-l'homme qui va vers l'ouest
...ou Margueritte, mon village
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-----A défaut du passage de ces voyageurs qui donnait un peu d'animation et l'occasion d'avoir des nouvelles de telle ou telle ville, de tel ou tel village traversé, nous avions l'animation habituelle des clients du village. C'était toujours les mêmes clients, qui buvaient toujours la même boisson et les verres étaient remplis avant que le client commande sachant ce qu'il allait boire mais il ne fallait pas se tromper, par exemple pour l'anisette, c'était ce que l'on servait le plus aux apéritifs, l'un ne voulait que l'anis Gras, l'autre n'aimait que l'anis Phénix, le troisième exigeait du Cristal. L'un buvait un berlingot (de la menthe verte dans l'anis), l'autre une tomate(du sirop de grenadine avec l'anis), et ainsi de suite. Cette préférence de telle ou telle marque d'anisette me faisait sourire car j'étais au courant des pratiques de Victor. Un fabricant de boissons diverses, apéritifs et anis passait régulièrement à Margueritte, c'était Monsieur NYERS de Blida. Mon oncle lui commandait ce dont il avait besoin lors de chaque passage et parmi ces besoins, l'anis de diverses marques, mais aussi de l'anis fabriqué par NYERS, cette anis était livrée en bonbonnes et était moins chère que l'anis de marque. L'astuce était de remplir des bouteilles de "Gras" ou de "Phénix" avec l'anis ordinaire, et ces clients experts en anis, savouraient ce qu'ils avaient dans leur verre croyant boire leur marque préférée.

-----Victor parfois faisait semblant de se tromper en servant du "Gras" à un buveur de "Phénix" sous les yeux du client, et il fallait voir ce client rouspéter. Cela arrivait toujours à Emile Anastaze, le fin connaisseur de l'anis " Gras"…Cela me faisait bien rire.

-----Tout cela dans la bonne humeur. Que d'histoires j'ai pu entendre, j'en comprenais certaines et pas d'autres, pourtant les gens riaient, sûrement des histoires cochonnes pensais-je. Encore fallait-il savoir ce que pouvaient être des histoires cochonnes ! Mais puisque l'on me disait qu'elles étaient cochonnes ce devait être vrai ! Comme chacun payait sa tournée et mon oncle également la sienne, les clients restaient assez longtemps au comptoir. Certains aimaient nous taquiner mes frères et moi. Dans l'après-midi, peu de clients. Mon oncle en profitait pour faire sa sieste. Le soir, cela recommençait avec d'autres têtes : celles du soir. L'apéritif se servait à table. La fameuse table centrale accueillait les joueurs de cartes, 4 joueurs en 2 équipes jouaient l'apéritif à la manille. Parmi les joueurs assidus, ceux dont j'ai souvent dit le nom : René Restykelli, Emile Anastaze, Georges Baroni, Georges Bigorre, Maurice Guerre, Emmanuel Paux, etc. J'en vois d'autres mais je ne souviens plus de leur nom. Quelquefois mon oncle participait aux parties quand il n'y avait pas beaucoup de clients.

-----L'enjeu, pour animer la partie, c'était le prix de la tournée d'apéritif, insignifiant, mais le gain de la partie c'est ça qui était important. Si parfois ce n'étaient que des rires, d'autres fois par contre, il y avait des paroles qui donnaient lieu à des répliques acerbes et cela s'envenimait. Mais après une boutade d'un des joueurs tout se calmait. Plus tard quand j 'ai vu Marius au cinéma, je me suis dit en me rappelant ces parties : " Pagnol n'a rien inventé!! "

-----Le jeu continuait mais mon oncle surveillait la partie. Quand l'une était terminée, au début de la nouvelle, il s'approchait et demandait : " Qu'est-ce que je vous sers ? " Au bout de plusieurs parties, les gens n'avaient plus soif, surtout d'anisette, alors ils disaient : " un vichy! "

-----Il arrivait que mon oncle me demande d'encaisser le prix de la tournée, je prenais l'argent que l'on me tendait et je rapportais la monnaie. J'étais fier. Quelquefois on me donnait une piécette, que je mettais dans un grand verre sur le comptoir -le verre des pourboires -. Quelquefois ces parties se terminaient très tard, trop tard pour mes frères et moi qui avions l'habitude de nous coucher tôt, alors on nous servait à. manger sur une table dans la salle, et il m'arrivait de m'endormir en mangeant, cela faisait rire tout le monde. On m'a fait aussi manger debout en espérant que je ne dormirai pas, eh bien non, je mettais la cuillère à la bouche tout en dormant. Les rires me réveillaient alors, j'en devenais tout rouge de confusion


-----Parmi les clients, Monsieur Ernmanuel Paux. Sa fille Flora est l'épouse de René Restikeili, un monsieur d'une soixantaine d'années, de forte corpulence, s'aidant d'une canne. Il
m'apportait des glands ramassés sous les chênes. Il m'a appris à faire des toupies avec les glands coupés en deux et une allumette : je m'amusais beaucoup en faisant tourner ces toupies. Un autre client m'avait appris à faire des sifflets en taillant des roseaux.

-----Une personne qu'on ne voyait pas souvent : monsieur Fritz, il n'habitait pas Margueritte, mais un village plus bas dans la plaine à 15 ou 20 kilomètres, Changarnier. Il était très aimable, grand et fort, cheveux frisés, une figure de teint clair, les yeux bleus. C'était un Alsacien, sa famille était parmi celles venues en Algérie en 1871, après que l'Alsace et la Lorraine soient passées sous la domination allemande. Il possédait une automobile rouge, que j'aimais regarder quand elle était garée devant le café.
------Quand monsieur Fritz parlait avec Victor, les conversations se terminaient invariablement par la chasse comme par hasard. C'était aussi un excellent chasseur. Quand une partie était décidée, il venait chercher mon oncle et d'autres copains et les emmenait avec sa voiture dans la région de Changarnier, dans le djebel Conntas, très renommé pour son gibier, autant que la région de Margueritte. Mais en plus il y avait quelques étangs où l'on pouvait chasser le canard et également la bécasse.

-----Ah ! ces bécasses, je ne peux les oublier. Comme beaucoup de gibier, la bécasse est, paraît-il excellente quand elle est faisandée. Alors Victor, quand il en rapportait une, la suspendait à une ficelle, les pattes en haut. Il la laissait quelques jours, et quand des gouttes tombaient du bec, un liquide qui ne sentait pas très bon, la bestiole était alors prête à cuire et à être consommée !!

-----Tous ces contre-forts montagneux, couverts de buissons, abritaient toutes sortes d'animaux donc beaucoup de gibier. Il y avait relativement peu de chasseurs, les bêtes se reproduisaient facilement. Les chasseurs étaient seulement ceux du pays et qui ne tuaient que le nécessaire sans excès. Ils partageaient leur chasse avec la famille et les voisins qui n'étaient pas chasseurs. Peu d'étrangers , sauf ceux invités par quelqu'un du pays.

-----Les chasseurs ont cela de commun avec les pêcheurs, c'est qu'ils aiment bien raconter leurs exploits, réels ou rêvés, et aussi montrer leurs prises quand elles sont importantes. Il arrivait de voir passer, au début de la saison des automobilistes avec des chapelets de perdreaux et de lièvres attachés à leur voiture. On savait qu'ils n'étaient pas du pays, ceux du village n'avaient pas besoin de montrer ce dont ils étaient capables. S'ils s'arrêtaient au café, ils ne fallait pas qu'ils cherchent à épater les clients présents ou alors il y avait de drôles de discussions.

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