Géographie
de l'Afrique du nord
|
260 Ko |
BOGHARI (ou Ksar el Boukhari)
Commençons par de brèves considérations toponymiques sur l'origine du nom car dans votre esprit, comme dans le mien, les noms de Boghar et de Boghari sont associés ; associés mais à ne pas confondre. Ils désignent deux centres proches, mais l'un avait existé à l'époque romaine, et l'autre pas. L'un est sur la rive gauche du Chélif, très en hauteur, l'autre sur la rive droite dans la vallée même. Et surtout, n'étant pas dans la même commune du temps des Français, je dois les étudier à part. Je commencerai par Boghari, qui seul fut chef-lieu d'arrondissement, et me contenterai, pour Boghar, d'ajouter un paragraphe complémentaire, tout à la fin. Ces deux centres ont des noms qui ont une origine commune : sans doute le nom, déformé par les Français, d'un marabout sur lequel je ne sais rien de précis, Sidi el Boukhari ou el Boukharia. Près de sa koubba, les Turcs avaient établi, au XVIIIè siècle, un fortin qui prit, en arabe, le nom de Ksar el Boukhari. On cite aussi Bokhari, qui est le nom d'un uléma exégète célèbre pour ses commentaires du Coran. Nous voilà donc avec trois noms pour deux centres : Boghar, Ksar el Boukhari et Boghari. C'est le moment de dire, en insistant, que lorsque les premiers soldats français sont arrivés là en 1841, il existait déjà Boghar et Ksar el Boukhari ; mais pas Boghari. Pour bien situer ces lieux, je place tout de suite l'extrait d'une carte d'Etat-Major des années 1930. Ce que nous appelions Boghari, c'est à la fois
le bourg français en bas de part et d'autre de la grande route
(RN 1) et le village arabe du ksar au-dessus. Il se trouve qu'aujourd'hui
l'Algérie appelle ce même ensemble Ksar el Boukhari. L'oued
est le Chélif qui coule du sud vers le nord. Boghari avant les Français. En 1841, lorsque nous pourchassions les partisans d'Abd el-Kader, Boghari n'existait pas, mais le ksar, oui. Voici ce que Fromentin, de passage le 26 mai 1853 écrit à son propos dans " un été au Sahara ". " C'est un petit village entièrement arabe, cramponné sur le dos d'un mamelon soleilleux et toujours aride : il se fait face avec Boghar à trois-quarts de lieue de distance, séparés seulement par le Chélif et une étroite vallée sans arbre. Je ne connaissais rien de pareil et d'aussi complètement fauve, et disons le mot qui me coûte à dire, d'aussi jaune Le village est blanc, veiné de brun, veiné de lilas Hormis deux ou trois figuiers et autant de lentisques, il n'y a rien qui ressemble à un arbre, pas même à de l'herbe Tu sauras que ce village qui sert de comptoir et d'entrepôt aux nomades, est peuplé de jolies femmes venues pour la plupart de tribus sahariennes Ouled Naïl où les murs sont faciles ". En peu de mots Fromentin a dit l'essentiel : c'est un lieu d'échanges fréquenté par des nomades de l'Atlas saharien où les commerçants peuvent dépenser une partie de leurs gains avec des danseuses pas du tout farouches, que nous examinerons plus en détail à Bou-Saâda, leur fief. Il précise qu'il a " campé au pied du village sur un terrain battu où bivouaquaient des caravanes ". C'est tout juste sur ce terrain que trois ans plus tard a été créé le village français. Boghari à l'époque française : 1856-1962 L'idée de s'installer dans la vallée du Chélif, en bas des casernes déjà construites à Boghar, ne s'est imposée qu'après la conquête de Laghouat le 4 décembre 1852. Comme il n'était plus question d'abandonner cette conquête qui avait été difficile, il fallait bien aménager et sécuriser une piste carrossable, afin de ravitailler tous les postes militaires échelonnés sur les 265km qui séparent Boghari de Laghouat. Je suppose que l'on a dû commencer par organiser un gîte d'étape pas trop inconfortable. Il ne pouvait y avoir de cheminement plus commode entre Alger et le Sahara, que celui qui rejoignait la vallée du Chélif 8 km en amont de Boghari. En 1856 Napoléon III, pourtant hostile à l'implantation de centres français trop éloignés du littoral, signa le décret de création d'un village français à Boghari pour des raisons essentiellement stratégiques et accessoirement commerciales. Le site choisi était au pied du ksar, dans la vallée, mais assez loin du lit de l'oued pour échapper au risque d'inondation en cas de grosse crue du Chélif. Cet à cet endroit que, depuis toujours, se faisaient les échanges entre sédentaires et nomades : laine, moutons, dattes parfois, contre des céréales et aussi du charbon de bois fabriqué dans les forêts de l'Atlas tellien. L'intérêt de cet établissement était donc double : protéger l'axe de pénétration vers le sud le plus court et le plus commode, et contrôler les marchés aux bestiaux, et indirectement les tribus nomades qui, pour pouvoir continuer à fréquenter les souks et les pâturages du nord, furent obligées de composer avec les autorités françaises. Les progrès de la sécurité et des transports permirent le développement de ces activités traditionnelles. Nous y avons établi plus de soldats que de colons stricto sensu, car dans la région, les cultures deviennent trop aléatoires. Seul l'élevage extensif reste possible tous les ans. En 1873 un gisement de phosphate fut découvert près de Boghari. Mais faute de moyen de transports appropriés vers la côte, il ne fut pas question de l'exploiter. Quand le chemin de fer arriva, c'était trop tard : des gisements plus riches et plus faciles d'accès avaient été trouvés, en 1885, dans notre protectorat tunisien. En 1912 est inaugurée la gare. Boghari devient, pour 9 ans, le terminus provisoire de la " pénétrante centrale " partie de Blida. Cette date est importante pour l'économie locale. En 1942 ou 1943 est
ouvert un camp (puis 2) de prisonniers de guerre allemands, autrichiens
et italiens ramenés de Libye. J'ai connu 3 prisonniers autrichiens
envoyés travailler dans une ferme familiale de Saoula dont le propriétaire
avait été mobilisé pour combattre en Tunisie. Ce
camp, fermé après 1945, a resservi dans les années
1955-1962 pour les rebelles et leurs complices. Le cadre géographique et ses aptitudes
Le Boghari des Français a été établi
dans la vallée du Chélif précisément à
l'endroit où celle-ci quitte les hautes plaines steppiques pour
s'enfoncer dans l'Atlas tellien. Au niveau de Boghari la vallée a un bon kilomètre de large. Son altitude est un peu supérieure à 600m. Sa rive gauche est dominée de 400m par l'extrémité boisée de l'Ouarsenis ; sa rive droite où se trouve la ville est dominée de 200m par l'extrémité de deux crêtes monoclinales arides. Les sols alluviaux sont corrects ; c'est la pluviométrie, de l'ordre de 400 mm, qui rend toute culture aléatoire sans irrigation. Boghari a un climat méditerranéen de nuance steppique, avec des journées froides en hiver (il peut neiger) et torrides en été. La région n'est propice qu'à la vie pastorale extensive, avec ou sans nomadisme. Entre 1856 et 1962, les élevages de chameaux et de chevaux ont décliné ; celui des moutons a progressé grâce à l'amélioration de la sécurité et au creusement de nouveaux puits et forages. Boghari était remarquablement placé pour servir de lieu d'échanges, et de lieu d'entrepôt. Boghari était une ville
de marché et d'entrepôt Le rôle d'entrepôt était plus limité. Si l'on excepte les balles d'alfa il y avait peu de marchandises à stocker venues du sud, et beaucoup venues du nord, à commencer par tous les articles industriels d'usage courant, et par les carburants. Boghari était une ville
de garnison (comme toutes les villes d'Algérie en vérité). Les tirailleurs furent tous volontaires jusqu'à
l'établissement de la conscription pour les musulmans en 1912.
J'ignore la durée des engagements en 1842 ; en 1875 elle fut de
4 ans renouvelables et en 1899 de 15 ans. Les soldats étaient indigènes
; les officiers presque tous français, à de rares exceptions
près. Au début les officiers indigènes ne pouvaient
pas dépasser le grade de lieutenant. On trouve leurs traces sur la plupart des champs de bataille de France et de l'Empire, de Madagascar au Tonkin, et de Tunisie en Annam. Boghari était une ville de cheminots, ce qui est plus rare. La gare de Boghari possédait le deuxième dépôt de locomotives et de matériel ferroviaire de la ligne Blida-Djelfa, le premier ayant été logiquement établi à Blida. On pouvait y pratiquer des opérations de maintenance simples. Boghari était une ville
de fonctionnaires et assimilés, comme tous les centres
administratifs. Il y avait moins de fonctionnaires qu'à Médéa
car il y manqua, jusqu'en 1956, ceux de la sous-préfecture, et
jusqu'en 1962 ceux du lycée. Dans les derniers temps on avait tout
de même ouvert un CES. Boghari fut de 1856 à 1962 une ville de transit ; mais modeste. Le guide bleu, pour 1950, ne signale que deux hôtels. Ce rôle est l'une des raisons qui ont poussé Napoléon III à signer le décret de fondation de Boghari. Pour autant les activités liées à ces passages ne se sont développées vraiment qu'après 1954 pour deux raisons sans rapport entre elles : l'insécurité qui fait passer par là nombre de militaires en chemin vers un cantonnement ou une SAS du bled, et l'essor de la recherche des hydrocarbures au Sahara. Boghari vit alors défiler la noria des camions qui alimentaient les chantiers d'Hassi R'Mel et d'Hassi Messaoud. C'est juste pour l'anecdote que je signale que, chaque mardi, un restaurant de Boghari avait à nourrir, à midi, les voyageurs ayant pris le car de la SATT à destination de l'une ou l'autre des oasis du Sahara. Au retour il n'avait personne à nourrir car le même bus s'arrêtait, pour le déjeuner, à Bou Saâda. Les aspects de l'agglomération de Boghari Le pluriel est imposé par l'existence de deux centres
séparés par une pente raide d'un peu plus d'un kilomètre
:
La desserte de Boghari par les services de transports publics Boghari est à 71 km de Médéa, chef-lieu
principal, et à 162km d'Alger, la capitale. Le progrès décisif fut l'arrivée du chemin de fer le 15 août 1912. La locomotive représentée sur la photo, décorée de nombreux drapeaux tricolores, est celle du train qui inaugurait la ligne ce jour-là, ou du moins son prolongement de Berrouaghia à Boghari. La locomotive était une 140 T fabriquée à Fives-Lille en 1910.
Les autobus qui reliaient
Boghari à Alger étaient ceux de la société
des autocars blidéens déjà citée. Boghari
était un terminus pour une desserte quotidienne ; mais s'arrêtait
aussi à Boghari le car qui assurait, une fois par jour également,
la liaison Alger-Djelfa. En correspondance
avec le train la même société desservait Reibell,
éloigné de 98 km vers le sud-ouest.. Supplément sur Boghar
Boghar avant les Français est un lieu élevé qui a été fortifié pour surveiller les hautes plaines ainsi que la percée du Chélif par laquelle il est commode de passer pour pénétrer profondément dans l'Atlas tellien. Sous les Romains Boghar s'appelle
Castellum Mauritanum Après être placé en première ligne le poste du futur Boghari s'est retrouvé vers 200, sous les Sévères en seconde ligne, loin derrière les postes établis alors dans l'Atlas saharien. Mais ces postes très avancés ont dû être évacués vers 240. Boghar a tenu plus longtemps. J'ignore quand le Castellum Mauritanum a dû être
évacué à son tour ; vraisemblablement lors d'un épisode
des troubles provoqués par les Donatistes ou les Circoncellions
au IVè siècle. Je suis sûr qu'il n'y avait plus de
légionnaires en 429 lorsque les Vandales ont chassé les
Romains de la Maurétanie. De toute façon, ni les Vandales,
ni les Byzantins ne sont réapparus en ces lieux qui disparaissent
de l'histoire pour un millénaire. Ces fortins réussissaient leur mission dans la mesure où ils étendaient le bled el Makhzen (pays sûr) aux dépens des bleds es Siba (pays insoumis) ou el Baroud (pays en guerre). Sous Abd el-Kader, Boghar est occupé après 1837. Le khalifa el Berkani y établit un arsenal que, grâce au traité de la Tafna, il peut remplir avec des armes et de la poudre achetées à la France. Il n'est alors pas question que les troupes françaises pénètrent dans la province du Titteri dont la souveraineté a été reconnue à Abd el-Kader. Tout change lorsque Abd el-Kader décide le djihad à l'automne 1839. Valée fait aussitôt réoccuper, pour de bon, Médéa. Mais el Berkani continue à tenir la campagne. C'est après l'arrivée de Bugeaud au Gouvernement Général fin février 1841, que les soldats français reprennent l'offensive et pourchassent el Berkani. Cette chasse nous conduit jusqu'à Boghar en mai 1841.
En 1841 Lorsque le colonel Baraguay d'Hilliers, parti de Médéa, monte à Boghar, il ne trouve, le 23 mai, que des ruines. El Berkani a mis le feu à ses installations et vidé son arsenal. Il reste au colonel à construire et à fortifier une redoute suffisante pour héberger le régiment laissé sur place ( le35è de ligne), ainsi qu'une infirmerie pour soigner malades et blessés. Ses instructions lui enjoignent de créer un poste d'observation capable de surveiller les mouvements des tribus de la steppe, avec une garnison assez fournie pour empêcher le retour d'el Berkani. On ne songe pas alors à aller plus loin vers le sud, car le climat trop aride, paraît exclure l'implantation de villages de colonisation dans la steppe. Mais les aléas de la lutte contre Abd el-Kader nous ont obligé à nous avancer loin vers le sud, métamorphosant ainsi Boghar de poste d'observation en base de départ d'expéditions punitives ou exploratoires. J'y reviendrai. On fait bientôt de Boghar le siège d'un cercle militaire dépendant de la subdivision de Médéa, et le siège d'un bureau arabe. En 1844 un village de colonisation est fondé au-dessous du fort, pour des soldats libérables demandeurs d'une concession, à la fin de leurs 7 ans de service militaire (pour ceux qui ont tiré un mauvais numéro) institués par la loi Soult de 1832. En 1870 Boghar devient chef-lieu d'une CPE, commune de plein exercice. En 1878 le périmètre de colonisation est agrandi par l'octroi de 46 lots de toutes tailles, le plus souvent trop petits pour constituer une exploitation viable. Ce sont des lots complémentaires qui contribuent à l'agrandissement des exploitations d'origine. Une curiosité : dans la liste des 46 bénéficiaires figure un Baba Amar ben Mustapha dont les ancêtres n'étaient pas venus de France.
Le cadre naturel, ses aptitudes, et ses intérêts Boghar est situé à l'extrémité orientale du massif de l'Ouarsenis, dans ou en bordure d'une zone forestière, à 900-1000m d'altitude ; donc 300 à 400m au-dessus des hautes plaines et de la percée du Chélif. Le sommet de l'espace fortifié est à 977m et le Chélif à 600m. La carte de la région figure en tête du chapitre sur Boghari ; on y voit que les espaces plats défrichés les plus étendus sont vers le haut et que les casernes ont été construites sur un court versant dominant le village. A cette altitude il pleut (et il neige) davantage qu'en bas, ce qui a rendu possible l'installation de colons semant blé et orge. Boghar est d'abord un balcon sur le sud et sur le Chélif. C'est un lieu d'observations privilégié que l'on équipa dès 1841 d'un télégraphe optique permettant d'alerter très vite Médéa et Alger ; sauf en cas de brouillard. Boghar devint vite une base militaire destinée à regrouper les troupes avant leur départ pour des expéditions vers le sud. Cette base comportait des casernes concentrées dans un rectangle protégé par un mur. Il y avait des bâtiments pour loger les soldats, pour héberger les officiers, pour le service de santé et pour stocker les équipements. En arrière de cet espace clos, les terrains du camp Suzonni avaient été défrichés et sommairement aménagés pour les troupes de passage. Cette base de départ a souvent servi pendant les 10 premières années.
Boghar est enfin un village de
colonisation quasi spontané.
Le décret de la fondation officielle, en 1844,
est en fait la reconnaissance d'un fait acquis. Le plan du village, visible sur la carte, est classique :un damier de trois rues parallèles coupées par quatre rues perpendiculaires plus courtes. Le village est relié à la vallée par une route qui prend par endroits des allures de route de montagne, avec des raccourcis pour les piétons et les ânes. Les maisons sont des maisons basses ; toutes semblables, ou presque, avec un jardinet derrière. En 1954 il y avait 173 Européens en vie, et un nombre inconnu au cimetière. Aujourd'hui il est sûr que les vivants sont partis, mais il n'est pas sûr que les morts soient restés au cimetière, ni même qu'il y ait toujours le cimetière, car depuis 2003 il est question de regrouper tous les corps des cimetières abandonnés du Titteri, dans un ossuaire au cimetière de Médéa. Mais aucune information fiable n'est disponible sur un cimetière précis. Cette remarque est valable pour tous les cimetières du bled. |