Il y avait en 1830, autour d'Alger, plus
de trente hectares de cimetières. Ces terrains, comme les autres,
devinrent l'objet d'opérations commerciales.
Dans ces nécropoles où les inhumations avaient lieu depuis
des siècles, les tombes se superposaient aux tombes, de sorte que
plusieurs familles se trouvaient être propriétaires du même
espace de terrain. Aussi, l'administration française fut-elle passablement
embarrassée, lorsqu'il fut question en 1846, d'aliéner ces
champs funéraires. Pour le seul cimetière de Bab-Azoun,
65 mille mètres carrés furent réclamés avec
pièces à l'appui par des indigènes alors que celui-ci
n'avait qu'une superficie de 22 mille mètres. Il y avait donc là,
trois étages de sépultures.
(Voir l"Akhbar" du 24 mai 1846).
En 1855, le mètre carré dans les nécropoles de Bab-Azoun
valait de vingt à trente francs de rente; dans celles de Bab-el-Oued,
de cinq à six seulement.
La valeur totale de ces champs était alors estimée à
soixante millions.
La campagne, jusqu'au pied des remparts, ne présentait que des
hérissements de stèles, des gibbosités de marbre.
Des marabouts s'élevaient de toutes parts, au sein d'enclos d'aloès,
de cactus, qu'enveloppaient des fossés de séparation.
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Les Turcs
avaient leur cimetière sur la falaise de Bab-Azoun, en un lieu
où fut installé après la conquête, le Dépôt
des Combustibles de l'Armée. (Ils possédaient également
le cimetière des Pachas, à la sortie des portes Bab-el-Oued).
Les Maures avaient le leur sur les
hauteurs de Bab-Azoun.
Les Mozabites, sur la pente du Télemly,
près du Marché aux bestiaux.
Les Juifs, dans le faubourg de Bab-el-Oued.
Les musulmans aisés avaient
en ville, des nécropoles de famille. Il y en avait une rue N'fissa,
le cimetière Sidi-ben-Ali. (Voir à ce titre).
En 1832, le Génie prit possession de ces cimetières. A ce
moment, obsédé par nombre de spéculateurs, le duc
de Rovigo concéda gratuitement à ceux-ci, de grandes portions
de ces champs de repos dont quelques uns étaient la propriété
de certaines familles.
Un sieur Dioufoulet reçut une nécropole, près de
la Porte-Neuve.
Un lieutenant-colonel du régiment des Auxiliaires, nommé
Andras, s'en fit octroyer une part, ainsi qu'un certain Vandyk, officier
belge, qui s'installa à Bab-elOued. Mais en 1834, au retour des
Maures propriétaires, qui firent valoir leurs droits, ces concessionnaires
sans titres furent expulsés de leurs prétendus domaines.
Bientôt la création de l'esplanade Bab-el-Oued nécessita
la destruction du cimetière
des Pachas. Le sol fut abaissé de quatre-vingts centimètres.
Une grande quantité d'ossements recueillis en ces lieux fut
expédiée à Marseille où il en fut fait du
noir animal. Parfois les exhumations furent prématurées.
"... J'ai reconnu, dit le docteur Segaud, à bord de la
bombarde la Joséphine qui arrivait d'Alger chargée d'os
- des crânes humains, des cubitus, des fémurs de la classe
adulte, récemment déterrés et n'étant pas
entièrement privés des parties charnues".
(Lettre publiée par le Sémaphore de Marseille le 2 mars
1832).
Ce fut avec les débris de plusieurs monuments de ce cimetière
que l'on éleva là, sous le maréchal Clauzel,
six moulins à vent ( A l'époque
des premières constructions européennes, le Génie
militaire et beaucoup de particuliers vinrent puiser dans les anciens
cimetières, nombre de briques, d'ardoises, de marbres. L'opération
terminée, on remblayait et on nivelait ).
On remarquait près de ces moulins, les tombeaux des cinq Deys,
qui étaient de forme octogonale, tapissés de faïences
et surmontés d'un dôme. Ils étaient disposés
en cercle.
Ces cinq Deys avaient été élus et égorgés
le même jour. Leur successeur, un cordonnier, choisi par la Milice,
ordonna d'élever à leur mémoire, ces cinq tombeaux.
Non loin de là, se voyait la tombe du Dey Ali, lequel ne mourut
pas assassiné. Cette fin exceptionnelle chez les souverains d'El-Djezaïr,
fit considérer ce prince comme un saint. Pendant quarante jours,
sa sépulture demeura fleurie et devint pour les musulmans, un lieu
de pèlerinage.
Auprès des Pachas, différents personnages officiels avaient
été inhumés. Des attributs particuliers les distinguaient.
Tandis, en effet, que les tombeaux des Deys, tous décorés
d'une coupole, présentaient un turban de marbre au-dessus d'un
cippe, les tombes des Aghas et des officiers étaient surmontées
d'une pique; celles des raïs, d'un bâton d'enseigne et d'une
pomme de mât de pavillon. (Liskenne 1830).
Au-dessous de ces sépultures de nombreux tombeaux romains furent
retrouvés.
Icosium avait en effet, là, l'une de ses nécropoles. Plusieurs
chambres sépulturales pourvues de Columbaria,
y furent découvertes, il y a 25 ans. Une inscription exhumée
exprime ceci "Aux Dieux Manes - Titus Flavius Sextus, soldat de
la IVèrne Légion Félix-Flavia. Il servit 26 ans et
en vécut 50. - Flavius Restutus, son héritier, lui a fait
élever ce monument dont il était bien digne".
Sous le
Lycée, une chambre existe encore.
C'était en ce quartier de l'Esplanade qu'avant 1830, les exécutions
des Chrétiens avaient lieu. En février 1844, il y fut procédé
à la première exécution par la guillotine.
L'Esplanade dont une partie reçut la dénomination de place
des Troglodytes, fut appelée en 1841, place de Constantine. Un
monument y fut élevé à la mémoire de Damrémont,
tué en 1837, au siège de cette ville. Jusqu'en 1856, un
fort s'éleva en ce lieu, le fort des Vingt-Quatre Heures, dénommé
par les Indigènes Bordj Setti Takelit, de la dame négresse.
(Voir
à Forts).
Sur cette esplanade furent passées de brillantes revues.
En 1839, y eut lieu le banquet de 3.242 couverts, offert à ses
troupes par le duc d'Orléans, au retour des Bibans. Ce furent ensuite,
en 1842, une imposante cérémonie funèbre à
la mémoire de ce prince.
En 1844, l'exposition de la tente impériale d'Isly.
En 1860, un "Te Deum" en l'honneur du retour de Nice et de la
Savoie à la France. De belles fêtes militaires s'y succédèrent
avec simulacres de combats historiques, (Laghouat, Peï-Hô,
etc...).
Ce fut en 1854, la cérémonie de Géronimo au rocher
des 24 Heures.
L'Esplanade vit encore certaines foires à l'époque de l'Empire.
En 1907, des représentations de la Comédie Française
avec Sylvain et sa femme.
Les cimetières musulmans dont il vient d'être traité,
pourraient être l'objet d'une longue monographie. Nous nous bornerons
à quelques supplémentaires détails à leur
sujet.
En même temps que les tombes de Bab-el-Oued, celles de Bab-Azoun
furent en maints endroits saccagées; on en détruisit des
centaines, au delà de la Porte-Neuve, pour la construction
de la route du Fort l'Empereur. Celles situées au long des remparts,
puis sur le champ de l'actuelle place de la République, de la rampe
Dumont-d'Urville, de la
rue d'Isly, de la rue Maréchal-Soult, furent aussi détruites.
En même temps on ruina un si grand nombre de maisons mauresques,
que l'Agha Hamden disait : "Il ne nous restera bientôt plus
aucun lieu pour vivre, ni pour mourir..."
Nous mentionnerons encore ici, le cimetière
historique des Moudjehadin (des champions de la Guerre Sainte),
sur la plage d'Hussein-Dey (près du Fort Charles-Quint), où
furent inhumés deux cents guerriers musulmans tués là,
lors du débarquement d'O'Reilly, en 1775. Ce cimetière était
autrefois pourvu d'une clôture et avait, en son centre, un haut
palmier. Un cimetière chrétien fut créé dans
le voisinage.
Ajoutons que les Indigènes font depuis longtemps leurs inhumations
au quartier du
Hamma, au-delà de Belcourt,
de même à Sidi Abd-er-Rahman, et depuis 1834, à
El-Kettar où en juin 1935, fut érigée
une stèle aux morts de la Guerre.
Les Mozabites font les leurs au-dessous de Bouzaréah,
à Kara Moussa.
cimetière
du Hamma
Rites funéraires
Le cimetière du Hamma n'a commencé
à être "une nécropole d'Alger" que vers
1850, quand les cimetières occupant l'emplacement des rues de Constantine,
d'Isly, Dumont-d'Urville, des tournants Rovigo, furent détruits
en raison de l'extension croissante de la ville.
Le cimetière du Hamma, primitivement entouré de cactus et
d'aloès, fut il y a environ 35 ans, protégé par les
soins de l'Administration d'un mur d'enceinte. La porte d'entrée,
le minaret, le portique, la fontaine (
De même style que celle conservée dans la cour supérieure
du
Cercle militaire.)
furent construits à cette époque.
Il n'y avait en ce lieu, en 1830, que la koubba du saint et quelques tombes
parmi les oliviers sauvages.
Le
marabout enterré au Hamma, et qui vivait au XVIIIème
siècle, porte le nom de Sidi Mohamed ben Abd-er-Rahman Bou Kobrin.
Ce marabout, contemporain de Baba Mohamed Pacha, naquit à Alger.
Il étudia au Caire, à la Mosquée El-Azehar (la Mosquée.
des Fleurs), où se forment nombre de tolbas de l'Orient.
De retour en Algérie, il fonda une confrérie religieuse
qui se développa très vite, surtout en Kabylie où
il se retira. (Chez les Beni-Ismaël).
L'importance de la confrérie fut telle, que l'émir Abd-el-Kader
jugea utile de s'y affilier, espérant entraîner les Berbères
à sa suite.
Le marabout décéda en Kabylie. Quand la nouvelle de sa mort
arriva à Alger, ses compatriotes envoyèrent des hommes résolus,
à qui mission fut donnée d'enlever le corps du saint de
la kouba où il était enfermé, et de le rapporter
dans la ville.
L'entreprise réussit et le corps fut, en présence d'une
foule considérable, inhumé dans le lieu où il est
encore.
Quand les Kabyles apprirent que sa tombe avait été violée,
ils entrèrent dans une violente colère.
Cependant ils ne tardèrent pas à s'apaiser, ayant constaté
de visu que le corps du saint était toujours à la place
où on l'avait inhumé et qu'il y était demeuré
intact.
Et pourtant ce même corps se trouvait également au Hamma.
Les musulmans admirent alors que le célèbre marabout s'était
miraculeusement dédoublé, ce qui lui fit donner le surnom
de Bou-Kobrin, l'Homme aux deux tombes.
La kouba actuelle a été construite sous Hassan Pacha, en
1791, comme le mentionne la plaque de l'entrée, qui donne également
la généalogie du saint. Cette kouba est en réalité
une mosquée. Elle se surmonte d'un beau minaret. Son présent
imam est M. Bakir Mahmoud.
La présence de ce saint donne lieu naturellement à de nombreux
pèlerinages. A certaines époques de l'année, autrefois,
une multitude d'Arabes venaient camper dans le voisinage et se livrer
à de brillantes chevauchées en l'honneur du marabout.
Dans la kouba sont inhumés : le petit-fils du dernier bey d'Oran
- Sidi Abd el-Tif - la femme du délégué financier,
Ben Siam - le Marabout Mostapha Bel-Khal.
Les principales tombes sont, dans
le cimetière celles du marabout kabyle Chirh-el-Khedded, objet
du livre : "Le Maître de l'Heure" de Hugues Leroux.
La kouba de ce marabout a été construite sous la direction
d'une association kabyle qui a son siège au dessus de Fontaine-Bleue,
dans un magnifique domaine mauresque où réside le Scheikh
Chérif ben Scheikh Mohammed.
La tombe de Mokrani, qui souleva la
Kabylie en 1871, et fut tué, on le sait, d'une balle en plein front
( Pour témoigner son mépris
à l'égard de l'autorité française, il avait
attaché sa Légion d'Honneur à la queue de son cheval,
renouvelant ainsi, sans s'en douter, le geste qu'accomplit le marquis
de Maubreuil, à Paris, lors de l'arrivée des Alliés
en 1814.).
Le tombeau d'Ali Chérif.
Le tombeau d'Hadj-Moussa, fils de
l'oukil de Sidi Abd-er-Rahman.
Le tombeau d'Omar Brihmat, professeur de Droit à la
Médersa.
Le tombeau de l'interprète militaire Bouderba érigé
par ses camarades. Celui d'un lieutenant de spahis.
Celui de Mustapha Riato, cadi Maléki.
Particularités
des tombes arabes
Ces tombes sont toutes orientées vers
la Mecque. Le défunt y est déposé dans ce sens, la
tête un peu inclinée sur la droite.
Sur chaque tombe se trouvent deux stèles d'ardoise ou de marbre
où sont inscrits, avec le nom du défunt, des versets du
Coran.
Il s'y trouve souvent représenté aussi, un vase de fleurs,
ainsi que le sceau de Salomon.
Sur les tombes des princes et des savants s'érige une colonnette
surmontée d'un turban.
La châsse de bois sculpté est réservée aux
saints, aux sultans et aux gens de noblesse.
A la tête et au pied de la tombe, le marbre présente des
cavités rondes remplies d'eau qu'on destine par piété,
aux oiseaux.
Les musulmans ont en effet cette jolie croyance qui consiste à
attribuer au chant de ceux-ci, la valeur d'une prière.
L'oiseau selon eux, prie pour les morts, en reconnaissance de quoi, de
l'eau lui est offerte sur la tombe de l'être qu'on pleure.
Les tombes sont souvent recouvertes d'une tonnelle sous laquelle s'isole
mieux pour le recueillement, la famille du défunt.
La tombe musulmane ne reçoit que des bouquets de narcisse ou de
myrte, lesquels sont des végétaux sacrés.
Sont aussi considérés comme plantes sacrées : la
vigne, le palmier, le figuier et l'olivier.
La visite des tombes à lieu spécialement le vendredi : le
matin pour les hommes, le soir pour les femmes.
A El-Kettar, c'est le contraire qui a lieu.
Autres détails
Comme dans la plupart des cimetières
importants, il existe en celui du Hamma, un Refuge pour les pauvres à
qui sont fournis gratuitement : nourriture, gîte et éclairage.
Des offrandes sont faites journellement à ce propos par les fidèles.
Des offrandes sont faites journellement à ce propos par les fidèles.
A chaque enterrement, des distributions d'aliments ont lieu, qu'offre
suivant ses moyens, la famille du défunt.
Des moutons sont souvent égorgés en cette occasion.
Détails
relatifs aux cérémonies funèbres
Aussitôt après le décès,
le corps est déshabillé, lavé et parfumé à
l'eau de rose.
Les yeux, les narines, les oreilles, la bouche sont clos par des tampons
d'ouate imprégnés de camphre.
Le corps, demeuré sans vêtements, est recouvert d'un linceul.
Seules les femmes sont habillées.
La veillée est faite par des tolbas qui récitent des prières.
La coutume exige que, le jour ,des obsèques, les pauvres soient
dans la maison, conviés à une collation se composant de
pain, de figues ou de raisin, selon la saison. Les familles riches offrent
du couscous et du mouton aux amis qui viennent pour la veillée.
Pendant trois jours, la famille du défunt ne fait pas de cuisine.
Sa nourriture lui est offerte par des amis.
Le corps est porté au cimetière sur une civière et
recouvert d'un drap. A tour de rôle, les amis portent le corps ;
les suivants récitent des versets du Coran.
S'il s'agit d'une jeune fille, le drap est brodé d'or.
Des ceintures de femmes, passées autour et bouclées, ajustent
ce drap au corps et à la civière.
Le convoi ne se rend pas au préalable à la Mosquée.
Il y a exception toutefois pour le vendredi.
Ce jour-là, pendant la prière, le corps demeure dans une
annexe appelée el Mocella.
Au cimetière, la prière n'est pas obligatoirement dite par
un iman. C'est un lettré de l'assistance qui accomplit cet office.
La fosse qui doit recevoir le corps est jonchée de myrtes. Le corps
y est descendu, simplement enveloppé de son linceul. Un ami ou
un parent l'y reçoit, le couche, incline sa tête à
droite, et le recouvre de dalles qui doivent reposer sur une saillie ménagée
tout autour de la fosse, en sa partie inférieure. Il remonte ensuite,
jette sur le défunt une poignée de terre, acte que répètent
toutes les personnes présentes.
Les distributions de vivres plus haut énoncées, sont faites
à ce moment, aux pauvres, dans le cimetière.
Il n'existe chez les musulmans aucun signe distinct de deuil pour l'homme,
si ce n'est que celui-ci ne se rase point le visage de quarante jours,
s'il n'a pu le faire dans les trois jours qui ont suivi le décès
- et qu'il s'abstient de quelque temps, de se montrer dans les fêtes.
Quant aux femmes, elles s'abstiennent pendant un an, de porter des bijoux,
de teindre leurs mains de henné et de faire des visites.
Pendant les trois jours qui suivent l'inhumation, les parents doivent
se rendre sur la tombe du défunt, où ils apportent des bouquets
de myrtes et de narcisses.
Croyances
D'après la religion musulmane, tout
homme a auprès de lui deux anges chargés respectivement
d'inscrire ses bonnes ou ses mauvaises actions.
Le compte des actes de sa vie est présenté à Dieu,
au Jugement dernier, car ce n'est qu'à ce moment que peuvent commencer
les peines ou les joies. Jusqu'à ce jour, les bons et les méchants
doivent attendre en des régions distinctes, la sanction suprême.
Il est des fautes, des forfaits que Dieu ne peut point pardonner, l'assassinat
par exemple. Sa rigueur s'étend aussi au mensonge, à la
calomnie, qui doivent être expiés "après le Jugement
dernier".
Il est admis toutefois, que Dieu peut atténuer certaines peines,
sur l'intercession des prophètes au nombre desquels existent avec
Mahomet : Moïse, Jésus-Christ.
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