CHAPITRE DEUX
-------Ils ont en
1913 leur premier enfant, un garçon prénommé Michel,
prénom du père et du grand père comme le voulait
la coutume. Cet enfant décède de la diphtérie à
l'âge d'un an, maladie contagieuse relativement fréquente
et que l'on ne savait pas très bien guérir à cette
époque.
-------On offrit
à Michel et Antoinette un appartement rue Rosetti, une conciergerie,
ils ne paieront pas de loyer à la condition que Antoinette s'occupe
de l'immeuble, Ils acceptèrent et Antoinette cessa de travailler
à la fabrique.
-------La disparition
du petit Michel avait beaucoup affecté les deux jeunes époux.
Ils avaient tellement attendu ce premier enfant, et ne pouvaient comprendre
ce coup du sort. Et puis la situation internationale s'aggrava, et ce
fut la déclaration de guerre entre la France et l'Allemagne en
1914. Un autre souci : Michel pouvait être mobilisé.
-------Les deux
surs d'Antoinette venaient souvent la voir et essayaient de réconforter
leur jeune, très jeune sur. Elles l'aidaient dans ses occupations
journalières et essayaient de la distraire. Michel lorsqu'il ne
rentrait pas trop tard du travail, emmenait sa femme rendre visite chez
la famille aux alentours, et, parfois l'emmenait au cinéma, cela
lui changeait les idées.
-------Peu à
peu, tout entra dans l'ordre. Puis Antoinette se retrouva enceinte, et
le 27 décembre 1915, la sage femme, Madame Doplane, qui habitait
l'immeuble voisin, et qui suivait régulièrement l'évolution
de la grossesse, aida Antoinette à mettre au monde un nouveau garçon.
On prénomma ce garçon, Sauveur, du prénom de son
parrain et oncle époux de Marie, la sur de Michel. Inutile
de dire que Sauveur fit de nouveau entrer le bonheur dans la maison.
-------Les mois
passaient, Sauveur grandissait et trottinait. Son parrain et sa tante
Marie qui habitaient tout prés avenue du Frais Vallon, passaient
voir le petit et très souvent, l'emmenaient chez eux pour la journée.
Sauveur était très content de jouer avec ses cousins et
cousines. De retour, le soir, il essayait de raconter ce qu'il avait fait
dans la journée, ce qu'il avait mangé.
-------Parti tôt
le matin, il tardait à Michel de rentrer le soir pour embrasser
le petit et jouer avec lui. Un soir, il rentra un peu plus fatigué
qu'à l'habitude.
" Bonsoir Michel, tu sembles fatigué, la journée s'est
bien passée?
-Pas trop bien non, enfin comme d'habitude. Monter des murs de briques
à longueur de journée, on a beau être habitué,
le soir cela se ressent dans les bras et les jambes. Quelques jours encore
et puis ce chantier s'arrêtera pour moi.
-Mais, tu devais travailler encore quelques jours ici, pourquoi t'arrêter
?
-C'est Gino qui va continuer : les murs sont finis, le crépi c'est
lui qui va le faire cette fois - ci. Moi, je dois aller remplacer Soldani,
tu sais le père du petit Francis qui joue quelquefois avec Sauveur.
-Ah! Oui, le petit bouclé, il est mignon ce gosse, et bien élevé.
Mais pourquoi remplacer Soldani ?
-Sa femme a averti le patron, il se sent fatigué. Depuis son retour
du front, il ne sent pas bien de temps on temps. Ses blessures le gênent
trop.
-Il n'a pas été soigné ?
- Oui, il va quelques fois à l'hôpital militaire, à
l'hôpital Maillot, cela va bien pendant quelque temps, et puis cela
revient.
-Et ce chantier, il est loin d'ici?
-Non, pas trop, avenue de la Bouzareah, prés du Boulevard Guillemin.
-Ah! Ce n'est pas loin, tu pourras venir déjeuner, au lieu d'emporter
ton couffin. Tu sais, préparer tous les matins ton cabassette,
ce n'est pas toujours facile.
-A propos Antoinette, qu'est-ce qu'il y a dîner ce soir, j'ai une
faim de loup.
-Je n'ai pas fait de soupe ce soir.
-Pourquoi?
-Ne t'affole pas, si je n'ai pas fait de soupe c'est qu'il en reste d'hier,
je n'en ai pas mangé à midi, et puis il y en a suffisamment
pour ce soir.
-Tu n'as pas fait que ça?
-Non, il y quelque chose que tu aimes bien, Sanchez, le voisin du 3e étage,
il est allé ce matin à la pêche avec un copain qui
a un bateau, ils ne sont pas allés bien loin, ils sont partis de
bonne heure. Mais chaque fois qu'il va à la pêche, il réveille
tout le monde à la maison et sa femme n'arrive plus à dormir
après son départ. Il est rentré cette après-
midi avec une bonne pêche, et comme sa femme est fatiguée
de manger du poisson, et qu'elle sait combien tu l'aimes...
-J'aime sa femme,
moi?
-Ne fais pas l'idiot, je parle du poisson .Comme elle sait que tu aimes
le poisson, elle m'en a
donné, regarde.
-Cela fait une bonne friture, il y a des oublades et des petits sars.
-Comme cela sent le frais! Tu les remercieras.
-Je vais les faire frire de suite, occupe-toi du gosse en attendant.
-Il ne t'a pas trop empêché de travailler aujourd'hui?
-Ta sur Marie est passée ce matin en revenant du marché
et après s'être amusée avec le petit, elle m'a demandé
si elle pouvait l'emmener chez elle. Elle me l'a ramené cet après-midi.
Il paraît qu'il a bien mangé. Ta sur aime beaucoup
ce petit, et Augusta aussi. Cela m'arrange qu'ils s'occupent de Sauveur.
Pendant ce temps-là, je peux faire le nettoyage des escaliers de
l'immeuble, je suis concierge, il faut bien que je le fasse. Nous ne payons
pas le loyer, c'est déjà ça de gagné. Apres
dîner, j'irai prendre un peu l'air dehors, sur le pas de la porte.
Il fait vraiment chaud aujourd'hui. On est en septembre et pas encore
de pluie. "
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