-----Aujourdhui,
je suis dhumeur printanière. Il fait beau et nous sommes
dans un des printemps 1957-1960. Je suis seul.
Place du Gouvernement
à Alger, quasiment sous le cheval de bronze du Duc dOrléans
et jai décidé de prendre le bus de Baïnem pour
aller retrouver Aline aux Bains Romains.
-----Vous vous souvenez, il sagit de
la ligne 11, dite Alger, Bains Romains, Baïnem. Maintenant elle part
de lavenue du Huit Novembre, mais très longtemps, elle nous
obligeait à attendre sous le cheval.
statue
du Duc d'orléans
|
-----Alors cest
fait, Jy vais, je monte dans le bus bleu des
R.D.TA. Jai longtemps préféré les
céféra (C.F.R.A),
mais cétait alors lépoque des tramways avec
leurs « Wattman », qui accéléraient en manipulant
la manivelle du rhéostat. Aujourdhui il ny a plus que
les bus, qui crachent leurs relents de gas-oil et enfument les piétons.
Mais ça y est, le mastodonte démarre. Il y a foule dans
lautocar, qui prend la ligne droite de lavenue du Huit Novembre.
-----Déjà de ma fenêtre
entrouverte je sens les doux effluves de la plage du Cassour, qui
jouxte le premier arrêt « Boissonnet ». Cet arrêt
est juste sous le Lycée
Bugeaud, cest dire que je lai fréquenté
dix années durant, quatre fois par jour en période scolaire.
Il sappelle Boissonnet pour les vieux de la vieille ou Borély
la Sapie pour ceux, qui lisent la plaque au sommet du poteau de larrêt.
rue Borely
la Sapie
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Quelques mètres plus loin, sur le trottoir de droite,
nous allions acheter nos premiers blue-jeans délavés aux
Stocks Américains. À deux pas de là, les établissements
Spigol ensachent leur fameuse poudre rouge de pseudo safran, sans laquelle
nos ménagères de mères ne savent plus faire la cuisine.
-----Le car redémarre et poursuit
sa route vers la seconde station « Nelson
». Pour cela il passe presque en même temps devant
deux des plus célèbres cinémas dAlger, le «
Majestic » à droite avec son immense salle et surtout son
plafond mobile, qui en fait une salle plein air en quelques minutes et
« les Variétés » à gauche, qui étaient,
tous deux, très fréquentés par les saint-eugénois
de tous bords.
Square
Nelson et "le Majestic"
|
-----En quittant Nelson nous passons devant
El Kettani ou les Bains Militaires des anciens. Dans la descente vers
Bab el Oued, la porte de la rivière en français, lautobus
est tout secoué par les trépidations de sa suspension sur
les pavés de lavenue Malakoff. Lépicerie du
regretté père dHenri Bassas est dans une petite rue
perpendiculaire à gauche de la voie suivie. Nous dégringolons
ainsi jusquà la station Bab
el Oued, où le car marque larrêt. En face
à côté du bistrot se trouve une épicerie, dans
laquelle tout gosses nous venions acheter les bâtons de réglisse
Zan cylindriques. Il fallait une bonne demi-heure pour en venir à
bout étant donné leur importance. Quelquefois pour varier
les plaisirs nous achetions en lieu et place des doses de « coco
marseillais », quil fallait sucer en aspirant pour faire monter
la poudre du tube de verre jusque dans nos bouches denfant. Mais
que cétait bon ! et ce dautant plus quà
lheure choisie, nous bravions linterdiction parentale de consommer
des « bonbons ou autres » à des heures trop rapprochées
des repas. Il était de bon ton en effet de préserver nos
appétits puérils ou adolescents pour lheure des agapes
familiales.
-----Mais notre bon autobus repart en pétaradant
quelque peu et cahin-caha se dirige vers « La Salpêtrière
»,
la Salpêtrière
|
ce grand bâtiment austère, qui se trouve
à gauche, juste avant la montée vers lHôpital
Maillot et larrêt « Consolation ».
En face, donc à droite de la voie nous pouvons regarder le stade
de foot-ball « Marcel Cerdan », dont lentrée
est ornée du buste du boxeur disparu, sculpté par notre
bon prof de dessin de Bugeaud, André Greck, Grand Prix de Rome
de sculpture, frère de Louis Greck, le photographe de « lÉcho
dAlger », qui est aussi le papa dAnne-Marie et Élizabeth
Greck des Bains-Romains.
-----Cette fois nous prenons vers la droite
le Boulevard Pitolet, qui va longer le bord de mer quasiment jusquà
Baïnem.
La Méditerranée est là toute proche et les jours
de tempête les odeurs iodées voire les embruns marins viennent
caresser lautobus. Nous filons vers le grand stade de foot-ball
de
Saint-Eugène, en dessous duquel il y a un arrêt
facultatif, quel joli nom, qui ne permet que dembarquer pas de descendre.
En effet, les riverains ont obligation de prendre la ligne 4/9 Deux-Moulins/Brossolette,
qui, elle, passe par le haut, boulevard Maréchal Foch et le centre
de Saint-Eugène. Juste en dessous de lautobus existe une
petite échoppe de frites réputée, « Chez Paquita
», où on peut déguster les chips aussi succulentes
que celles de « Chez Marco » à la Madrague.
Guyotville
: la Madrague
|
Mais elles ont une particularité, elles sont cuites
avec la peau de la pomme de terre. Elles sont donc bordées de marron,
mais délicieusement croustillantes.
-----Et notre car repart de plus belle pour
passer devant « La Potinière » restaurant disait-on
recherché, mais qui, personnellement, me rappelle a posteriori
la réputation de lAustralie. En effet, on passait devant,
on en parlait toujours mais on ny allait jamais. Puis à gauche
les villas cossues de Saint-Eugène défilent, dont le fameux
« Château ».
-----Et toujours sessoufflant sous
leffort, le car atteint larrêt Saint-Eugène Mairie.
la mairie
|
Il y a là le grand boulodrome et la station service
« à létoile », qui devint Antar par la
suite. En dessous il y a les « Deux-Chameaux », plage mythique
de Saint-Eugène centre. Avec ses deux rochers caractéristiques,
elle a bien mérité son nom.
-----En redémarrant on attaque la
ligne droite, qui mène au virage sous les voûtes duquel se
situe le Club Nautique de Saint-Eugène, dont les activités
se partagent entre le water-polo et les parties de pêche à
la palangrote. Lentrée se trouvait dans le vallon à
droite du Boulevard Pitolet. Mais les activités se déroulaient
onze mètres plus bas dans les fameuses voûtes, qui avaient
coûté des milliers dheures de travail à nos
grands parents aux origines espagnoles, maltaises ou italiennes. Et puis
après le second virage, le bus passe au-dessus du
Plage
et parc à huîtres
|
Parc aux Huîtres de Saint-Eugène, qui est,
tout autant que celui de Sidi-Ferruch,
géré par la famille Capomaccio. Ils sont cousins les uns
des autres et pour moi deux-moulinois, cest François qui
est tout à la fois mon copain denfance et de ma génération.
Le grand chef à lépoque ce devait être le grand
père aidé efficacement par le frère aîné
Nicolas, si ma mémoire nest pas trop défaillante.
Parmi les cabanons sur pilotis, on peut remarquer, en contre bas du boulevard,
le célèbre cabanon « T.P.L.G », que la rumeur
publique explicitait par « Tout Pour La Gueule », laissant
augurer que le propriétaire constructeur était plutôt
rabelaisien.
-----Notre autobus bleu azur continue son
bonhomme de chemin pour atteindre le « Petit Jardin », hideusement
remplacé dans les dernières années par une station
service Esso, en face de laquelle avait eu lieu dans les années
50 une fameuse campagne publicitaire. Une grande affiche avait montré
une quinzaine de jours durant un petit garçon, dont le chapeau
était une capsule de boisson gazeuse. Celle-ci était blanche
et en son milieu, il y avait un point dinterrogation, qui intrigua
longtemps les passants et les riverains. Au bout dun grand mois
est apparu un nom qui depuis a singulièrement grandi et occupé
les papilles des adolescents : Coca-Cola.
-----Le car passe alors devant nos lieux
de chasse sous-marine et de pêche à la ligne denfance.
Il sagit bien évidemment de lieux quasiment sacrés
pour deux jumeaux blondinets. Les plages de La Poudrière,
plage
de la Poudrière
|
puis les rochers de chez Marchina et ceux de LIndépendance
juste au-dessous du grand immeuble de Mr Portelli, directeur de lOpéra
dAlger, et donc propriétaire des appartements
successifs, occupés par nos parents, où nous sommes nés,
sur la table recouverte de zinc de la cuisine, Gérard et moi. Nous
sommes loin de laseptie méticuleuse des maternités
du XXI ° siècle. Tout le monde connaît cet immeuble car
il avait un grand mur aveugle à sa gauche en regardant la mer,
entièrement recouvert de la publicité des petits beurres
LU sur fond bleu. Pour tous les copains, les jumeaux habitaient limmeuble
LU.
-----Nous
nous précipitons maintenant vers les Deux-Moulins, en passant dabord
devant les appartements des grandes tantes, des grands parents, devant
le garage B.M.W motos du grand oncle Mirallés, avant de retrouver
lavenue Maréchal Foch, qui rejoint la station service ESSO,
au confluent des deux artères.
le "plateau"
|
Cest ensuite le déboulé vers la place
des
Deux-Moulins, proprement dits, sous limmense propriété
Nocchi, où lespace dune fête estivale en 1953,
avaient trôné deux superbes moulins à vent factices.
En face se trouve le fameux restaurant « Chez Madeleine »,
dont la terrasse est sur les rochers à quelques mètres de
la mer. Plus loin, sur la place les autobus de la R.D.T.A de la ligne
4-9 Deux-Moulins/Brossolette tournent et effectuent le retour vers Alger.
Larrêt ne sert toujours que pour lembarquement à
destination de la Pointe Pescade, de Miramar, des Bains Romains et bien
sûr de Baïnem. Le Bus prend alors le virage de la plage Lebhar,
la plus grande plage des Deux-Moulins, objectif tout choisi des habitants
de Bab el Oued. Il commence alors la grimpette vers La Vigie, qui lui
permet de passer sous "le Pavillon Bleu" à gauche de
la voie, établissement jadis réputé et couru de la
famille Bénéjam, dont lun des membres fût un
tennisman algérois haut de gamme. Puis sur la gauche cest
« La Sirène » restaurant, qui a connu son heure de
gloire en 1942, en abritant le Gouvernement Provisoire de La France Libre
du Général De Gaulle, qui nous préparait un si beau
cadeau pour lannée 1962, strictement vingt ans après.
Encore cent mètres et cest le cur de La Vige, avec
la petite placette, où trône la boulangerie des parents des
frères Orts. Toujours à gauche la petite côte, qui
longe un moment la route de Guyotville, mène vers latelier
Azéma, qui construit à tour de bras ces fameuses «
pastéras » en contreplaqué, qui avaient envahi la
Côte Turquoise. La plage Martin nen comptait pas moins de
trois dont celle de Monsieur Behm père et la mienne. Virage à
gauche et cest déjà la zône de poussières
de lusine Lafarge de la Pointe-Pescade.
-----Nous venons de passer au dessus des
plus belles plages de la région, avec dabord celle de «
Mon Rêve » avec ses fameuses vagues de « surf ».
Pour nous le surf, ça nétait que la bouée de
chambre à air davion et les morceaux de planche à
laver, mises à la retraite par nos mères.
-----Et ensuite la plage « des Casseroles
» avec son non moins fameux toboggan de béton sous lequel,
javais eu loccasion de faire le paon devant Aline en 1953,
sans pour autant réussir alors à la séduire, occupé
que jétais à ramer la petite pastéra en aluminium,
qui nous servait de yatch. Dans cette même zone de poussières
sur la gauche du bus se dresse un versant de colline abrupt, muni dun
extraordinaire et interminable escalier de pierres rectiligne, qui permettait
lascension sur la ligne de plus grande pente du flan de colline.
Cet escalier nous permettait, encore enfants, daccompagner notre
vieille tante « Tata Chette » à la cueillette des câpres.
En effet, la colline en question était couverte de câpriers,
tous plus magnifiques les uns que les autres, et la récolte était
généralement abondante. Le virage suivant est vite devenu
tragique pour nous tous algérois, puisquil abrite le Casino
de la Corniche.
Casino
de la Corniche
|
Autant ce lieu était magique quand il nous permettait
de voir les plus grands artistes sur scène, autant il fût
tragique, quand revenant de Zéralda, après une très
belle journée de plage, nous fûmes arrêtés comme
troisième voiture rentrant sur Alger. Cette position privilégiée
nous permit de voir sortir de « La Corniche » des théories
dambulances, voire de jeeps chargées de corps meurtris et
rougis par le terrible attentat, qui avait entre autres coûté
la vie à Lucky Starway, grand animateur de cabaret algérois.
-----Laissons cet endroit devenu maudit et
dévalons la descente vers le premier arrêt de la Pointe-Pescade.
À gauche limposante usine des Ciments Lafarge distribue généreusement
poussières et fumées au village en contre bas. À
droite, les premiers blocs de béton abritent le Club Nautique,
qui est déjà ce quon appellera plus tard une plage
privée. Ensuite le car marque larrêt au bord du chemin
de terre, qui, jadis, était la voie du petit train, et qui, lui,
vient de déboucher du tunnel situé précisément
sous le casino de « La Corniche ». Tunnel dans lequel les
jeunes filles, lors de promenades romantiques, recevaient le baiser, voire
le premier baiser, quelles espéraient, de toutes façons,
de leur Pygmalion du jour.
-----Quelques mètres plus loin, la
place principale abrite le bar, très réputé pour
sa « kémia », dont les patrons sont de la même
famille que ceux du bar des Pyramides du
Champ de Manuvre à Alger. La même place
offre un point de vue sur le port et la plage « Franco ».
Le port a une particularité, il est vraisemblablement le premier
à avoir bénéficié de brises lames en béton
de forme tétraédrique. Ces blocs senchevêtraient
de manière indéfectible devant les jetées et de surcroît
brisaient parfaitement les vagues moyennes. Il ne fallait pour autant
se baladait sur les jetées lors des terribles tempêtes doctobre
et de novembre, pendant lesquelles le vent du nord rugissait.
-----Et nous redémarrons vers le bout
du village, passant en revue les principaux magasins, dont la pharmacie
à droite, où la faconde de Monsieur Lacombe fait rire et
attire les clients. Plus loin à laplomb du second et dernier
arrêt de la Pointe Pescade, où retournent les autobus de
la ligne 1/8 (Pointe Pescade-Place du Gouvernement-Maison-Carrée-Cinq
Maisons) se trouve la cabane en bois de « Max le roi de la Saucisse
», qui, à force de fumées de merguez, de brochettes
dabats, de chipolatas, et à grands coups de gueules indisposent
les bains romanais, venus faire quelques courses à la Pointe, et
qui attendent le car.
-----Le bus sébranle et attaque
maintenant la côte de chez Accati, le marchand de vins, dont les
chais ou plutôt les entrepôts, sont à gauche de la
route, tandis quà droite le chemin de terre du petit train
senfonce entre talus et mur de soutien de la Nationale. Au niveau
des « Horizons Bleus », nous passons devant le terrain de
tennis à entrée libre, qui attirait même les deux-moulinois.
À ce même arrêt des « Horizons Bleus »,
il y avait le café Valenza, puis le domicile de M. LLinarès
le rebouteux , le marchand de légume Arezki et - avant qu'elle
ne soit détruite par les deux bombes tombées pendant la
guerre - la forge de Monsieur Montaner .Ensuite, nous longeons les belles
villas dont celle des parents des frères Schmeltz, Jacques, Charles
et « Nano » ou Jean-Louis maintenant, quil postule à
notre titre commun de vieux barbon. Il y a là aussi les maisons
des copains de Bugeaud dont Faure et surtout pour nous jumeaux devant
léternel, la maison de nos consurs Sommeville.
-----Pour retrouver de nouveau un couple
de vrais jumeaux, il vous faudra patienter jusquà Cap Caxine.
Cap Caxine
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Mais pour cela il aurait fallu prendre un autobus de
la ligne 12 (Alger-Guyotville-La Madrague). En bout de ligne droite on
trouve sur la gauche le bistrot des plus fameuses brochettes de Miramar,
parce que nous y sommes déjà, et à droite le cimetière
marin musulman et larche de rocher suffisamment remarquable pour
être connue de tous.
-----Le bus prend alors le virage à
gauche de la carrière Pérez, salue au passage le baraque
de Gaeto à lentrée de la ligne droite, qui mène
au lieu magique « Les Bains Romains ».
Bains-Romains,
vue générale
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Là, cest dabord une théorie
de belles demeures, qui mène jusquau cur du village,
où le car sarrête avant la rue Benoît Bernardo.
-----Nous descendons sans trop nous prendre
dans la végétation dornement de la villa, qui borde
la route. Je nai plus quà faire une trotte de quelques
centaines de mètres pour aller à « LÎle
de France » sonner à la porte dAline, qui nentendra
que difficilement, trop occupée quelle est à réviser
ses gammes sur le piano familial. La suite ne vous intéresse pas.
-----Alors, ce nétait pas beau
ce trajet souvenir dans un bus de la Régie Départementale
des Transports Algérois. Cela ne vous rappelle rien !
-----Et oui ! cétait le bon
temps
mais ça réchauffe tout de même les curs
un petit coup de « blues » nostalgique et ensoleillé.
Marc STAGLIANO
marc.stagliano@wanadoo.fr
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