Ce texte n'a d'autre objectif que d'évoquer
l'histoire de ce village et celle des pionniers qui le construisirent
en 1884 et fertilisèrent cette partie de la plaine du Chéliff
jusqu'à leurs descendants qui connurent en 1962 l'épreuve
de l'exode.
Son nom rend hommage à la mémoire de Lazare Carnot "
Organisateur de la victoire ", (Wattignies 16 octobre 1793),
de ses fils Sadi et Hippolyte Carnot, de son petit-fils Marie-François
Sadi Carnot qui s'illustrèrent tous trois comme hommes de science
et hommes d'action.
Confrontés à deux guerres mondiales, à plusieurs
tremblements de terre et à une guerre révolutionnaire,
les Carnotiens originaires du Midi de la France, ne formaient plus
en 1962 qu'une seule et même grande famille.
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C'est en 1881 que Carnot a été créé
pour recevoir une centaine de colons venus notamment des départements
de l'Aude, de l'Hérault, de Provence et des Alpes-Maritimes. Ce
village est situé à 182 m d'altitude, sur la rive droite
du Cheliff, au pied du djebel Bernous (1186 m), il était alimenté
en eau par la source d'Aïn-Asfort et par celle de l'oued Sahnoun,
auxquelles s'ajoutaient celles du Boukhelli. D'importants vestiges romains
furent découverts sur son territoire à proximité
des remparts et d'un aqueduc alimentant l'antique Tigauda
municipium.
Par courrier du 22 novembre 1879, le sous-préfet d'Orléansville
propose au préfet d'Alger de soustraire 720 ha des 3 000 ha compris
dans le projet de création d'un village de cent-vingt feux dont
cent ruraux, dix industriels et dix autres mis en réserve. Les
concessions rurales furent par la suite réduites à une trentaine
d'hectares afin de ne pas trop éloigner du centre les 80 futurs
colons de Carnot. La création dans les terrains les plus éloignés
de 12 fermes de 60 ha chacune, devait permettre de les vendre ultérieurement
par adjudication à des concessionnaires déjà établis
avec, cependant, obligation d'y installer à demeure une famille
française. Les difficiles conditions de vie dans une région
où les températures minimales sont proches de 0 °C en
hiver pour atteindre, voire dépasser, un
maximum de 38 °C en été, conditionnaient le choix des
concessionnaires. S'ajoutaient à cela les caprices de l'oued Chéliff
dont les sources se trouvent dans le djebel Amour et qui, tout au long
de ses 600 km de cours, sous divers noms, traverse plusieurs régions
des Hauts Plateaux. Ses rives sont exposées à des crues
qui font passer son débit de 1 500 litres à 1 500 m3/ seconde.
L'état nominatif signé le 16 avril 1884 à Duperré,
assure la répartition du territoire de Mahbil-Carnot
entre vingt et une familles déjà établies en Algérie
et cinquante-huit foyers d'immigrants issus des départements du
sud de la France et notamment de l'Hérault.
La valeur des terrains classés en seconde catégorie était
estimée à 90 F l'hectare. La réduction de 100 à
70 ha de la superficie des lots laissait ultérieurement à
l'Etat la possibilité de rentrer dans ses fonds avec la vente de
12 fermes de 60 ha l'une, à 150 F l'hectare soit, un produit de
108 000 F.
CARNOT en 1900
Moins de vingt ans après sa création,
Carnot avait en 1900, 4 076 habitants dont 3 542 autochtones répartis
dans les douars Tharia et Fodda ainsi que 534 Européens habitant
au village. Carnot cultivait 250 ha de vigne, dont 180 en plein rapport
avec une production de 6 000 hectolitres de vin soit une moyenne d'une
trentaine d'hectolitres à l'hectare. Les colons sont exposés
aux vols d'animaux de trait, boeufs et mulets. La vie est très
pénible, notamment pour les hommes usés prématurément
par de rudes travaux agricoles de labour et de sarclage pour la destruction
des mauvaises herbes. En raison de l'exiguïté des surfaces
et surtout de la nécessité de n'emblaver chaque année
que la moitié de la surface pour labourer et sarcler l'autre moitié,
la pluri-activité est très répandue.
Les difficultés de déplacement et la rareté des moyens
de transport favorisent l'ouverture de petites entreprises de briqueterie,
tuilerie et de distillation.
Le travail des maires et des conseils municipaux successifs ainsi que
de ses habitants a permis de doter Carnot d'une certaine aisance. De nouveaux
arrivants sont accueillis, parmi lesquels de nombreux musulmans descendus
de leurs " mechtas ", pour ouvrir de petits commerces ou artisanats,
épiciers, fabricants de corbeilles, etc.
En raison du climat, la vie à Carnot est très dure pour
des colons installés sur des lots exigus.
Après Siffrein Vire, un de ses frères, Augustin, lui succède,
mais meurt et c'est sa femme qui, comme beaucoup d'autres veuves ne se
remarie pas et dirige la propriété. Leurs enfants grandiront
au contact de ceux des ouvriers de la ferme, partageront les mêmes
jeux et parleront couramment l'arabe.
En effet dès la fin du >axe siècle, les autochtones des
douars environnants se rapprochent du village, où beaucoup trouvent
du travail, tandis que d'autres ouvrent des épiceries. C'est à
partir de cette époque qu'une école coranique est construite
à Carnot, rue Rouget-de-l'Isle.
Parmi les nouveaux arrivants, citons l'installation au village des familles
Guibert, Chiche, Haïk, Ghnassia, etc. En 1918, le village sort de
la guerre et accueille ses rescapés, blessés, gazés,
handicapés, qui retrouvent leurs terres cultivées pendant
leur absence par les épouses avec l'aide confiante et loyale de
leurs ouvriers musulmans. Les veuves sont un peu plus nombreuses et toujours
déterminées et attachées à leurs enfants jusqu'à
ce qu'ils soient en âge de prendre en main l'avenir de propriétés
exigues, qui ne permettent pas de nourrir une famille. Les calamités
sont hélas ! très fréquentes et les travaux effectués
avec des boeufs ou des mulets sont particulièrement lents et pénibles.
Origines des Carnotiens
Parmi les premiers édiles,
nous relevons les noms de: Eugène Boutonnet, maire; Antoine
Rénier, adjoint; Émile Dupuy, secrétaire; Joseph
Flotat, garde-champêtre; Albert Ducou, crieur-public; Ahmed
Bourradou, interprète; Dr Roux, médecin communal.
Des familles sont déjà installées
en Algérie en 1884:
Jean-Marc Guichardon, Georges Roudot, Victor Perette, Jules Vigneron,
Pierre Trisp, Léon Vigneron, Vve Lesprit née Pastureau,
Alfred Gaudet, Théodore Galtier, Jules Bresson, Pierre Thoman,
Louis Flandin, Vve Jeanne Vapereux, Vve Louis Couppois, Pierre Renier,
Michel Ameler, Bernard Guetri, Théodule Thibault, Jean Bolive,
Jean Cols, Irénée Beujon, François Dumas, Nicolas
Vaugun, Jean Harel, Serein Vire.
Déjà adaptés au climat, ces colons viennent
de toute la France et pour certains des départements alsaciens
et de la Nièvre. Ces 21 foyers regroupent 78 hommes, femmes
et enfants, soit un peu moins de quatre personnes par famille.
D'autres familles arrivent de métropole
:
Mme Vve Jean-Baptiste Lapouyade, Nicolas Ducou, Charles Venissac,
Louis George, François Passeron, Louis Rolland, Antoine Risset,
Pierre Ducou, François Amat, Joseph Escudié, Pierre
Darbon, Auguste Vernet, Auguste Buldy, Jean-Baptiste Appe, Pierre
Toesca, Jean-Louis Tardy, Jean Coudert, Marius-Gustave Lassausse,
François Mesnard, Henri Lapouyade, Lucien Junillon, Joseph
Schoeffer, Louis Lamberton, François Zaegel, Joseph Mercadier,
Jacques Maurin, Etienne Limoujis, Pierre Eymard, Léon Sayen,
Etienne Lupanes, Ferdinand Blanchard, Jean-Jacques Roy, Jules-Just
Bonnet, Antoine Lappara, Joseph Hat, Jean Lalanne, Jacques Mercadier,
André Renier, Baptiste Cruciati, Jean Lalande, Augustin Laurent,
Etienne Damais, Pierre Bons, Martin Sigaud, Jean-Baptiste Rouquet,
Pierre Maumon, André Hurter, François Lajus, Auguste
Coudert, Claude Cros, Antoine Alteyrac, Vincent Compan, Pierre Audibert.
Soixante-dix huit familles réunissant 205 hommes, femmes
et enfants, soit une moyenne d'un peu moins de trois personnes par
unité familiale. Leurs membres présentaient la particularité
d'être tous d'origine rurale, rompus aux travaux de la production
agricole métropolitaine. Parmi eux, beaucoup d'anciens viticulteurs,
confrontés aux difficultés d'un milieu où tout
était à faire dans un climat torride en été,
froid en hiver ; leurs lourds vêtements étaient peu
adaptés aux chaleurs estivales. Les hommes, coiffés
d'un béret de laine fabriqué à Quillan (Aude),
dont les larges bords repliés en pointe au-dessus du nez,
couvraient le front. Les femmes portaient le bonnet des paysannes
de ces régions. Parlant l'arabe, ils oublièrent bien
vite qu'ils appartenaient à une communauté de méridionaux,
notamment héraultaise qui, depuis 1891 avait son association
à Alger. Ils se fondirent dans la masse de tous ceux qui,
pour survivre en Algérie, déployèrent toute
leur énergie et leurs talents.
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Carnot au rythme des
saisons
Comme dans tous les villages, la vie était
réglée par les travaux agricoles : les semailles à
l'automne, les labours préparatoires sur les jachères au
printemps, les moissons et les " battaisons " (dépiquages)
en été sur l'aire communale. Les assolements comportaient
toujours des emblavures de blé dur, blé tendre, avec pratique
du dry farming " ou des jachères cultivées avec des
légumineuses sarclées, lentilles ou pois chiches.
De belles productions maraîchères irriguées comme
les céleris-raves, choux de Bruxelles, poireaux, carottes et autres
légumes primeurs venaient particulièrement bien dans les
profondes et fertiles alluvions des berges du Chéliff assagi. Elles
étaient cueillies et aussitôt lavées et chargées
sur camionnettes ou sur wagons pour être livrées dès
le lendemain sur les marchés. Parmi les autres productions de Carnot,
citons le crin végétal (douro) et le façonnage des
" ébauchons " de pipe à partir des racines de
bruyère.
Très tôt le matin les attelages partaient rejoindre les charrues
dans les champs. Le soir les mêmes mulets regagnaient d'instinct
l'écurie, accompagnés des hommes qui les débarrasseront
de leur harnachement, collier, têtière et traits avant de
leur distribuer leur ration d'orge concassée et de foin. A Carnot
l'exiguïté des lots de culture, freina longtemps la mécanisation
et le remplacement des animaux par des tracteurs.
Aussi, jusqu'à la fin de la Deuxième Guerre mondiale et
même un peu après, le martellement des fers sur les enclumes
des charrons-forgerons et maréchaux-ferrants retentissait dans
le village.
La présence au nord de Carnot, de petits djebels comme le Techta
(1146 m) arrêtait les nuages et privait la région des pluies
d'avril dont l'absence s'ajoutait aux effets du sirocco sur les céréales
(échaudage), tandis que par temps humide les cryptogames (rouilles)
ou les insectes, criquets ou cécydomies (1) compromettaient les
récoltes avec toutes leurs incidences sur la vie des hommes et
de leurs animaux. C'est au cours de ces années de disette que les
nomades remontaient du sud à la recherche de travail et de pacages
(achaba ou transhumance).
L'empreinte du Chéliff
C'est le plus long des fleuves d'Algérie.
À son origine, son cours de 600 km se confond avec celui
de l'oued Beidha qui prend sa source dans le djebel Amour. Il porte
successivement les noms d'oued Thazguin, d'oued Bet-Tin, El-Ouerg,
avant de rejoindre le Nahr-Ouassel. Le Chéliff charrie des
alluvions provenant de son bassin versant, accumulées dans
une vaste plaine. Afin de limiter le caractère dévastateur
des crues, notamment celle de 1931, où à la suite
de pluies torrentielles, le fleuve déborda et submergea l'immense
plaine, ravageant tout sur son passage, l'eau était mise
en réserve derrière plusieurs grands barrages, comme
celui de l'oued Fodda, dont les réseaux d'irrigation s'arrêtaient
aux Attafs. Les champs de la région de Carnot n'ont donc
pas profité de cette eau.
Ces mêmes berges du Chéliff et celles du Boukhelli
étaient autant de terrains de jeux appréciés
des jeunes de Carnot, les jeudis et jours de vacances.
pont sur le Chéliff
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La menace tellurique
De la belle demeure du D rRoux à celle
de type minorquin, toute petite et toute blanche de la famille Pétrus
connue, pour les " dons " de sourcier, à la baguette
de coudrier, de son chef, tous les types des maisons de Provence, avec
leurs cyprès et leurs oliviers, s'élevaient à Carnot.
Par la suite, après les secousses, cette belle diversité
devra laisser la place à l'uniformité des constructions
antisismiques.
Aucun Carnotien ne peut oublier cette constante menace tellurique qui
se manifestait à intervalles plus ou moins réguliers de
10, 15 ou 20 ans, dans cette région d'Orléansville-Carnot.
Située aux flancs de l'Atlas, cette vaste zone est exposée
depuis les temps les plus reculés de l'Antiquité à
de fréquentes secousses sismiques de magnitude variable.
- 28 novembre 1887: un séisme détruit l'Hillil 20 morts.
- 15 janvier 1891: tremblement de terre à Gouraya : 36 morts.
- 9 octobre 1922: Cavaignac est entièrement détruit.
- 17 décembre 1926: Saint-Cyprien et Carnot sont touchés.
- 5 juillet 1928: séisme dans la vallée du Chéliff.
- Juillet 1934: Secousse sismique à Lamartine, Orléansville.
- 22, 23, 24 août 1934: secousses à Oued Fodda.
- 6 et 7 septembre 1934: Carnot où selon des archives conservées
par la famille Vire, la terre commença à trembler le 6 septembre
1934 à 19 h 30. Cette secousse alerta les habitants.
D'autres de moindre importance, suivirent, ce qui rassura la population.
Dans un ouvrage de C. Rigal, édité sous le patronage de
la municipalité et du comité de secours de Carnot, nous
lisons : " c'est le 7 septembre 1934 vers 4 heures du matin que
le silence de la nuit est rompu par des cris déchirants de détresse
sous le vacarme inoubliable des craquements de charpentes, des chutes
de vaisselle et d'ustensiles de ménage, l'effondrement de plafonds
et de cheminées. Sous la torpeur d'une frayeur épouvantable
chacun s'enfuit dans la rue se précipitant par les portes et les
fenêtres sans même essayer de sauver le moindre objet. Il
ne fallait songer qu'à évacuer au plus tôt les maisons
qui craquaient de tous côtés. Tout le monde était
dehors sans avoir eu le temps de s'habiller. Tout d'abord, encore sous
l'impulsion de la frayeur, on hésite à aller chercher les
vêtements restés dans les chambres. On est sous le coup d'une
hallucination et chacun se demande au premier moment si c'est bien la
réalité qui se déroule sous ses yeux. On ne peut
oublier ces heures mouvementées et obscures, (car bien entendu,
il y eut une panne d'électricité) ".
La violence du séisme du 6 septembre 1934 endommagea gravement
plusieurs agglomérations..A Carnot, Lucien Rénier,
dont la maison fut détruite, adressait à un proche
cette photoqu'il commente ainsi: " Recevez ce petit souvenir
quivous rappellera des momentsbien pénibles ".(coll.
famille Vire).
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Ce séisme de 1934, toujours présent dans la mémoire
collective des " Carnotiens " eut lieu sous la municipalité
présidée par M. Junillon.
" Malgré les secousses qui se succédèrent
sans arrêt, on se hasarda tout de même à rentrer dans
les chambres pour prendre en toute hâte, le linge pour se vêtir
un peu. Dans les rues ce n'était plus qu'un va-et-vient. Des rumeurs
circulèrent de tous côtés; des maisons s'étaient
effondrées: y aurait-il eu des victimes? ". Il faut aller
porter secours aux malheureux qui sont sous les décombres. Le bilan
de cette secousse se solda par quelques blessés; par miracle il
n'y eut pas de morts ; par contre les dégâts furent considérables.
Toutes les maisons étaient inhabitables et certaines s'étaient
écroulées.
Les secousses se poursuivirent jusqu'au mois de novembre finissant de
démolir ce qui était encore debout. Après ce séisme
de forte magnitude, Carnot sera reconstruit selon une technique antisismique.
Afin d'inciter les Musulmans à se rapprocher du village, une mosquée
et de petites maisons sont construites à leur intention à
l'extrémité nord du boulevard du Techta. Très attachés
à leurs mechtas des douars des environs ils délaisseront
ces maisons qui resteront inoccupées jusqu'en 1936.
- 9 septembre 1954: Carnot reconstruit aux normes antisismiques est un
peu moins éprouvé. Les pertes humaines furent par contre
très importantes à Orléansville et dans les environs,
à Warnier, Flatters, Hanoteau, Souk el Tenine.
A Carnot, la Tour de l'horloge, située dans l'enceinte de l'école
résista, malgré sa hauteur à toutes les secousses.
Cela grâce à son ossature métallique. En 1962, elle
était encore là, témoin de l'histoire du village.
La maison du D' Roux, médecin communal
(coll. Jeanne Nourry-Bresson).
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Les commerçants,
artisans,
agriculteurs et viticulteurs de Carnot
La Société musicale " Union de
Carnot ", dirigée par M. Coudert, animait les fêtes
du village.
Cafés : Antoine Ali, Mlle Joséphine Bey, A.
Guergue, Louis Rolland; boulangers: Auguste Domangeon, M.
Orange; boucher: J. Gounelle ; briquetier: J. Maillebiau;
charrons-forgerons: Jules Bresson, Antoine Rénier;
coiffeur : fils Busquet ; crin végétal ou
crin d'Afrique : Colomb-Bonnet; cordonnier: Justin Eyraud
; transport des dépêches : Louis Rolland; distillateurs
: Marie Coudert, Lucien Junillon, Jean Appe; entrepreneur de
travaux publics : Antoine Bernard; épiciers :
Antoine Ali, Hamed Eladj, M'zian Ben Ziam, Flandin, Georges Roudot;
grains : El Hadj, Mohamed bel Hadj, Louis Flandin, François
Passeron ; hôtel de France : Mlle Josephine Bey,
hôtel de la Poste: Louis Rolland; maçons
: Alexis Cabot, Félix Badial ; maréchaux- ferrants
: Jules Bresson, Jean Coudert, Louis Coudert, Antoine Renier; menuisiers
: Antoine Guergue, Louis Biallet ; merciers : Louis Flandin,
G. Roudot; peintre: Francis Bourdier; pharmacien:
Eugène Roux; plâtrier: François Bourdier;
tabacs et poudre de la Régie : M. Roudot; transports
terrestres: Louis Rolland. Agriculteurs : Antoine Altairac,
A. Bernard, Bernard Fischer, Louis Flandin, Auguste Guibert, Georges
Louis, Firmin Rivière, Eugène Sigaud, J. Maillebiau,
Eugène Roux, Pierre Toesca, Vincent Torré.
Originaires de départements viticoles comme l'Hérault,
quelques-uns des colons de Carnot plantèrent de la vigne:
Jean-Baptiste Appe, A. Bernard, Bouillet, Guibert, L. Junillon,
Armand Mesnard, Moulis, Rouquet, Fougue, Rivière, Eugène
Roux, Torré, Marius Fougue, Eusèbe Guibert.
Agriculteurs-viticulteurs : Jean-Baptiste Appe, A. Bernard,
Georges Louis, Lucien Junillon, Rivière, Vve Augustin, Vire,
Jules Bresson.
La qualité des vins de Carnot fut appréciée
à l'étranger, puisque l'un de ses producteurs fut
primé à l'exposition de Moscou en 1891, ainsi qu'à
celle de Chicago en 1895
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Carnot et la guerre
d'Espagne
A partir de 1937-1938, le village accueille
les réfugiés de l'Espagne républicaine, des centaines
d'hommes, femmes, enfants, s'entassaient dans des cargos rouillés
au départ des ports de Valence ou de Barcelone. Les " Carnotiens
" se souviennent que certains de leurs aïeux étaient
des colons de 1848. D'autres étaient arrivés en Algérie
à la suite des " transportations " ordonnées par
décret du 8 décembre 1851 du ministre de l'Intérieur
Charles de Morny, après le coup d'état du Prince-Président,
futur Napoléon III. Installés dans la cité délaissée
par les musulmans restés dans leurs mechtas, ces réfugiés
arrivent à une époque où la mécanisation se
développe dans tous les secteurs, agriculture, transports, travaux
publics. Les femmes trouvent des emplois de couturières ou dans
les ateliers de conditionnement de fruits et légumes. Ces Espagnols
seront très vite intégrés dans la vie du village.
Carnot et la guerre
de 1939-1945
Le deuxième conflit mondial, et la
mobilisation qui suivit, prive brutalement les fermes de tous les hommes
appelés dans les casernes ou dans les usines d'Orléansville,
de Blida et d'Alger. L'ampleur de la mobilisation avec rappel des anciens
combattants de 1914-1918, entrave profondément l'activité
économique. Une fois de plus les femmes se retrouvent seules pour
les semailles avec l'aide dévouée d'ouvriers sédentaires
logés sur les fermes ou au village. L'armistice de juin 1940, est
le début d'une période difficile, où il faut remédier
à toutes les pénuries, pièces détachées,
carburant, retour à la traction animale. La société
Blachère s'équipe d'un convertisseur Bessemer. Pièces
de rechange corps de pompe " Recta " pour l'irrigation et cuves
de gazogène pour les moteurs sont fondus à Hussein-Dey.
En l'absence de sucreries, l'Algérie consomme du sucre extrait
des moûts de raisin. A Carnot, les cultures d'artichauts "
violet d'Alger " s'effacent devant les pommes de terre qui sont,
elles aussi, faute de plants de Bretagne, remplacées par des topinambours.
Les lentilles et pois chiches, (succédané du café)
s'insèrent dans les assolements. Les flocons neigeux du coton réapparaissent,
après l'abandon, dans les années trente de cette culture
industrielle. C'est le " retour à la terre "; certains
garçons sont orientés vers les écoles d'agriculture.
Ces établissements sont très peu fréquentés
par les autochtones qui leur préfèrent les facultés
de droit, de médecine ou l'enseignement. Les filles vont à
l'école ménagère du
jardin d'Essai.
Entre 1940 et 1942, le village accueille des Anglais assignés à
résidence après l'attaque de Mers el-Kebir, par la "
Home fleet " le 5 juillet 1940.
Après leur libération, en novembre 1942, ces soldats britanniques,
dont la captivité fut adoucie par la possibilité de circuler
dans Carnot, furent remplacés dans le camp par plusieurs centaines
de prisonniers de guerre italiens, en majorité, et par quelques
Allemands. Très humainement traités, répartis dans
les fermes où certains étaient logés et nourris,
ils ne regagnaient le camp que sous la responsabilité de leur employeur.
Parmi ces hommes beaucoup développaient des talents d'artistes.
Ils contribuèrent à pallier les vides causés par
la mobilisation de plus de 16 % de la population européenne, tous
âges confondus.
A la sortie de ce conflit, que reste-t-il des familles inscrites il y
a plus de soixante ans sur l'état nominatif du 16 avril 1884 ?
Sur les quatre-vingt-trois foyers qui furent à l'origine du village,
les trois quarts ont disparu et se sont fondus dans un petit noyau de
vingt-deux familles, liées entre elles par les liens tissés
au cours de mariages successifs. Tous les maires qui se sont succédé
sont issus de ces foyers consolidés par les épreuves passées,
séismes, guerres et les aléas d'un climat capricieux. En
raison d'acquisitions ou de partages, les propriétés se
sont agrandies. Les trois mille hectares du périmètre sont
répartis par moitié entre le blé dur et le blé
tendre. Les berges du Chéliff se colorent de vert et au printemps
s'imprégnent du doux parfum de la fleur d'oranger. Le village reconstruit
est une immense famille où se retrouvent les descendants des pionniers
arrivés à Carnot sur des chariots dans une plaine aride,
écrasée de soleil. Riches de l'histoire de ce village, les
descendants de ces familles se réunissent dans toutes les grandes
occasions à l'église, au cimetière ou autour du monument
de Lazare Carnot, érigé le 1er janvier 1892, dont ils sont
si fiers.
Ameller, Appe, Audibert, Bretton, Bonnet, Coudert, Cruciati, Damais, Ducou,
Flandin, Junillon, Lamberton, Passeron, Renier, Rolland, Roudot, Rouquet,
Tardy, Toesca, Vigneron, Vire. Et nous ne citerons pas ceux, trop nombreux,
qui les ont rejoints, au fil des ans, ainsi que leurs descendants.
Carnot à l'ombre
de son clocher et de son minaret
Le nouveau groupe scolaire et l'horloge de Carnot
(coll. Jeanne Nourry-Bresson).
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Les " Carnotiens " ont une grande
spiritualité. Ils ont le sens du " sacré ". Toutes
les fêtes chrétiennes et musulmanes sont célébrées
avec une grande ferveur partagée par les fidèles de toutes
les communautés. Le jeûne du Ramadan, le carême des
chrétiens, l'Aïd es Seghir, l'Aïd el Kebir, les Pâques,
l'Achoura, la Noël, le Mouloud. Toujours respectées, les blanches
koubbas surmontées du croissant de l'Islam, étaient dispersées
au milieu des champs. Elles recevaient la visite de cohortes de femmes
voilées, venues prier sur la tombe d'un marabout vénéré,
accompagnées d'enfants les doigts teintés de henné.
De même, il était courant de découvrir dans les jardins
un humble sanctuaire aménagé près d'un puits, source
de vie, dans une anfractuosité de rocher ou de mur. Consacré
à la Vierge et à son enfant, ce pieux hommage chrétien
à Marie-Meriem, entourée de fleurs des champs, robustes
marguerites, frêles coquelicots ou parfois buisson d'héliotrope,
au parfum vanillé, était l'objet du même respect,
de la part des musulmans. Comme dans tous les villages, l'indifférence
n'existait pas, chrétiens, israélites et musulmans étaient
très attentifs aux convictions religieuses des uns et des autres.
Ces fêtes donnaient l'occasion d'échanger de petits présents
et d'offrir des friandises faites " maison ".
Le monument et l'horloge sont toujours présents dans la mémoire
de ceux qui passèrent leur enfance dans ce village. La statue était
un point de rencontre où se tenaient de graves conciliabules enfantins.
La tour de l'horloge, dans l'enceinte de l'école, réservait
bien des surprises, avec sa cloche dont les coups répétés
appelaient les habitants à se réunir pour lutter contre
l'incendie d'une meule ou d'un hangar. Au printemps un couple de cigognes
aux ailes blanches et noires s'exprimait en craquettements sonores. Après
l'éclosion des oeufs, petits reptiles et crapauds échappés
des becs malhabiles des cigogneaux, s'écrasaient désagréablement
sur le crâne ou le tablier d'un étourdi attardé sous
le chassis... Les jeudis et durant les vacances, de petits groupes d'enfants
s'égaillaient en toute sécurité sur le bord du Boukhelli,
pour cueillir des asperges vertes ou ramasser des escargots après
une averse. Leurs petits camarades musulmans excellaient dans la pose,
près d'une source, de petits perchoirs imprégnés
des gouttes de glu recueillies sur les chardons. Alors qu'un peu plus
loin, ils s'émerveillaient devant le méticuleux enchevêtrement
de brindilles, de plumes et de laine, d'un nid de chardonnerets. L'oued
situé tout près du village était le lieu idéal
pour observer les curieuses facultés des caméléons
et autres petits lézards. Pour les plus grands, la chasse aux grasses
calandres, gavées de raisin et de blé, donnait lieu en septembre-octobre
à d'impressionnants tableaux de chasse. Plus tard, adolescents,
jeunes Carnotiennes en jupes " vichy " à carreaux et
Carnotiens se retrouvaient dimanches et fêtes, Pentecôte,
14 juillet, 15 août etc, dans la salle du foyer rural ou du café
Junillon pour danser sur des airs de jazz de Sydney Bechet " Petite
fleur " ou de Louis Armstrong. De nombreux jeunes gens, venaient
en voisins des villages environnants : Oued-Fodda, Wattignies, Rouïna,
Francis-Garnier, Pontéba, voire même de la grande cité
d'Orléansville. C'est dans ces rencontres que s'ébauchèrent
de tendres liaisons, de nouveaux couples et un agrandissement de la belle
famille des Carnotiens
Carnot: la peur... et
l'exode
Après 1954, le village demeure quelques
temps encore une oasis de paix. Puis c'est ensuite, l'inexorable enchaînement
: les intimidations, exactions, incendies de gerbiers, de meules de paille
et de hangars. Des installations de pompage des bords du Chéliff
sont sabotées. A partir de 1960, en raison des attentats et des
enlèvements, la solidarité qui liait traditionnellement
chrétiens et musulmans s'efface devant la peur.
Aussi, ce n'est pas sans une certaine appréhension que l'on répond
la nuit à une demande de secours. Que l'on ouvre sa porte à
un voisin musulman pour amener un malade ou une femme enceinte à
l'hôpital de Saint- Cyprien où, fraternellement les Soeurs
blanches poursuivaient l'oeuvre du cardinal Lavigerie.
Les postes de garde des militaires sont entourés de sacs de sable.
Carnot paisible village, se protège derrière des réseaux
de fils de fer barbelés. En 1962, enfin, s'ajoutaient les réquisitions
et les demandes de contribution financière à la rebellion.
Il fallut bien se résoudre, malgré les témoignages
d'affection des amis musulmans à abandonner des champs fertilisés
au prix de douloureux sacrifices, la maison de son enfance, l'église,
le cimetière et à regarder disparaître Carnot, après
le premier virage de la route des Attafs.
C'est alors que commence le calvaire d'un long et angoissant voyage vers
la métropole que beaucoup ne connaissent pas. Malheureusement,
quelques-uns de ceux que l'on qualifie de " gros colons " n'ont
même pas les moyens de payer leur billet pour voyager sur le pont
d'un bateau.
C'est le triste exode sur une route familière, mais hostile, au
travers d'inquiétants barrages d'hommes armés. Aucune vexation,
(perquisition sur de pauvres valises et spoliation) ne leur est épargnée.
Sous de fallacieuses promesses la nouvelle Algérie chasse ceux
que la France y avait envoyés. Ils avaient mis toute leur confiance,
apporté généreusement leurs talents et leur travail
au service de ce pays. Il restait encore beaucoup à faire pour
consolider l'oeuvre accomplie dans une ambiance de respect et d'estime
réciproque. C'est alors la fin de Carnot, riche de plusieurs mémoires,
celle de " l'organisateur de la victoire ", de sa statue, elle
aussi dans un morne exil et de tous les enfants de ce village. C'est aussi
la mémoire de cet accueillant et hospitalier village de France,
transplanté sur les rives du Chéliff. Partis de Carnot,
où ils étaient minoritaires en nombre mais où ils
avaient leur place, ils se retrouvent encore minoritaires à Marseille
dans un pays qui a oublié le principe de solidarité et où
seul le nom de Carnoux en Provence leur est familier, sans le connaître.
Mais Carnoux n'est pas Carnot et dans l'Aude, l'Hérault, le Tarn
et le pays niçois, les liens avec de lointains cousins se sont
distendus.
Juin-juillet 1962, c'est l'exode digne et silencieux des Français
d'Algérie. Le
paquebot El-Djezaïr surchargé, dont les cabines
et entreponts n'offrent plus que l'inconfort d'un transport de troupes
va doubler le musoir nord du
port d'Alger.
Enfin, c'est l'arrachement de tous les descendants meurtris des pionniers
qui construisirent Carnot. Unis, en une seule et même grande famille,
c'est avec une grande dignité qu'anciens et jeunes de ce village
plongent leurs racines dans une métropole
indifférente. Soudés par la pensée, pour ne rien
oublier de l'ceuvre accomplie sur les bords du Chéliff, au contact
permanent de 6000 musulmans dont ils avaient capté la confiance
et l'estime, ils commencent une nouvelle carrière.
Riches de l'expérience acquise dans l'adversité, ils retrouvent
le dynamisme des origines, c'est vers l'avenir que désormais ils
se tournent.
Avec les plus vifs remerciements
de l'auteur au Dr Georges Duboucher pour sa documentation; à
MM. Jacques Fourny et Armand Toesca pour leur iconographie; Mmes Gabrielle
Libourel et Jeanne NourryBresson pour leurs souvenirs de Carnot, et
M. Alain Vire pour ses souvenirs familiaux. |
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