François Baroni,
un scaphandrier en Algérie de 1890 à 1949

par Roger Baroni

À la mémoire de mon père François Baroni, pionnier de ce métier qu'il a redouté, respecté et aimé plus que tout.

sur site le 18-6-2006
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Extrait de la revue du Cercle algérianiste, n°144, juin 2006 avec l'autorisation de la direction de la revue "l'Algérianiste"

NÉ À PHILIPPEVILLE le 23 janvier 1882, très rapidement contraint de participer activement aux besoins financiers de la famille, il commença très tôt la pêche " au corail " et aux éponges sur la côte du Constantinois jusqu'à la frontière tunisienne, dont les fonds étaient réputés pour ce type de pêches.

Hors fréquentation scolaire, il débuta tout naturellement comme apprenti scaphandrier de 1893 à 1896, puis devint guideur de 1896 à 1902 pour atteindre le titre de plongeur scaphandrier en 1902; métier qu'il exercera à différents niveaux de responsabilités jusqu'en 1949 à Bizerte où l'âge (62 ans) et le début de quelques problèmes de santé, l'obligèrent à prendre sa " retraite " ou plutôt à cesser ses activités pour se consacrer à l'éducation de son dernier enfant, Roger, né le 2 février 1942 d'un second mariage.

Dès août 1900 (soit à 18 ans) il obtient son premier certificat de " satisfaction " de la Société Anonyme des mines de fer de Rouïna (mines de Breira) pour avoir effectué des travaux de a
repêchage et de mouillage de corps-mort en rade foraine.

De janvier 1903 à décembre 1904 il effectuera une série de travaux sous-marins dans le port d'Alger pour le compte de la Société Ghirardi.

C'est en 1904 que François Baroni (22 ans) fonda sa première société de travaux sous-marins (en tous genres, en régie et à forfait) dont le siège fut installé au 4 place Soult-Berg à Alger.

Après de nombreux autres travaux sous-marins effectués pour le compte de divers tiers, il intervint pour la première fois pendant l'été 1905 pour le compte des armateurs A. Schiaffino, Durand et Cie dans le port d'Alger.

L'entreprise de travaux publics et de camionnage de la Cie de l'Est algérien basée à Tizi-Ouzou, lui confia, dès mai 1907 jusqu'en octobre 1908, en qualité de premier scaphandrier, les travaux de prolongement de la jetée de Port-Gueydon, lesquels travaux consistaient en mines sous-marines, dragages, poses de caissons en charpente et maçonnerie diverses.

Le 8 octobre 1909 par arrêté préfectoral François Baroni est autorisé à introduire dans le port d'Alger, comme embarcation de servitude et pour l'exercice de sa profession de scaphandrier, son embarcation Algérie.

Ses connaissances du métier et ses compétences le conduisirent à intervenir en 1908 sur le croiseur néerlandais Leeland.

En 1909 il obtient l'autorisation de procéder de manière professionnelle à la pêche au corail en Méditerranée.

Plusieurs actes de courage lui sont reconnus dès 1895 (il avait alors 13 ans) lorsqu'il sauva de la noyade un jeune enfant; puis en janvier 1910 pour le compte de la Division navale de l'Algérie où le contre-amiral Arago lui confia la mission de rechercher le corps d'un matelot noyé dans la darse d'Alger. Puis en septembre 1915 il porta secours à un marin dont l'embarcation avait chaviré.

Au cours du deuxième semestre 1910 il fut employé par l'ingénieur des Ponts et Chaussées de Cherchell-est pour
effectuer la construction d'un môle au port de Tipaza.

C'est au tour de la Britain Steam Ship Cie Ltd United National Collieries de Cardiff, d'utiliser les services de François Baroni dans l'exécution de nombreux travaux sous-marins, inspections et réparations de navires dans le port d'Alger de 1911 à 1924.

Entre-temps, en octobre 1912, il obtient l'autorisation du ministère de la Marine de se livrer au repêchage du " charbon épave " dans le port d'Oran. Un nouvel arrêté préfectoral du 7 janvier 1915 l'autorise dans les mêmes conditions qu'en 1909 à introduire sa nouvelle embarcation Saint-Michel en tant que patron scaphandrier...

Une attestation rédigée par Antoine Rando, Gaètan Picone, membres fondateurs de la Société algérienne de sauvetage (29 rue des Consuls à Alger), liste toutes les interventions effectuées par François Baroni Père, membre actif de cette même Société Algérienne de Sauvetage :

- sauvetage du vapeur Galatée au cap Sigli en 1916;
- sauvetage de l'épave Crête Coal, chaland en ciment armé de 4000 tonnes ayant 7,50 m d'eau sur le pont, dans le port d'Oran entre 1924 et 1925;
- sauvetage du vapeur Parthian coulé dans le port d'Oran en 1922;
- sauvetage du vapeur anglais Stowel, 9000 tonnes coulé dans le port d'Oran en 1925;
- sauvetage du voilier espagnol Maria-Louisa le 7 mai 1927, coulé dans le port d'Oran;
- sauvetage du vapeur grec Michael.L.Embiricos le 22 novembre 1931, 9000 tonnes, échoué aux Andalouses à 30 miles d'Oran;
- de 1929 à 1931 entreprise de sauvetage de l'Edgar-Quinet coulé aux Îles Basses;
- sauvetage du vapeur anglais Ferndale échoué à Dellys le 16 juin 1932;
- sauvetage du chaland-citerne Tank chargé de 3 000 tonnes de goudron en vrac dans le port de Mostaganem;
- sauvetage de la bigue Anglo-Algerian, chaland en fer pesant 150 tonnes coulé dans le port d'Oran en 1928;
- renflouement de la bigue de M. Lasry à Oran.

La Lloyd's Register of Shipping à Londres certifie la qualité d'expert de l'Amirauté britannique depuis 1917 et de la Lloyd's pour l'Afrique du Nord depuis 1919 de M. François Baroni. De même et pour le compte de E. Merigot & Cie, Armateurs et Entrepreneurs de Sauvetage, il est intervenu dans des travaux de sauvetage maritime sur: Annick à Alger en 1929; Mascara à Ténès en 1932; Amiennois et Ludwig-Shafen à Brest en 1936.

En reconnaissance des actions accomplies, de sa compétence et de son courage et sur proposition du secrétaire d'État à la Marine marchande, M. François Baroni, scaphandrier, fut décoré " chevalier de l'ordre du Mérite maritime " suite au décret en date du 22 juillet 1937.

Le sauvetage qu'il a effectué en 1915 dans le port de La Pérouse lui valut de recevoir le 13 décembre 1915 par le vice-amiral, président de la société centrale de Sauvetage des Naufragés, " Un témoignage de satisfaction " lui conférant la médaille du Sauvetage.

En 1916 il intervient à la cale Saint-André de Mers el-Kébir pour des travaux divers de renforcement sous-marins. En juillet de cette même année il procède à " l'aveuglement " de voies d'eau à l'étrave du vapeur italien Palermo. En 1917 au sein d'une équipe sous la direction de Jules Daurces, directeur de l'Entreprise Maritime et Commerciale, il contribua aux sauvetages des cargos français et anglais, le Galatée et le Myrmidon torpillés, le premier au cap Sigli et le second au large de Philippeville.

En 1918 le siège de la nouvelle société de sauvetage au nom de François Baroni père, propriétaire scaphandrier, fut installé au 11 rue Borély-La-Sapie à Alger. En 1920 il sauva le chalutier Paulette coulé à la Pointe-Pescade par 30 m de fonds. En novembre de cette même année il procède aux travaux de sauvetage et de renflouement du chalutier Sainte-Angèle échoué sous les rochers de la Pointe-Pescade.

Le 15 mars 1921 par devant notaire est constituée la société en nom collectif dite " des scaphandriers Zagamé, Baroni, Picone et Cie " pour une durée de dix années et dont le siège social est fixé au 29 rue des Consuls à Alger.

Au cours de l'été 1924 il construisit le vivier en béton armé constitué de caissons en charpente par des fonds de 2,50 m à la Pointe Pescade.

De septembre 1926 à avril 1927 l'ingénieur des Travaux Publics de l'État chargé de la subdivision du port d'Alger lui confia les travaux de construction du mur de quai côté nord du môle Al-Djefna et l'établissement d'un câble sous-marin dans la passe nord du port d'Alger.

En mars 1927 grâce à son sang-froid et à son expérience il a ramené à quai un cheval qui, gêné par son harnachement, était en train de " couler ". En 1931 et 1932 il effectue successivement le renflouement du chalutier Sainte-Isabelle immergé à la Pointe Rouge à Ténès, puis de nouveau le chalutier Sainte-Angèle échoué près du port de Ténès. A cette occasion la Société A. Di Pizzo, Sr Assante et Cie découvre et reconnaît la nouvelle méthode de renflouement mise en oeuvre par François Baroni.

En 1932, pour le compte de l'ingénieur des Travaux Publics de l'État chargé de la subdivision de Collo, il procéda à la démolition à l'explosif de l'épave du vapeur Margau-Albey, ainsi qu'à l'arasement à la cote (- 8,50 m). Il mit également en place au ponton mâture vingt et un blocs de 35 tonnes pour assurer la défense de la jetée de Collo.

Il poursuivit ses nombreuses activités qui le conduisirent à Casablanca (Maroc) en décembre 1945 et à Bizerte (Tunisie) en 1947 pour effectuer à nouveau des travaux de renflouement de navires coulés pendant la dernière guerre. C'est en 1949 qu'il cessa toutes ses activités afin de se consacrer à sa nouvelle famille et à la poursuite de mon éducation.

Comment ne pas être fier de ce personnage qui a marqué, avec tant d'autres, par ses actions, son courage, sa compétence, son amour du travail accompli, sa rigueur, son dévouement à la République et à l'État français, une large période de l'Algérie française dans un domaine essentiel: " la Marine et ses capacités d'accueil dans les ports d'Afrique du Nord ".

Cet hommage rendu à mon père, François Baroni, décédé en mars 1974, a l'âge de 92 ans, est dédié à ses très nombreux petits-enfants, arrière-petits-enfants qui ne l'ont pas connu et qui, peut-être n'en ont pas entendu parler, afin qu'ils puissent être fiers de leur grand-père et arrière-grand-père qui a oeuvré en Algérie française et qui était loin d'être un " colon " au sens donné par une certaine presse et par certains métropolitains.