Pierre Jarrige, chef pilote à
l'Ecole nationale supérieure de l'aéronautique et de l'espace
de Toulouse, est né en 1940 à Burdeau (ancien département
de Tiaret). Il a été pilote de tourisme, puis pilote militaire
dans l'A.L.A.T. (Aviation légère de l'armée de
terre). Avant juillet 1962, il avait déjà effectué
six cents heures de vol au-dessus du territoire algérien.
L'Aéro-Club de Djidjelli (voir
ce lieu)
par Pierre JARRIGE
L'ACTIVITE de l'Aéro-Club de Djidjelli débute le 3 juin
1933 avec l'arrivée du Potez 43 F-AMJK " Ville de Djidjelli"
en l'honneur duquel une grande fête est organisée.
Auparavant, trois hommes se sont dépensés sans compter
pour doter la Parure de la Côte de Saphir- d'un aérodrome
et d'un aéro-club : Eugène Porte (notaire), Eugène
Fauché (ancien mécanicien navigant de guerre) et André
Nola, premier président du club, qui bénéficient
de l'appui bienveillant du maire : Jules Lochard.
Jules Lochard avait déjà prêté à l'aéro-club
un terrain sur sa pro priété d'El Achouett, qui a servi
d'escale à quelques avions venus saluer la population djidjellienne
en attendant la mise en service de l'aérodrome dont l'aménagement
sera terminé et le hangar construit avant même l'arrivée
du premier avion.
Une inauguration
folklorique
Les fêtes de Pentecôte des
3, 4 et 5 juin 1933 consacrent les efforts des promoteurs et c'est avec
une solennité joyeuse que le nouvel aéro-club accueille
les équipages venus de toute l'Algérie pour profiter du
site admirable de la petite ville.
Dès le samedi 3, le Potez 43 FAMJK - "Ville de Djidjelli
", piloté par Suzanne Tiller, se pose venant d'Alger sur
l'excellent aérodrome, vaste, soigneusement balisé, situé
aux portes de la ville. Toute la journée affluent les avions
arrivant de Maison-Blanche,
de Bougie,
de Bône, de Biskra, de Sidi-Bel-Abbès, de Constantine,
de Sétif ou de
Blida.
Aussitôt posés, les équipages sont entourés
de la sympathie des Djidjelliens heureux de voir leur nouvel aérodrome
entrer en service. Le soir, la projection du film " Les titans
du ciel " permet au public fervent de rester dans l'ambiance aéronautique.
Le dimanche matin, quatre Breguet 14 arrivent de Sétif, pilotés
par les capitaines de Charette et de Verchère, le lieutenant
Schneider et le sergent Lubin. Le " Ville de Djidjelli " ne
chôme pas ; piloté par le chef pilote du club, le sergent
Gabriel Andrès (un enfant de Constantine), il donne de nombreux
baptêmes tandis que la plage toute proche attire les baigneurs.
A 15 heures, devant les tribunes bien garnies, Gabriel Andrès
présente le Potez 43 tandis que les membres du club défilent
en un joyeux cortège derrière la bannière du club
brandie par Louis Durafour (l'industriel algérois qui a construit
le hangar).
Lorsque les autorités attendues sont présentes, le baptême
a lieu. Mlle Morinaud (fille du conseiller général, député
maire de Constantine Emile Morinaud), désignée comme marraine,
mais malheureusement retenue par une légère indisposition
est remplacée par Suzanne Tiller (épouse du docteur Tiller,
d'Alger) chargée de briser la bouteille de champagne (tâche
ardue car une bouteille de champagne est plus résistante qu'un
avion). Mais le ciel, jusqu'alors clément, devient menaçant
et tout le monde se réfugie dans le hangar décoré
et fleuri où chacun trouve l'efficace consolation du buffet et
de la danse jusqu'à l'heure du banquet et des inévitables
discours ! Ensuite, le bal reprend dans les hangars, alors que se tire
une loterie aux lots innombrables.
Lundi après-midi, les équipages obligés de rejoindre
leurs occupations repartent avec le regret de ne pouvoir participer
au dernier bal que surprendra l'aube de mardi.
Ces premières festivités ancrent dans l'esprit de chacun
la réputation d'hospitalité de la population djidjellienne
; réputation qui ne fera que s'accroître par la suite.
L'envol
Peu de temps après, Eugène Porte va chercher en France
son Potez 43 (F-AMJI) qui servira beaucoup la cause du club où
commencent à s'inscrire les élèves pilotes : André
Nola, Maurice et Edmond Staletti (qui deviendra une cheville ouvrière
du club), le docteur Sy, Aimé Fauché et son frère
Eugène, Touchelet, Fernand Martin (clerc), qui profitent des
permissions de Gabriel Andrès, basé à Sétif,
pour s'entraîner.
En juin 1933, Maryse Bastié rend à nouveau visite à
Djidjelli (elle était déjà venue au mois de mars);
elle affectionne particulièrement cette escale et y reste plusieurs
jours pour rayonner dans tous le département et vendre, avec
succès, des avions Potez.
Dès le mois de juillet 1933, les premiers résultats sont
enregistrés : André Nola, Fernand Martin, " Tonton
" Eugène Fauché et le docteur Sy passent brillamment
les épreuves du brevet de pilote devant le capitaine Domerc (de
Sétif). Fernand Martin avait réussi la performance d'être
lâché après une heure trente seulement de double
commande.
La population djidjellienne fréquente assidûment le club
pour des baptêmes (140 en septembre et octobre) ou des voyages
vers Sidi-Bel-Abbès, Oran, Redjas, Nin Fekroun...
En novembre 1933, l'activité ralentit, suite au départ
de Gabriel Andrès promu adjudant et muté à Sidi
Ahmed (Tunisie). Gabriel Andrès continuera une brillante carrière
qui, après bien des péripéties, le mènera
jusqu'au grade de colonel de l'Armée de l'air.
Le 18 décembre, les Djidjelliens ont le plaisir de voir passer
à 9 heures du matin la totalité des 28 avions de l'escadre
Vuillemin de la
Croisière Noire ". L'un des Potez 25, piloté par
le capitaine Gaillard, doit d'ailleurs se poser à la suite d'ennuis
de bougies. Il est aussitôt entouré d'admirateurs empressés
et repart, rapidement dépanné.
Le 15 janvier 1934, Fernand Martin et Me Porte, avec Théolat
comme passager, se rendent à Sidi-Bel-Abbès aux fêtes
organisées par le C.A.B.A. et reviennent avec le prix de l'équipage
ayant parcouru la plus grande distance.
Le 30 avril, l'assemblée générale approuve le compte
rendu moral et financier et renouvelle sa confiance au conseil d'administration.
Au printemps, des aménagements sont apportés aux installations
et à l'aérodrome (groupe électrogène, adduction
d'eau, allongement des bandes d'envol...).
De juin 1933 à mai 1934, les deux Potez 43 ont effectué
370 heures de vol et parcouru 40000 kilomètres en 54 voyages,
1537 atterrissages ont été effectués depuis la
création de l'aérodrome et 660 baptêmes ont été
donnés.
Le prix du brevet est fixé à 5000 F, avec la faculté
de faire 5 heures supplémentaires de perfectionnement au tarif
réduit de 100 F / heure. Le prix normal du Potez 43 est de 250
F l'heure pour les personnes étrangères au club, 230 F
pour les membres du club en double commande et 200 F pour les pilotes
brevetés du club. Le prix du baptême est de 25 F.
Malheureusement un deuil frappe le club avec la mort prématurée
d'André Nola. A son enterrement, le 15 septembre 1934, MM. Lochard,
Porte et Mattei (au nom de l'amicale corse) exaltent les vertus aéronautiques
du regretté président. Le conseil d'administration décide,
dans sa séance du 25 septembre, de donner son nom à l'aérodrome
de Djidjelli.
Jean Noël (courtier en vins), ancien vice-président, devient
président; il achète pour ses besoins un splendide Farman
393 et engage un pilote, Delarue, qui arrive avec le nouvel avion le
3 janvier 1935 en pleine tempête. Eugène Fauché
devient alors vice-président.
Le même hiver, les bimoteurs LEO 20 de la ligne militaire Casablanca
- Tunis se posent régulièrement à Djidjelli, seul
terrain du littoral restant praticable.
En janvier 1935, l'activité totale du club depuis ses débuts
se traduit par 650 heures de vol, 5 brevets et 800 baptêmes.
Avec la commande par le club du Salmson "Phrygane " F-AOCX
et du de Havilland "Moth" F-ALJK, la flotte est portée
à 5 avions : 1 Potez 43 (Eugène Porte a revendu le sien
à Alger), un Farman 393, le " Phrygane", le "Moth
" et le "Mauboussin 120 "Corsaire " d'Eugène
Porte qu'il va chercher lui-même à Paris, accompagné
de "Tonton ", Eugène Fauché.
Un voyage mouvementé
Devant le moto-planeur SFAN 30, de gauche à
droite : Dr Sy, Bob Carmana, Eugène Fauché.
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Le convoyage de ce " Corsaire "(F.
ANGM), du 18 au 23 mars 1935, est épique : peu après le
décollage d'Orly, atterrissage en campagne à Blaizy à
cause du mauvais temps. Le lendemain, Eugène Porte appareille
pour aller chercher Eugène Fauché à Semur- en-Auxois
(Côte-d'Or), afin de ne pas décoller du champ avec un avion
trop chargé. Le décollage sur ce terrain de fortune est
interrompu par un cheval de bois et il faut une équipe de 15
hommes pour sortir l'avion de la haie d'aubépines dans laquelle
il s'est encastré. Il en sort avec pas mal d'éraflures
et d'accrocs mais peut encore décoller pour aller se faire réparer
chez les militaires à Dijon où les deux Djidjelliens retrouvent
de nombreux amis qu'ils avaient connus à Sétif (au 3e
groupe d'aviation d'Afrique). Le mauvais temps entrave la suite du voyage
et plusieurs déroutements sont nécessaires. 40 kilomètres
avant Valence (Espagne), le moteur s'arrête à la suite
d'une erreur dans la sélection des réservoirs et une plage
accueille le "Corsaire Après un décollage acrobatique
sur une bande de 6 à 7 mètres de largeur, avec la mer
d'un côté et les " décors " de l'autre,
l'équipage rallie Valence (en pleine guerre civile espagnole),
puis Alicante, Oran, Orléansville et Alger, toujours contrarié
par le mauvais temps. Lorsqu'il rejoint enfin son port d'attache, le
- Corsaire " a parcouru au total 3220 kilomètres en vingt-trois
heures de vol (moyenne : 140 km/h) avec une consommation horaire de
16 litres.
L'essor
Entre-temps, l'arrivée de Durandeau comme chef pilote relance
l'activité de l'école au profit de Garcia, Caruana et
Vidal.
L'année 1935 voit également le passage de nombreux avions
civils et militaires (général Lacolley, commandants Schmitter
et Lapied, adjudant Frayssinet...) qui apprécient l'escale touristique
de Djidjelli, alors que l'aménagement de l'aérodrome se
poursuit.
Certaines de ces visites ne sont pas préméditées,
en effet, deux avions se posent en panne sur la plage et doivent être
ramenés sur l'aérodrome pour pouvoir reprendre l'air.
Si cela est facile pour le Caudron " Luciole " de l'équipage
Bonnet-Heinzelman (d'Alger), qui peut se remorquer les ailes repliées,
il en va autrement pour le Farman 190 de l'Entreprise de photo aérienne
(de Carcassonne) qui doit être entièrement démonté
par les soins d'Eugène Fauché.
En 1936, sous l'influence du mouvement d'" Aviation populaire -,
un gros effort est fait pour baisser le prix de l'heure de vol. Grâce
à l'achat d'un motoplaneur SFAN 30 et au bénévolat
de Durandeau, le brevet revient à 1 500 F (500 F pour les moins
de vingt-cinq ans bénéficiant d'une prime de 1 000 F du
ministère de l'Air).
Robert Nola (fils d'André Nola) est lâché en juin
1936, ainsi que René Bondurand (inspecteur des Eaux-et-Forêts),
Bachelot (liégeur) et Jean Davet (industriel).
Le 14 septembre 1936, pris par les rabattants, l'équipage NolaFauché
est contraint de poser, plutôt brutalement, le " Ville de
Djidjelli dans le col de Tamentout, près de la ferme Lochard
à Fedj-M'zala.
Le 2 janvier 1937, un sympathique pilote du Club aéronautique
de Bel-Abbès, Maurice Bedel, épouse Jeanne Abadie, fille
de l'administrateur de la commune mixte. Maurice Bedel est déjà
célèbre par les grands voyages qu'il effectue avec son
Caudron " Phalène " à travers l'Afrique du Nord
et l'Europe.
Le bimoteur Porte-Lagrevol
En 1938, mettant à profit son expérience de grand touriste
aérien, Eugène Porte, qui totalise alors 450 heures de
vol, conçoit, avec l'aide de l'ingénieur Lagrevol, un
avion bimoteur.
Il s'agit d'un avion à aile basse, train fixe, empennage bi-dérive,
équipé de deux moteurs Regnier 90 ch. Cet avion est l'objet
d'une étude très poussée, ses créateurs
s'étant efforcés de réaliser le meilleur des compromis
pour obtenir à la fois le maximum de simplicité, de solidité,
de sécurité et d'économie tout en réalisant
les meilleures performances possible. Il est aménagé pour
transporter quatre personnes et leurs bagages dans une cabine très
confortable, avec un rayon d'action de 1500 km. Les premiers essais,
début 1939, sur le terrain de Saint-Cyr (près de Versailles),
sont extrêmement encourageants. La vitesse 220 km /h, l'avion
est très stable, les commandes efficaces et douces, l'atterrisseur,
spécialement construit par Messier, est très souple. Cet
avion aux lignes élégantes promet beaucoup et Eugène
Porte peut être fier de son oeuvre, mais la guerre arrive et en
empêche la mise au point et le développement.
Pierre JARRIGE