--------------ASSISTANT
à la pose de la première pierre de la nouvelle Bibliothèque
nationale d'Alger, ce matin
radieux du 20 avril 1954, en présence de M. Julien Cain, directeur
des Bibliothèques de France. représentant le ministre de
l'Education nationale, de M. Léonard, gouverneur général
de l'Algérie. de M. Gau, recteur de l'Université, et de
Mlle Germaine Lebel, administrateur de la Bibliothèque nationale,
qui allait être véritablement l'âme et le coeur de
l'immense construction prévue au Parc
des Tagarins, en surplomb des bureaux du Gouvernement et du
fameux
forum, nous nous sentions non pas sceptiques, mais vaguement
inquiets. Nous évoquions le vieux palais mauresque de la rue de
l'Etat-Major (maintenant rue Emile-Maupas ), les heures exquises de notre
lointaine jeunesse estudiantine (avant 1914 quand nous allions somnoler
dans la fraîche obscurité des salles en couloirs qui sentaient
la poussière et le vieil imprimé, au murmure du jet d'eau
dans la vasque du patio de marbre. Nous songions à l'accueil bleu
et blanc des carreaux de Delft de la sqîfa, derrière la massive
porte aux clous de cuivre, au buste bienveillant du grand arabisant Louis
Jacques Bresnier, entre les plantes vertes, dans la cour.
--------------La
paix y régnait plus encore qu'au Musée municipal, sur la
caserne des pompiers de la rue de Constantine (aujourd'hui Aletti ) et
ce n'était pas peu dire.
--------------Certes,
la vétuste Bibliothèque nationale d'Alger
ne pouvait plus vivre dans la basse Casbah. Pleine à refus, elle
rejetait le flot de volumes neufs qui lui arrivait chaque jour et que
l'on ne savait plus où déverser ; les initiés n'ignoraient
point que l'humidité de l'ancienne résidence du Dey Mustapha
Pacha piquait et rongeait les manuscrits précieux, les livres rares
qui y étaient déposés ; enfin, avec l'extension extraordinaire
des facultés, des lycées et, en général, de
la vie intellectuelle algérienne, c'est-à-dire de la demande
de lecture, le service de la Bibliothèque devenait impraticable
à cause de l'exiguïté des pièces sans air ni
lumière, des recoins multiples et inutiles, des escaliers tortueux
et de l'absence de tant de condition nécessaires à une bibliothèque
moderne.
--------------Qu'aurions-nous
à la place ?
--------------On
allait donc construire, sur les plans de l'excellent architecte Louis
Tombarel et de son distingue collaborateur, l'ingénieur Schulz,
de vastes bâtiments depuis longtemps attendus, que Mlle Lebel avait
demandés en 1948, dès sa nomination, après la retraite
de son éminent prédécesseur, Gabriel Esquer, en soulignant
l'urgence d'un transfert et la nécessité d'une réorganisation
fondamentale de la Bibliothèque nationale. <
--------------Ces projets, largement approuvés
par M. Lelièvre, inspecteur général des Bibliothèques,
qui, sur place. s'était rendu compte de leur bien-fondé,
fortement appuyés par le Rectorat d'Alger, allaient enfin aboutir.
On avait trouvé le terrain, propriété de la Direction
générale de l'Education nationale (Education physique et
Sports) ; on associait aux dépenses de l'entreprise, considérables
autant que l'ensemble à construire, le Service de la Mécanographie
des Finances, qui cherchait des locaux et qui allait en avoir, au rez-de-chaussée,
complètement séparés de ceux de la Bibliothèque.
--------------On
posait donc le premier bloc de l'édifice, au milieu des discours
optimistes et dans l'allégresse des Algérois, au moins de
ceux qu'intéressait la lecture. Quel en serait l'avenir ?
--------------La
réponse nous est magnifiquement donnée aujourd'hui. Quel
habitant d'Alger, quel Algérien connaissant un peu la capitale
ne serait fier de ce splendide bâtiment, orgueil de la ville et
du pays, qui fait l'admiration des étrangers de passage et un peu
l'envie des spécialistes, même venus d'Amérique. La
nouvelle Bibliothèque nationale, élevée sur la colline
des Tagarins, dans l'axe du large boulevard central où se dressent
la Grande Poste, la Direction des Douanes, le Monument aux morts d'Alger,
la Délégation générale, domine l'admirable
paysage de la baie avec le port de l'Agha
et, au-delà, dans la courbe des terres qui se déroule depuis
le cap
Matifou, les agglomérations de Fort-de-l'Eau,
de Maison-Carrée,
d'Hussein-Dey,
de Mustapha, dont les mille lumières, le soir, font des guirlandes
enchantées sur le bleu sombre de la mer. C'est désormais
un lieu de prédilection des citadins, un but de promenade pour
les touristes, au milieu des jardins où flamboient les fleurs d'hibiscus
et de bougainvillées, des stades où toute une jeunesse vigoureuse
se livre au plaisir des sports. Le quartier, d'ailleurs, est presque entièrement
voué à l'Université puisque les anciennes Facultés,
maintenant trop étroites, ne sont qu'à quelques minutes
de là et que les constructions prévues au plan d'urbanisme
ont surgi, pour l'Institut d'études nucléaires, la Maison
de l'ingénieur, etc., groupées dans ce remarquable site
autour de la Bibliothèque. En outre, l'avenue De Lattre de Tassigny,
qui longe la façade de celle-ci, relie Alger à
El-Biar
et à Ben-Aknoun,
d'ou descendent pour travailler, avant même d'avoir atteint le coeur
de la ville, étudiants et étudiantes des Cités universitaires.
--------------Considérons,
avant d'y pénétrer, l'extérieur de la Bibliothèque
nationale. La façade orientée vers le soleil levant, revêtue
de marbre vert de Vérone, nous offre de grandioses proportions
: 122 m de long et 17 m de haut. Le toit, aménagé en terrasse
(superficie de 2 860 m2 ), est orné d'un jardin suspendu (provisoirement
non accessible au public ). Au pied de la façade s'étend
un vaste parvis, dallé de beige et de bleu, prolongé par
les plates-bandes qui bordent le boulevard, fleuries autour d'arbustes
exotiques, de pervenches, fuchsias et lantaniers. Des jets d'eau complètent
ce ravissant jardin que la municipalité d'Alger, dès les
premiers jours, eut à coeur d'entretenir avec grand soin. A mi-hauteur
de la façade, une puissantes horizontales du bâtiment que
font valoir vingt hautes colonnes.
--------------Sur
le parvis, au niveau du premier sous-sol, un garage a été
aménagé pour le stationnement des voitures.De part et d'autre
de la façade, des rampes conluisent, vers la gauche, à l'entrée
de la bibliothèque et
de ses principaux services ; vers la droite, à la salle d'exposition
et au nouveau e département " de la musique, si ce nom n'est
pas trop prétentieux. Les deux façades latérales
mesurent 35 m de profondeur.
--------------On
entre dans le vaste hall-vestibule par un escalier de vingt marches de
marbre blanc et vert et un monumental portail de verre, qu'une grille
de fer ajouré descend protéger aux heures de fermeture.
On découvre de là une perspective (qu'un visiteur romantique
qualifierait de babylonienne), laissant voir, sur une
profondeur de plus de cent mètres, la salle du catalogue et des
fichiers, puis l'immense salle de lecture (une réussite qui provoque
invariablement l'enthousiasme du passant), dans laquelle se pressent chaque
jour, en permanence, de 300 à 500 lecteurs. Tout à l'extrémité
s'ouvrent le " Fonds arabe" et la salle de la Réserve.
--------------L'édifice
intérieur, en dehors de ce plan réservé au public
habituel, s'étage sur dix niveaux différents,
entre les cotes 84 et 109, aménagés en magasins de livres,
desservis par plusieurs ascenseurs et monte-charge. La répartition
des locaux a été conçue en raison des différents
services que la Bibliothèque abrite et selon le rôle qu'elle
est appelée à jouer comme centre culturel. L'institution
présente, en effet, le double aspect d'une bibliothèque
nord-africaine, centralisant tout ce qui concerne l'Afrique du Nord et
les questions islamiques, et d'une bibliothèque de documentation
générale, à caractère encyclopédique,
représentative de la pensée française et de la civilisation
européenne. De plus, elle est le siège de la régie
du dépôt légal et elle fonctionne comme Bibliothèque
de Prêt pour le service de la lecture publique
en Algérie. Enfin, , des sections annexes ont été
créées, depuis l'ouverture des nouveaux locaux, et comprennent
une importante bibliothèque musicale, une riche discothèque,
un service de microfilm et de photocopie, et l'organisation d'expositions
périodiques sur des sujets historiques ou actuels.
--------------Mais revenons
à ce hall d'entrée, d'où nous pourrons parcourir
l'intérieur de la bibliothèque, guidés par Mlle Lebel,
qui joint à une incontestable autorité une compétence
rare et une exquise amabilité.
--------------Cette
antichambre, qui n'a pas moins de 30 m de long, bien éclairée
par un vaste lanterneau, est compartimentée par des colonnes qui
séparent une banque de prêt de la salle des catalogues.
Contre les murs sont de claires vitrines où se renouvellent souvent
de petites expositions de livres et
manuscrits précieux, consacrés au fonds arabe et au fonds
français; on s'y arrete, à peine arrivé, déjà
plein d'impressions extremement agreables. A droite du hall, on aperçoit
le vestiaire et les bureaux administratifs, secrétariat, comptabilité,
, rédaction des fiches, etc. ; à gauche, les lavabos et
un grand local, en cours d'aménagement, qui sera la salle des périodiques.
Le long comptoir en acajou verni de la banque de prêt permet la
distribution directe des livres aux emprunteurs. Cette bibliothèque
de prêt est ouverte au grand public comme aux étudiants.
Quant à la salle des catalogues, au bout du hall d'entrée,
elle contient plus de 500 fichiers métalliques de format international
(plus les 36 fichiers de l'ancien catalogue ) comprenant un catalogue
alphabétique des auteurs, plus les anonymes, un catalogue alphabétique
des matières, le catalogue méthodique ainsi que celui des
collections, des périodiques, du fonds oriental, de la musique
et des disques, des fonds spéciaux (Stéphane Gsell, Savorgnan
de Brazza, etc...), enfin le catalogue du fonds de prêt. Complétant
l'installation, une petite salle de bibliographie a été
aménagée pour la consultation, par les lecteurs, des différents
ouvrages et tables de référence.
--------------Munis
de nos renseignements, notre bulletin de demande convenablement rempli,
nous pénétrons de plain-pied dans la silencieuse, la studieuse
salle de lecture du fonds général, aux lignes sobres et
grandioses, dont seize colonnes colossales supportent le haut plafond,
d'où tombe, le soir, un éclairage par tubes fluorescents
sous plaques diffusantes. De jour, l'éclairage est assuré
par quinze larges portes-fenêtres en glace securit ouvrant sur la
terrasse couverte, avec pour toile de fond la lumineuse baie d'Alger et
les bleues montagnes de l'Atlas. Cette immense salle est séparée
magasins à livres par une cloison métallique vitrée
de verre armé dépoli.
--------------La
superficie de 1 000 m2 est occupée par des tables de chêne
clair revêtu de vernis vitrifiant, aménagées pour
quatre ou six lecteurs, avec fauteuils assortis, au siège recouvert
de tissu vinylique gris bleu, soit 312 places. Au fond, une salle à
mi-cloison de 21 places est réservée aux professeurs de
l'Université et aux personnalités désireuses de travailler
isolément ; des meubles bas à casiers l'entourent, contenant
les fascicules récents des principaux périodiques.
--------------Les
places sont marquées par des numéros en matière plastique
bleue, très lisibles sur le bois clair.
--------------Ayant
retenu sa place, le bulletin complété par le numéro
de cette place, le lecteur remet sa demande au comptoir de distribution
des livres (en chêne clair comme tout l'ameublement), comptoir semi-circulaire
au centre de la salle, en face de la terrasse. Les bulletins de demande
partent par tubes pneumatiques aux divers étages des magasins ;
des renseignements complémentaires peuvent être éventuellement
communiqués aux garçons de magasins par un système
d'interphones. Enfin, des appareils de signalisation lumineuse avisent
automatiquement l'usager que les ouvrages réclamés sont
à sa disposition. Tout se passe vite et en silence.
--------------Le
long des murs de la grande salle courent des rayonnages, accessibles à
tous, pourvus des dictionnaires, encyclopédies, biographies, recueils
de droit, de médecine, de sciences, de technologie, souhaitables
par l'étudiant le plus scrupuleux, le chercheur le plus exigeant.
--------------Si
le lecteur ne craint ni l'enchantement ni la distraction d'une ambiance
pleine de charme, il peut passer de la grande salle de lecture à
la terrasse-loggia où 54 places s'offriront à son choix,
dans un décor
de rêve avec un mobilier - métal et formica gris clair -
spécialement conçu pour le séjour en plein air. C'est
surtout d'avril à octobre que les amateurs se disputent les sièges,
mais l'agrément n'est pas exclu de la lecture dehors par un beau
matin de janvier, quand le soleil emplit la loggia de ses rayons, et même
par temps de pluie, dont on est totalement protégé, s'il
ne fait pas froid.
---------------Continuant
notre visite, nous trouverons une seconde salle de lecture, moins vaste,
sans doute, que la précédente, et plus intime, mais pareillement
meublée et susceptible encore de recevoir une centaine de lecteurs.
La vue y est la même, sur la Méditerranée et les lointains
monts de Kabylie. Nous pourrons consulter là les savants et pittoresques
livres du fonds arabe, aux beaux caractères, sous la surveillance
aimable d'un bibliothécaire spécialisé. On y aura
aussi les volumes de la " Réserve " dont l'utilisation,
dans une pièce plus à la mesure de l'homme, sera plus facilement
contrôlable.
------------En
fin de promenade, presque à l'extrémité du plan,
on arrive à la bibliothèque musicale, dont le premier fonds
fut constitué par un dépôt de la vieille Société
des Beaux-Arts d'Alger (créée en 1851) dont les locaux étaient
devenus insuffisants pour contenir la masse de partitions acquises ou
recueillies surtout de-puis une trentaine d'années. Le recensement,
en juin 1960, accusait 22 371 partitions de musique d'orchestre, de chambre,
d'instruments seuls ou accompagnés, enfin d'opéras, oratorios
ou choeurs ; mais le chiffre actuel, compte tenu des apports nouveaux,
dépasse certainement 24 000. Les prêts de musique à
l'extérieur sont exceptionnels, car cette bibliothèque est
destinée à la documentation et à l'étude,
non à des répétitions et exécutions par des
tiers, sauf cas spéciaux. Des tables et des chaises sont à
la disposition des lecteurs : il n'est pas interdit de souhaiter qu'un
jour un bon piano s'y trouve aussi, pour le déchiffrage des oeuvres.
--------------Ayant
parcouru de bout en bout le plan principal de la Bibliothèque nationale,
on serait tenté de se croire très renseigné sur cette
splendide réalisation. En fait, on n'en aura vu que la partie la
plus banale.
--------------Toutes
les annexes, toutes les activités hors du public habituel méritent
pourtant d'être connues et révélées.
---------------Puisque
nous étions parvenus à l'extrémité nord des
bâtiments, il nous faut visiter les deux niveaux aménagés
en salie d'exposition, niveaux superposés : l'un à l'entresol,
d'une surface d'exposition de 200 m2, avant son entrée par la rampe
extérieure à droite en regardant la façade, avec
une porte en dalles de verre ouvrant sur un tambour ; l'autre au premier
étage, d'une surface de 117 m2, avec entrée par le palier
de la bibliothèque musicale. Ces deux plans sont réunis
par un élégant escalier hélicoïdal. Selon l'importance
de l'exposition, il est possible d'utiliser ainsi les vitrines murales
ou centrales de l'un ou l'autre niveau, nu des deux ensemble.
--------------On
se souvient de l'intéressante exposition organisée la par
Mlle Lebel et ses collaborateurs, lors de l'inauguration officielle de
la Bibliothèque nationale. Des manuscrits et documents émouvants
du Père de Foucauld, d'une part ; des manuscrits arabes, turcs
et persans du Moyen Age avec enluminures, d'autre part,
réalisaient un ensemble rare, une sorte de passionnante synthèse
d'un rapprochement de l'Orient et de l'Occident.
-------------A l'autre extrémité des
locaux, à un étage au-dessus du plan principal auquel on
accède par un autre escalier agréable, nous verrons d'abord
les bureaux de l'Administrateur, de ses secrétaires, du standard
télé-phonique, locaux clairs, de décoration simple
et somptueuse à la fois ; puis les installations d'une discothèque,
déjà fort riche, avec bureau du préposé, armoires
à disques, et deux cabines d'audition, spécialement aménagées
et insonorisées, pouvant recevoir chacune trois personnes assises
à l'aise.
--------------Plus
loin se trouvent encore un atelier de micro-film et de photocopie, avec
laboratoires annexes pour le développement et le séchage
des films ; une salle de lecture des microfilms, avec les appareils d'optique
et de projections adéquats. D'autres locaux, spacieux mais non
encore aménagés (tout ne peut être fait à la
fois) sont prévus à proximité pour le service des
cartes et plans.
-
-------------Mais la plus forte impression que l'on
ressentira au cours de cette intéressante visite sera réservée
au passage le long des couloirs des magasins à livres. Sur dix
étages, climatisés, asséchés, chauffés
par air pulsé, dix étages munis d'un appareillage perfectionné
de détection d'incendie (la moindre fumée dégagée
déclenche l'alarme), 36 kilomètres de rayonnages métalliques
sont prévus pour le rangement de 1 200 000 volumes. A l'heure actuelle,
17 kilomètres seulement ont été aménagés
et abritent environ 470 000 volumes imprimés. L'éclairage
des travées se fait par fenêtres étanches donnant
sur la cour anglaise derrière les bâtiments, munies de vitres
spéciales " athermic ", absorbant les rayons calorifiques
du soleil. Il va sans dire qu'un immense réseau électrique
de lampes au néon vient s'ajouter à la lumière naturelle.
--------------On
se promène, d'un niveau à l'autre, en ce labyrinthe entre
les files de livres sans fin, avec l'idée - imagination d'un profane
! - qu'on s'y perdra pendant les rêves de la prochaine nuit, où
l'on doit périr noyé au flot montant des volumes.
--------------Et
l'on est comme soulagé lorsque l'ascenseur vous descend jusqu'au
rez-de-chaussée, au niveau du boulevard, où l'on parcourra
encore les salles du dépôt légal et de la lecture
publique (430 m2 pour celle-ci), puis le garage, après les salles
de manutention et d'emballage, les locaux sanitaires, le vestibule d'entrée
du personnel avec ses vestiaires et son horloge de pointage ; le garage
où se profilent, parmi les camion-nettes de service, les bons "
bibliobus " qui vont porter périodiquement des livres à
la population et aux écoliers de plus de 350 centres de lecture
à travers plaines et monts, chemins et pistes de l'Algérie
et du Sahara.
--------------Telle
est la nouvelle Bibliothèque nationale d'Alger... qui ne nous fait
pas regretter l'ancienne. Avec la collaboration de tout un personnel,
Européens et musulmans, derrière la vaillante directrice
qui, jour après jour - j'en peux témoigner - en assura énergique-ment
l'extraordinaire réalisation, elle porte la marque du génie
de la France ; elle est ouverte largement au travail et à l'avenir
d'une jeunesse ardente, dans une Algérie pacifiée, heureuse
et féconde.
--------------On
pourrait aisément remplir plusieurs numéros d'Algéria
avec les descriptions des merveilles, littéraires ou iconographiques,
que recèle la bibliothèque. Ceux qui s'y intéressent
ont la possibilité d'aller les voir. Mieux vaut peut-être
s'arrêter sur cette éloquente liste de renseignements que
j'ai transcrits d'après les données du ler juillet 1961
:
--------------Nombre
de lecteurs réguliers inscrits au Secrétariat de la Bibliothèque
: 14 791, dont 2 383 musulmans. La grosse majorité de ces lecteurs
est faite de membres de l'enseignement et d'étudiants.
--------------Moyenne
mensuelle de lecteurs: plus de 7000.
--------------Le
fonds oriental comprend: 3 000 manuscrits arabes, turcs et persans
; et environ 30 000 volumes imprimés.
--------------Le
fonds français comprend : environ 450 000 volumes imprimés.
--------------Les
périodiques atteignent le nombre de 2 138 revues et journaux.
--------------La
bibliothèque musicale comprend: environ 24 000 partitions.
--------------La
discothèque rassemble 1 600 disques microsillons.
--------------Le
service de la Lecture publique dessert 357 centres de lecture dans
les 12 départements algériens et le Sahara, avec une collection
d'environ 55 000 volumes.
Gabriel ESQUER
--------------L
E monde des lettres algériennes a subi cette année
une grande perte à la disparition de Gabriel Esquer, archiviste-paléographe,
ancien administrateur de la Bibliothèque nationale d'Alger,
décédé le 14 avril 1961.
--------------Il était né
en 1876, dans le Minervois, près de Carcassonne, et après
d'excellentes études achevées à Paris, au lycée
Janson-de-Sailly, il était brillamment entré à
1'Ecole des Chartes. Sa thèse sur le dernier Valois François
d'Alençon et d'Anjou fut remarquée.
--------------Dès cette époque,
il ne dédaignait point le journalisme et donnait des billets
au Voltaire, au Cil Blas, à l'Aurore de Georges Clemenceau.
Pendant quelques mois secrétaire du Théâtre
des Mathurins, il eut l'occasion de se lier d'amitié avec
des artistes et des écrivains célèbres : Réjane,
Sarah Bernhardt, Mounet-Sully, Robert de Flers, Jules Renard, Emile
Faguet, Catulle-Mendès.
--------------Il quitta Paris en 1903,
pour être archiviste en chef du département du Cantal.
Séjournant cinq ans à Aurillac, il y écrivit
une étude sérieuse sur La Haute Auvergne à
la fin de l'Ancien Régime.
--------------Il devint Algérien
au début de 1909, ayant accepté sans hésitation
la nomination offerte d'archiviste du Gouvernement général.
Du 8 février 1909 à sa mort, pendant cinquante-deux
ans, il ne devait plus quitter ce pays auquel il s'était
profondément attaché, où il allait s'illustrer
aussi bien par une opiniâtre activité de chercheur,
de critique, d'historien, que par des ouvrages de haute classe et
d'une renommée internationale.
--------------Il fait la guerre 1914-18
dans l'Armée d'Afrique, en grande partie au front d'Orient.
(On connaissait bien le fanion de son bataillon de zouaves qu'il
conservait, en pieux souvenir, dans son petit bureau de l'ancienne
Bibliothèque nationale.) A sa démobilisation, il est
désigné comme administrateur de cette Bibliothèque,
succédant à Emile Maupas. Il est également
chargé de cours à la Faculté des Lettres d'Alger,
où des générations d'étudiants, à
son enseignement incisif et spirituel, découvrent les sciences
auxiliaires de l'histoire.
--------------Enfin, la Société
historique algérienne, la Fédération des Sociétés
savantes de l'Afrique du nord lui demandent d'être leur secrétaire
général. Longtemps, il assurera la publication de
l'importante Revue africaine. Il sera encore l'un des fondateurs
des Amis de la musique d'Alger.
--------------Son oeuvre historique,
considérable, basée sur une rigoureuse méthode,
unit une conscience scrupuleuse à un rare talent littéraire.
Spécialisé par ses fonctions dans les questions nord-africaines,
il a publié deux oeuvres monumentales, qui font autorité
: La prise d'Alger, 1830 et l'Iconographie historique
de l'Algérie (3 volumes, grand in-folio).
--------------Moins connus du grand
public, mais d'un intérêt non moindre, sont ses livres
de la collection " Documents inédits sur l'Histoire
de l'Algérie ", les Correspondances du Duc de
Rovigo (3 volumes), du Général Voirol,
du Général Drouet d'Erlon, du Maréchal
Clauzel (2 volumes) ; l'édition de la Reconnaissance
des ville, forts et batteries d'Alger par le chef de bataillon Boutin.
--------------Il
travaillait, quand la mort est venue le prendre, à l'énorme
publication de la Correspondance du Maréchal Bugeaud,
que son estimé collaborateur Pierre Boyer, archiviste de
la Région d'Alger, terminera seul.
--------------Enfin, Gabriel Esquer
a encore écrit, entre autres, un ouvrage sur le débarquement
allié de 1942, 8 novembre 1942, premier jour de la Libération,
une Histoire de l'Algérie (Horizons de France), une
Petite Histoire de l'Algérie (coll. " Que sais-je
? "), Alger et sa région (sites et monuments).
Il collabora au journal Combat pendant la Résistance, à
la revue Simoun, avec les savoureux essais sur La Vie intellectuelle
en Algérie, La vie de Petrus Borel le Lycanthrope, et, presque
jusqu'à ses derniers jours, au Journal d'Alger, où
il tenait la rubrique des livres nouveaux.
--------------Le souvenir de ce savant
éminent demeurera longtemps en Algérie. Sa conversation,
souvent caustique, toujours éblouissante d'intelligence et
d'à-propos, était un régal. Son opinion, comme
son patriotisme et sa morale, avait la rectitude et la rigueur d'une
règle. Il fut un homme de travail, de devoir, et, pour ses
élèves et ses familiers, un ami sûr et fidèle.
L.-L. B.
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