A
L'ABBAYE DE TIBHARINE
PARMI LES PÈRES CISTERCIENS DE LA STRICTE OBSERVANCE
Sur le portail une inscription « Défense dentrer:
cloître »
Là est la limite d'un monde : celui du silence, du renoncement
« DÉFENSE dentrer, cloître » peut-on
lire sur une pancarte clouée au petit portail rustique qui clôt
lAbbaye de N.-D-de lAtias- Cest là la limite
dun monde !
Le monde de la Prière, de lÉtude et du Travail manuel
dans un esprit de charité et de mortification. Dans le mutisme
absolu, source de paix pour lâme et pour lesprit.
« On ne connaît pas assez la valeur de la méditation
», nous murmure le R.P. prieur Joseph, qui, tout souriant, est
venu nous ouvrir le « Césame », quelques instants
auparavant, dans lintention de nous faire visiter le couvent.
Ce père-trappiste, avec son « sens des hommes »,
avait certainement décelé dès le début lémotion
mêlée détonnement qui nous avait étreint
lorsque le frêle panneau de bois sétait refermé
sur nous, avec un petit grincement. Mais il nen avait rien dit.
Il nous avait alors suivi discrètement du regard et avait su
choisir sa minute pour dire ce quil fallait. En effet, nous commencions
seulement à être pénétré par le grand
silence qui régnait en ce lieu.
Certes nous savions que nous allions chez des moines de « lOrdre
Cistercien de la Stricte observance » qui avaient renoncé,
par amour des hommes, aux plaisirs factices de ce monde, mais nous nen
eûmes vraiment conscience que lorsque nous les vîmes, cest-à-dire
à linstant même où le père parla, «
On ne connaît pas assez la valeur de la méditation... »
Dans la vaste cour de ferme transformée en cloître, tels
des êtres de légendes, ils se croisaient, irréels
et illuminés dune joie Intérieure, en sadressant,
à chaque passage, un profond salut de tête.
Les uns, les pères choristes, capuches sur la tête, étaient
vêtus dune vaste coule blanche, les autres, les frères
convers, étaient habillés en brun.
Ici il nétait nullement besoin de paroles vaines ou déclamatoires
pour expliquer le sens profond de la Règle.
Les murs eux-mêmes, par leur austère dépouillement,
les couloirs, les salles communes, du réfectoire au dortoir,
du « scriptorium » au chapitre, prêchaient le renoncement
au superflu.
Et comme lon comprenait tout à coup que les sages législateurs
de lordre, de saint Benoît à labbé de
Rancy en passant par saint Robert de Molesme, saint Etienne Harding
et saint Bernard, aient été tous daccord pour inscrire
en tête des « choses » superflues, lusage immodéré
de la parole !
Oasis de paix
Il est vrai que le chemin tortueux qui conduit jusquà ce
monastère de montagne, prépare le pèlerin, ou le
visiteur, à mieux saisir le sens de ce mutisme.
Cette route en lacets, poussiéreuse et chaotique, semble sélever
symboliquement en plein ciel : à louest, l'Ouarsenis étend
à l'infini ses vallonnements désolés, tandis que
le massif du Zaccar, à demi-noyé par un halo de chaleur,
troue le ciel de sa masse grisâtre. Au nord, le pic Mouzaïa
resplendit au soleil.
Soudain, après un dernier tournant, les petits bâtiments
du monastère apparaissent, enfouis dans un écrin de verdure
: cest la fécondité après laridité,
loasis de paix contre laquelle les forces du mal ne semblent avoir
aucun pouvoir : « Défense dentrer, cloître
! ». Visite des bâtiments conventuels
La plupart des bâtiments conventuels de ce monastère, cest-à-dire
ceux qui sont strictement réservés aux moines, sont des
locaux appelés à disparaître au profit du nouveau
cloître, dont une des quatre ailes est déjà achevée.
Car, conformément au plan traditionnel dans lOrdre de Citeaux,
les bâtisses principales, à linstar de celles dAiguebelle,
doivent être groupées autour de la chapelle
et du cloître.
On appelle ainsi le quadrilatère de galeries au centre duquel
se trouve le « préau ». Cest dans cette partie
que les moines marchent en méditant et en priant, au cours de
leur temps libre.
Cest là que nous les avons aperçus pour la première
fois, glissant, comme des ombres en se saluant entre eux.
Si lon en juge par laile achevée, la future abbaye
de N.-D. de lAtlas sera certes plus imposante, « fera
davantage couvent classique ». Pourtant, cest avec un bien
grand amour que le R. P. Prieur nous a fait visiter le cloître
condamné, péniblement élevé avec des moyens
de fortune, dans une ancienne cour de ferme, lors de la prise de possession
des locaux. en 1938.
Pour être moine, on nen est pas moins homme et malgré
la stricte observance de la règle du renoncement, un sentiment
indéfinissable doit l'envahir lorsquil voit se tourner
lentement sous ses yeux cette page de vie monacale, sur laquelle est
inscrite la transformation dune ferme en couvent. Le vieux cloître
rustique avait bien son charme malgré, ou peut-être à
cause, de ses imperfections.
Et puis, que de prières intenses, de pensées élevées,
de souffrances généreusement offertes pour le rachat des
hommes ont dû « recueillir » ces pauvres colonnades
de briques...
En son préau central, sous la croix de fondation dune simplicité
émouvante, se trouve la dépouille mortelle du premier
Père trappiste qui s'est éteint à Tlbharine. Depuis,
un cimetière a dû être créé à
quelque distance de là. Le réfectoire
Abrité par le vieux cloître, lactuel réfectoire
est aménagé au rez-de-chaussée du principal corps
de bâtiment de lancienne ferme.
C'est une grande salle carrée aux murs nus et blanchis à
la chaux.
Sur lun dentre eux, en son milieu, se détache un
grand crucifix de couleur noire.
Dans un coin est disposée la chaire du directeur; à tour
de rôle, les trappistes sy relaieront, au cours des repas,
pour y lire les textes saints.
Le reste de lameublement consiste en des tables et des tabourets
à peine dégrossis.
Lors de notre visite, le couvert était mis : une écuelle
en fer, un gobelet, une fourchette et un couteau étaient disposés
devant chaque chaise. Autour de ces ustensiles, groupés par portion,
se trouvaient des fruits, un morceau de pain, une petite bouteille de
vin et, exceptionnellement, pour le jour de la Saint Bernard, un gâteau
de maïs. Le menu d'un trappiste
Le trappiste ne mange ni viande, ni poisson. Les bases de son alimentation
sont les légumes et les laitages. Encore, pendant le Carême
et lAvent, le lait est-il supprimé !
Pendant ces repas, il prend son petit déjeuner à 6 heures,
soit quatre heures après sêtre levé ; le moine
na pas le droit de faire remarquer quune quelconque portion
ne lui a pas été servie. Cest à son voisin
de table de sapercevoir quil lui manque quelque chose et
de le signifier, à sa place, au Frère serveur
Rien ainsi ne peut le distraire de la lecture sainte qui se fait à
ce moment, si ce nest le souci de venir en aide à son prochain
!
Le moment des collations est donc plus peut-être que tout autre,
en mesure de nous faire percevoir, à nous profanes, la vie profonde
de la Journée monastique à travers son « écorce
» extérieure. Ce que l'on fait au couvent
Et pourtant, Dieu sait si la jour née dun trappiste est
chargée !
Celle-ci commence à 2 heures du matin ; les jours de fêtes
à lheure ou lheure et demie.
Jusquà laube, ces moines prieront pour les insouciants
qui se sont en dormis sans être en paix avec eux-mêmes.
Au lever du soleil, après un intervalle de temps libre, les religieux
de chur se réuniront à nouveau pour le chant de
Prime.
Dés lors, par les heures liturgiques, ils vivront à lunisson
de la nature jusquau moment du coucher, cest-à-dire
jusquà 19 heures en hiver et 20 heures en été.
Ces six heures de repos, dans une pièce jamais chauffée
- Tibharine est à 1.000 mètres daltitude ! - ils
les prendront sur une paillasse posée sur des planches dans une
cellule exiguë disposée dans un vaste dortoir...
Lundi, en poursuivant la visite de labbaye, nous verrons les trappistes
à la chapelle, au chapitre, au scriptorium, aux champs, à
latelier, aux écuries, aux cuisines, au dispensaire, a
lhostellerie, à lhuilerie, partout enfin où
ils peuvent appliquer la règle de lOrdre qui est de prier,
de se mortifier pour son prochain et de travailler dans le silence,
pour subvenir aux besoins de la communauté