CARNOT, village d'Algérie
par Edgar Scotti (†)
Texte et illustrations extraits du numéro 125, mars 2009, de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
sur site le 5-6-2009

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Ce texte n'a d'autre objectif que d'évoquer l'histoire de ce village et celle des pionniers qui le construisirent en 1884 et fertilisèrent cette partie de la plaine du Chéliff jusqu'à leurs descendants qui connurent en 1962 l'épreuve de l'exode.

Son nom rend hommage à la mémoire de Lazare Carnot " Organisateur de la victoire ", (Wattignies 16 octobre 1793), de ses fils Sadi et Hippolyte Carnot, de son petit-fils Marie-François Sadi Carnot qui s'illustrèrent tous trois comme hommes de science et hommes d'action.

Confrontés à deux guerres mondiales, à plusieurs tremblements de terre et à une guerre révolutionnaire, les Carnotiens originaires du Midi de la France, ne formaient plus en 1962 qu'une seule et même grande famille.

C'est en 1881 que Carnot a été créé pour recevoir une centaine de colons venus notamment des départements de l'Aude, de l'Hérault, de Provence et des Alpes-Maritimes. Ce village est situé à 182 m d'altitude, sur la rive droite du Cheliff, au pied du djebel Bernous (1186 m), il était alimenté en eau par la source d'Aïn-Asfort et par celle de l'oued Sahnoun, auxquelles s'ajoutaient celles du Boukhelli. D'importants vestiges romains furent découverts sur son territoire à proximité des remparts et d'un aqueduc alimentant l'antique Tigauda municipium.

Par courrier du 22 novembre 1879, le sous-préfet d'Orléansville propose au préfet d'Alger de soustraire 720 ha des 3 000 ha compris dans le projet de création d'un village de cent-vingt feux dont cent ruraux, dix industriels et dix autres mis en réserve. Les concessions rurales furent par la suite réduites à une trentaine d'hectares afin de ne pas trop éloigner du centre les 80 futurs colons de Carnot. La création dans les terrains les plus éloignés de 12 fermes de 60 ha chacune, devait permettre de les vendre ultérieurement par adjudication à des concessionnaires déjà établis avec, cependant, obligation d'y installer à demeure une famille française. Les difficiles conditions de vie dans une région où les températures minimales sont proches de 0 °C en
hiver pour atteindre, voire dépasser, un maximum de 38 °C en été, conditionnaient le choix des concessionnaires. S'ajoutaient à cela les caprices de l'oued Chéliff dont les sources se trouvent dans le djebel Amour et qui, tout au long de ses 600 km de cours, sous divers noms, traverse plusieurs régions des Hauts Plateaux. Ses rives sont exposées à des crues qui font passer son débit de 1 500 litres à 1 500 m3/ seconde.

L'état nominatif signé le 16 avril 1884 à Duperré, assure la répartition du territoire de Mahbil-Carnot entre vingt et une familles déjà établies en Algérie et cinquante-huit foyers d'immigrants issus des départements du sud de la France et notamment de l'Hérault.

La valeur des terrains classés en seconde catégorie était estimée à 90 F l'hectare. La réduction de 100 à 70 ha de la superficie des lots laissait ultérieurement à l'Etat la possibilité de rentrer dans ses fonds avec la vente de 12 fermes de 60 ha l'une, à 150 F l'hectare soit, un produit de 108 000 F.

CARNOT en 1900

Moins de vingt ans après sa création, Carnot avait en 1900, 4 076 habitants dont 3 542 autochtones répartis dans les douars Tharia et Fodda ainsi que 534 Européens habitant au village. Carnot cultivait 250 ha de vigne, dont 180 en plein rapport avec une production de 6 000 hectolitres de vin soit une moyenne d'une trentaine d'hectolitres à l'hectare. Les colons sont exposés aux vols d'animaux de trait, boeufs et mulets. La vie est très pénible, notamment pour les hommes usés prématurément par de rudes travaux agricoles de labour et de sarclage pour la destruction des mauvaises herbes. En raison de l'exiguïté des surfaces et surtout de la nécessité de n'emblaver chaque année que la moitié de la surface pour labourer et sarcler l'autre moitié, la pluri-activité est très répandue.

Les difficultés de déplacement et la rareté des moyens de transport favorisent l'ouverture de petites entreprises de briqueterie, tuilerie et de distillation.

Le travail des maires et des conseils municipaux successifs ainsi que de ses habitants a permis de doter Carnot d'une certaine aisance. De nouveaux arrivants sont accueillis, parmi lesquels de nombreux musulmans descendus de leurs " mechtas ", pour ouvrir de petits commerces ou artisanats, épiciers, fabricants de corbeilles, etc.

En raison du climat, la vie à Carnot est très dure pour des colons installés sur des lots exigus.

Après Siffrein Vire, un de ses frères, Augustin, lui succède, mais meurt et c'est sa femme qui, comme beaucoup d'autres veuves ne se remarie pas et dirige la propriété. Leurs enfants grandiront au contact de ceux des ouvriers de la ferme, partageront les mêmes jeux et parleront couramment l'arabe.

En effet dès la fin du >axe siècle, les autochtones des douars environnants se rapprochent du village, où beaucoup trouvent du travail, tandis que d'autres ouvrent des épiceries. C'est à partir de cette époque qu'une école coranique est construite à Carnot, rue Rouget-de-l'Isle.

Parmi les nouveaux arrivants, citons l'installation au village des familles Guibert, Chiche, Haïk, Ghnassia, etc. En 1918, le village sort de la guerre et accueille ses rescapés, blessés, gazés, handicapés, qui retrouvent leurs terres cultivées pendant leur absence par les épouses avec l'aide confiante et loyale de leurs ouvriers musulmans. Les veuves sont un peu plus nombreuses et toujours déterminées et attachées à leurs enfants jusqu'à ce qu'ils soient en âge de prendre en main l'avenir de propriétés exigues, qui ne permettent pas de nourrir une famille. Les calamités sont hélas ! très fréquentes et les travaux effectués avec des boeufs ou des mulets sont particulièrement lents et pénibles.

Origines des Carnotiens

Parmi les premiers édiles, nous relevons les noms de: Eugène Boutonnet, maire; Antoine Rénier, adjoint; Émile Dupuy, secrétaire; Joseph Flotat, garde-champêtre; Albert Ducou, crieur-public; Ahmed Bourradou, interprète; Dr Roux, médecin communal.

Des familles sont déjà installées en Algérie en 1884:
Jean-Marc Guichardon, Georges Roudot, Victor Perette, Jules Vigneron, Pierre Trisp, Léon Vigneron, Vve Lesprit née Pastureau, Alfred Gaudet, Théodore Galtier, Jules Bresson, Pierre Thoman, Louis Flandin, Vve Jeanne Vapereux, Vve Louis Couppois, Pierre Renier, Michel Ameler, Bernard Guetri, Théodule Thibault, Jean Bolive, Jean Cols, Irénée Beujon, François Dumas, Nicolas Vaugun, Jean Harel, Serein Vire.

Déjà adaptés au climat, ces colons viennent de toute la France et pour certains des départements alsaciens et de la Nièvre. Ces 21 foyers regroupent 78 hommes, femmes et enfants, soit un peu moins de quatre personnes par famille.

D'autres familles arrivent de métropole :
Mme Vve Jean-Baptiste Lapouyade, Nicolas Ducou, Charles Venissac, Louis George, François Passeron, Louis Rolland, Antoine Risset, Pierre Ducou, François Amat, Joseph Escudié, Pierre Darbon, Auguste Vernet, Auguste Buldy, Jean-Baptiste Appe, Pierre Toesca, Jean-Louis Tardy, Jean Coudert, Marius-Gustave Lassausse, François Mesnard, Henri Lapouyade, Lucien Junillon, Joseph Schoeffer, Louis Lamberton, François Zaegel, Joseph Mercadier, Jacques Maurin, Etienne Limoujis, Pierre Eymard, Léon Sayen, Etienne Lupanes, Ferdinand Blanchard, Jean-Jacques Roy, Jules-Just Bonnet, Antoine Lappara, Joseph Hat, Jean Lalanne, Jacques Mercadier, André Renier, Baptiste Cruciati, Jean Lalande, Augustin Laurent, Etienne Damais, Pierre Bons, Martin Sigaud, Jean-Baptiste Rouquet, Pierre Maumon, André Hurter, François Lajus, Auguste Coudert, Claude Cros, Antoine Alteyrac, Vincent Compan, Pierre Audibert.

Soixante-dix huit familles réunissant 205 hommes, femmes et enfants, soit une moyenne d'un peu moins de trois personnes par unité familiale. Leurs membres présentaient la particularité d'être tous d'origine rurale, rompus aux travaux de la production agricole métropolitaine. Parmi eux, beaucoup d'anciens viticulteurs, confrontés aux difficultés d'un milieu où tout était à faire dans un climat torride en été, froid en hiver ; leurs lourds vêtements étaient peu adaptés aux chaleurs estivales. Les hommes, coiffés d'un béret de laine fabriqué à Quillan (Aude), dont les larges bords repliés en pointe au-dessus du nez, couvraient le front. Les femmes portaient le bonnet des paysannes de ces régions. Parlant l'arabe, ils oublièrent bien vite qu'ils appartenaient à une communauté de méridionaux, notamment héraultaise qui, depuis 1891 avait son association à Alger. Ils se fondirent dans la masse de tous ceux qui, pour survivre en Algérie, déployèrent toute leur énergie et leurs talents.

Carnot au rythme des saisons

Comme dans tous les villages, la vie était réglée par les travaux agricoles : les semailles à l'automne, les labours préparatoires sur les jachères au printemps, les moissons et les " battaisons " (dépiquages) en été sur l'aire communale. Les assolements comportaient toujours des emblavures de blé dur, blé tendre, avec pratique du dry farming " ou des jachères cultivées avec des légumineuses sarclées, lentilles ou pois chiches.

De belles productions maraîchères irriguées comme les céleris-raves, choux de Bruxelles, poireaux, carottes et autres légumes primeurs venaient particulièrement bien dans les profondes et fertiles alluvions des berges du Chéliff assagi. Elles étaient cueillies et aussitôt lavées et chargées sur camionnettes ou sur wagons pour être livrées dès le lendemain sur les marchés. Parmi les autres productions de Carnot, citons le crin végétal (douro) et le façonnage des " ébauchons " de pipe à partir des racines de bruyère.

Très tôt le matin les attelages partaient rejoindre les charrues dans les champs. Le soir les mêmes mulets regagnaient d'instinct l'écurie, accompagnés des hommes qui les débarrasseront de leur harnachement, collier, têtière et traits avant de leur distribuer leur ration d'orge concassée et de foin. A Carnot l'exiguïté des lots de culture, freina longtemps la mécanisation et le remplacement des animaux par des tracteurs.

Aussi, jusqu'à la fin de la Deuxième Guerre mondiale et même un peu après, le martellement des fers sur les enclumes des charrons-forgerons et maréchaux-ferrants retentissait dans le village.

La présence au nord de Carnot, de petits djebels comme le Techta (1146 m) arrêtait les nuages et privait la région des pluies d'avril dont l'absence s'ajoutait aux effets du sirocco sur les céréales (échaudage), tandis que par temps humide les cryptogames (rouilles) ou les insectes, criquets ou cécydomies (1) compromettaient les récoltes avec toutes leurs incidences sur la vie des hommes et de leurs animaux. C'est au cours de ces années de disette que les nomades remontaient du sud à la recherche de travail et de pacages (achaba ou transhumance).

L'empreinte du Chéliff

C'est le plus long des fleuves d'Algérie. À son origine, son cours de 600 km se confond avec celui de l'oued Beidha qui prend sa source dans le djebel Amour. Il porte successivement les noms d'oued Thazguin, d'oued Bet-Tin, El-Ouerg, avant de rejoindre le Nahr-Ouassel. Le Chéliff charrie des alluvions provenant de son bassin versant, accumulées dans une vaste plaine. Afin de limiter le caractère dévastateur des crues, notamment celle de 1931, où à la suite de pluies torrentielles, le fleuve déborda et submergea l'immense plaine, ravageant tout sur son passage, l'eau était mise en réserve derrière plusieurs grands barrages, comme celui de l'oued Fodda, dont les réseaux d'irrigation s'arrêtaient aux Attafs. Les champs de la région de Carnot n'ont donc pas profité de cette eau.

Ces mêmes berges du Chéliff et celles du Boukhelli étaient autant de terrains de jeux appréciés des jeunes de Carnot, les jeudis et jours de vacances.

pont sur le Chéliff
pont sur le Chéliff

La menace tellurique

De la belle demeure du D rRoux à celle de type minorquin, toute petite et toute blanche de la famille Pétrus connue, pour les " dons " de sourcier, à la baguette de coudrier, de son chef, tous les types des maisons de Provence, avec leurs cyprès et leurs oliviers, s'élevaient à Carnot. Par la suite, après les secousses, cette belle diversité devra laisser la place à l'uniformité des constructions antisismiques.

Aucun Carnotien ne peut oublier cette constante menace tellurique qui se manifestait à intervalles plus ou moins réguliers de 10, 15 ou 20 ans, dans cette région d'Orléansville-Carnot. Située aux flancs de l'Atlas, cette vaste zone est exposée depuis les temps les plus reculés de l'Antiquité à de fréquentes secousses sismiques de magnitude variable.
- 28 novembre 1887: un séisme détruit l'Hillil 20 morts.
- 15 janvier 1891: tremblement de terre à Gouraya : 36 morts.
- 9 octobre 1922: Cavaignac est entièrement détruit.
- 17 décembre 1926: Saint-Cyprien et Carnot sont touchés.
- 5 juillet 1928: séisme dans la vallée du Chéliff.
- Juillet 1934: Secousse sismique à Lamartine, Orléansville.
- 22, 23, 24 août 1934: secousses à Oued Fodda.
- 6 et 7 septembre 1934: Carnot où selon des archives conservées par la famille Vire, la terre commença à trembler le 6 septembre 1934 à 19 h 30. Cette secousse alerta les habitants.

D'autres de moindre importance, suivirent, ce qui rassura la population.

Dans un ouvrage de C. Rigal, édité sous le patronage de la municipalité et du comité de secours de Carnot, nous lisons : " c'est le 7 septembre 1934 vers 4 heures du matin que le silence de la nuit est rompu par des cris déchirants de détresse sous le vacarme inoubliable des craquements de charpentes, des chutes de vaisselle et d'ustensiles de ménage, l'effondrement de plafonds et de cheminées. Sous la torpeur d'une frayeur épouvantable chacun s'enfuit dans la rue se précipitant par les portes et les fenêtres sans même essayer de sauver le moindre objet. Il ne fallait songer qu'à évacuer au plus tôt les maisons qui craquaient de tous côtés. Tout le monde était dehors sans avoir eu le temps de s'habiller. Tout d'abord, encore sous l'impulsion de la frayeur, on hésite à aller chercher les vêtements restés dans les chambres. On est sous le coup d'une hallucination et chacun se demande au premier moment si c'est bien la réalité qui se déroule sous ses yeux. On ne peut oublier ces heures mouvementées et obscures, (car bien entendu, il y eut une panne d'électricité) ".

La violence du séisme du 6 septembre 1934
La violence du séisme du 6 septembre 1934 endommagea gravement plusieurs agglomérations..A Carnot, Lucien Rénier, dont la maison fut détruite, adressait à un proche cette photoqu'il commente ainsi: "Recevez ce petit souvenir quivous rappellera des momentsbien pénibles ".(coll. famille Vire).



Ce séisme de 1934, toujours présent dans la mémoire collective des " Carnotiens " eut lieu sous la municipalité présidée par M. Junillon.

" Malgré les secousses qui se succédèrent sans arrêt, on se hasarda tout de même à rentrer dans les chambres pour prendre en toute hâte, le linge pour se vêtir un peu. Dans les rues ce n'était plus qu'un va-et-vient. Des rumeurs circulèrent de tous côtés; des maisons s'étaient effondrées: y aurait-il eu des victimes? ". Il faut aller porter secours aux malheureux qui sont sous les décombres. Le bilan de cette secousse se solda par quelques blessés; par miracle il n'y eut pas de morts ; par contre les dégâts furent considérables. Toutes les maisons étaient inhabitables et certaines s'étaient écroulées.

Les secousses se poursuivirent jusqu'au mois de novembre finissant de démolir ce qui était encore debout. Après ce séisme de forte magnitude, Carnot sera reconstruit selon une technique antisismique.

Afin d'inciter les Musulmans à se rapprocher du village, une mosquée et de petites maisons sont construites à leur intention à l'extrémité nord du boulevard du Techta. Très attachés à leurs mechtas des douars des environs ils délaisseront ces maisons qui resteront inoccupées jusqu'en 1936.

- 9 septembre 1954: Carnot reconstruit aux normes antisismiques est un peu moins éprouvé. Les pertes humaines furent par contre très importantes à Orléansville et dans les environs, à Warnier, Flatters, Hanoteau, Souk el Tenine.

A Carnot, la Tour de l'horloge, située dans l'enceinte de l'école résista, malgré sa hauteur à toutes les secousses. Cela grâce à son ossature métallique. En 1962, elle était encore là, témoin de l'histoire du village.

La maison du D' Roux, médecin communal
La maison du D' Roux, médecin communal
(coll. Jeanne Nourry-Bresson).

Les commerçants, artisans,
agriculteurs et viticulteurs de Carnot

La Société musicale " Union de Carnot ", dirigée par M. Coudert, animait les fêtes du village.

Cafés : Antoine Ali, Mlle Joséphine Bey, A. Guergue, Louis Rolland; boulangers: Auguste Domangeon, M. Orange; boucher: J. Gounelle ; briquetier: J. Maillebiau; charrons-forgerons: Jules Bresson, Antoine Rénier; coiffeur : fils Busquet ; crin végétal ou crin d'Afrique : Colomb-Bonnet; cordonnier: Justin Eyraud ; transport des dépêches : Louis Rolland; distillateurs : Marie Coudert, Lucien Junillon, Jean Appe; entrepreneur de travaux publics : Antoine Bernard; épiciers : Antoine Ali, Hamed Eladj, M'zian Ben Ziam, Flandin, Georges Roudot; grains : El Hadj, Mohamed bel Hadj, Louis Flandin, François Passeron ; hôtel de France : Mlle Josephine Bey, hôtel de la Poste: Louis Rolland; maçons : Alexis Cabot, Félix Badial ; maréchaux- ferrants : Jules Bresson, Jean Coudert, Louis Coudert, Antoine Renier; menuisiers : Antoine Guergue, Louis Biallet ; merciers : Louis Flandin, G. Roudot; peintre: Francis Bourdier; pharmacien: Eugène Roux; plâtrier: François Bourdier; tabacs et poudre de la Régie : M. Roudot; transports terrestres: Louis Rolland. Agriculteurs : Antoine Altairac, A. Bernard, Bernard Fischer, Louis Flandin, Auguste Guibert, Georges Louis, Firmin Rivière, Eugène Sigaud, J. Maillebiau, Eugène Roux, Pierre Toesca, Vincent Torré.

Originaires de départements viticoles comme l'Hérault, quelques-uns des colons de Carnot plantèrent de la vigne: Jean-Baptiste Appe, A. Bernard, Bouillet, Guibert, L. Junillon, Armand Mesnard, Moulis, Rouquet, Fougue, Rivière, Eugène Roux, Torré, Marius Fougue, Eusèbe Guibert.

Agriculteurs-viticulteurs : Jean-Baptiste Appe, A. Bernard, Georges Louis, Lucien Junillon, Rivière, Vve Augustin, Vire, Jules Bresson.

La qualité des vins de Carnot fut appréciée à l'étranger, puisque l'un de ses producteurs fut primé à l'exposition de Moscou en 1891, ainsi qu'à celle de Chicago en 1895


Carnot et la guerre d'Espagne

A partir de 1937-1938, le village accueille les réfugiés de l'Espagne républicaine, des centaines d'hommes, femmes, enfants, s'entassaient dans des cargos rouillés au départ des ports de Valence ou de Barcelone. Les " Carnotiens " se souviennent que certains de leurs aïeux étaient des colons de 1848. D'autres étaient arrivés en Algérie à la suite des " transportations " ordonnées par décret du 8 décembre 1851 du ministre de l'Intérieur Charles de Morny, après le coup d'état du Prince-Président, futur Napoléon III. Installés dans la cité délaissée par les musulmans restés dans leurs mechtas, ces réfugiés arrivent à une époque où la mécanisation se développe dans tous les secteurs, agriculture, transports, travaux publics. Les femmes trouvent des emplois de couturières ou dans les ateliers de conditionnement de fruits et légumes. Ces Espagnols seront très vite intégrés dans la vie du village.

Carnot et la guerre de 1939-1945

Le deuxième conflit mondial, et la mobilisation qui suivit, prive brutalement les fermes de tous les hommes appelés dans les casernes ou dans les usines d'Orléansville, de Blida et d'Alger. L'ampleur de la mobilisation avec rappel des anciens combattants de 1914-1918, entrave profondément l'activité économique. Une fois de plus les femmes se retrouvent seules pour les semailles avec l'aide dévouée d'ouvriers sédentaires logés sur les fermes ou au village. L'armistice de juin 1940, est le début d'une période difficile, où il faut remédier à toutes les pénuries, pièces détachées, carburant, retour à la traction animale. La société Blachère s'équipe d'un convertisseur Bessemer. Pièces de rechange corps de pompe " Recta " pour l'irrigation et cuves de gazogène pour les moteurs sont fondus à Hussein-Dey. En l'absence de sucreries, l'Algérie consomme du sucre extrait des moûts de raisin. A Carnot, les cultures d'artichauts " violet d'Alger " s'effacent devant les pommes de terre qui sont, elles aussi, faute de plants de Bretagne, remplacées par des topinambours. Les lentilles et pois chiches, (succédané du café) s'insèrent dans les assolements. Les flocons neigeux du coton réapparaissent, après l'abandon, dans les années trente de cette culture industrielle. C'est le " retour à la terre "; certains garçons sont orientés vers les écoles d'agriculture. Ces établissements sont très peu fréquentés par les autochtones qui leur préfèrent les facultés de droit, de médecine ou l'enseignement. Les filles vont à l'école ménagère du jardin d'Essai.

Entre 1940 et 1942, le village accueille des Anglais assignés à résidence après l'attaque de Mers el-Kebir, par la " Home fleet " le 5 juillet 1940.

Après leur libération, en novembre 1942, ces soldats britanniques, dont la captivité fut adoucie par la possibilité de circuler dans Carnot, furent remplacés dans le camp par plusieurs centaines de prisonniers de guerre italiens, en majorité, et par quelques Allemands. Très humainement traités, répartis dans les fermes où certains étaient logés et nourris, ils ne regagnaient le camp que sous la responsabilité de leur employeur. Parmi ces hommes beaucoup développaient des talents d'artistes. Ils contribuèrent à pallier les vides causés par la mobilisation de plus de 16 % de la population européenne, tous âges confondus.

A la sortie de ce conflit, que reste-t-il des familles inscrites il y a plus de soixante ans sur l'état nominatif du 16 avril 1884 ?

Sur les quatre-vingt-trois foyers qui furent à l'origine du village, les trois quarts ont disparu et se sont fondus dans un petit noyau de vingt-deux familles, liées entre elles par les liens tissés au cours de mariages successifs. Tous les maires qui se sont succédé sont issus de ces foyers consolidés par les épreuves passées, séismes, guerres et les aléas d'un climat capricieux. En raison d'acquisitions ou de partages, les propriétés se sont agrandies. Les trois mille hectares du périmètre sont répartis par moitié entre le blé dur et le blé tendre. Les berges du Chéliff se colorent de vert et au printemps s'imprégnent du doux parfum de la fleur d'oranger. Le village reconstruit est une immense famille où se retrouvent les descendants des pionniers arrivés à Carnot sur des chariots dans une plaine aride, écrasée de soleil. Riches de l'histoire de ce village, les descendants de ces familles se réunissent dans toutes les grandes occasions à l'église, au cimetière ou autour du monument de Lazare Carnot, érigé le 1er janvier 1892, dont ils sont si fiers.

Ameller, Appe, Audibert, Bretton, Bonnet, Coudert, Cruciati, Damais, Ducou, Flandin, Junillon, Lamberton, Passeron, Renier, Rolland, Roudot, Rouquet, Tardy, Toesca, Vigneron, Vire. Et nous ne citerons pas ceux, trop nombreux, qui les ont rejoints, au fil des ans, ainsi que leurs descendants.

Carnot à l'ombre de son clocher et de son minaret

Le nouveau groupe scolaire et l'horloge de Carnot
Le nouveau groupe scolaire et l'horloge de Carnot
(coll. Jeanne Nourry-Bresson).

Les " Carnotiens " ont une grande spiritualité. Ils ont le sens du " sacré ". Toutes les fêtes chrétiennes et musulmanes sont célébrées avec une grande ferveur partagée par les fidèles de toutes les communautés. Le jeûne du Ramadan, le carême des chrétiens, l'Aïd es Seghir, l'Aïd el Kebir, les Pâques, l'Achoura, la Noël, le Mouloud. Toujours respectées, les blanches koubbas surmontées du croissant de l'Islam, étaient dispersées au milieu des champs. Elles recevaient la visite de cohortes de femmes voilées, venues prier sur la tombe d'un marabout vénéré, accompagnées d'enfants les doigts teintés de henné. De même, il était courant de découvrir dans les jardins un humble sanctuaire aménagé près d'un puits, source de vie, dans une anfractuosité de rocher ou de mur. Consacré à la Vierge et à son enfant, ce pieux hommage chrétien à Marie-Meriem, entourée de fleurs des champs, robustes marguerites, frêles coquelicots ou parfois buisson d'héliotrope, au parfum vanillé, était l'objet du même respect, de la part des musulmans. Comme dans tous les villages, l'indifférence n'existait pas, chrétiens, israélites et musulmans étaient très attentifs aux convictions religieuses des uns et des autres. Ces fêtes donnaient l'occasion d'échanger de petits présents et d'offrir des friandises faites " maison ".

Le monument et l'horloge sont toujours présents dans la mémoire de ceux qui passèrent leur enfance dans ce village. La statue était un point de rencontre où se tenaient de graves conciliabules enfantins. La tour de l'horloge, dans l'enceinte de l'école, réservait bien des surprises, avec sa cloche dont les coups répétés appelaient les habitants à se réunir pour lutter contre l'incendie d'une meule ou d'un hangar. Au printemps un couple de cigognes aux ailes blanches et noires s'exprimait en craquettements sonores. Après l'éclosion des oeufs, petits reptiles et crapauds échappés des becs malhabiles des cigogneaux, s'écrasaient désagréablement sur le crâne ou le tablier d'un étourdi attardé sous le chassis... Les jeudis et durant les vacances, de petits groupes d'enfants s'égaillaient en toute sécurité sur le bord du Boukhelli, pour cueillir des asperges vertes ou ramasser des escargots après une averse. Leurs petits camarades musulmans excellaient dans la pose, près d'une source, de petits perchoirs imprégnés des gouttes de glu recueillies sur les chardons. Alors qu'un peu plus loin, ils s'émerveillaient devant le méticuleux enchevêtrement de brindilles, de plumes et de laine, d'un nid de chardonnerets. L'oued situé tout près du village était le lieu idéal pour observer les curieuses facultés des caméléons et autres petits lézards. Pour les plus grands, la chasse aux grasses calandres, gavées de raisin et de blé, donnait lieu en septembre-octobre à d'impressionnants tableaux de chasse. Plus tard, adolescents, jeunes Carnotiennes en jupes " vichy " à carreaux et Carnotiens se retrouvaient dimanches et fêtes, Pentecôte, 14 juillet, 15 août etc, dans la salle du foyer rural ou du café Junillon pour danser sur des airs de jazz de Sydney Bechet " Petite fleur " ou de Louis Armstrong. De nombreux jeunes gens, venaient en voisins des villages environnants : Oued-Fodda, Wattignies, Rouïna, Francis-Garnier, Pontéba, voire même de la grande cité d'Orléansville. C'est dans ces rencontres que s'ébauchèrent de tendres liaisons, de nouveaux couples et un agrandissement de la belle famille des Carnotiens

Carnot: la peur... et l'exode

Après 1954, le village demeure quelques temps encore une oasis de paix. Puis c'est ensuite, l'inexorable enchaînement : les intimidations, exactions, incendies de gerbiers, de meules de paille et de hangars. Des installations de pompage des bords du Chéliff sont sabotées. A partir de 1960, en raison des attentats et des enlèvements, la solidarité qui liait traditionnellement chrétiens et musulmans s'efface devant la peur.

Aussi, ce n'est pas sans une certaine appréhension que l'on répond la nuit à une demande de secours. Que l'on ouvre sa porte à un voisin musulman pour amener un malade ou une femme enceinte à l'hôpital de Saint- Cyprien où, fraternellement les Soeurs blanches poursuivaient l'oeuvre du cardinal Lavigerie.

Les postes de garde des militaires sont entourés de sacs de sable. Carnot paisible village, se protège derrière des réseaux de fils de fer barbelés. En 1962, enfin, s'ajoutaient les réquisitions et les demandes de contribution financière à la rebellion. Il fallut bien se résoudre, malgré les témoignages d'affection des amis musulmans à abandonner des champs fertilisés au prix de douloureux sacrifices, la maison de son enfance, l'église, le cimetière et à regarder disparaître Carnot, après le premier virage de la route des Attafs.

C'est alors que commence le calvaire d'un long et angoissant voyage vers la métropole que beaucoup ne connaissent pas. Malheureusement, quelques-uns de ceux que l'on qualifie de " gros colons " n'ont même pas les moyens de payer leur billet pour voyager sur le pont d'un bateau.

C'est le triste exode sur une route familière, mais hostile, au travers d'inquiétants barrages d'hommes armés. Aucune vexation, (perquisition sur de pauvres valises et spoliation) ne leur est épargnée. Sous de fallacieuses promesses la nouvelle Algérie chasse ceux que la France y avait envoyés. Ils avaient mis toute leur confiance, apporté généreusement leurs talents et leur travail au service de ce pays. Il restait encore beaucoup à faire pour consolider l'oeuvre accomplie dans une ambiance de respect et d'estime réciproque. C'est alors la fin de Carnot, riche de plusieurs mémoires, celle de " l'organisateur de la victoire ", de sa statue, elle aussi dans un morne exil et de tous les enfants de ce village. C'est aussi la mémoire de cet accueillant et hospitalier village de France, transplanté sur les rives du Chéliff. Partis de Carnot, où ils étaient minoritaires en nombre mais où ils avaient leur place, ils se retrouvent encore minoritaires à Marseille dans un pays qui a oublié le principe de solidarité et où seul le nom de Carnoux en Provence leur est familier, sans le connaître. Mais Carnoux n'est pas Carnot et dans l'Aude, l'Hérault, le Tarn et le pays niçois, les liens avec de lointains cousins se sont distendus.

Juin-juillet 1962, c'est l'exode digne et silencieux des Français d'Algérie. Le paquebot El-Djezaïr surchargé, dont les cabines et entreponts n'offrent plus que l'inconfort d'un transport de troupes va doubler le musoir nord du port d'Alger.

Enfin, c'est l'arrachement de tous les descendants meurtris des pionniers qui construisirent Carnot. Unis, en une seule et même grande famille, c'est avec une grande dignité qu'anciens et jeunes de ce village plongent
leurs racines dans une métropole indifférente. Soudés par la pensée, pour ne rien oublier de l'ceuvre accomplie sur les bords du Chéliff, au contact permanent de 6000 musulmans dont ils avaient capté la confiance et l'estime, ils commencent une nouvelle carrière.

Riches de l'expérience acquise dans l'adversité, ils retrouvent le dynamisme des origines, c'est vers l'avenir que désormais ils se tournent.

Avec les plus vifs remerciements de l'auteur au Dr Georges Duboucher pour sa documentation; à MM. Jacques Fourny et Armand Toesca pour leur iconographie; Mmes Gabrielle Libourel et Jeanne NourryBresson pour leurs souvenirs de Carnot, et M. Alain Vire pour ses souvenirs familiaux.