Chronique de mon agonie
par Jean Boisard, professeur des Universités ( décédé le 13 juillet 2015)
Ce récit d'un breton-sicilien pied-noir (ouf !) chez les Harkis (et qu'il me reste à composer) concernera, tout particulièrement, l'agonie oranaise des 5 et 6 juillet 1962. II pourra être contesté par certains : je ne suis pas infaillible. Mais, le plus honnêtement possible, je l'écrirai grâce aux bribes qui hantent encore mes souvenirs, quarante ans après.
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AVERTISSEMENT AUX FUTURS LECTEURS
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-----"À cet instant subtil au l'homme se retourne sur sa vie, Sisyphe, revenant vers son rocher, contemple cette suite d'actions sans lien qui devient son destin, créé par lui, uni sous le regard de sa mémoire et bientôt scellé par sa mort".

-----Je venais de naitre quand Albert CAMUS a écrit cette phrase dans le chapitre conclusif du "Mythe de Sisyphe", un essai sur l'absurde. Entre nous, connaissez-vous d'autres philosophes, dans la seconde moitié du XXème siècle, qui l'égalent en sa singulière qualité ? De mon point de vue, non !

-----Si j'écris ces lignes en ce soir de spleen (et dans l'espoir que le "Déjanté" fera paraître ma prose sur son site), mon propos s'inscrit dans un double but. Réfléchir sur le sens des écrits de CAMUS : lorsque l'on procède à un retour sur son passé, il me semble que seuls émergent des souvenirs émouvants, tristes ou amusants ; qui nous réjouissent ou nous émeuvent. N'est-ce pas la raison d'être du "SALMIGONDIS" ? En outre, Bernard m'a demandé un texte sur les derniers mois de notre Algérie, tout particulièrement dans l'oranais.

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CAMUS précise bien l'instant subtil (donc douloureux) où l'homme balaye ce qui a été sa vie. Qui, de nous, peut affirmer qu'il conserve une mémoire intacte des évènements qu'il a connus ? Psychologiquement (et philosophiquement) impossible ! Parce que nous avons vécu - que dis-je, subi -, au début des années soixante, des faits dramatiques qui nous ont perturbés. N'oublions pas que, pour la plupart, nous avions moins de vingt ans.

-----Ce récit d'un breton-sicilien pied-noir (ouf !) chez les Harkis (et qu'il me reste à composer) concernera, tout particulièrement, l'agonie oranaise des 5 et 6 juillet 1962. II pourra être contesté par certains : je ne suis pas infaillible. Mais, le plus honnêtement possible, je l'écrirai grâce aux bribes qui hantent encore mes souvenirs, quarante ans après. À la différence de l'observateur, l'acteur s'investit, interprète, peut oublier une réplique, un geste (ce fameux "trou" de mémoire), mais arrive à raccrocher la scène dont il s'est imprégné du sens. Dans le cas d'Oran, il convient de parler de traumatisme .:.

-----Si vous le permettez, sans pédanterie aucune, je retranscris les deux dernières phrases de CAMUS dans l'essai mentionné ci-avant ."La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir le coeur de l'homme. II faut imaginer Sisyphe heureux".

-----Dans les prochains jours, je tâcherai, arcbouté sur mes bécanes, les mains et joues salies par les encres d'imprimantes, de retracer ce que je n'ai pas oublié.

-----Si vous voulez m'aider (moralement), imaginez-moi heureux ...

Jean BOISARD, Professeur des Universités
Ce 25 novembre 2002, Le Grand-Quevilly


EN GUISE D'INTRODUCTION

-----Cinq fois sur le métier j'ai remis mon ouvrage.

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Tantôt trop long, tantôt trop court ... Ces premières tentatives ne m'ont procuré aucune satisfaction.

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Je me suis donc fixé un but : dix pages dactylographiées au format A4. Point ! Et s'il y en a douze, vous n'irez pas m'en faire un plat, du moins je l'espère, puisque je conte une partie de ma vie.

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-----À Alger, certains des enfants du Cadix et des Tournants Rovigo, pour cause de communion solennelle, ont fréquenté l'Église de notre saint berbère, le fils de la Sainte-Monique qu'elle réussit à convertir à sa foi : Saint-Augustin. Vous connaissez sa jeunesse houleuse, comparable, parfois, à la nôtre.

-----Nous avons mis en pratique sa maxime :

" La mesure de l'amour est d'aimer sans mesure "

-----Trop !

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Nous avons trop aimé notre Algérie.

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Peu de gens, en France continentale, ont compris cet amour absolu frisant (pour eux) une absurdité incompréhensible. Lorsqu'ils n'étaient pas indifférents, le reste des " patos" nous a vilipendés, calomniés, voués aux gémonies. À leurs yeux, nous n'étions que des excités et des activistes qui ne récoltaient que le juste prix de la fameuse sueur qui dégoulinait des burnous. Bien que n'y ayant jamais mis les pieds, j'imagine ces maîtres en morale transpirant frileusement dans les caves jazzies de Saint-Germain-des-Prés, où les nuits devaient être chaudes. Inutile de citer des noms : chacun les connaît.


-----Oui ! Nous avons trop aimé l'Algérie.


----- De fait, nous confondions, en cet amour, notre pays et la France d'Europe. C'est à cause de l'incompréhension de cette dernière que certains d'entre-nous (qui étions hédonistes, il faut en convenir) devinrent furieux, car trahis, révoltés et s'engagèrent dans des actions parfois insensées.


-----Nous étions, paraît-il, racistes. Vous connaissez des juifs qui regrettent leurs amitiés avec les chrétiens et les musulmans ? Citez-moi des cathos qui se mordent les doigts d'avoir eu des copains ... Ah ! J'allais oublier les athées. Continuez à ma place pour la suite.


-----Les gnons échangés entre nous (ceux de Dordor, puis de Bugeaud), ces amitiés particulières (au sens viril du terme), cette vie de quartier et de solidarité, je ne les ai point retrouvés en Normandie. Où j'ai vécu, arithmétiquement parlant, deux fois plus longtemps qu'en Algérie.


-----Comme mon intention n'est pas de vous enquiquiner avec des citations littéraires, permettez-m'en une dernière.


-----SÉNÈQUE le Philosophe (dit aussi le Tragique), qui vécut à l'époque de notre Christ, écrivit :

" Ce n'est pas parce que les choses sont diffciles que nous n'osons pas : c'est parce que nous n'osons pas qu'elles ont difflciles ".

-----Houari BOUMEDIENE, excellent connaisseur des sentences de SÉNÈQUE (mais qu'il lisait de droite à gauche), commit, forcément, un contresens. Au titre de la symbolique constructiviste socialisante de la nouvelle Algérie Démocratique et Populaire, l'un de ses premiers actes marquants fut, à l'aide d'un bulldozer, de mettre à bas ...

l'Église Saint-Augustin.

-----Est-il besoin d'un commentaire ?

-----Oui, sans doute. Depuis quelques années, certains, qui voulaient leur indépendance, entrés en France clandestinement, jouent à occuper nos Églises, et non les Mosquées construites sur le sol français.

Note du webmaster : voir Saint-Augustin...Dordor...Bugeaud...Berbères


QUAND SUIS-JE DEVENU UN HOMME ?

-----Ce n'est pas à la Toussaint Rouge de 1954. Je n'avais que douze ans. Entre les deux siciliennes de Cefalù (ma grand-mère et ma mère), nous regardions, en ce soir, les lueurs et fumées qui montaient du côté de Montpensier, accoudés à un balcon du 98 de la rue Rovigo. Pour moi, voilà qui ressemblait à une sorte de feu de la Saint-Jean. Un car avait été incendié par les "rebelles".

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Courte explication, par parenthèse : j'ai hérité de mon celte de père une tournure syntaxique. En (vrai) breton, on commence toujours sa phrase par : "Moi, je ...". Aucune prétention, aucun nombrilisme : c'est ainsi. Mon ex-épouse normande n'a jamais voulu l'admettre. Vous non plus, peut-être, mais je m'en moque.

-----Donc il m'est possible d'affirmer avoir eu une adolescence tronquée.


-----Fin 1958, un copain "patos" est abattu d'une balle dans la nuque. Quelques mois plus tard, au sortir du lycée Bugeaud, j'étais avec un autre copain "patos" dont le père, officier, venait d'être affecté à Alger. Rue Bab-Azoun, nous nous séparons. Lui va vers la Place du Gouvernement prendre son bus ; moi vers "La Jeune France", le bistrot que tenait ma mère au bas de la Casbah. Je n'avais pas fait trente mètres que j'entends un coup de feu. Demi-tour. Je cours et vois mon copain à terre, sous les arcades. Nouvel acte de courage : une balle dans la nuque. Fort heureusement, il s'en est sorti avec, comme seule séquelle, une paralysie faciale droite.


-----Fini la Pointe-Pescade, le Cap-Caxine, Les Sables-d'Or de Zéralda, le Chenoua ...


-----Le 23 janvier 1960 (oui, vous avez bien lu : le 23), alors que nous préparions ce qui allait devenir célèbre sous le nom générique des "Barricades", je suis entré dans l'action directe. Un an et demi après, cette dernière allait s'organiser, et l'adjectif se convertir en "secrète". À ceux qui ne me croient point, je conseille la lecture (et la consultation des photographies) du "Paris-Match" de l'époque et de "Spectacle du Monde" de 1963. On peut m'y reconnaître en compagnie de LAGAILLARDE et de ZAGAMÉ (qui a fini son parcours dans l'Est de la France en qualité de sous-préfet, Gérard LONGUET dixit) : c'était à l'occasion de la fameuse "Prise des Universités" de la rue Michelet.

J'étais devenu un homme.


POURQUOI S'ENGAGER DANS LES HARKIS ?

-----Aux "Barricades" succéda le "Putsch" du 21 avril 1961.

-----Dès le 19 avril au soir, je me trouve dans l'appartement de la rue Michelet (celui des "Barricades"), situé au-dessus du "Coq Hardi". Je passe sur les plans échafaudés. Ma mission : trouver un véhicule et piloter dans Alger, au petit matin du 21, des officiers afin de leur indiquer certains points stratégiques : le Commissariat Central, l'immeuble de la Radio/ Télévision rue Hoche, et caetera ...


-----Dans la nuit du 20 au 21, je remonte à pied vers le domicile de mes parents. Au niveau bas des marches du Gouvernement Général, vers une heure du matin, un monstre surgit, colle le canon de son arme sur mon ventre et dit à voix basse : "Halt !". Merci, Messieurs JUNG et BOUDJADI, grâce à qui j'ai appris quelques mots d'allemand. "Kein Problem ! Ich bin ein Kamarad !". Et de lui expliquer, dans mon sabir teuton, que je vais chercher une voiture pour conduire, dans Alger, trois officiers. II me répond qu'il comprend, mais me demande de passer par la place. Là bivouaquaient deux ou trois cents hommes. Peut-être plus.

-----Le Deuxième Etranger Parachutiste, venant d'Oranie, se préparait à investir Alger.

-----"Yeux bleus" (le surnom de mon père quand il était responsable de la brigade des moeurs dans la Casbah) me donne les clés de son "Aronde". Comment pouvait-il faire autrement ? Tandis qu'il entretenait mon Manurhin 7.65, ma mère s'occupait des chargeurs de la MAT 49. Quand je vous disais que mes parents étaient formidables. Que Dieu les ait en Sa Sainte Grâce.

-----J'ai accompli ma mission, apporté mon concours aux "putschistes" (et même un peu plus, avec "Jeune Nation"). Nous avons rêvé six jours. L'utopiste CHALLE n'a pas su conduire son affaire. Le garde de deuxième classe que je fus a droit d'exprimer ses critiques, à soixante ans sonnés. Bien évidemment, je n'ai rien à reprocher à ZELLER ou SALAN. Surtout pas à Edmond JOUHAUD.

-----Le 1er REP est dissous.

-----Ses hommes furent emmenés au camp de Zéralda. Ils chantaient, ils hurlaient, en chemin, la chanson de PIAF : "Non, rien de rien ! Non, je ne regrette rien !".

-----Dans les jours qui suivirent, nombre de légionnaires désertèrent. Je me trouvais dans la ferme des CHEVIET qui jouxtait la forêt de Zéralda. II me faut rendre hommage au père de Jacques. II les a nourris, hébergés, leur a fourni des habits civils et de l'argent.
Fin juin. Je loupe mon baccalauréat, ce qui ne surprendra personne. Papa, qui était au "Central", m'informe que cela commence à barder pour mon matricule. Nous prenons une sage décision : il serait bon que j'aille respirer l'air ravigotant de la Bretagne.

-----C'est là où j'ai rencontré De GAULLE !!!

-----II faisait la tournée des popotes campagnardes, et eut la mauvaise idée de s'arrêter (trois minutes prévues) dans le village de ma grand-mère paternelle pour saluer le maire de la commune.

-----
Assis sur un talus avec mes copains bretons, nous voyons le cortège de DS (une bonne quinzaine) arriver, puis stopper au beau milieu du bourg. De la troisième voiture sort le De GAULLE. Au moment où le maire de Pleslin s'approche, je hurle, à m'en faire péter les poumons, un "Vive PÉTAIN !!!". Alors là, toutes les portières des véhicules s'ouvrent. Les accompagnateurs sortent leurs flingues ; les flashs des journalistes crépitent ... Et De GAULLE repart vite fait. Bien sûr, vous croyez à un tchalef : consultez les "Ouest-France" d'août 1961.

-----En Bretagne, je n'avais point besoin de me refaire une virginité puisque puceau (mais la maréchaussée du canton recherchait le crieur). Donc je regagne Alger. Chez mes parents, une lettre m'attend. Sursis pour études résilié et ordre de marche pour un obscur régiment d'Infanterie à Strasbourg. Le bon garçon que j'étais se réinscrit à Bugeaud pour redoubler Math-Elem'. Mais, rapidement, disparais du paysage algérois.

-----Grâce à une certaine filière, je me suis retrouvé à Vialar ( aux confins des sud-algérois et sud-oranais), engagé comme garde de deuxième classe dans le Groupe Mobile de Sécurité (GMS) 87. Marrant car les GMS, ex-GMPR (Groupe Mobile de Protection Rurale), dépendaient du Ministère de l'Intérieur : j'étais devenu un "collègue" de mon père-flic (son rêve : il voulait que je devienne officier de police, mais j'avais pris les choses par le gros bout de la lorgnette).

-----Je me présente au Commandant Maurice BONNEMAYRE. Entretien bref mais courtois. En sortant de son bureau, je tombe sur un homme qui arborait une grande croix. II était aumônier. À ma demande, il accepte de me confesser et de s'entretenir avec moi. Je lui ai dit mon angoisse d'avoir à tuer un homme. Thématique de sa réponse : "Nous vivons une situation exceptionnelle, une situation de guerre. Si tu hésites à tirer, dis-toi que le fel' d'en face n'aura aucun scrupule à t'abattre. Le Seigneur te comprend". II m'a donné son absolution et sa bénédiction. En douce, j'ai été piquer de la mie de pain au mess (que j'avais repéré), et j'ai communié, vaille que vaille.

-----Le soir de mon arrivée, je suis de garde à l'une des quatre tourelles du fortin, de minuit à trois heures. Au mess, mes nouveaux camarades avaient décidé de célébrer ma venue. À la boisson (parce qu'il n'y avait rien à manger, paraît-il) : bière et Martini rouge. J'ai pris une biture ! À partir de minuit, heure de mon tour de garde, j'ai allumé le puissant projecteur, balayé le djebel ... et vomi. Cette séquence a duré jusqu'à la relève. Bienvenue au Club !

-----Ce GMS 87 possédait une caractéristique : c'était une troupe à cheval. La Police Montée des Portes du Désert, en quelque sorte. Vous prenez le Canada ; vous enlevez neige et stetsons ; vous remplacez les deux par des cailloux et des passe-montagnes. Et vous aurez tout pigé.

-----Sauf que les bourrins arabes sont cinglés, à la différence des chevaux canadiens. Ils n'aboient pas mais ils ruent. C'est ainsi que je me suis retrouvé, en février 1962, dans ce qui restait de l'hôpital de Teniet-el-Haad. Mon cheval avait fait mine de dépasser celui qui le précédait. Quelle injure ! En une fraction de seconde, j'ai vu l'oeil jaune et torve du bourrin viser mon tibia. Trois jours à Teniet car il restait trois appelés du contingent, trois ampoules de morphine, des lattes et une bande Velpeau. De retour au fortin, durant trois semaines, un géant (qui ne parlait pas un mot de français) m'a porté sur son dos : lit, toilettes, mess, lit, toilettes, mess, dodo. II me souvient de l'une de ses particularités : il décapsulait les bouteilles de bière avec ses dents d'une exceptionnelle blancheur. Je n'ai jamais su son nom, ni, par la suite, son destin.

-----Si j'ai choisi les Harkis, dont je n'avais qu'entendu parler puisque résidant à Alger, c'était pour être aux côtés de ces Français musulmans qui combattaient pour leur "Idée" de la France. D'accord, voilà qui participait d'un certain mysticisme ou romantisme. Mais je n'ai pas été le seul.

-----La démarche de Jean et Bernard RUBAT du MÉRAC (que je n'ai pas connus au GMS 87) procédait-elle d'une approche différente ? Surtout avec leur patronyme à charnière ?

-----Peu avant la mi-juin, le Commandant BONNEMAYRE ordonne le repli du Groupe sur Arzew. Plus de la moitié des Harkis décide de rester sur place. Leur sort horrible est rapporté par Bernard MOINET dans un de ses livres. II ne faut jamais croire aux promesses, surtout lorsque les accords sont scellés à l'eau minérale. Les autres sont répartis dans tous les véhicules militaires et civils disponibles. Départ par convois de cinq à six engins, espacés d'un quart d'heure. Embuscades ... Nous serons moins de trente lors de notre jonction avec le GMS 80 du Capitaine René MARCHADIER. Ce groupe, lui-même, ne comptait plus qu'une vingtaine d'hommes.

-----L'agonie oranaise a commencé à Vialar. Tandis que je rédige ces lignes, je prends conscience que je narre la chronique de ma propre agonie : elle a également débuté là-bas et me semble fort longue.

-----MARCHADIER était efficacement secondé par le Lieutenant Jaki MERCIER qui m'avait pris en estime.

-----Fin juin, nous apprenons que le Groupe reconstitué doit faire mouvement vers Bou-Sfer. J'allais, enfin, voir Oran, cette rivale d'Alger !

-----Sur le boulevard maritime, grosse déception.

-----À droite, les cuves de carburants brûlaient.

-----À gauche, les Gendarmes Mobiles et mes amis de l'OAS jouaient à la guerre, à l'aide de 12.7 et de lance-roquettes.

-----Devant, un barrage de contrôle de l'ALN. Bizarrement déguisé en pseudo-para de BIGEARD, le chef réclame : "Vos papiers !". Réponse de Jaki MERCIER qui pilotait la jeep: "Merde ! La guerre est finie". J'étais à son côté, avec mon PM approvisionné, face à un pieu-pieu fraîchement émoulu des troupes de réserve de l'ALN au Maroc ; il avait un PM, lui aussi, mais à chargeur courbe. Bref ! Ils nous laissent passer et nous arrivons dans un Bou-Sfer déserté.

-----J'y ai connu cinq jours de détente, deux jours d'horreur, deux autres jours dont je n'ai pas gardé le moindre souvenir, deux heures d'angoisse avec une conclusion heureuse. Le dernier jour, 11 juillet 1962, j'ai tourné délibérément le dos au passé. Du moins le croyais-je ..


LA DÉTENTE

-----MERCIER tenait à sa jeep, qui me faisait envie. Subrepticement, je déconnecte le fil d'une bougie. J'en étais sûr : "BOISARD, répare la jeep !". Pendant une heure, planqué derrière le capot soulevé, je me suis soigneusement maculé de cambouis. Le moteur redémarre par miracle, et j'obtiens le droit d'éprouver ma réparation. Qu'elle était belle cette côte à l'ouest de Bou-Sfer !

-----Le tirage au sort veut que je sois de garde du 30 juin minuit au 1er juillet 1962. Le factionnaire de la vingt-cinquième heure, en quelque sorte.

-----Mon copain, le Sergent Ahmed BENAÏSSA, m'a appris à pêcher à la grenade (OF, bien sûr). Alors là, le Lac de Tibériade, il peut aller s'assécher.

-----La jeune belle-soeur de MERCIER nous avait rejoint en vue du grand départ. Nous avons passé toute une après-midi à parler sur une plage de sable fin et déserte. En tout bien, tout honneur : elle avait mon âge. Le soir, mon arme de service (un 7.65) était souillée de sable. Je nettoie, en oubliant que la consigne voulait d'avoir, toujours, une balle engagée dans le canon. Au moment où je touche la queue de détente, je me colle une balle dans la main droite. Ce qui ne m'a jamais empêché d'écrire.

-----Près de notre villa se trouvaient des habitations troglodytiques. Là attendaient des musulmans pour regagner "Madame la France". C'étaient des Berbères, et j'ai entr'aperçu la plus belle des jeunes filles que j'aie jamais vue. Dix-sept ans, pas plus. À mon âge, j'en rêve encore. Ce fut ma seule Apparition.

-----Le lendemain, 5 juillet 1962, le cauchemar survenait.


L'HORREUR

-----Curieusement, ce chapitre, à l'origine du présent article, sera bref.

-----Voilà bien des années que j'ai refoulé, à dessein, mes souvenirs, que je n'ai plus ouvert certains livres, que j'ai laissé mes archives en archives.

-----Lorsque j'ai imaginé la manière de rédiger ce texte, je me suis mis à pleurer. Et je pleure en cet instant. Des larmes qui ne sont pas de mélancolie. Même pas amères. Elles sont d'acide et me rongent

-----"Les curieux évènements qui font le sujet de cette chronique se sont produits en 1962, à Oran". Première phrase de "La Peste" d'Albert CAMUS. Certes, j'ai triché : `1962' est, dans le texte original, `194.'

-----Cependant, il m'a toujours semblé qu'il se dégageait de cette phrase un je-ne-sais-quoi de prémonitoire. N'oublions pas que l'oeuvre fut publiée en 1947. Les tentatives orientées, donc lamentables, des exégètes du livre parlent de la peste brune. Et s'il s'agissait de la peste "bronzée" ?

-----Dans son texte remarquable en date du 5 juillet 2001, Geneviève de TERNANT a parfaitement décrit les horreurs vécues et subies par les oranais en ce 5 juillet 1962. Je ne pourrais qu'abonder dans son sens. Madame de TERNANT m'a épargné la peine (dans toutes les acceptions de ce terme) de retracer ce massacre barbare.

-----Un point narratif me semble intéressant car contributif. Le 5 juillet, peu après 9 heures, le Lieutenant MERCIER dit à BENAÏSSA et moi-même "Prenez quatre hommes et trois GMC : des émeutes ont (vont ?) éclaté(r) à Oran. Ramassez le max de civils sans distinction (- sous entendu de race ou de religion -), ramenez-les sur la base de Mers-el-Kebir et continuez". Si la barbarie a débuté à onze heures, c'est qu'elle était préméditée, et que des informations avaient transitées jusqu'à Bou-Sfer.

-----Les navettes durèrent toute la journée du 5. Je confirme que nous étions les seuls "militaires" pour accomplir cette mission. II est possible que la gendarmerie soit intervenue enfin d'après-midi : je ne saurais le dire.

-----Le lendemain, la furie était quelque peu calmée, et nous avons pu poursuivre nos navettes. L'odeur était insoutenable. Quand je pense que CAMUS se délectait des "...rues aux odeurs d'ombre..." de nos villes d'Algérie : sa disparition trop précoce lui aura évité cette nausée.

-----Plusieurs centaines de civils ont ainsi trouvé refuge sur la base de Mers-el-Kebir.

-----Je ne conserve aucun souvenir des 7 et 8 juillet : c'est le trou noir. Dû, sans doute, à un mécanisme psychique compensatoire destiné à occulter le traumatisme.

-----Le 9, nous avons embarqué sur un Bateau de Débarquement de Chars (BDC), "Le Blavet" (le nom d'une rivière bretonne près de Lorient). Quatre à cinq cents civils avaient pris la place des tanks. Puis nous avons débordé, cap sur Toulon. Vers la mère patrie indifférente, exception faite de celles et ceux de la Croix-Rouge et du Secours Catholique.

-----Le BDC était commandé par un Lieutenant de Vaisseau, qui a fini sa carrière en tant qu'Amiral. Voilà six ans, je me suis entretenu avec lui au téléphone. II a délibérément bravé les ordres donnés (pas un Harki en France !), et effectué plusieurs rotations Mers-el-Kebir/Toulon. Notre traversée fut la dernière. Je possède la photocopie du Livre de Bord du "Blavet" grâce au Service des Archives de la Marine Nationale.

-----Je délègue à Jean SOLER le soin de conter ma soirée du 10 sur ce navire. Il connaït l'histoire, qui constitua mes deux heures d'angoisse, mais terminées par un heureux dénouement.


LA RÉFLEXION

-----Au fil de ce texte, un rapprochement s'est imposé.

-----Certains ont parlé de 3000 morts lors de la boucherie d'Oran. Si des ministres (comme de BROGLIE et SANTINI) avancent ce nombre, il faut le majorer. À en juger par les données provenant d'Alger, les enlèvements à Oran n'ont pas été correctement pris en compte : il convient d'extrapoler, donc de parler de quelque 4 à 5000 victimes.

-----4 à 5000 morts ou disparus : cela représente le double des tués lors de la destruction des Twin Towers du World Trade Center de Manhattan, attentat perpétré par des islamistes fanatisés, le 11 septembre 2001. La communauté internationale se déclara horrifiée.

-----Les salopards du FLN, puis du FIS et, à l'heure actuelle, du GIA ont-ils été l'objet d'opprobre, en leur qualité d'assassins barbares, par les Nations Unies au cours de la dernière décennie ?

-----Non ! Et à ma connaissance, rien de tel en 1962, pour Oran.

-----Il est vrai qu'à l'époque, De GAULLE se foutait de la gueule de l'ONU (le "Machin"), tandis que nous, les coupables pieds-noirs, portions sur nos épaules tous les péchés d'Israël.

-----Contrairement à l'ordre donné à KATZ par De GAULLE («C'est un massacre ? Ne bougez pas !»), G-W. BUSH porta immédiatement la guerre sur le pays refuge d'Al-Quaïda. Et la poursuit encore ...

-----Différence entre un vrai responsable politique (qui n'a pas confiné ses GI's l'arme au pied dans leur cantonnement) et un Général de Brigade autoproclamé, qui débuta la Seconde Guerre Mondiale par une sanglante action d'éclat (c'est le cas de le dire puisqu' étant artilleur) : la section qu'il était chargé de commander fut installée, par ses soins, en pleine plaine bordée de bois et de collines ; les Stukas se régalèrent (communication personnelle de Xavier CAMILLERAPP, Grand Officier de la Légion d'Honneur, Grand Invalide de Guerre, aveugle depuis 1940 par la grâce de De GAULLE}.

-----2003 sera l'année de "l'Algérie".

-----Laquelle ? Celle des tortionnaires et des tueurs au pouvoir. Ou celle de l'"Oeuvre Française"telle que décrite par le Professeur Pierre GOINARD.

-----Peu importe à CHIRAC que BOUTEFLIKA eût insulté les Harkis à la tribune de l'Assemblée Nationale en les comparant aux collaborateurs de 1940. Que BARRE, en fin 2000, eût assimilé l'adjectif harki à celui de traire ... et de collabo, lui aussi.

-----À quoi rime cette mascarade ?

-----À l'instar d'Oriana FALLACI, j'enrage contre cet orgueil hypertrophié, sans fondement, sûr de lui et dominateur des islaministes. J'enrage contre nos sociétés, dites civilisées, dont bon nombre oscillent, au gré des courants d'air, entre laïcité islamo-tolérante, laxisme pontifiant et ponce-pilatisme.

-----De mon point de vue, Oran, en juillet 1962, marque le départ de cette volonté des arabes pour prendre le contrôle des pays occidentaux. Islam conquérant ! Inversez les Croisades ! Ces gens ont plusieurs siècles de retard sur nos civilisations, et s'en rendent compte. Plus le temps passe, plus leur retard s'accuse. Pour s'en convaincre, il suffit de comparer le Maghreb du début des années 60 à celui de notre XXIème siècle commençant (1423 de l'Égire et an de grâce 2002 de Notre-Seigneur).

-----L'invasion des criquets et des sauterelles se fait "en douceur" depuis plus de vingt ans. Nos villes et, déjà, nos campagnes sont en proie à une espèce jusqu'alors inconnue d'elles : le chacal. Les tags à la gloire de Ben Laden souillent les murs de nos immeubles. Nos dirigeants laissent faire, bien plus préoccupés par l'opinion de SOS Racisme et du Mouvement pour l'Amitié (tu parles !) entre les Peuples. J'ai mal à la France ...


EN GUISE DE CONCLUSION

------Malgré ma promesse, je suis retourné en Algérie. En 1967, 1969 et 1970. Pour que mon épouse "patos" essaie de comprendre, et que mes deux premiers jeunes enfants connaissent la patrie de leur père.

------Puis en 1982, en mission universitaire, pour aider les Chaouïa à concevoir leur université, puisque les Kabyles de Tizi-Ouzou avaient déjà la leur.

------En 1985, enfin, à la fin d'un colloque scientifique qui se tenait à Tunis, pour tenter de récupérer tout ou partie de la monnaie de singe dinaresque, fruit de ma juste contribution. En cette année, j'ai senti que les vents tournaient à l'aigre, et que ma prochaine visite serait remise à ... bien plus tard.

------Je n'appartiens pas à ceux qui croient en la vertu endurcissante des épreuves. Leurs marques restent indélébiles. On ne peut que simuler leur oubli.

------À dessein, je n'ai pas tout dit. J'ai omis l'ordre de mission de Raoul SALAN, du 2 avril 1962. De la fin du mois de mars de cette année, et jusqu' à la mi-juin, je crois être le seconde classe qui a reçu le plus de permissions pour aller "rendre visite" à ses parents d'Alger.

------Je désire dédier ce texte à Caroline BOISARD, ma fille, née le 30 juin1966, en Normandie. En 1967, elle a fait ses premiers pas à Hydra, lors d'un séjour touristique, mais ne pouvait avoir conscience de son bonheur. Plus tard, jeune journaliste (de talent, paraît-il), elle s'est tuée au retour d'un reportage, le 30 juillet 1989 (RIP).

------Quand je vous disais que ce mois de juillet ne m'a jamais porté bonheur, et que tout ressort d'un absurde qui nous dépasse ...

Jean BOISARD

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