-----Si
1992 rappelle la fin de l'Algérie française, elle nous fait
honorer aussi celui qui en restera une des plus belles et fortes figures
: le Cardinal Charles Lavigerie, mourait il y a cent ans. Né à
Bayonne en 1825; prêtre à 24 ans, docteur en lettres et en
théologie, professeur d'histoire ecclésiastique à
la Sorbonne, directeur de l'uvre des écoles d'Orient, juge
au tribunal de la Rose à Rome, évêque de Nancy à
38 ans, Lavigerie semblait né pour les plus hautes fonctions.
-----Promis à
l'archevêché de Lyon, il part pourtant pour Alger en 1867:
le missionnaire apparaît. Ses incontestables talents d'homme d'État
allaient être ainsi mis au service de la France et de la Foi : la
christianisation des colonies étant pour lui la plus noble et la
plus sûre assise de leur apport civilisateur.
.
L'évangélisation des foules.
------Débarquant à Alger le
15 mai 1867, il explique: "ma
mission est de faire de la terre algérienne le berceau d'une nation
grande, généreuse, chrétienne, d'une autre France
en un mot: de répandre autour de nous les vraies lumières
d'une civilisation dont l'Évangile est la source et la Loi; de
les porter au-delà du désert, jusqu'au centre de cet immense
continent, encore plongé dans la barbarie.».
Le monde officiel apprécia peu...En effet, plutôt que d'amener
les arabes à la civilisation chrétienne par la charité,
la justice et l'exemple, les gouvernements avaient préféré
depuis 1830 exalter l'islam, croyant s'attacher les conquis. Napoléon
III concédera alors à regret au fougueux archevêque
d'Alger le titre de "grand aumônier
de l'Islam" qui écrira alors magnifiquement:
"la civilisation, c'est de compter le
bien-être pour quelque chose, la vie de l'homme pour beaucoup et
son perfectionnement moral pour le plus grand bien".
Sa célèbre action politique et religieuse allait démarrer.
Pour arriver à ses fins il lui fallait deux auxiliaires: la Presse
et l'Argent. Les journaux pour convaincre l'opinion et s'imposer au gouvernement,
l'or qu'il mendiait dans le monde entier, pour bâtir et entretenir
ses églises, écoles, fermes et dispensaires. Humble et généreux,
il était bien fidèle à sa devise épiscopale
: Caritas. Il créa dans ce but, en 1868, l'ordre des Pères
Blancs, vite aidés des Frères coadjuteurs et des soeurs
Blanches, ainsi appelés pour la couleur de leurs habits, les mêlant
aux indigènes: gandoura, burnous et chechia. Consacrés à
la christianisation de l'Afrique par la prudence, la patience et la charité,
ils étaient envoyés par trois à un poste et devaient
y fonder successivement une pharmacie, une école... et une église.
------Les Frères s'occupaient des
tâches matérielles et les sueurs devenaient paysannes ou
infirmières ! Les débuts furent durs, cependant, l'Administration
restait réticente et en conséquence, les musulmans ne se
souciaient guère d'embrasser une religion mal vue par les maîtres
de l'heure.
Lavigerie lance pourtant ses missionnaires aux portes du désert:
Ghardaïa, Ouargla, Tombouctou ! 36Pères seront envoyés
en 1878 en Afrique équatoriale pour Zanzibar : la terre était
neuve et la moisson sera plus féconde dans ce monde noir malgré
expulsions... ou assassinats. A la veille de la guerre de 14, l' oeuvre
créée s'étend ainsi de Jérusalem à
Dakar en passant par Tunis, Zanzibar, le Zaïre et le Soudan. Encore
aujourd'hui, l'Ordre est présent dans 23 pays d'Afrique mais aussi
au Proche Orient et aux Philippines ! Comptant 252 Frères, 1439
soeurs et 2173 Pères Blancs, originaires du monde entier. L'Ordre
créé par le Cardinal Lavigerie ne compte plus que 300 Pères
Blancs français en activité, et aujourd'hui la moitié
des postulants sont noirs. Le flambeau fut donc bien transmis aux africains
eux-mêmes selon la volonté du fondateur, qui percevait très
bien les freins et les enjeux politiques de son action.
Au service de la nation
------Promoteur de l'influence politique
française qu'il liait à la réussite de son apostolat,
il mènera aussi des négociations brillantes en Afrique noire
au Levant ou en Tunisie. Etant dès 1875 à l'origine du protectorat
français en Tunisie, il obtient du Pape le cardinalat en 1882 et
le siège de Carthage qu'il rattache à Alger en 1884: Primat
d'Afrique, 1/3 de ce continent passe sous sa responsabilité. Forçant
l'admiration de Gambetta, il reçoit dès 1878 un budget pour
les constructions d'écoles, d'orphelinats, de paroisses. Le vieux
républicain avoue alors au prince de l'église que
"l'anticléricalisme n'est pas un produit d'exportation"
... On ne peut oublier non plus l'efficacité de sa lutte contre
l'esclavage. Constatant en 1888 que 400.000 noirs souffrent du trafic
musulman il propose leur rachat, et leur protection des razzias par des
"pionniers du Sahara sorte de moines soldats ! trop chers ou anachroniques,
ces mesures s'effaceront devant une conférence officielle mondiale
présidée à Bruxelles par le Roi des Belges en 1889.
Là encore, ses interventions enflammeront les foules. L'archevêque
d'Alger, fondateur des missionnaires d'Afrique, pourfendeur de l'esclavage,
était donc une plus haute figure de l'Église de France lorsqu'il
prononce son fameux toast le 12 novembre 1890.
------Après l'échec de la Restauration
d'Henri V, comte de Chambord qu'il avait fermement soutenu en 1874, l'aventure
boulangiste (1889) acheva de la convaincre des erreurs politiques des
milieux catholiques. Les persécutions n'en étaient que plus
violentes. Expliquant dans une lettre au Pape Léon Xlll de 1880
"qu'un complot immense et redoutable
est formé en France pour la destruction de l'Église"
il constate amèrement que les légitimistes
(contestant la légalité républicaine) sont nos alliés
les plus compromettant à l'heure présente".
I1 estime alors qu"en reconnaissant ses
droits indiscutables (à l'état républicain),
en traitant amiablement avec lui, on peut
tout sauver en France, comme nous l'avons fait en Algérie".
Encouragé par le vatican (encyclique de 1884) et négociant
avec le président Sadi Carnot. il est chargé d'initier ce
ralliement des catholiques à la République qu'il croit nécessaire
à la paix
civile et à la vie de l'Église de France.
------ Ayant réuni à sa table
tous les hauts fonctionnaires civils et militaires, il invite lors de
son toast à St Eugène à Alger, à l'union de
"tous les fils de la Mère Patrie".
Appelant ainsi les catholiques à la soumission et au respect des
institutions républicaines, il allait déclencher un tollé
dès le lendemain en France. La droite l'insultait, la gauche le
raillait . Pourtant soutenu par Léon Xlll, le vieux missionnaire
accepta mal la secousse. Il rendra à Dieu son âme de Français
et d'apôtre le 26 novembre 1892 à 67 ans. C'est là
même où St Louis était tombé, près de
Tunis, qu'il repose aujourd'hui . S'il eut un tristement célèbre
Mgr Duval pour successeur, gageons que celui qui "pour
mieux servir la France fait de l'Afrique sa seconde patrie"
restera un flambeau.
Guy Lastours
Dernières manifestations du centenaire
o 22 nov : messe télévisée (F2) cathédrale
de Bayonne
o 10 déc. : célébration à l'Église
St Sulpice Paris, Marseille, Toulon, Nancy.
Renseignements
Maison généralisse des Pères Blancs
49 rue de Romaiville
75019 Paris
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