La route de Mustapha-Pacha
La route de Mustapha-Pacha avait, sous les
Deys, un caractère plutôt paisible. Sur cette voie inégale,
tantôt hérissée de pavés, tantôt creusée
d'ornières boueuses, cheminaient d'ordinaire, vers la ville, les
Arabes de la plaine apportant les produits maraîchers nécessaires
à la consommation des habitants de la cité. De temps à
autre, on y voyait cavalcader un escadron de Janissaires allant au Fort
de l'Harrach ou en rentrant à Alger.
Rares étaient les habitations au long de Trek-el-Soultania (la
route royale), ainsi que disaient les indigènes d'alors.
Dès le tournant du Fort Bab-Azoun, la seule villa importante qui,
près du rivage, frappât la vue, était la Maison de
l'Agha, dont les jardins occupaient un espace qu'enveloppent aujourd'hui
les rues Richelieu, Sadi-Carnot
et le boulevard Victor-Hugo. Au-delà, sur la gauche
d'une montée, c'était Dar-Diaf,
la Maison des Hôtes où se reposaient quelques instants, avant
d'entrer en ville, les Beys qui se rendaient auprès du Dey (pour
détails, voir à : La
Casbah).
Puis, au lieu devenu : Champ-de-Manoeuvre,
apparaissait Aïn-er-Reboth (1Ain-er-Reboth
: La source de l'attache (comme précédemment dit). En cet
endroit étaient attachés les chevaux des Janissaires qui
venaient évoluer aux environs.). Mais voici qu'après
1830, cette route, si calme, se caractérisa d'un mouvement extraordinaire.
La raison de la circulation intense qui s'y produisit presque subitement,
fut la création, au-dessus d'Ain-er-Reboth, du camp français
dit: de Mustapha-Pacha. Bavoux nous renseigne de façon intéressante
à ce propos :
"On ne peut, dit-il, rien voir de plus animé que la route
de Mustapha-Pacha. Elle est couverte de carrioles pleines de militaires
qui vont au camp ou en reviennent. On trouve des hommes à cheval,
des soldats à pied, des bédouins conduisant des ânes
ou des chameaux. L'étranger est surtout frappé par l'aspect
nouveau que présente le paysage ainsi que les arbres et les plantes
qu'on y remarque. Les jardins sont pour la plupart, clos par des haies
vives composées de figuiers de Barbarie et d'aloès. Quant
au camp de Mustapha-Pacha, il est à une demi-lieue d'Alger. Il
se présente en amphithéâtre, faisant face à
la mer."
"Au-devant, se trouve une immense esplanade ( L'esplanade
Rapatel.) et une fort belle route pour y arriver. Des plantations
de mûriers y ont fort bien réussi. Le camp est très
bien tenu et fort beau. Il est occupé par une partie du 1er Chasseurs
d'Afrique et par un régiment d'infanterie. Les soldats couchent
sous des baraques en bois."
"Au-dessus du camp, on découvre
plusieurs maisons de campagne charmantes, habitées par les officiers
( Contrairement à
ce qui se produit actuellement avec l'écran formé par les
nouvelles maisons à cinq étages, la vue, libre alors, s'étendait
sur les côteaux voisins dont se distinguaient les moindres détails.).
C'est à Mustapha-Pacha que se trouvent les deux villas du Maréchal
Clauzel ( Le jardin de l'Agha.)
et du Maréchal Valée ( Affectée
à la résidence de ce gouverneur - au quartier Fontaine-Bleue
- cette villa, que possédèrent d'abord MM. Nalaud, Bussy,
Gormond, et qui avait été une première fois acquise
pour 80 francs de rente, fut achetée 12.000 francs par le Général
Bernell qui, après peu de temps, en refusa 70.000 francs. Elle
devint propriété du Génie. Le Général
Voirol en avait fait sa résidence d'été. Le Génie
fit la remise aux Domaines de cette villa, le 25 mars 1854. (Archives
de la Guerre). Voir encore à : Description de la villa de l'Agha.).
Elles sont placées ail centre de jardins délicieux et entourées
de belles eaux. On rencontre plus haut, le Palais de Mustapha-Pacha (
Devenu Orphelinat Saint-Vincent-de-Paul.).
Ce dernier, autrefois, était admirable, mais depuis sa transformation
en caserne, ce n'est plus qu'une ruine..."
Et le récit se poursuit par la description du chemin ombragé
d'oliviers et de caroubiers sauvages, chemin "d'une si admirable
végétation", qui conduisait à la Fontaine du
Hamma.
La Fontaine du Hamma, site jadis d'un charme si poétique, et combien
enlaidi aujourd'hui...
Mais qu'on ne croie pas que le mal qui lui a été fait, date
seulement de notre époque, car, dès les premiers temps de
l'occupation, on s'acharnait déjà après lui. Voici
ce qu'à son sujet écrivait Fisquet en 1840
"Il s'en faut beaucoup que ce lieu présente encore aujourd'hui
le caractère original qu'il avait avant la conquête. La main
impitoyable de la civilisation s'est étendue sur ce site pittoresque
et sur le gracieux édifice arabe qui n'en était pas le moindre
ornement."
"Les Ponts-et-Chaussées ont remplacé par une route
bien large, bien droite et bien poudreuse, le frais sentier qui serpentait
jadis sous un berceau de verdure. Les planches régulièrement
alignées et les allées du Jardin d'Essai, tirées
au cordeau, se sont substituées aux bouquets d'arbres, autrefois
jetés capricieusement ça et là, entre le joli bâtiment
indigène et la Méditerranée. Et la bruyante guinguette,
cette importation toute française, est venue suspendre son bouchon
en manière d'étendard bachique à côté
du paisible café maure ( C'était
dans le café maure des platanes que, par ordre du Général
en chef, en 1831, les indigènes se rendant à Alger étaient
tenus de déposer leurs armes qu'ils reprenaient au retour.),
comme pour faire ressortir les différences qui distinguent les
deux nations : "Ici, l'alcool; là, l'eau fraîche et
le moka inoffensif".
Hélas ! que dirait Fisquet s'il voyait en leur ensoleillement,
les transformations diverses réalisées depuis peu, en ce
coin unique !
Le Jardin d'Essai
(voir
aussi)
Quelques renseignements maintenant sur le
jardin du lieu qui vient d'être cité. Ce fut en 1832, sous
l'administration du baron Pichon, que l'on créa le Jardin d'Essai.
A la place de celui-ci, existaient - au vrai - des champs incultes, des
marécages "où l'on chassait le sanglier".
Des palmiers séculaires émergeaient très haut, au-dessais
des buissons. L'un d'eux, incorporé dans la pépinière
centrale et qui faisait l'admiration des visiteurs, fut renversé
par la foudre, le 13 mars 1848. Ses débris furent éparpillés
à plus de cent métres. D'autres furent plantés dans
la suite, qui dès 1847, constituèrent une allée magnifique.
L'établissement de ce jardin d'acclimatation nécessita quelques
expropriations qui ne furent pas toujours opérées de façon
légale. Le baron Pichon cite à ce sujet, le cas d'un maure
qui possédait en ces lieux, une petite campagne, en compensation
de laquelle celui-ci ne put obtenir aucune indemnité. Le Khodjet-el-Kheil
(ministre des Haras), à qui appartint le Palais d'Eté, y
possédait aussi deux "djenan".
En mars 1856, le jardin fut agrandi d'une partie du coteau dominant la
Fontaine du Hamma. Plusieurs familles maures, parmi lesquelles celle des
Abd-el-Tif, furent en cette circonstance expropriées.
Le jardin, qui occupait une superficie de 18 hectares, fut ainsi augmenté
de 4 hectares et demi, ce qui lui donna une superficie de 22 hectares
et demi.
Ce domaine comprit plus tard 80 hectares.
Le Jardin d'Essai qui, pendant longtemps, demeura la propriété
de l'État, était jadis pourvu à son entrée,
d'un factionnaire.
Il fut visité par le duc d'Orléans, le 15 novembre 1835,
et par l'Empereur Napoléon III, le 10 mai 1865.
Le Champ-de-Manoeuvre
Le Champ-de-Manoeuvre était appelé,
avant 1830, Menzel-el-Mahalla (lieu où descend l'armée).
Là, en effet, deux fois par an, à l'occasion de grandes
cérémonies du Gouvernement turc, l'Agha des Janissaires
allait camper pendant vingt-quatre heures, avec un contingent de la milice
algérienne.
Ce lieu de campement n'occupait toutefois qu'une faible partie de l'espace
où s'étendit le champ d'exercices français.
L'ensemble était dénommé Aïn-er-Reboth.
Le terrain y était très inégal. Des mares en couvraient
le centre (1Ce qui rendait ce quartier
malsain. Il en était de même du Hamma dont le nom signifie
: La Fièvre.) où s'élevait une redoute.
Des oueds coulaient en sa partie Sud.
Le long de la mer se trouvaient des ravins. Les travaux de terrassement
et de remblai que dut exécuter la troupe en ce lieu, furent considérables.
Ils durèrent dix années.
Le chemin du Hamma traversait en son milieu, Aïn-er-Reboth. De chaque
côté passaient : la route de Maison-Carrée, sur le
bord de laquelle se trouvait une batterie turque, et la route de Kouba,
où, Hassan Pacha fit élever une fontaine qui, relevant de
la caserne du Train de la rue Margueritte, demeura enclavée entre
deux maisons de la rue
de Lyon .L'édifice n'existe plus, du moins à
l'état de fontaine. A la demande du Comité du Vieil Alger,
son inscription fut, en novembre 1935, transportée au musée
des Antiquités.
Plusieurs pistes couraient entre ces voies.
Sur une grande partie d'Aïn-er-Reboth, s'étendaient des "Rekka
", terres cultivées, que bordaient des haies de cactus et
d'aloès.
On dut longuement traiter avec les propriétaires de ces champs,
lors de la création du Champ-de-Manoeuvre qui, on le sait, fut
entreprise au début même de la conquête. Il y avait
là, entre autres propriétés :
Les Rekka :
de l'Etat, que bordait un chemin allant
à Aïn-al-Bida;
de la Grande Mosquée (terrain
habous);
du Kaïd-el-Aïoun (Directeur
des fontaines);
du Sid Osman Khodja qui en 1831, vendit
au colonel Lemercier, la partie faisant face à la Fontaine d'Hassan-Pacha;
de la Mosquée El-Djedid (terrain
habous).
Les Rekka :
du Sid Abd-el-Tif, que bordait le
chemin du Hamma;
du Sid El-Hadj-Omar ( Bey
de Miliana, "chevalier de l'Ordre Royal de la Légion d'Honneur'.);
de l'Amin Sekka ( Sidi
Abd-er-Rahman, connu sous le nom de Bel el-Hadj Said.) (Contrôleur
de la Monnaie);
de Menzel-el-Mahalla (le Champ de
Manoeuvre turc);
du Kaïd Hassan (sur l'emplacement
du square actuel), qui fut vendu en 1831, à M. Roux ( Propriétaire,
jadis, d'une notable partie de Aïn-er-Reboth, et dont une maison,
voisine du Champ-de-Manoeuvre, porta le nom fort longtemps. (Villa Roux).
) et en 1856, à l'État.
On arrivait à Menzel el-Mehalla par Trek-Soultania (la route royale),
sur la gauche de laquelle se trouvaient trois fontaines (Aïoun-er-Reboth),
voisines de deux grands bassins construits par un pacha, et servant au
rouissage des chanvres nécessaires à la marine des corsaires.
De Trek-Soultania naissaient plusieurs voies. Celles de
Maison-Carrée, du Hamma, de Kouba,
viennent d'être mentionnées.
C'étaient encore celles de Fontaine-Bleue et du Ruisseau-Kolaï,
chemin romain, allant à Mustapha-Supérieur
(rue Margueritte).
Le Champ-de-Manoeuvre, aujourd'hui considérablement réduit,
fut entouré par la troupe d'une magnifique ceinture d'arbres que
des constructions nouvelles ont fait disparaître.
Livré à la ville, cet ancien champ militaire se transforme
en quartier urbain.
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