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de la revue. Nous sommes ici en 1921. Amélioration notable plus
tard, dans les revues à venir. " Algeria " en particulier.
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TEXTE COMPLET SOUS L'IMAGE.
LE PAQUEBOT GOUVERNEUR-GÉNÉRAL-DE-GUEYDON
Vendredi, à quinze
heures 45, le nouveau paquebot Gouverneur-Général-de-Gueydon
franchissait la passe, effectuant, comme l'Eugène-Péreire
ou le Charles-Roux, qu'il remplace sur la ligne, la traversée
Marseille-Alger en vingt sept heures 3/4.
Cette nouvelle unité appartient à la série des
Gouverneurs, qui, depuis leur mise en service, ont été
durement éprouvés.
Le Tirman
vient à peine d'être retiré - et dans quel état
! - de sa périlleuse position " au plein " devant Port-Vendres
: le Chanzy a abordé
un vapeur grec en sortant de Marseille et faussé son étrave
: quant au Grévy, il fit sur les blocs de la jetée Nord,
un séjour d'une demi-journée au grand dam des autorités
et des passagers.
Après cette trilogie mélo-dramatique, considérons
le mauvais sort comme conjuré et soyons persuadés que
la nouvelle flotte voguera désormais sur les flots méditerranéens
dans des conditions idéales de rapidité et de tranquillité.
A l'occasion de la venue dans notre port du nouveau paquebot, il n'est
pas sans intérêt d'évoquer la silhouette caractéristique
et originale du comte Louis Henry de Gueydon dont il porte le nom.
Ce marin fut un brave dans toute l'acception du terme ; de convictions
très conservatrices, son action n'allait pas sans un certain
sectarisme : elle devait rencontrer surtout en Algérie, au lendemain
de la proclamation de la République, auprès des déportés
de 1851 et de leurs descendants, une résistance acharnée.
Né en 1809, enseigne de vaisseau en 1830, il se distingue à
l'affaire de Saint-Jean d'Ulloa et y gagne le grade de capitaine de
corvette. Après une campagne aux Antilles, il est capitaine de
vaisseau en 1847 et contre-amiral en 1854 - à 45 ans. A ce moment,
la Marine, on le voit, ne souffrait pas d'une crise de l'avancement.
Il quitte alors le gouvernement de la Martinique et prend le commandement
des forces navales françaises des Antilles et du golfe du Mexique.
Il passe par divers postes de confiance et après avoir, en 1861,
été élevé au grade de vice-amiral, il est
appelé à faire partie, comme vice-président, du
Comité consultatif des Colonies.
Peu après la fin de notre terrible guerre avec la Prusse, écrit
le chroniqueur impartial à qui nous sommes redevable de ce curriculum
vitae, de Gueydon, qui commandait l'escadre de Cherbourg, fut désigné
par M. Thiers pour inaugurer les fonctions de gouverneur civil de l'Algérie
(29 mars 1871). Honni des militaires parce que gouverneur civil, détesté
des autorités civiles parce que marin militaire, il se trouva,
dès son arrivée, en butte à un déchaînement
violent de l'opinion publique. Les Conseils municipaux protestèrent
; on lui refusa même de l'inscrire sur les listes électorales
! Il entreprit l'accomplissement de ses fonctions dans les circonstances
les plus difficiles. Une insurrection formidable venait d'éclater
et la colonie se trouvait à peu près complètement
dépourvue de troupes. Malgré la promptitude des mesures
prises, de Gueydon ne put empêcher les sanglantes affaires de
Palestro
et un assez grand nombre de colons périrent massacrés
par les Arabes, souvent après des raffinements de cruauté.
Le mauvais vouloir manifeste des militaires à étouffer
le mouvement insurrectionnel ne contribua pas peu a paralyser la répression.
Tout en s'occupant activement d'apaiser le soulèvement, ce qu'il
ne parvint à faire qu'au bout de neuf mois de lutte acharnée,
le gouverneur se mit à l'uvre pour substituer en Algérie
le régime civil au régime militaire. Dans ce but, dès
le 29 juillet 1871, il créait un comité consultatif de
colonisation le 11 septembre suivant, il supprimait les bureaux arabes
; il réorganisait ensuite l'administration de la Grande Kabylie,
créait des circonscriptions cantonales.
Si, dans ses difficiles fonctions, termine notre informateur, l'amiral
de Gueydon s'est montré en général plein de bonne
volonté, il n'est pas moins vrai que trop souvent l'arbitraire
et l'inconséquence ont caractérisé son administration.
Très attaché aux idées cléricales, il s'était
fait le porte-fanion des jésuites en Algérie et on l'a
vu entrer en conflit avec les Conseils généraux de la
colonie pour avoir voulu contraindre des communes à revenir malgré
elles à l'enseignement congréganiste
Ces luttes sont du domaine du passé. Un large souffle de tolérance
a apaisé ces anciennes querelles, mais nous avons tenu à
poursuivre jusqu'au bout notre citation pour souligner combien la période
à laquelle le nom du grand marin demeurera attaché, dut
être troublée et pénible pour la colonie naissante...
L'amiral de Gueydon, qui avait succédé à Henri
Didier, fut relevé de ses fonctions le 19 juin 1873 et remplacé
par le général Chanzy, alors commandant du 7ème'
corps d'année et membre de l'Assemblée Nationale.
Dépouillée par le temps de ses grands défauts et
surtout de son sectarisme intolérant, la personnalité
du comte Louis-Henry de Gueydon s'imposera dans l'histoire algérienne
par sa fermeté, sa droiture, sa loyauté.
L'hommage public qui lui est rendu aujourd'hui est mérité...
Souhaitons au nouveau paquebot, dans son service, avec une chance égale,
moins de difficultés et d'avatars qu'il n'en échut à
l'homme dont il porte le nom.