AVIATION
Aéro-club de Djidjelli
Texte, illustrations : Pierre Jarrige

------Pierre Jarrige, né en 1940, à Burdeau (dpt de Tiaret), fut pilote privé et pilote militaire (ALAT) en Algérie. Il fait des recherches, depuis très longtemps, sur l'histoire de l'aviation en Algérie. Il a déjà produit trois livres sur l'aviation légère et le vol à voile. Il continue les recherches en vue d'un livre sur l'histoire del'aviation commerciale et militaire.
------ Je le remercie d'avoir eu la gentillesse de nous faire parvenir ces textes afin que vous puissiez en profiter.

Son site : www.aviation-algerie.com

extraits du numéro 35 , septembre 1986 de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
sur site le 20-11-2009

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Pierre Jarrige, chef pilote à l'Ecole nationale supérieure de l'aéronautique et de l'espace de Toulouse, est né en 1940 à Burdeau (ancien département de Tiaret). Il a été pilote de tourisme, puis pilote militaire dans l'A.L.A.T. (Aviation légère de l'armée de terre). Avant juillet 1962, il avait déjà effectué six cents heures de vol au-dessus du territoire algérien.

L'Aéro-Club de Djidjelli (voir ce lieu)
par Pierre JARRIGE


L'ACTIVITE de l'Aéro-Club de Djidjelli débute le 3 juin 1933 avec l'arrivée du Potez 43 F-AMJK " Ville de Djidjelli" en l'honneur duquel une grande fête est organisée.

Auparavant, trois hommes se sont dépensés sans compter pour doter la Parure de la Côte de Saphir- d'un aérodrome et d'un aéro-club : Eugène Porte (notaire), Eugène Fauché (ancien mécanicien navigant de guerre) et André Nola, premier président du club, qui bénéficient de l'appui bienveillant du maire : Jules Lochard.

Jules Lochard avait déjà prêté à l'aéro-club un terrain sur sa pro priété d'El Achouett, qui a servi d'escale à quelques avions venus saluer la population djidjellienne en attendant la mise en service de l'aérodrome dont l'aménagement sera terminé et le hangar construit avant même l'arrivée du premier avion.

Une inauguration folklorique

Les fêtes de Pentecôte des 3, 4 et 5 juin 1933 consacrent les efforts des promoteurs et c'est avec une solennité joyeuse que le nouvel aéro-club accueille les équipages venus de toute l'Algérie pour profiter du site admirable de la petite ville.

Dès le samedi 3, le Potez 43 FAMJK - "Ville de Djidjelli ", piloté par Suzanne Tiller, se pose venant d'Alger sur l'excellent aérodrome, vaste, soigneusement balisé, situé aux portes de la ville. Toute la journée affluent les avions arrivant de Maison-Blanche, de Bougie, de Bône, de Biskra, de Sidi-Bel-Abbès, de Constantine, de Sétif ou de Blida.

Aussitôt posés, les équipages sont entourés de la sympathie des Djidjelliens heureux de voir leur nouvel aérodrome entrer en service. Le soir, la projection du film " Les titans du ciel " permet au public fervent de rester dans l'ambiance aéronautique.

Le dimanche matin, quatre Breguet 14 arrivent de Sétif, pilotés par les capitaines de Charette et de Verchère, le lieutenant Schneider et le sergent Lubin. Le " Ville de Djidjelli " ne chôme pas ; piloté par le chef pilote du club, le sergent Gabriel Andrès (un enfant de Constantine), il donne de nombreux baptêmes tandis que la plage toute proche attire les baigneurs. A 15 heures, devant les tribunes bien garnies, Gabriel Andrès présente le Potez 43 tandis que les membres du club défilent en un joyeux cortège derrière la bannière du club brandie par Louis Durafour (l'industriel algérois qui a construit le hangar).

Lorsque les autorités attendues sont présentes, le baptême a lieu. Mlle Morinaud (fille du conseiller général, député maire de Constantine Emile Morinaud), désignée comme marraine, mais malheureusement retenue par une légère indisposition est remplacée par Suzanne Tiller (épouse du docteur Tiller, d'Alger) chargée de briser la bouteille de champagne (tâche ardue car une bouteille de champagne est plus résistante qu'un avion). Mais le ciel, jusqu'alors clément, devient menaçant et tout le monde se réfugie dans le hangar décoré et fleuri où chacun trouve l'efficace consolation du buffet et de la danse jusqu'à l'heure du banquet et des inévitables discours ! Ensuite, le bal reprend dans les hangars, alors que se tire une loterie aux lots innombrables.

Lundi après-midi, les équipages obligés de rejoindre leurs occupations repartent avec le regret de ne pouvoir participer au dernier bal que surprendra l'aube de mardi.

Ces premières festivités ancrent dans l'esprit de chacun la réputation d'hospitalité de la population djidjellienne ; réputation qui ne fera que s'accroître par la suite.

L'envol

Peu de temps après, Eugène Porte va chercher en France son Potez 43 (F-AMJI) qui servira beaucoup la cause du club où commencent à s'inscrire les élèves pilotes : André Nola, Maurice et Edmond Staletti (qui deviendra une cheville ouvrière du club), le docteur Sy, Aimé Fauché et son frère Eugène, Touchelet, Fernand Martin (clerc), qui profitent des permissions de Gabriel Andrès, basé à Sétif, pour s'entraîner.

En juin 1933, Maryse Bastié rend à nouveau visite à Djidjelli (elle était déjà venue au mois de mars); elle affectionne particulièrement cette escale et y reste plusieurs jours pour rayonner dans tous le département et vendre, avec succès, des avions Potez.

Dès le mois de juillet 1933, les premiers résultats sont enregistrés : André Nola, Fernand Martin, " Tonton " Eugène Fauché et le docteur Sy passent brillamment les épreuves du brevet de pilote devant le capitaine Domerc (de Sétif). Fernand Martin avait réussi la performance d'être lâché après une heure trente seulement de double commande.

La population djidjellienne fréquente assidûment le club pour des baptêmes (140 en septembre et octobre) ou des voyages vers Sidi-Bel-Abbès, Oran, Redjas, Nin Fekroun...

En novembre 1933, l'activité ralentit, suite au départ de Gabriel Andrès promu adjudant et muté à Sidi Ahmed (Tunisie). Gabriel Andrès continuera une brillante carrière qui, après bien des péripéties, le mènera jusqu'au grade de colonel de l'Armée de l'air.

Le 18 décembre, les Djidjelliens ont le plaisir de voir passer à 9 heures du matin la totalité des 28 avions de l'escadre Vuillemin de la
Croisière Noire ". L'un des Potez 25, piloté par le capitaine Gaillard, doit d'ailleurs se poser à la suite d'ennuis de bougies. Il est aussitôt entouré d'admirateurs empressés et repart, rapidement dépanné.

Le 15 janvier 1934, Fernand Martin et Me Porte, avec Théolat comme passager, se rendent à Sidi-Bel-Abbès aux fêtes organisées par le C.A.B.A. et reviennent avec le prix de l'équipage ayant parcouru la plus grande distance.

Le 30 avril, l'assemblée générale approuve le compte rendu moral et financier et renouvelle sa confiance au conseil d'administration.
Au printemps, des aménagements sont apportés aux installations et à l'aérodrome (groupe électrogène, adduction d'eau, allongement des bandes d'envol...).

De juin 1933 à mai 1934, les deux Potez 43 ont effectué 370 heures de vol et parcouru 40000 kilomètres en 54 voyages, 1537 atterrissages ont été effectués depuis la création de l'aérodrome et 660 baptêmes ont été donnés.

Le prix du brevet est fixé à 5000 F, avec la faculté de faire 5 heures supplémentaires de perfectionnement au tarif réduit de 100 F / heure. Le prix normal du Potez 43 est de 250 F l'heure pour les personnes étrangères au club, 230 F pour les membres du club en double commande et 200 F pour les pilotes brevetés du club. Le prix du baptême est de 25 F.

Malheureusement un deuil frappe le club avec la mort prématurée d'André Nola. A son enterrement, le 15 septembre 1934, MM. Lochard, Porte et Mattei (au nom de l'amicale corse) exaltent les vertus aéronautiques du regretté président. Le conseil d'administration décide, dans sa séance du 25 septembre, de donner son nom à l'aérodrome de Djidjelli.

Jean Noël (courtier en vins), ancien vice-président, devient président; il achète pour ses besoins un splendide Farman 393 et engage un pilote, Delarue, qui arrive avec le nouvel avion le 3 janvier 1935 en pleine tempête. Eugène Fauché devient alors vice-président.

Le même hiver, les bimoteurs LEO 20 de la ligne militaire Casablanca - Tunis se posent régulièrement à Djidjelli, seul terrain du littoral restant praticable.

En janvier 1935, l'activité totale du club depuis ses débuts se traduit par 650 heures de vol, 5 brevets et 800 baptêmes.
Avec la commande par le club du Salmson "Phrygane " F-AOCX et du de Havilland "Moth" F-ALJK, la flotte est portée à 5 avions : 1 Potez 43 (Eugène Porte a revendu le sien à Alger), un Farman 393, le " Phrygane", le "Moth " et le "Mauboussin 120 "Corsaire " d'Eugène Porte qu'il va chercher lui-même à Paris, accompagné de "Tonton ", Eugène Fauché.

Un voyage mouvementé


Devant le moto-planeur SFAN 30, de gauche à droite : Dr Sy, Bob Carmana, Eugène Fauché.

Le convoyage de ce " Corsaire "(F. ANGM), du 18 au 23 mars 1935, est épique : peu après le décollage d'Orly, atterrissage en campagne à Blaizy à cause du mauvais temps. Le lendemain, Eugène Porte appareille pour aller chercher Eugène Fauché à Semur- en-Auxois (Côte-d'Or), afin de ne pas décoller du champ avec un avion trop chargé. Le décollage sur ce terrain de fortune est interrompu par un cheval de bois et il faut une équipe de 15 hommes pour sortir l'avion de la haie d'aubépines dans laquelle il s'est encastré. Il en sort avec pas mal d'éraflures et d'accrocs mais peut encore décoller pour aller se faire réparer chez les militaires à Dijon où les deux Djidjelliens retrouvent de nombreux amis qu'ils avaient connus à Sétif (au 3e groupe d'aviation d'Afrique). Le mauvais temps entrave la suite du voyage et plusieurs déroutements sont nécessaires. 40 kilomètres avant Valence (Espagne), le moteur s'arrête à la suite d'une erreur dans la sélection des réservoirs et une plage accueille le "Corsaire Après un décollage acrobatique sur une bande de 6 à 7 mètres de largeur, avec la mer d'un côté et les " décors " de l'autre, l'équipage rallie Valence (en pleine guerre civile espagnole), puis Alicante, Oran, Orléansville et Alger, toujours contrarié par le mauvais temps. Lorsqu'il rejoint enfin son port d'attache, le - Corsaire " a parcouru au total 3220 kilomètres en vingt-trois heures de vol (moyenne : 140 km/h) avec une consommation horaire de 16 litres.

L'essor

Entre-temps, l'arrivée de Durandeau comme chef pilote relance l'activité de l'école au profit de Garcia, Caruana et Vidal.

L'année 1935 voit également le passage de nombreux avions civils et militaires (général Lacolley, commandants Schmitter et Lapied, adjudant Frayssinet...) qui apprécient l'escale touristique de Djidjelli, alors que l'aménagement de l'aérodrome se poursuit.

Certaines de ces visites ne sont pas préméditées, en effet, deux avions se posent en panne sur la plage et doivent être ramenés sur l'aérodrome pour pouvoir reprendre l'air. Si cela est facile pour le Caudron " Luciole " de l'équipage Bonnet-Heinzelman (d'Alger), qui peut se remorquer les ailes repliées, il en va autrement pour le Farman 190 de l'Entreprise de photo aérienne (de Carcassonne) qui doit être entièrement démonté par les soins d'Eugène Fauché.

En 1936, sous l'influence du mouvement d'" Aviation populaire -, un gros effort est fait pour baisser le prix de l'heure de vol. Grâce à l'achat d'un motoplaneur SFAN 30 et au bénévolat de Durandeau, le brevet revient à 1 500 F (500 F pour les moins de vingt-cinq ans bénéficiant d'une prime de 1 000 F du ministère de l'Air).

Robert Nola (fils d'André Nola) est lâché en juin 1936, ainsi que René Bondurand (inspecteur des Eaux-et-Forêts), Bachelot (liégeur) et Jean Davet (industriel).

Le 14 septembre 1936, pris par les rabattants, l'équipage NolaFauché est contraint de poser, plutôt brutalement, le " Ville de Djidjelli dans le col de Tamentout, près de la ferme Lochard à Fedj-M'zala.

Le 2 janvier 1937, un sympathique pilote du Club aéronautique de Bel-Abbès, Maurice Bedel, épouse Jeanne Abadie, fille de l'administrateur de la commune mixte. Maurice Bedel est déjà célèbre par les grands voyages qu'il effectue avec son Caudron " Phalène " à travers l'Afrique du Nord et l'Europe.

Le bimoteur Porte-Lagrevol

En 1938, mettant à profit son expérience de grand touriste aérien, Eugène Porte, qui totalise alors 450 heures de vol, conçoit, avec l'aide de l'ingénieur Lagrevol, un avion bimoteur.

Il s'agit d'un avion à aile basse, train fixe, empennage bi-dérive, équipé de deux moteurs Regnier 90 ch. Cet avion est l'objet d'une étude très poussée, ses créateurs s'étant efforcés de réaliser le meilleur des compromis pour obtenir à la fois le maximum de simplicité, de solidité, de sécurité et d'économie tout en réalisant les meilleures performances possible. Il est aménagé pour transporter quatre personnes et leurs bagages dans une cabine très confortable, avec un rayon d'action de 1500 km. Les premiers essais, début 1939, sur le terrain de Saint-Cyr (près de Versailles), sont extrêmement encourageants. La vitesse 220 km /h, l'avion est très stable, les commandes efficaces et douces, l'atterrisseur, spécialement construit par Messier, est très souple. Cet avion aux lignes élégantes promet beaucoup et Eugène Porte peut être fier de son oeuvre, mais la guerre arrive et en empêche la mise au point et le développement.

Pierre JARRIGE