--------Créée
cinq ans seulement après la prise d'Alger, la Bibliothèque
Nationale se trouve être le plus ancien établissement culturel
de l'Algérie. C'est à Genty de Bussy, intendant civil de la
Régence d'Alger, ami des livres et poète à ses heures,
qu'on doit l'idée première de sa fondation - idée féconde,
mais dont la réalisation devait exiger plusieurs années. "
Nous allons bientôt posséder une bibliothèque
", annonçait, optimiste, le Moniteur Algérien, du 3 novembre
1832. Il fallut néanmoins attendre le 13 octobre 1835 pour qu'à
la demande du maréchal Clauzel, une décision du Ministre de
la Guerre vînt charger Adrien Berbrugger "
de la fondation et de la conservation d'une bibliothèque à
Alger ".
--------Pendant
trois ans, l'existence de la Bibliothèque restera d'ailleurs purement
théorique. Dépourvue d'un budget pour l'achat des livres,
elle devra limiter ses collections aux seuls dons des particuliers, assez
rares, puisque, au cours des années en question, elle recevra,
en tout et pour tout, deux ouvrages : l'Essai historique
et politique sur la Révolution belge, par Nothomb,
offert par M. Lecoq d'Ambaud, Consul général de Belgique,
et un exemplaire de la Grande Encyclopédie,
dû à la munificence d'un ancien avoué de Paris, M.
Pillaut-Debit. Bibliothécaire sans livres ni lecteurs, Berbrugger
disposera de nombreux loisirs. Il les occupera, pour notre plus grand
profit, à suivre les colonnes de l'armée, recueillant çà
et là les précieux manuscrits qui formeront le noyau du
fonds arabe actuel.
--------L'année
1838 s'ouvre pourtant sous de meilleurs auspices : la Bibliothèque,
d'abord abritée dans une maison domaniale
de l'impasse du Soleil (rue Philippe), est transférée dans
la caserne des Janissaires de Bab-Azoun, non loin de la porte du même
nom, à peu près sur l'emplacement de la rue Littré.
Le Collège occupe déjà une grande partie du bâtiment,
mais deux belles salles, en façade, sont disponibles pour la Bibliothèque
et le nouveau Musée, qu'on a groupés sous une même
direction. Dans les locaux de la Bibliothèque s'abritent également
un embryon de Musée zoologique - quelques armoires remplies d'animaux
empaillés, plus ou moins mités - et la chaire d'arabe où
Louis Bresnier enseigna de 1836 à 1869.
--------Cependant,
grâce à la bienveillance du nouvel intendant civil Bresson,
la Bibliothèque bénéficie d'importants envois de
livres du Ministère, en même temps qu'un budget régulier
lui est enfin alloué - budget bien modeste, il est vrai, qui s'élève,
pour l'année 1838, à 6.600 fr.!
--------Malgré la modicité des crédits,
les collections s'accroissent, si bien qu'en 1845, il faut mettre à
la disposition du Conservateur dix chambres de la Djénina, destinées
à servir de dépôt
--------Mais ces
mesures ne sont que palliatives et, en 1848, un nouveau transfert se révèle
nécessaire. On installe, cette fois, la Bibliothèque dans
un bâtiment situé au n° 18 de la rue des Lotophages.
C'est une maison particulière de style mauresque, qu'on dit avoir
coûté de plus de 500.000 fr. avant la Conquête : le
consul d'Amérique, Shaler, le maréchal Clauzel, la Direction
politique du Gouvernement Général y ont tour à tour
résidé. L'édifice ne manque pas de charme, bien qu'il
soit impropre à son emploi. Mais, en 1862, la construction d'un
mur du rempart, élevé précisément devant les
fenêtres de la Bibliothèque, achève de transformer
les salles, déjà obscures, en caves privées d'air
et de lumière. Un nouveau déménagement devient donc
indispensable.
--------Il
est d'abord question de construire, près du Théâtre,
un bâtiment qui abriterait à la fois la Direction des Mines,
la Bibliothèque et l'Exposition permanente. Mais ce projet, jugé
trop grandiose, n'aboutit pas et l'on finit par se rallier à l'avis
de Berbrugger, qui préconisait l'installation de la Bibliothèque
Nationale dans l'ancienne résidence du dey d'Alger, Mustapha-Pacha,
dont on connaît l'histoire.
La
porte, en bois massif, décorée de clous à tête
ronde
cliquer sur l'image pour l'agrandir
|
-------D'origine
modeste - il avait, dit-on, été charbonnier puis balayeur
à la porte du Chef de la Marine - Mustapha, après avoir
été le Ministre des Finances de son oncle Hasan -Dey, avait
pu succéder à celui-ci grâce à l'appui des
Juifs Jacob Cohen Bacri et Nephtali Busnach, ceux-là même
dont les noms sont à l'origine de l'expédition de 1830.
Mais cette protection, qui lui avait valu le pouvoir, devait plus tard
causer sa perte. Nephtali Busnach fut tué, par la suite, le 28
juin 1805, par un janissaire, comme il sortait de la Djénina et
Mustapha-Pacha n'allait pas tarder à subir le même sort.
Sortant, lui aussi, de la Djénina un certain jour de 1806, il fut
reconnu par la populace, poursuivi aux cris de " Voilà le
protégé des juifs ". Il tenta de se réfugier
dans une mosquée, mais fut néanmoins massacré et
son corps traînédans les rues jusqu'à la porte Bab-Azoun.
--------Le Palais
de la rue de l'Etat-Major, construit en 1799 - 1800, servait donc de résidence
particulière à Mustapha. Sa famille y logeait et lui-même,
habitant officiellement la Djénina, s'y rendait le jeudi, après
la prière du dhohr (1), escorté de ses gardes qui venaient
l'y reprendre le lendemain à midi.
--------Après la mort de Mustapha, le Palais
passa à son fils Ibrâhîm, puis à son petit-fils
Mustapha-Pacha. En 1846, les héritiers de Mustapha contractèrent,
contre un intérêt de 15%, un emprunt de 170.000 fr. envers
MM. de Vialar, Châtel et Beuret, avec garantie hypothécaire
sur les immeubles de la succession. Les intérêts n'ayant
pas été payés, la maison de la rue de l'Etat-Major
se trouva, après un long procès, adjugée, le 15 octobre
1859, à MM. de Vialar, Maignal, Châtel et de Sulauze, pour
la somme de 100.000 fr.. Le Département devait s'en porter acquéreur
en 1863.
**********
--------Au
fond d'une ruelle pittoresque, malaisée à découvrir,
s'offre à la vue l'un des plus beaux spécimens de l'architecture
mauresque du XVIIIè siècle du moins l'un des plus authentiques,
l'un de moins remaniés.
--------L'entrée
de la Bibliothèque Nationale s'ouvre dans un redan formé
par la rue - précaution utile, ménagée par l'architecte,
pour permettre, en cas d'émeute, de prendre les assaillants en
enfilade. L'ouverture pratiquée au-dessus de la porte, aux interstices
quadrillés de la dimension d'un canon de fusil, semble avoir eu
la même raison d'être.
--------La porte, en bois massif, décorée
de clous à têtes rondes, est particulièrement remarquable,
avec sa serrure en arabesque et ses deux heurtoirs en forme d'anneaux,
dont l'un est placé très haut à l'usage des cavaliers.
--------Après un vestibule, orné de
bancs en marbre où s'asseyaient jadis l'eunuque noir faisant office
de portier et le mameluk chargé de garder
la maison, on parvient à une deuxième porte, au-dessus de
laquelle figure une inscription en arabe, qui traduit bien l'émerveillement
du visiteur pénétrant en ce lieu
----"
Quel agréable et délicieux palais élevé
par le pacha d'Alger, Moustafa!
--------C'est
l'asile de la félicité, de la gloire, de la puissance,
de l'intelligence, de la splendeur, réunis au calme et à
la placidité.
--------"
L'esprit émerveillé s'écrie en le voyant. Il
a été achevé au moment du plus favorable augure,
de l'indice le plus assuré de prospérité et
d'abondance,
--------"
L'an quatorze après deux cents et mille de l'hégire
du Prophète, dans l'an 1214. "
|
--------Vient ensuite
la sqîfa, long vestibule flanqué de bancs en marbre, qui
servait à la fois de salon de réception et de salle d'attente.
Là, le dey donnait ses audiences et recevait les hôtes de
distinction. La " clientèle " - au sens romain du mot
- s'asseyait sur les bancs du pourtour.
--------Des colonnettes
jumelées, à cannelures torses, réunies par des arcs
surbaissés aux fines dentelures, divisent en huit petites niches
les murs tapissés de magnifiques faïences : les unes, jaunes
et vertes, de provenance sicilienne, les autres bleues et violettes, charmants
spécimens de la céramique de Delft. D'innombrables navires,
différant tous les uns des autres par quelque détail, encadrent
des motifs composés de bouquets et de vases de fleurs, signés
J.V.M. ou J. Van Maak, le fabricant Hollandais.
--------À
gauche de la sqîfa, deux portes massives séparées
par un petit vestibule donnent accès à cette partie de la
maison réservée à l'intimité : celle où
vivent les femmes et les enfants avec leurs serviteurs. Détails
caractéristiques : la porte donnant sur le patio se ferme de l'extérieur
et non pas du dedans. Dans l'imposte, au lieu du judas des autres portes,
se trouve un treillage en bois, aux interstices très serrés,
permettant de voir sans être vu.
--------La
cour, grand carré de plus de 7 m. de côté, est entourée
de galeries à arcades, formant cloître. C'est le patio classique
des maisons algériennes, au bassin central dont le jet d'eau fait
entendre son doux murmure.
--------Le
long des portiques, des salles longues et étroites, obscures et
mal aérées, servaient de pièces d'habitation. L'une
d'elles, à droite, au plafond particulièrement ornementé,
passe pour avoir été la chambre de l'épouse du dey.
--------À
gauche de la cour, un couloir mène à la Jouira (maisonnette),
partie de l'habitation strictement réservée au maître,
qui y recevait ses intimes, y traitait de ses affaires ou de ses plaisirs.
--------Un large
escalier de marbre, aux faïences d'un vert éclatant, conduit
au premier étage. A mi-course, remarquons une sorte de loge en
retrait, où le dey aimait à se tenir en été,
pour prendre des rafraîchissements et fumer sa pipe.
Galerie
du premier étage
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sur l'image pour l'agrandir
|
--------La galerie
du premier étage, avec ses colonnes cannelées à godrons,
patinées par le temps, sa fine balustrade de bois sculpté,
ne le cède en rien aux splendeurs du rez-de-chaussée. Les
portes, en bois de cèdre, richement décorées, sont,
dit-on, uvre de Labladji,
amin (syndic), de la corporation des menuisiers et artiste de talent.
Une seule d'entre elles valait, à l'époque, 250 fr.. Elles
représentent, avec la balustrade, les seuls produits de l'industrie
locale, les autres matériaux étant importés de l'étranger
: les colonnes, de Toscane ou de Gênes, les faïences de Sicile
ou de Hollande.
--------Notons
encore, au même étage, la chambre dite de Mustapha, aux faïences
d'un bleu sombre, la cuisine aux somptueuses colonnes de marbre lisse,
ornées d'un croissant et le bain maure - actuel bureau de l'Administrateur
- tapissé, lui aussi, d'une flotte de petits navires mauves et
bleus. A côté, la " chambre du froid " où
le maître de maison faisait la sieste, après le bain.
--------Au deuxième
étage, se trouve la terrasse réservée jadis aux femmes.
Dans le mur d'appui qui sert de balustrade, on peut encore voir huit anneaux
de marbre, destinés à recevoir les poteaux du vélum
qui recouvrait la cour, en été. La décoration de
cet étage consiste en bandeaux de faïence d'un vert éclatant.
--------Quant
aux pièces du troisième étage, elles sont, à
coup sûr, les mieux décorées de l'édifice,
après la sqî f a et les galeries.
--------La
plus grande, celle de droite, divisée en trois parties par des
arcs doubleaux, est ornée de charmants placards sculptés
et peints de couleurs vives. Les fenestrelles, aux vitraux généralement
bien conservés, ont des teintes agréables, rouge et rose,
jaune, bleu et blanc. Leur dessin consiste en bouquets de roses et illets.
Les plafonds, faits de solives serrées, sont peints en vert, jaune
et rouge. Les mêmes couleurs se retrouvent sur les portes couvertes
de peintures de style turc, représentant des bouquets et des vases
de fleurs.
La pièce de gauche, aux dimensions plus modestes, est également
bien décorée. Sur la terrasse adjacente se dresse une souche
de cheminée, à la mode turque du XVIIIè siècle,
particulièrement curieuse. Enfin, un escalier très raide
conduit à la troisième terrasse, d'où l'on peut encore
apercevoir la mer.
--------Ajoutons,
pour les amateurs de mystère, qu'une légende longtemps vivace
fait allusion à l'existence d'un trésor, caché quelque
part dans le palais de Mustapha. À plusieurs reprises, on effectua
des sondages, on creusa les sous-sols, cherchant, du même coup,
le souterrain qui relie, dit-on, la Casbah au port. Mais, jusqu'à
présent, les murs ont gardé leur secret. Les seuls trésors
palpables sont les livres de la Bibliothèque, avec les richesses
spirituelles qu'ils renferment.
*********
--------Les différents
Conservateurs qui se succédèrent à la tête
de la Bibliothèque Nationale, depuis 1835, furent tous des savants
de valeur et des personnalités marquantes, bien que très
diverses.
--------Adrien
Berbrugger, ancien élève de l'École des Chartes,
avait commencé sa carrière d'historien par une mission aux
Archives de la Tour de Londres en 1834. Après s'être occupé
quelque temps de propagande fouriériste, il devint secrétaire
du maréchal Clauzel, qu'il accompagna en Algérie. Rédacteur
du Moniteur Algérien, organe officiel de l'Administration, directeur
de la Bibliothèque Nationale et du Musée Archéologique,
telles sont les fonctions qu'il eut à assumer dès les premières
années de son séjour à Alger.
--------Berbrugger n'avait rien d'un rat de bibliothèque.
En ce temps où le métier de bibliothécaire était
encore dangereux, il unissait le dynamisme d'un pionnier au sang froid
d'un vétéran. " Vous apprendrez
avec étonnement " écrit-il, " que
moi, paisible bibliothécaire, j'ai suivi nos braves soldats et
leur illustre chef sur les champs de bataille, que, comme eux, j'ai entendu
siffler les balles, subi les inconvénients du bivouac, les fatigues
des marches, en un mot, que j'ai mené la vie du troupier pendant
trois mois ".
--------Les aventures ne lui manquent pas. À
Mascara, il avait réussi à rassembler un certain nombre
de manuscrits arabes et les avait placés dans une malle, qu'on
avait chargée sur un chameau, en même temps qu'une caisse
de biscuits. Hélas, au passage d'Aïn-K'bira, par temps de
brouillard et de grêle, l'animal glissa et roula dans un précipice,
avec son précieux fardeau. Les manuscrits furent perdus. Mais,
remarque
Berbrugger, " on ne s'apitoya nullement sur
les livres, la caisse de biscuits eut seule une oraison funèbre
".
--------À
Constantine, il entre dans la ville, le 13 octobre 1837, avec la 2è
colonne, commandée par le colonel Combe.
" Arrivé sous la voûte qui conduit
à la rue des Épiciers", écrit-il,
" je ne pus pas, pour le moment, avancer davantage, car on se battait
avec acharnement dans cette rue et le feu de la mousqueterie était
beaucoup trop vif pour qu'il me fût possible
d'entreprendre les investigations toutes pacifiques dont j'étais
chargé... ".
--------Berbrugger
se voit ensuite confier par le Ministre de la Guerre une importante mission
au Sahara. De juin 1850 à avril 1851, il parcourt la Tunisie et
la Tripolitaine, d'où il gagne l'oued Souf, Touggourt, Témacine,
Hadjira N'Gouça, Ouargla et Guerrara, pour rentrer en Alger par
Laghouat. Il rédige, à son retour, une série de mémoires
accompagnés de cartes et de plans, publie une brochure sur les
puits artésiens de nos oasis et un grand nombre d'articles dans
les journaux locaux.
--------En 1854, il devient Inspecteur Général
des Monuments historiques et des Musées Archéologiques de
l'Algérie et préside, deux ans plus tard, à la fondation
de la Société historique algérienne, ainsi qu'à
la publication de la très vivante Revue africaine, instrument de
travail incomparable qui n'a cessé de paraître depuis lors.
Lui-même est l'auteur de nombreux ouvrages relatifs à l'histoire
et à l'archéologie algériennes, parmi lesquels l'Algérie
historique, pittoresque et monumentale, trois grands volumes in-f°
illustrés de 145 planches, édités en 1843.
--------Archéologue et bibliothécaire,
Berbrugger ne dédaigne pas, pour autant, de s'intéresser
à la vie publique : il pose sa candidature aux élections
de 1848 et accepte d'assumer les fonctions de colonel de la milice d'Alger.
--------Napoléon
III, lors de son voyage en Algérie, en 1865, tint à visiter
la Bibliothèque Nationale et remit à son conservateur la
Cravate de Commandeur de la Légion d'honneur.
--------Berbrugger
devait mourir quatre ans plus tard, le 2 juillet 1869, épuisé
par le travail.(le Déjanté: et on dira
que le travail, c'est la santé!!N'évoquons pas certains
rebutés par le travail qui se retrouvent parfois à la Santé!)
--------Oscar
Mac-Carthy lui succéda. C'était un géographe passionné
de son métier.
-------Déjà
connu pour sa participation à plusieurs grands recueils d'érudition
publiés à Paris, de 1835 à 1849, Mac-Carthy se voit
confier, par Lamoricière, la rédaction d'un petit ouvrage
pratique destiné aux émigrants, l' " Almanach
de l'Algérie pour 1849 ". Afin de lui permettre
de poursuivre ses travaux, le Ministre de la Guerre le charge d' "
une mission d'exploration des territoires algériens
" et l'adjoint au 16è convoi colons dirigé
sur Bône.
--------Dès
son arrivée, Mac-Carthy est acquis corps âme à cette
terre d'Afrique qu'il ne pourra plus quitter."Voyez-vous
", disait-il, " ce pays est le mien, il
m'a adopté ". Pendant quatorze ans, de 1849
à 1863, il ne cesse de parcourir l'Algérie dans tous les
sens. Seul et sans armes, protégé par son dénuement,
il explore des régions encore mal soumises, toujours bien accueilli
par les Arabes dont il aime à partager la vie. II assiste, en spectateur,
au siège de Zaatcha et à la prise de Laghouat. " Sur
tout ce qu'il voit, il prend des notes précises, détaillées,
il lève des plans, fait des observations, ramasse des échantillons
de pierre et de marbre, des plantes, des graines, portant partout un esprit
curieux et investigateur ".
-------------Eugène
Fromentin, qui l'a connu lors de son second voyage en Algérie,
le représente dans son livre " Une
année dans le Sahel ", sous le pseudonyme de Louis
Vandell. " Maigre, efflanqué, brûlé
comme un Saharien , montant une bête fort maigre, mal harnachée
à l'arabe et d'un blanc sale, il portait en bandoulière
quelque chose comme un long baromètre contenu dans un fourreau
de cuir et un volumineux cylindre de fer blanc ".
Les indigènes l'appelaient, pour cette raison, Bou-Djâba,
l'homme au canon de fusil. Au moment de quitter Fromentin, Vandell tient
à lui offrir un petit souvenir personnel : Il tire de sa poche
un bâton de réglisse noir qu'il rompt en deux, puis une pelote
de ficelle, dont il lui donne la moitié, en témoignage d'amitié
!---Cependant,
un vaste projet hante l'esprit de Mac Carthy et
ne cessera de l'obséder, sa vie durant. Il n'envisage rien moins
que de se rendre à Tombouctou, par Ghât et Agadès,
il rêve de relier l'Algérie au Sénégal par
la voie du désert. Mais les circonstances ne sont pas encore propices
à l'accomplissement d'un tel dessein. Faute d'appui et de ressources,
il lui faut, d'année en année, remettre le périlleux
voyage. Du moins amasse-t-il une documentation considérable sur
la géographie du Sahara et du Soudan, précieux matériaux
qu'il mettra généreusement à la disposition de tous
les chercheurs.
--------Grâce
à sa science, à son affabilité proverbiale, la Bibliothèque
Nationale devient le lieu de rendez-vous de tous les savants et lettrés
algériens, l'office de renseignements de tous les explorateurs.
Le vicomte Charles de Foucauld, qui vient de quitter l'armée et
prépare, en 1883, son expédition au Maroc, vient souvent
travailler sur la galerie du Palais de Mustapha. Là, Mac-Carthy
lui fait connaître celui qui sera son guide, le juif Mardochée.
--------Après avoir publié un nombre
considérable de travaux, Mac-Carthy doit prendre sa retraite en
1890. La Bibliothèque et le Musée, jusque-là réunis,
sont alors séparés. La Direction du Musée est confiée
à de La Blanchère, tandis qu'Émile Maupas est nommé
Conservateur-Administrateur de la Bibliothèque Nationale.
--------Émile
Maupas est une espèce particulière de Chartiste : un Chartiste
converti à la biologie.
--------À
peine sorti de l'École des Chartes, il se découvre une passion
pour le piano, mais ses doigts gourds lui interdisent toute virtuosité.
Force lui est donc de reporter son ardeur sur la botanique, caprice d'un
instant, mais qui le mène à la biologie. Cette fois, son
destin est fixé, il a découvert les joies du microscope
et consacrera sa vie à l'étude des infiniment petits.
--------Ses
travaux sur la sexualité des rotifères et la reproduction
des infusoires ont bouleversé les théories alors en vigueur
sur la propagation de la vie et sur la mort. Presque inconnu à
Alger, il est célèbre dans toute l'Europe et l'Université
d'Heidelberg, dans un élan d'enthousiasme, lui confère le
titre de Docteur honoris causa. Les spécialistes du monde entier,
de passage à Alger, ne manquent pas de rendre visite au grand savant
français.
--------Et
ces résultats prodigieux, Maupas a su les obtenir avec des moyens
dérisoires. Son installation, dans son petit appartement de Bab-elOued,
est à elle seule tout un poème. Dans les trois petites chambres
qu'il occupe, tout est sacrifié au microscope, placé en
pleine lumière du nord, face à la mer. Sur la cheminée,
quatre ou cinq assiettes creuses complètent son laboratoire.. On
raconte qu'un jour, le portrait de M. Lacaze-Duthiers (Zoologiste français
(1821-1901)) suspendu au-dessus de la cheminée, tomba malencontreusement
sur les précieuses assiettes et, écrasant les " petites
bêtes ", mit fin à l'expérience en cours.
--------Une autre
fois, comme on parlait devant Maupas d'un appareil nouveau permettant
d'obtenir un parallélisme rigoureux entre deux lames de verre d'une
préparation pour microscope, celui-ci, avec le plus grand naturel,
répondit " Moi, pour obtenir ce parallélisme,
je prends des poils d'une vieille brosse à dents usagée
" !
--------Maupas mourut
en 1916, devenu, sur le tard, correspondant de l'Institut et Chevalier
de la Légion d'honneur.
--------Gabriel
Esquer lui succéda. Il est trop connu de nos contemporains pour
qu'il soit besoin d'en faire un long panégyrique.
La
cour, patio classique des maisons algériennes
cliquer
sur l'image pour l'agrandir
|
--------Né
dans l'Aude, à Caunes-Minervois, le 12 avril 1876, il passe par
l'École Nationale des Chartes, puis devient successivement Archiviste
en Chef du département du Cantal (1903-1908), Archiviste-bibliothécaire
du Gouvernement Général de l'Algérie (1909-1942)
et Administrateur de la Bibliothèque Nationale d'Alger (1920-1948
). Il est, en même temps, chargé de Conférences à
la Faculté des Lettres d'Alger.
--------Ces
diverses activités ne l'empêchent pas d'élaborer une
uvre scientifique considérable, où la méthode
historique la plus rigoureuse s'allie à un remarquable talent littéraire.
Citons parmi ses travaux sur l'Algérie : Les commencements d'un
Empire: la prise d'Alger (1830), ouvrage qui vaut à son auteur
le Grand Prix Littéraire de l'Algérie et le 2è Prix
Gobert à l'Académie française ; l'Iconographie
historique de l'Algérie, depuis le VIè siècle jusqu'à
1871, trois grands volumes in-f°, groupant 1.011 reproductions
tirées des bibliothèques du monde entier ; 8 Novembre
1942, jour premier de la libération ; l'Histoire de l'Algérie
(Collection " Que sais-je ? ") ; Alger et sa région
(Collection " Sites et Monuments "). Ajoutons à ces
études des publications de textes telles que la Correspondance
du duc de Rovigo, des généraux Voirol, Drouet d'Erlon, du
maréchal Clauzel, huit volumes parus de 1914 à 1948 (Gabriel
Esquer a publié, en outre, les ouvrages suivants Le dernier
Valois, François, duc d'Alençon et d'Anjou (1554-1584),
thèse de l'École des Chartes, parue en 1903 ; La Haute
Auvergne à la fin de l'Ancien Régime, 1910 ; Un Saharien
: le colonel Ludovic de Polignac (1827-1901), 1930 ; La Reconnaissance
des villes fortes et batteries d'Alger (1808), du chef de bataillon
Boutin et un choix de textes de l'abbé Baynal, accompagné
de notes, publié en 1951, sous le titre de l'Anticolonialisme
au XVIIIe siècle. Histoire philosophique et politique des établissements
et du commerce européen dans les deux Indes.).
**********
--------Les collections
de la Bibliothèque Nationale, encore inexistantes en 1838, forment
aujourd'hui, tant pour le fonds arabe que pour le fonds général,
un remarquable ensemble d'ouvrages où les chercheurs sont à
même de puiser les renseignements indispensables à leurs
travaux. Jules Lemaître, Louis Bertrand, René Basset, Fagnan,
Stéphane Gsell furent, parmi tant d'autres, les habitués
de cet établissement. Des ouvrages parus sur l'Afrique du Nord,
la plupart doivent le meilleur de leur documentation aux collections de
la Bibliothèque Nationale d'Alger.
--------Aux
érudits, vient s'ajouter un autre public non moins sympathique,
compose d'étudiants. L'exiguïté des bibliothèques
algéroises et la cherté des livres amènent un afflux
sans cesse croissant de jeunes gens et jeunes filles, heureux de pouvoir
consulter sur place ou emprunter les ouvrages nécessaires à
la préparation des examens.
--------La
section musulmane comprend un ensemble de 2.334 manuscrits réunis
grâce à une politique d'achats heureusement conduite par
les Administrateurs successifs. C'est ainsi qu'on a pu recueillir des
bibliothèques d'érudits musulmans tels que le Muphti d'Oran,
Hasan Bulahbal et Ali ben El Hadji Moussa. Dans ces collections, toutes
les branches des connaissances humaines sont représentées
: théologie, législation, grammaire et langue arabe, poésie,
histoire et géographie, médecine, philosophie, astronomie,
etc...
--------Ces
manuscrits sont précieux tant par l'ancienneté - certains
d'entre eux datent des XIè, XIIè et XIIIè siècles
- que par la rareté ou la richesse de l'illustration. Certains
peuvent être comparés aux plus beaux spécimens médiévaux
de l'Europe occidentale.
--------Citons particulièrement les numéros
424: Al-Muwatta, Recueil de hadith (traditions) et de préceptes
moraux, exemplaire de grand luxe exécuté en 590/1194 pour
l'Almohade Aboû-Yousof Yakoub ; 242 : Lexique de Jawhari,
exemplaire de luxe avec encadrement doré et colorié, écrit
pour une bibliothèque princière (876/1471-72) ; 268 : Koran
microscopique, de forme octogonale, doré sur tranche, à
encadrement bleu et or, écrit en 1016/1607-8, par un Persan, Imâd
ben Ibrâhîm.
--------Outre
les manuscrits, la section musulmane comprend une importante collection
de livres en langue arabe, qu'on s'efforce de tenir au courant des dernières
publications parues. Ainsi, l'élite intellectuelle musulmane peut
trouver en la Bibliothèque Nationale d'Alger son véritable
foyer culturel, où toute facilité lui est donnée
d'approfondir ses connaissances sur la philosophie, la littérature
et l'histoire de l'Islam. Grâce aux procédés de microfilmage,
il va être possible d'adjoindre à ces collections des reproductions
de manuscrits arabes appartenant à différentes bibliothèques
publiques ou privées.
--------Quant au fonds français, il comprend
tout d'abord des ouvrages de culture générale, représentatifs
de la pensée française et les principales uvres ayant
trait à l'histoire, la littérature, la philosophie et l'histoire
de l'art.
--------À
ces collections s'ajoute un important fonds nord-africain, groupant tout
ce qui concerne l'histoire et la civilisation de l'Afrique du Nord. C'est
à ce fonds que sont venues s'agréger la bibliothèque
de Stéphane Gsell, éminemment précieuse par les documents
et ouvrages archéologiques qu'elle contient, et, plus récemment,
la bibliothèque du grand explorateur Savorgnan de Brazza.
--------La
Bibliothèque Nationale reçoit toutes les publications effectuées
sous l'égide du Gouvernement Général de l'Algérie,
ainsi qu'un exemplaire des livres et journaux du Dépôt légal,
pour le département d'Alger. Une nouvelle loi du Dépôt
légal, actuellement à l'étude, lui assurera, prochainement,
le bénéfice de tous les ouvrages et périodiques paraissant
dans les trois départements de l'Algérie.
--------Une
autre branche d'activité de cet établissement consiste dans
le service de la Lecture publique - service qui s'est considérablement
développé au cours de ces dernières années.
À l'heure actuelle, plus de 170 bibliothèques publiques,
réparties dans les trois départements de l'Algérie,
reçoivent des dotations en livres de la Bibliothèque Nationale
: bibliothèques communales, de Foyers ruraux, bibliothèques
populaires installées dans les écoles, bibliothèques
d'hôpitaux, de sanatoria, de la Croix-Rouge, des prisons.
--------Ces bibliothèques
constituent un élément de culture des plus efficaces et
une distraction précieuse pour les habitants de l'intérieur,
privés des ressources de la ville. De petites bibliothèques
ont été créées dans les régions les
plus éloignées de la Kabylie. C'est ainsi que s'achève
uvre de scolarisation. L'école trouve son complément
indispensable dans la bibliothèque, sans laquelle il n'existe point
de culture.
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--------Riche de
son passé, non moins que de ses collections, la Bibliothèque
Nationale d'Alger se trouve arrivée à un tournant de sen
histoire : elle va bientôt quitter le vieux Palais de Mustapha,
qui l'abrita si longtemps, pour s'installer dans un bâtiment neuf,
dont la construction commence actuellement au Parc
des Sports des Tagarins, au-dessus du stade Leclerc.
--------Il faut avouer que l'ancienne résidence
du dey, charmante à visiter, n'était nullement appropriée
à son emploi : pièces obscures et sans air, salle de lecture
exiguë, escaliers tortueux et recoins multiples rendant le service
impraticable, enfin, défauts capitaux : manque total de place peur
l'accroissement des collections et humidité telle que les manuscrits
et livres précieux se trouvaient menacés de destruction.
-------Le nouvel immeuble, placé dans un
site magnifique, satisfera aux exigences de la technique et de la bibliothéconomie
la plus moderne. Il pourra recevoir 500 lecteurs et sera digne d'une Bibliothèque
Nationale, digne de l'Algérie.
Germaine LEBEL.
BIBLIOGRAPHIE. -
--------Berbrugger
(A.) : Bibliothèque-Musée d'Alger.
-------- Alger,
Imprimerie Bastide, 1860, in-16 ; Gavault (Pierre) Notice sur la Bibliothèque-Musée
d'Alger.
-------- Alger,
1894, in-8° ; Esquer (Gabriel) : La Bibliothèque
Nationale d'Alger, dans La Lecture Publique,
-------- Paris,
E. Droz, 1931, in-12 ; Gautier (E. F.) : Un siècle de colonisation.
-------- Paris,
Alcan, 1930, in-8°, (Voir pp. 125-138, les pages concernant Emile
Maupas).
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