux et forêts ; elle se situait dans l'angle sud est du territoire communal. Pour compléter les essences sauvages, l'administration y planta des pins et des eucalyptus. C'était un immense espace vert placé sous l'autorité d'un garde forestier. On allait y cueillir les champignons, les cyclamens et les arbouses. Le dimanche, c'était l'invasion des citadins et pour le lundi de Pâques ou de Pentecôte c'était pour les amateurs de pique-nique,
l'occasion d'y venir savourer la "mouna" traditionnelle.Cette forêt nous amène aussi à rappeler les liens de Zéralda avec l'armée.

La légion étrangère

------Puisque l'armée avait porté le village sur les fonts baptismaux, ces liens avaient été très étroits.
------Une section du génie avait même construit un casernement dans l'agglomération et y était restée longtemps. En 1940, les "Chantiers de jeunesse" créés après l'armistice, établirent un camp permanent dans la forêt. En 1942, l'armée d'Afrique reprenant le combat aux côtés des alliés, l'administration militaire hérita de ce camp et l'attribua au 1er régiment de Tirailleurs Algériens de Blida, pour y loger une Cie d'instruction. A partir de 1945, les renforts destinés aux troupes qui se battaient en Indochine, y furent regroupés et formés.
------Les rapports entre ces unités et la population furent toujours excellents comme ils l'étaient entre l'Etat-Major et la municipalité. Le commerce local profitait évidemment de la présence de ces garnisons qui contribuaient ainsi à la prospérité générale. Notons aussi que cela entraîna d'assez nombreux mariages car comme dit la chanson "qu'elles sont jolies les filles de mon pays! "
------En 1955 après la perte de l'Indochine et le début de la guerre d'Algérie, le camp de la forêt fut occupé par le 1er Bataillon Etranger de Parachutistes. C'était une troupe valeureuse qui avait durement combattu à Dien Bien Phu.
------Rapidement cette unité augmenta ses effectifs et devint le 1er REP Fidèle aux traditions de la Légion Etrangère, ce régiment transforma le camp qui devint un modèle du genre, l'agréable étant toujours joint à l'utile. Cette mise en valeur se fit en plus de la participation intense et sans relâche à la lutte contre les maquis FLN à travers toute l'Algérie.
------La Légion avait acquis droit de cité à Zéralda, car un peu de son prestige rejaillissait sur le village.
------Le square du monument aux morts fut rebaptisé du nom du colonel Jean Pierre après que ce brillant officier fut tombé au champ d'honneur à la tête de ses troupes sur la frontière tunisienne.
------Un carré fut également réservé dans l'enceinte du cimetière pour les tombes des légionnaires morts au combat.
------Est-il besoin de rappeler l'adieu poignant que réservèrent les Zéraldéens au 1er REP, le jour de la dissolution et de son départ après l'échec du putsch d'avril 61. Les images de cet événement diffusées par les télés étaient suffisamment éloquantes.
------Ce jour-là notre destin fut scellé. Zéralda aurait pu vivre heureux et prospère mais De Gaulle cynique émule d'Eole, avait soufflé son "vent de l'histoire", vent mauvais qui détruisit et emporta tout... Mais reste notre mémoire.
------Les Zéraldéens dispersés en 1962 à travers tout l'hexagone cherchèrent très vite à se retrouver et dès le printemps 1964 ils se réunirent très nombreux dans la région d'Avignon. Ce rendez-vous devint ensuite annuel. Il était organisé par quelques volontaires d'abord d'une façon informelle puis sous l'égide d'une amicale légalement constituée et structurée. Chaque assemblée a pour thème un rappel du passé. Ce fut une fois, une suite de saynètes retraçant en fresque la vie du village ; en 1998 grâce au concours de quelques anciens, fut célébré le centenaire de l'Avenir Musical. Une autre année une équipe de foot au maillot à damiers de l'ESZ affronta une équipe Pieds-Noirs de Carpentras. Zéralda n'est donc pas mort !

Claude Guiss


------Ce récit s'est beaucoup inspiré du livre

"Zéralda ou la mémoire d'un village"

dont l'auteur est Melle Camille Médinger. Le tome I (années 1844 à 1861) et le Tome II (recueil de photos et cartes postales) sont déjà parus. Ils sont disponibles au siège de l'association au prix franco de 150 F l'un.

Amicale de Zéralda Mme Pacome Guiss
116 rue des Colibris -
83140 Six-Fours
Tél : 04.94.07.26.17