I. LES ENLÈVEMENTS
C'est par milliers que des Algériens musulmans,
chrétiens et israélites ont été enlevés
par le F.L.N. : quelques-uns entre le ler novembre 1954 et les accords
d'Evian (18 mars 1962), la plupart entre le 18 mars 1962 et l'indépendance
de l'Algérie (l juillet 1962) ou pendant les semaines qui ont suivi.
Si les enlèvements massifs d'Européens ont à peu
près cessé en raison même de l'exode de cette population,
des enlèvements isolés, surtout de femmes, se produisent
encore actuellement.
Il est extrêmement difficile d'avancer un chiffre rigoureusement
exact des enlèvements: En ce qui concerne les enlèvements
de Musulmans, on estime grosso modo à 10.000 le nombre des disparus;
ce chiffre s'ajoute aux 150.000 Musulmans assassinés au moment
de l'indépendance. Notons au passage que ce chiffre de 150.000
morts résulte des renseignements recueillis par les autorités
militaires françaises et qu'il est vérifiable en faisant
le compte village par village, douar par douar, ville par ville des "
veuves de la libération ", c'est-à-dire des femmes
dont les maris ont été abattus, dans des conditions très
souvent atroces et barbares, dans les jours qui ont précédé
et suivi la proclamation de l'indépendance. Citons deux chiffres
à cet égard : Boghari,
petite sous-préfecture du département du Titteri, dans l'Algérois,
compte 700 " veuves de la libération "; Aïn-Boucif,
village voisin, en compte plus de 400; ces " veuves de la libération
" ne perçoivent plus les allocations familiales parce que
femmes de traîtres et leurs enfants qualifiés fils et filles
de traîtres ne sont pas admis dans les établissements scolaires
" pour des motifs d'ordre public ".
En ce qui concerne les enlèvements de Chrétiens et d'Israélites,
les chiffres sont très variables. Le prince de BROGLIE, secrétaire
d'État aux Affaires Algériennes du gouvernement français,
a donné deux chiffres: le 7 mai 1963, devant l'Assemblée
Nationale, il indiquait 3.080 disparus; le 5 novembre 1963, devant le
Sénat, il donnait " environ 1.800 personnes disparues, mais
pas davantage ".
Le 19 novembre, le Sénateur DAILLY (Gauche démocratique,
Seine et Marne) déclare devant le Sénat (Journal Officiel,
p. 2571):
" Il est maintenant certain que 2.100 personnes civiles ont été
enlevées depuis les accords d'Evian en plus des 400 militaires
dont 50 ont été, eux aussi, enlevés après
les accords d'Evian ".
Dans un communiqué remis à la presse le 9 novembre, l'Association
de Défense des Droits des Français d'Algérie que
préside M. Robert BICHET (ancien ministre, dirigeant du M.R.P.),
apporte les précisions suivantes:
" Revenant sur le chiffre de 3.080 qu'il avait donné le 7
mai devant l'Assemblée nationale en réponse à une
question de M. René PLEVEN, M. de BROGLIE affirme aujourd'hui qu'il
y a " environ 1.800 personnes disparues, mais pas davantage ".
Ce chiffre correspond en effet à celui des cas enregistrés
par l'Association de Défense des Droits des Français d'Algérie,
qui n'a cependant pas la prétention d'avoir pu faire un recensement
complet, certaines familles demeurées en Algérie n'ayant
pu ou n'ayant pas voulu se faire :connaître. Il semble que le chiffre
produit par le ministre constitue véritablement un minimum ".
C'est donc entre 1.800 et 3.000, avec un chiffre probable de 2.100, que
se situe le nombre des non-Musulmans enlevés après le "
cessez-le-feu " et dont le sort demeure un angoissant mystère.
Comment une telle imprécision est-elle possible? Dans l'affolement
de l'exode des Français d'Algérie, en juin, juillet et août
1962, des familles se sont trouvées séparées, certaines
ne s'étant pas encore reconstituées, et des personnes portées
disparues ont été retrouvées par la suite; d'autres
ont disparu volontairement soit pour raisons de sécurité
personnelle, soit pour des motifs d'ordre passionnel; mais il convient
de noter aussi que des disparitions n'ont pas été signalées,
c' est le cas par exemple de personnes vivant seules ou bien encore des
familles enlevées entières. Aucun contrôle n'ayant
été exercé par la France au moment de l'exode .des
Français d'Algérie, il est impossible de connaître
à 50.000 unités près le nombre des personnes rapatriées
en France, à fortiori le nombre des personnes dont on n'a plus
de nouvelles; si le Comité International de la Croix-Rouge peut
donner à 10 unités près le nombre des Hongrois ayant
quitté leur pays au moment des événements de Budapest
on celui des Nord-Coréens ayant gagné le Sud après
Pan-Mun-Jong, il est dépourvu de tous moyens d'estimation en ce
qui touche les Français d'Algérie.
II. QUE SONT DEVENUES
LES PERSONNES ENLEVÉES ?
Quel sort ont subi les malheureuses victimes d'enlèvements?
Il convient de distinguer cinq catégories d'enlevés:
- les victimes de vengeances personnelles, principalement dans le bled;
- les personnes suspectées à tort ou à raison soit
d'avoir affiché avec ostentation des sentiments anti-F.L.N., soit
d'avoir eu partie liée avec l'O.A.S.;
- les personnes dont on désirait les biens et qu'il fallait faire
disparaître parce que témoins gênants;
- les femmes enlevées pour alimenter un réseau de traite
des blanches;
- les techniciens ou qualifiés tels enlevés pour des besoins
militaires, économique ou social (médecins, ingénieurs,
mécaniciens, radio-électriciens, infirmières, etc.).
A ces catégories il faut ajouter le lot important des victimes
du 5 juillet 1962 à Oran, dont le cas est particulier ainsi qu'on
le verra plus loin.
On peut considérer comme mortes les personnes enlevées dans
le bled, du moins dans la plupart des cas. On observe en effet qu'en reportant
sur la carte les disparitions, constatées, la plus grande partie
des enlèvements commis dans le bled ont été isolés,
une ou quelquefois deux personnes dans un village; l'enquête effectuée
sur place a permis de constater dans chaque cas un véritable règlement
de comptes. On ne peut donc raisonnablement nourrir l'espoir de retrouver
en vie la plupart des personnes ainsi enlevées.
Le sort des personnes enlevées, quelquefois avec une certaine apparence
de légalité, pour activité anti-F.L.N. ou pro-O.A.S.,
est plus douteux. Il est certain, ainsi qu'on le verra plus loin, que
certaines sont encore en vie, mais la plupart ont été massacrées.
La quasi-totalité des personnes enlevées pour permettre
le pillage ou le vol de leurs biens ont été abattues aussitôt
après leur capture; c'est le cas notamment des personnes circulant
à bord de véhicules automobiles. Dans de nombreux points
du territoire algérien on trouve de petits charniers contenant
les restes des victimes de vols de voitures, ainsi au puits de Boughzoul,
au sud de Boghari, à l'intersection des nationales 1 et 40, dans
lequel une quarantaine d'Européens et de Musulmans ont été
jetés après avoir été égorgés
ou tés au couteau.
Un Français d'Oran, M. MIMRAN, a été enlevé
près de Charon, en août 1962. Ses ravisseurs avaient laissé
dans sa voiture la photographie de deux d'entre eux, les djounoud "
(membres des groupes armés F.L.N.) Boualem et Kasiche.
De nombreuses femmes ont été enlevées uniquement
pour la prostitution. Certaines ont été livrées aux
maisons closes, telle Madame VALADIER, enlevée à Alger le
14 juin 1962; retrouvée dans une maison close de Belcourt,
rendue à sa famille le 9 janvier 1963 et considérée
maintenant comme folle incurable; d'autres ont été attribuées
à des officiers de l'A.L.N. comme Mademoiselle Claude PEREZ, institutrice
à Inkermann; d'autres enfin ont été vendues à
des trafiquants internationaux et acheminées vers le Maroc ou le
Congo ex-belge, peut-être même pour certaines vers l'Amérique
du Sud. La plupart de ces malheureuses sont irrécupérables;
certaines ont été tatouées, voire mutilées;
beaucoup ont des enfants nés des uvres de leurs geôliers.
Les rares femmes récupérées, comme Madame VALADIER,
actuellement à Nîmes, sont devenues folles ou demeurent prostrées;
l'une d'elles, femme d'un officier français dont on doit taire
le nom, la famille ignorant heureusement tout, mère de trois enfants,
s'est donné la mort le lendemain de sa libération d'une
maison close de la Bocca Schanoun à Orléansville. Le trafic
des femmes se poursuit en Algérie à l'heure actuelle comme
on peut le constater à la lecture du témoignage joint d'une
jeune infirmière lyonnaise.
Enfin des techniciens ou réputés tels ont été
enlevés pour servir soit dans des unités de l'A.L.N., soit
dans des organismes logistiques, soit même comme main d'uvre
bon-marché chez les fellah du bled. D'autres ont été
employés sur des chantiers de déminage, notamment à
la frontière tunisienne, d'autres dans des mines comme celle de
Miliana dans laquelle le jeune soldat AUSSIGNAC, enlevé le 21 juillet
1962 à Maison-Carrée
et évadé au printemps 1963, a travaillé plusieurs
mois durant, d'autres enfin sur des chantiers de routes comme celle d'Afflou
à Laghouat.
La plupart des personnes enlevées sont mortes comme sont morts
la quasi-totalité des Français enlevés à Oran
dans la seule journée du 5 juillet 1962. Cette tragique journée
a été marquée par des massacres en pleine rue sous
les yeux des militaires français auxquels leur chef, le général
KATZ, avait interdit toute intervention. On ne saura jamais le nombre
exact des morts .de cette journée, comme on ne connaîtra
jamais le nombre des personnes enlevées dans les rues, les cafés,
les restaurants, les hôtels même, dirigées vers le
commissariat central de police ou les maisons closes des quartiers périphériques,
torturées, violées - même les jeunes gens - égorgées,
éventrées, enfin incinérées pour la plupart
dans les chaufferies des bains maures. Des estimations de source officielle
donnaient peu après les chiffres de 91 morts et de 500 disparus;
les chiffres réels sont très certainement supérieurs.
A une dizaine d'exceptions près, aucune trace des disparus n'a
été trouvée. Les charniers découverts au quartier
du Petit Lac contiennent les corps de victimes abattues au cours des semaines
précédentes, notamment celles de la tristement célèbre
'" banque de sang " du Docteur LARRIBERE, ancien député
communiste d'Oran, dans laquelle des malheureux et des malheureuses étaient
vidés de leur sang pour permettre des transfusions aux fellagha
blessés; tous les renseignements sur cette scandaleuse ignominie
dont les auteurs sont maintenant libres et chargés d'honneurs ont
été recueillis par la gendarmerie nationale d'Oran; ils
sont irréfutables.
Si on ne reverra jamais la presque totalité des personnes enlevées
à Oran. le 5 juillet 1962, il y a relativement peu de chances de
retrouver les autres disparus. La plupart sont morts, soit aussitôt
après leur capture, soit sous les coups, les mauvais traitements,
les tortures dans les jours qui ont suivi, soit tout simplement de misère
physiologique. En certains lieux, notamment près de Teniet-el-Haad,
ou bien encore aux environs de Nelsonbourg ou de Berrouaghia,
dans l'Algérois, près de Misserghin et de Perregaux, en
Oranie, on trouve encore des témoignages atroces: ossements humains
dont on ne sait s'ils sont ceux de Musulmans ou de Chrétiens, squelettes
attachés par ce qui fut des poignets et des chevilles à
des branches d'arbres, et certains sentiers des djebels, certaines pistes
tracées dans les massifs boisés sont jalonnés de
débris de vêtements laissés par des colonnes des hommes
réduits à l'esclavage.
Des témoignages précis ont cependant permis de conclure
à la survie d'un certain nombre de captifs, principalement des
techniciens. Des témoins dignes de foi ont vu de leurs yeux des
Européens prisonniers, ainsi sur la piste d'Aflou à Laghouat,
ainsi dans le djebel proche de Berrouaghia, ainsi près de Ténès
et dans les environ de Miliana. Des éléments dissidents
de l'armée algérienne ont reconnu détenir des Français;
ils ont même donné des noms, de même qu'ils ont reconnu
avoir exécuté tels ou tels de leurs prisonniers. Ces témoignages
ont été portés à la connaissance du Gouvernement
français et de ses services diplomatiques et consulaires.
N'ignorant rien de la situation faite à ses ressortissants, le
Gouvernement français s'est d'abord contenté de faire des
représentations diplomatiques vouées d'avance à l'échec,
le Gouvernement algérien ne pouvait que nier la détention
de citoyens français. Au surplus, il est de notoriété
publique en Algérie que l'autorité de M. BEN BELLA ne s'étend
pas au-delà de sa capitale et des principales villes d'Algérie.
S'inclinant devant les dénégations du Gouvernement algérien,
le Gouvernement français s'est alors adressé à la
Croix Rouge Internationale. Moyennant une subvention - quinze millions
d'anciens francs par mois - la Comité International de la Croix
Rouge a opéré quatre mois durant en Algérie. Ses
quelque quarante représentations locales se sont attachées
principalement à rechercher les morts et à les identifier,
pas toujours heureusement, du reste, puisque dans un cas très précis
la Croix Rouge a avisé le Gouvernement français pour information
aux familles de la découverte et identification de trois corps
trouvés au Sud des Gorges de la Chilla et qui se sont révélés
être ceux de trois autres disparus. Les représentations de
la Croix Rouge, composées exclusivement et selon le règlement
de cette organisation de citoyens helvétiques, donc ne connaissant
guère l'Algérie et ses habitants, n'ont pratiquement pas
recherché les vivants. Un exemple suffira.
La mère d'un disparu d'Orléansville s'était rendue
dans cette localité pour y rencontrer les délégués
de la Croix Rouge; ils n'étaient pas à leur bureau; on la
renvoya à la piscine en précisant qu'ils s'y trouvaient
d'habitude; en réponse à la question " Avez-vous des
nouvelles de mon petit? ", il lui fut répondu " Mais
tournez la page, Madame, ils sont tous morts! " Et comme cette malheureuse
mère, insistant, demandait si les délégués
avaient entrepris des recherches dans le bled et le djebel: " Vous
voudriez donc que nous disparaissions à notre tour ou que nous
soyons égorgés? ".
La mission de la Croix Rouge Internationale était limitée
aux seuls Européens. Tous les renseignements concernant les Musulmans
étaient systématiquement transmis au Croissant Rouge Algérien,
donc à la police benbelliste. Des arrestations de familles de harkis
ont été opérées à la suite de telles
transmissions.
Les protestations officielles n'ayant servi à rien, l'action de
la Croix Rouge Internationale se révélant inefficace, voire
dangereuse, le Gouvernement français a alors eu recours aux bons
offices d'initiative privée. Des enquêteurs se sont rendus
en Algérie sans aucun caractère officiel; ils ont parcouru
le pays, se sont aventurés dans les zones de dissidence, ont interrogé
tous ceux qui connaissaient quelque chose; ils ont même mené
de véritables négociations avec des responsables locaux.
Sur quelles bases? A leur départ, le Gouvernement français
reconnaissant ses échecs estimait qu'une seule solution restait
possible: le rachat des captifs, tout comme au Moyen-Age les Trinitaires
et les Mercédaires rachetaient aux Barbaresques les Chrétiens
prisonniers. La Croix Rouge Internationale avait refusé de se prêter
à une telle opération jugée contraire à ses
principes. Les enquêteurs privés n'avaient pas d'autre moyen
à leur disposition. Ce moyen même n'a pas suffi puisque dans
l'ensemble les résultats ont été décevants.
Les quelques libérations obtenues l'ont été par d'autres
moyens.
Les enquêteurs privés sont rentrés riches de renseignements,
certes, avec la conviction accrue de la survie de groupes de disparus,
mais avec la tristesse ne n'avoir pu mener à bien leur tâche.
Ils ont rencontré sur le sol algérien des unités
de l'Armée française auxquelles il est formellement interdit
de s'occuper à quelque titre que ce soit de la recherche des prisonniers.
L'existence de ces malheureux est constamment menacée et il est
douteux qu'ils puissent affronter un nouvel hiver dans les conditions
inhumaines qu'ils subissent.
Au cours de son intervention au Sénat le 19 novembre 1963, M. DAILLY
a fourni les chiffres suivants:
- Sur 1.143 enquêtes ouvertes par les services officiels, 244 ont
abouti à une " constatation de décès ",
500 à une " présomption de décès ",
311 n'ont été suivies d'aucune conclusion; 88 personnes
auraient été libérées, et on ignorait totalement
le sort de 968 malheureux.
Il y aurait donc encore en Algérie un millier d'hommes et de femmes
vivants, ou plutôt de morts-vivants, dont le nombre décroît
évidement chaque jour en raison des sévices auxquels ils
sont soumis et de l'inaction totale du Gouvernement français.
Le Prince de BROGLIE, présent au Sénat, s'est borné
à répondre (Journal Officiel, p. 2573):
" Vous venez de nous dire que vous avez la conviction qu'il y a des
Français vivants en Algérie ... je n'ai pas, moi, votre
conviction ".
En d'autres termes, le Gouvernement préfère considérer
une fois pour toutes que tous les disparus sont morts, ce qui le dispense
d'entreprendre aucun effort pour sauver ceux qui sont encore en vie. Il
va même jusqu'à interdire aux unités militaires françaises
demeurées en Algérie de venir au secours des Français
séquestrés et torturés!
III.DOCUMENTS
1. Le cas de Mme
VALADIER.
" Vous ne pouvez pas ignorer, n'est-ce pas - je vais citer cinq ou
six cas - l'histoire de cette jeune femme française de vingt-sept
ans, enlevée à Alger le 14 juin 1962, donc trois mois après
les accords d'Evian, à un barrage de la police algérienne
et retrouvée pas hasard parmi les pensionnaires d'une maison close,
à Belcourt. Par qui? Par l'ancien locataire de sa belle-soeur.
Ce Musulman la rachète et réussit à l'en extraire,
mais dans quel état! Elle rentre à l'hôpital Maillot,
dans le service de médecine numéro deux du médecin
colonel Favier; c'est là en effet qu'il l'a conduite le 9 janvier
1962, quand il a pu la libérer. Elle est rapatriée sanitaire
le 4 août à Marseille. Sa belle-soeur, qui a fui devant d'autres
menaces, vient l'accueillir et ne la reconnaît même pas. Elle
part pour l'hôpital de Nîmes en ambulance, fait un long séjour
au centre neuro-psychiatrique de cet hôpital, puis c'est le centre
de Mondevergue, celui de Montfavet et depuis le 9 janvier de cette année
1963 - car c'est bien de cette année que nous discutons sur le
plan budgétaire - elle est rendue à sa famille, à
sa belle-soeur repliée à Nîmes, parce qu'incurable
".
(Sénateur DAILLY -'Journal Officiel, p. 2571).
Sous le titre " Une martyre ", l'hebdomadaire parisien "
Aux Ecoutes " du 22 novembre 1963 a publié l'article
suivant:
" Mme Evelyne Valadier, 27 ans, résidait à Alger. Le
5 mars 1962, son mari, Marc Valadier, était arrêté
par la police française et, le 20 juin il était condamné
à trois ans de prison. Mme Valadier se réfugia alors chez
sa soeur, Mme Baudel, qui habitait El
Biar. Le 14 juin, Mme Valadier est appréhendée,
sur un barrage, par des éléments du F.L.N. Elle est enfermée
dans une villa de Belcourt, avec trois autres Européennes, dont
la femme d'un ingénieur. Et les tortures commencent: la villa est
un lieu de plaisir réservé aux soldats de l'A.N.P. Mais,
le 9 juillet, un miracle se produit. Un militaire du F.L.N. entre dans
l'établissement. C'est un locataire de Mme Baudel. Il reconnaît
Mme Valadier. Il l'emmène, l'embarque dans un taxi et, en cours
de route, s'aperçoit qu'elle est folle. Sans doute a-t-il honte.
Sans doute n'ose-t-il pas présenter la malheureuse dans cet état.
En tout cas, il l'abandonne en ville. Mme Valadier pénètre
dans une église. Elle y reste deux heures. Enfin, elle regagne
le domicile de Mme Baudel. Personne, hélas! Après avoir
vainement écrit à Ben Bella, à de Gaulle, aux ministres,
Mme Baudel a pris peur pour elle-même: elle s'est réfugiée
à Nîmes, au 10, de la Rue Félix-Eboué. Par
bonheur, une voisine reconnaît Mme Valadier. Elle sa charge d'elle,
mobilise une ambulance.
Admise à l'Hôpital
Maillot, Mme Valadier subit un traitement d'un mois dans le
service de médecine n° 2 que dirige le colonel Favier. Le 4
août 1962, elle part pour Marignane. Sa sur, qui a été
prévenue, ne la reconnaît pas, tant son aspect physique a
changé. Le 8 janvier 1963 Mme Valadier sort de l'hôpital
neuro-psychiâtrique de Montfavet. Elle est incurable. On peut la
voir à Nîmes, chez Mme Baudel. Le Gouvernement lui a fait
la grâce de libérer son mari sous condition ".
Le cas de Mme Valadier a été également exposé
par l'hebdomadaire " Carrefour " du 27 novembre 1963,
qui ajoute, sous la signature de M. R.L. LANGLOIS:
" Il y a encore en Algérie plusieurs dizaines de Françaises
portées disparues " mais encore vivantes - on parle même
de cent - qui ont été enfermées dans des maisons
closes ... On signale que parmi ces malheureuses une quarantaine, pour
la plupart femmes d'officiers ou de sous-officiers, seraient devenues
folles ".
2. Le cas de Mlle MARINETTE B.
L'important quotidien marseillais: " Le Méridional
" du 4 novembre a publié ce qui suit:
" Terrible confession d'une jeune infirmière lyonnaise volontaire
pour la coopération franco-algérienne: " Je mets en
garde les femmes et jeunes filles de France contre ce qui les attend en
Algérie!
C'est une jeune infirmière lyonnaise, pas du tout douée
pour l'aventure, mais animée de beaux sentiments humains qui est
venue hier, nous conter son calvaire, plus exactement son martyre.
Alors qu'elle poursuivait à Genève, des études de
psychiatrie, Mlle Marinette B. 23 ans, voulait, selon sa propre confession
" tout connaître, découvrir tous les problèmes
". " Ainsi, j'ai assisté à Genève, poursuit-elle,
à une réunion de l'Amicale des Algériens. De jeunes
Musulmans adressaient de pressants appels aux infirmières, institutrices,
jardinières d'enfants, etc. ... " Venez en Algérie,
suppliaient-ils, pour arracher à la mort des enfants, des vieillards
".
" Pupille de l'assistance publique, je suis restée sensible
aux maux des autres, surtout en ce qui concerne les enfants que j'adore.
Aussi ai-je voulu servir.
" Voici 4 mois, après avoir accompli des formalités
auprès du Consulat algérien à Genève, j'étais
engagée comme infirmière dans un dispensaire de Philippeville.
Après avoir fait un stage dans cet établissement, je devais
être appelée à diriger un orphelinat ".
Mlle Marinette B. est arrivée à bord du " Commandant
Quéré ". Sa première visite a été
pour notre journal, sa première phrase prononcée au bas
de la passerelle: " Je suis une miraculée ".
LES JEUNES FILLES
AUSSI SONT DECLAREES "BIENS VACANTS". ,
C'est en présence d'un commandant en retraite,
officier de la Légion d'honneur, que la jeune infirmière
lyonnaise m'a parlé de son martyre et de sa miraculeuse évasion.
" Deux jours après mon arrivée à Philippeville,
je me suis rendu compte que l'on attendait de moi autre chose que des
soins à donner aux enfants ou aux grabataires.
" Un premier Algérien m'a fait comprendre que le rôle
que je devrais jouer n'avait aucun rapport avec celui en général
dévolu à une infirmière.
" Après l'un, ce fut l'autre: dix, vingt individus ne songeaient
qu'à me ... protéger. Je me suis adressée à
la police algérienne. Là, même réponse. Je
n'ai aussi trouvé que des protecteurs.
" J'ai fini par me rendre à Constantine où je parvenais
à me faire embaucher comme vendeuse dans un Monoprix.
Pendant les heures de service tout allait pour le mieux, mais, hélas
! je devais rejoindre ma chambre. Dans la rue, même en plein jour,
j'étais constamment assaillie, entraînée par plusieurs
individus me jetant (c'est le mot) dans une voiture sous il complice
des policiers.
" Je vous laisse le soin de deviner le reste.
" Je voulais aller au consulat de France, mais qu'aurait- on fait?
J'étais surveillée, constamment filée par des individus
spécialistes de certains " voyages organisés "
pour les Françaises qui, dans le Sud, sont livrées aux tribus
nomades et aux Djounouds. Neuf sur dix - je puis le jurer - sont devenues
folles.
" Un Algérien " cultivé " auquel je me plaignais,
a eu cette réponse grotesque mais vraie hélas! " Les
jeunes filles et femmes seules françaises sont aussi des biens
vacants ! ".
ENFIN UN MIRACLE.
" C'est un capitaine de réserve qui était client dans
le magasin où j'étais employée qui m'a sauvée,
qui m'a arrachée à la folie et sans aucun doute à
la mort. J'ai pu m'évader grâce à lui et placée
sous la protection de l'Armée française, j'ai recouvré
la liberté.
Mon terrible cauchemar est enfin terminé. Mais je pense aux jeunes
femmes de France qui se laisseraient prendre aux mensongers appels de
l'Amicale des Algériens en France et en Suisse.
" Je leur dis: attention! Toutes les promesses sont fallacieuses;
là-bas on recherche surtout de jeunes Européennes pour créer
partout d'infectes maisons de plaisir.
" Je vous supplie, Monsieur, de crier ces vérités,
de dire à toute la presse française de mettre en garde les
jeunes femmes de France contre ce qui attend à 800 kilomètres
de Marseille les infirmières, jardinières d'enfants, monitrices,
etc. ...
" Je supplie tous les Français de mettre en garde toutes celles
qui par sympathie ou par pitié sont volontaires pour l'Algérie.
" Je volis supplie de crier la vérité: d'écrire
qu'une jeune fille infirmière lyonnaise partie animée par
la foi, avide de remplir une belle mission, revient physiquement et moralement
anéantie
3. Un ouvrier, un ingénieur.
Ouvrier aux usines Peugeot, M. Cervantès fut arrêté,
à Oran, par le F.L.N. et enfermé dans les locaux d'une fabrique
de farines de poisson, la S.A.P.S. Vingt-neuf jours durant il resta en
cellule. Chaque matin, il entendait les hurlements de ses camarades qu'on
abattait à la mitraillette et dont le plus grand nombre devait
être enfoui, au centre de la cour, sous un amoncellement de guano.
Le vingt-neuvième jour, M. Cervantès fut hissé dans
une camionnette, avec un de ses camarades. Le véhicule prit la
direction de la banlieue. Les deux hommes avaient les poignets liés
par du fil de fer. Dans un sursaut de désespoir, M. Cervantès
parvint à briser ses entraves. Il libéra son compagnon.
Et tous deux sautèrent. Par chance, une patrouille de gendarmes
français se trouvait là ... M. Cervantès est aujourd'hui
à Bordeaux, employé chez Peugeot. Il souffre d'une dépression
nerveuse.
(Aux Ecoutes, 22 novembre 1963).
Vous ne pouvez pas ignorer non plus le cas de cet ouvrier d'un grand constructeur
d'automobiles français, employé à la succursale d'Oran.
Enlevé en juillet 1962, enfermé vingt-neuf jours l'usine
de farine de poissons de la S.A.P.S., presque sans boire et sans manger,
il y subit d'horribles sévices et il voit abattre devant lui des
dizaines de Français. On les enterre dans la cour de l'usine sous
un tas de guano. Qui sait s'ils n'y sont pas encore? Quant à lui,
on l'emmène dans une camionnette, les poignets liés de fil
de fer avec un autre détenu. Dans un sursaut imprévisible
il rompt le fil de fer, ses poignets portent encore de profondes entailles
plus loin, ils sautent en marche. Ils sont recueillis blessés,
épuisés, par une patrouille de gendarmes français
qui les évacuent vers la France. Aujourd'hui cet homme est employé
par la même marque d'automobile dans la succursale d'une grande
ville.
Croyez-vous donc que tous ceux qui attendent l'un de leurs ne savent pas
cela? Et lorsqu'il s'est évadé, où allait-il donc?
Combien d'autres ont pris le même chemin avant et après lui
? Comment voulez-vous que tous ceux qui attendent un fils, un père
un frère, qui connaissent ce cas, n'espèrent pas encore?
Comment n'espéreraient-ils pas s'ils connaissaient les renseignements
fournis par ce jeune ingénieur électricien, rentré
en France il y a à peine un mois. Requis voici trois mois seulement
par les autorités algériennes pour réparer une station
hertzienne à la constructive de laquelle il avait participé.
Arrivant au poste de police qui la garde il s'étonne de voir en
contrebas à 800 ou 900 mètres, vingt à vingt-cinq
hommes à moitié nus qui semblent faire des mouvements de
gymnastique entourés d'hommes en armes. Il demande à la
sentinelle algérienne: " Des nouvelles recrues, sans doute
"? Mais la sentinelle lui répond: " Adasrani " des
chrétiens.
(Journal Officiel, p. 2572).
4. Deux jeunes gens torturés
et mutilés.
Langiano, vingt ans, et Falcone, dix-sept ans et demi,
des enfants du quartier populaire d'Alger- le
Ruisseau. Le 4 mai 1962 donc trois mois après Evian,
ils sont enlevés, subissent quarante et un jours de tortures effroyables
à la villa Lung: on leur coupe le nez, les oreilles, on crève
les yeux de l'un, on matraque l'autre; il a perdu l'usage de la parole.
L'aveugle peut parler; celui qui voit ne parle plus.
Ils ont été libérés par un commando et remis
aux services médicaux de l'armée française à
l'hôpital Maillot. Les familles sont prévenues par une femme
de salle, laquelle ensuite les prévient de leur rapatriement en
France. La Croix-Rouge Française est avisée de leur rapatriement
en France par la Croix-Rouge internationale. Ils sont partis pour Nancy.
Je vous lis d'ailleurs l'article du journal " Le Méridional
" qui relate cette affaire:
Voici seize mois qu'un père, une mère gravissent le plus
terrible calvaire: Leur fils Daniel Falcone, à cette époque
âgé de dix-sept ans et demi, avait été enlevé
le 4 mai 1962 alors qu'avec un camarade il se rendait du Ruisseau au port
d'Alger.
Demeurés à Alger durant plusieurs mois pour effectuer des
recherches, M. et Mme Falcone, ne pouvant plus tenir dans l'enfer algérien,
décidaient de regagner la France.
Ils devaient bientôt apprendre que leur fils avait été
libéré entre le 11 et le 13 juin.
En avril 1963, M. Falcone recevait une lettre de la Croix- Rouge Internationale
de Genève, lui disant que Daniel était vivant. Grand blessé
de la face, il avait été rapatrié à bord d'un
avion sanitaire dirigé sur Nancy. La délégation de
Marseille de la Croiwt-Rouge française, avisée par le C.I.C.R.,
confirmait la nouvelle.
Immédiatement M. Falcone se rendait à Nancy. Aucune trace
de son fils dans aucun hôpital. A Lyon, à l'hôpital
Edouard Herriot, il parcourait tous les pavillons. Là non plus,
aucun résultat.
Les demandes de recherches faites officiellement devaient rester vaines.
(Journal Officiel, p. 2572).
M. de Broglie, secrétaire d'État aux affaires algériennes:
" L'affaire sans doute est compliquée: il subsiste quelques
points obscurs ... Je fais actuellement poursuivre sur le territoire national
des recherches extrêmement poussées ".
(19 novembre 1963 - Journal Officiel, p. 2581).
5. Un jeune soldat français aux travaux
forcés dans les mines.
Le 21 juillet 1962, par conséquent quatre mois
après Evian; il est six heures, les hommes ont quartier libre,
et notre garçon (Il s'agit du
soldat .André AUSSIGNAC, originaire du Lot-et--Garonne.)
sort de la caserne de Maison-Carrée. A huit cents mètres
de là, il est enlevé en camionnette et conduit dans une
briqueterie. Il est mis dans un four, éteint bien sûr. Il
y a déjà un Européen; seize autres arriveront dans
les heures qui suivent. Trois autres fours sont remplis de la même
façon. La nuit se passe à redouter que le four s'allume.
Le lendemain, on les emmène en camions bâchés. Puis
ils marchent, ils marchent, ils marchent; ils n'ont pas le droit de se
parler ni de se faire de signes. Ils sont une soixantaine et dès
que l'un d'eux ne peut plus marcher, les autres creusent sa tombe et on
le laisse là. Il arrive ainsi à la mine de Miliana. Il descend
au fond. Ils sont soixante à son poste, soixante Français
nus qui travaillent dans le fond de la mine et qui, en tout et pour tout,
ont à boire un verre d'eau par jour et une poignée de semoule
comme nourriture. Mèche l'humidité des parois, il boit son
urine. Les examens médicaux ultérieurs le démontrent.
C'est d'ailleurs là qu'un jour un ministre algérien en visite
à la mine lui donne un coup de pied dans la figure dont il porte
la trace, parce qu'il ne s'est pas levé assez vite alors qu'il
était à son quart de repos. Il sort de la mine parce que,
lorsqu'ils n'ont plus de rendement, on les remplace. Puis, c'est la marche
dans le djebel qui reprend. Il s'évade, une fois; il est repris
au bout d'un kilomètre. Il s'évade une deuxième fois.
Il est encore repris. On le torture. On lui arrache les ongles des orteils,
on lui abîme les jambes. Il est venu dans cette maison me rendre
visite tout récemment. J'ai donc vu cet homme et j'ai là
tout son dossier. Il s'évade alors une troisième fois avec
deux camarades. Ils seront tués. Lui ne l'est pas. Il est recueilli
dans un fossé, épuisé, par des Français d'Algérie
qui le ramènent à Alger, qui l'embarquent sur un chalutier.
Il est attendu à Marseille. On le débarque et on l'achemine
sur son domicile en mars 1963.
(Journal Officiel, p. 2572).
G. Les prisonniers du Mongorno.
Le massif du Mongorno, à l'est de l'Ouarsenis, a été
longtemps le siège de la " willaya IV " du F.L.N., et
des éléments dissidents de cette willaya y tiennent encore
la montagne.
Depuis août 1962, un représentant du Secours Catholique américain,
M. PRATVIEL, parcourt cette région et distribue des vivres à
la population affamée.
C'est par son intermédiaire que certains dissidents de la willaya
IV ont pu être approchés par une mission privée. Ces
contacts ont révélé:
- 1) que les prisonniers malades étaient abattus: tel fut notamment
le cas de Mlle KINTZLER, assistante médico-sociale détenue
pendant quelques mois;
- 2) qu'il y avait en juin 1963 une quarantaine de Français, dont
une femme, prisonniers de l'ex-willaya.
Leur échange était envisagé contre des vivres, des
médicaments, des fusils et des munitions.
Ces pourparlers ont été, semble-t-il, abandonnés
après avoir été portés à la connaissance
du Gouvernement français
IV.LES TENTATIVES DE
" RACHAT "
La mission privée mentionnée plus haut n'a
pas été, semble-t-il, unique en son genre. Une grande discrétion
a été observée jusqu'à présent sur
ces tentatives. Cependant l'hebdomadaire " Aux Ecoutes "
du 23 août 1963 a révélé que le général
Bouvet, président de l'association " Rhin et Danube ",
s'était rendu en Algérie entre juin et août pour négocier
le " rachat " des civils prisonniers, notamment des femmes et
des jeunes filles.
Le général Bouvet aurait reçu à cet effet
un crédit de cinquante millions versé par le Gouvernement
français, lequel en même temps s'abstenait de lui fournir
aucun soutien auprès des autorités algériennes ni
même de l'ambassade et des consulats de France et Algérie.
Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que la mission Bouvet
se soit avérée décevante. Quelques prisonniers auraient
été effectivement rachetés et seraient hospitalisés
en Corse.
Il est également signalé qu'un envoyé parti de France
le 24 juin et rentré vingt jours plus tard, aurait récupéré
moyennant rançon, quelques femmes qui sont soignées dans
une maison de repos, en France, près de la frontière suisse
(A.E., 30 août 1963).
Ce qui est le plus frappant dans toutes ces affaires, c'est la totale
inertie des services consulaires et du Commandement militaire français
en Algérie. C'est ainsi, par exemple, que M. Jean POMMIER, directeur
de société à Alger, était enlevé le
11 août 1962 par le F.L.N. Le consulat de France à Alger
est informé que M. Pommier est détenu à Maison-Carrée:
aucune démarche. Un mois plus tard, le départ de M. Pommier
de Maison-Carrée est signalé: aucune réaction. Le
26 octobre, un soldat algérien informe la famille Pommier que le
disparu est interné dans un camp près de Tigzirt.
Aussitôt prévenu, le consulat ne bouge pas.
Le 23 avril 1962, M. VERNHES est enlevé à 10 kilomètres
d'Oran, sous les yeux d'un détachement français. A sa femme
en larmes, le lieutenant qui commande le détachement répond
:
"Nous n'avons pas d'ordres pour poursuivre les ravisseurs ".
Même inertie de l'armée à Blida
quand le Dr. BOILLÈE est enlevé en mai 1962. Même
inaction des autorités consulaires à Tlemcen quand, le 20
juin 1962, M. Roger CHASTEAU, son fils de 16 ans et sa fille de 10 ans
sont enlevés et disparaissent eux aussi.
Cette carence généralisée ne peut s'expliquer que
par des instructions formelles du Gouvernement français, à
moins d'admettre que tous les consuls et tous les officiers sans exception
aient été des lâches insensibles à la plus
élémentaire humanité. Ils se sont tus et ils n'ont
pas bougé, parce qu'ils avaient des ordres.
V.OBSERVATIONS
La documentation qui précède permettra à
chacun de tirer en conscience, les conclusions qui conviennent.
On se bornera à souligner deux faits:
- 1) C'est après les accords d'Evian et souvent même après
la proclamation de l'indépendance algérienne, que deux mille
personnes ont été enlevées, séquestrées,
torturées, soumises à des traitements dégradants
et souvent assassinées.
Cette constatation permet d'apprécier à sa juste valeur
la thèse officielle selon laquelle les accords d'Evian, geste de
sagesse politique du plus haut degré, ont jeté les bases
d'une coopération confiante entre la France et le nouvel État
algérien.
- 2) Un millier d'hommes et de femmes vivent encore, ou vivaient encore
il y a quelques semaines, dans les camps de travaux forcés, dans
les mines ou dans les maisons de prostitution. Le Gouvernement français
préfère nier obstinément ce fait et laisser sans
suite les ouvertures, dues à des initiatives non officielles, qui
auraient pu conduire à la libération de quelques-uns de
ces infortunés.
La conscience du monde civilisé, qui s'émeut à juste
titre quand les droits de la personne humaine sont violés où
que ce soit sur la terre, continuera-t-elle à opposer un silence
honteux à la tragédie des disparus d'Algérie?
|