La Maison Carrée en 1835.
Le Fort du Pont (Bordj el Kantara) que les Algériens nomment aussi
Burgh-Yahhia, et que nous avons appelé Maison-Carrée à
cause de sa forme, est situé à environ trois lieues d'Alger,
au-delà du pont de l'Harrach, sur la rive droite et près
de l'embouchure de ce fleuve, à deux lieues et demie du fort de
la Rassauta. Le pont qui y conduit paraît être de construction
romaine. Le terrain de la Maison-Carrée avait été
acheté par Yahhia, avant-dernier Agha de Hussein Pacha, décapité
par son ordre quelque temps avant la conquête d'Alger. Les bâtiments
en avaient été construits à grands frais avec les
maté riaux de l'état et l'argent du trésor ; et cependant
la Maison Carrée était inscrite sur lei registres du beylick
au nombre des propriétés appartenant au gouvernement turc.
C'étai une espèce de caserne où l'Agha avait un dépôt
d'armes, de vivres, de toutes sortes d-munitions, et même quatre
ou cinq petits canons de campagne. Il partait de là, inopinément,
pour tomber sur les tribus rebelles qu'il voulait châtier ou forcer
à payer des contri butions. Comme c'est une position militaire
d'une assez grande importance, à l'entrée d la plaine de
la Mitidja, le génie militaire n'a cessé, depuis l'occupation
française, d'y exécuter des travaux qui permettent maintenant
de s'y retrancher et de s'y établir d'une manière permanente.
La Maison-Carrée* peut recevoir environ 500 hommes et 200 chevaux.
Les inondations de l'Harrach en 1846 -
Le 3 novembre, l'Harrach, grossi par les pluies torrentielles de la journée
et de la nuit précédentes, déborda et transforma
en une mer furieuse tout le terrain compris entre les collines du Sahel,
celle où est assise la Maison Carrée et toute l'étendue
de la plaine jusqu'au monticule de la ferme de Ouled-Ada. Des onze maisons
qui formaient la ferme de la Maison Carrée, sept disparurent successivement.
On apercevait çà et là des malheureux que les flots
entraînaient vers la mer, et ce spectacle était d'autant
plus déchirant, qu'aucun secours humain ne pouvait leur venir en
aide. Partout des hommes en péril, partout l'impossibilité
d'arriver à eux. Vainement le gendarme Schmitt voulut-il en sauver
quelques uns ; sans le secours du brigadier Aubert, il eût été
victime de son dévouement.
Après lui, vingt hommes des tirailleurs indigènes,
commandés par le lieutenant Tirard, ainsi que des cavaliers du
5 ième de chasseurs, sous les ordres du sous-lieutenant Daste,
se jetèrent à la nage. Leur courage resta inutile, ils coururent
de grands dangers ,, un sergent et deux tirailleurs indigènes périrent,
victimes de leur dévouement. Il serait' trop long d'énumérer
ici les moyens qui furent employés lorsqu'on eut reçu d'Alger
ce qui était nécessaire, non plus que les pertes qui résultèrent
de cet événement ; mais avant d'aller plus loin, je suis
bien aise d'ajouter trois noms à ceux que je viens de citer. Ce
sont: le maître de port Bonace, le caporal Quatreloup et le voltigeur
Cartigny du 58 ièm de ligne.
L'Harrach ne fut pas le seul cours d'eau qui déborda en Algérie.
La Chiffa fit aussi des ravages, et si elle n'engloutit pas de victimes,
elle détruisit du moins des travaux d'art de la plus haute importance,
notamment une admirable route, résultat d'efforts inouïs de
persévérance et de travail.
A Miliana
une douzaine de maisons, à peine achevées, furent emportées
par les eaux, et la route de Miliana à Blida
fut entièrement détruite.
Voyage à Maison-Carrée en 1907.
" Vous plairait-il de venir visiter les Pères Blancs à
la Maison Carrée ? ".
J'acceptais aussitôt, car l'offre qui m'était
faite allait au-devant du désir que j'avais de connaître
les Pères de cet ordre fondé par le Cardinal
Lavigerie, le grand Cardinal, comme on l'appelle souvent en
Algérie.
Et puis, j'avais aussi un grand désir de revoir ce petit pays de
la Maison Carrée qui me rappelait tant de souvenirs d'enfance,
et que, depuis un mois, je regardais d'Alger, sans avoir eu l'occasion
de m'y rendre.
Car, ce que je voyais de ma fenêtre, ce n'était plus le paysage
d'autrefois, ce n'était plus, courronnant une colline rouge et
dénudée, ce grand fort turc, tout blanc, qui dominait l'embouchure
de l'Harrach et se détachait sur le ciel bleu. C'était un
coteau cultivé et planté de vignes, vert et rouge, et, au-dessus,
un grand bois noir d'eucalyptus, qui cachait la vieille forteresse historique.
Pour s'y rendre, il fallait autrefois, quand on n'avait
pas de cheval, se risquer dans un de ces corricolos qui semblaient dater
de la conquête, où tout, chevaux, harnais, cochers, voitures
et facilité de l'extension de la contenance, étaient fantastiques.
On suivait la route cahoteuse, au pas, et quelquefois, tout à coup,
au galop, quand la concurrence déterminait les cochers à
rouer leurs pauvres bêtes de coups de fouet. On rencontrait une
diligence, une ou deux pauvres charrettes, des prolonges d'artillerie,
des groupes d'Arabes, parfois un troupeau de chameaux porteurs de charges
énormes, qui, s'égaillant au bruit de la guimbarde, barraient
la route. On traversait le seul petit hameau d'Hussein-Dey,
et on arrivait enfin, non sans s'être arrêté aux bouchons
du " Rendez-vous des chasseurs", du "Retour de Laghouat
" ou du " Vieux Bombardier ".
Aujourd'hui, sur la voie commune aux chemins de fer d'Oran et de Constantine,
et sur celle du tram électrique qui la double, c'est un mouvement
incessant. Sur la route bien entretenue, c'est, tout le jour, un charroi
tel qu'à certains moments, en dépit des jurons lancés
dans toutes les langues du bassin méditerranéen, l'enchevêtrement
des voitures arrête tout l'écoulement.
Et pendant dix kilomètres, à partir de
Mustapha, c'est une suite ininterrompue de villas, de maisons
de tout modèle, d'entrepôts, d'usines, de gares, de dépôts
ou d'ateliers de chemins de fer, de bâtiments militaires enfin,
en arrière desquels s'étendent, le long de la mer, en une
longue bande, les admirables jardins d'où les Espagnols laborieux
envoient en France des cargaisons de primeurs.
Au pied de la Maison Carrée s'est formé
un gros bourg très peuplé, centre industriel important qui
n'est plus qu'un faubourg d'Alger. Tous les vendredis, il s'y tient un
mat ché de bestiaux très considérable où les
acheteurs de France viennent souvent s'approvisionner...
A un kilomètre au nord de la Maison Carrée et dominant quelque
peu la mer, a milieu d'un grand vignoble que le Cardinal a créé
et dont les religieux ont dû se dessaisir, s'élèvent
les bâtiments considérables du monastère Saint-Joseph,
maison mère des; missionnaires d'Afrique, qu'on a coutume d'appeler
Pères Blancs, à cause du burnous blanc dont ils sont revêtus.
En fait, coiffés de la chéchia rouge, ils
sont habillés à l'arabe. Ainsi le voulut le fondateur de
l'ordre, afin que les missionnaires puissent circuler au milieu des populations
arabes, sans attirer l'attention ni soulever la colère des fanatiques.
On se rend au monastère par une route que prolonge une admirable
avenue d'où la vue embrasse la rade entière, depuis Notre-Dame
d'Afrique. A gauche, Alger la blanche, le port avec sa forêt
de mâts et de cheminées, le fort
l'Empereur et les coteaux féériques de Mustapha,
et, à droite, la côte qui s'abaisse jusqu'au cap
Matifou. En face, au delà de l'horizon, bien loin, c'est
la France ; la France que les religieux ont quittée pour toujours,
qu'ils ont juré d'honorer ainsi que Dieu, au prix de leur vie ;
la France vers laquelle leur pensée et leurs regards se portent
chaque jour.
Transmis par Robert BALLESTER
* La ville de Maison-Carrée fut d'abord une simple
agglomération, spontanément créée, vers 1842,
autour du bordj turc qui existait à cet endroit et que l'armée
utilisa dès le début de la conquête. Puis elle devint
commune de plein exercice en 1861.
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