-Alger,
le quartier de la rue Duc des Cars
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-----Mon quartier surplombe le Gouvernement Général lieu historique où la quatrième République a succombé le 13 mai 1958. -----Notre lieu de rencontre était ce parapet qui dominait cette place blanche qu'on appelait le Forum. -----Achevé en 1933, le bâtiment du Gouvernement Général est dans ses lignes roides une réponse perpendiculaire au Front-de-Mer rectiligne. La saillie des ascenseurs, la dalle sur terrasse et le portique en rez-de-chaussée brisent la monotonie. -----Au pied du Gouvernement Général passe l'axe de prestige qui descend du palais d'été par la rue Michelet, effleure les facultés et la Grande Poste, poursuit par la rue d'Isly, s'incline par la rue Dumont d'Urville et s'en va droit sur Bab-el-Oued et la Casbah par la rue Bab-Azoun. Ce centre de la Rue Michelet n'est que luxe, commerces, tentation, depuis qu'en 1930, une ligne de boutiques et de cafés à terrasse a remplacé le mur borgne et lugubre qui soutenait les facultés. -----Presque désert aux heures creuses de la journée, à la sortie des bureaux les trottoirs s'animent d'une foule d'employés et de promeneurs. On se croirait boulevard Haussmann, en demi-saison, à Paris. -----Combien de fois, assis sur ce parapet, au lieu de faire mes devoirs, j'ai rêvé de voyages lointains la mer s'étalant devant moi en formant un angle de 270°. Combien de fois j'ai regardé les paquebots qui partaient vers Marseille ou Port -Vendres. Combien de fois j'ai observé cette mer calme ou moutonneuse, bleue, verte ou grise. -----Mais plus encore que la mer, ce sont les montagnes de Grande Kabylie qui apparaissant en fond, m'attiraient. Quelques années plus tard c'est dans cette région que j'enseignais alors que je venais d'avoir 18 ans. -----Un peu plus bas j'apercevais le monument aux Morts où une fresque immense, des cavaliers soutenant à bout de bras la dépouille d'un héros, se déployait majestueusement au milieu des carrés de fleurs multicolores en étages rappelant le souvenir des morts des 2 guerres du 20ème siècle ( cette uvre est de Paul Landowski, sculpteur de Boulogne Billancourt). -----Le jardin du Monument aux Morts était agréable, très fleuri, beaucoup d'escaliers et de murs qui nous permettaient de sauter et de grimper. -----Juste au-dessus le jardin du forum complétait cette unité et tout en haut une place ovale nous encourageait chaque soir à organiser une rencontre de foot-ball où les goals se déployaient dans l'espace réservé aux escaliers et qui formait un but de chaque côté. Est-ce pour nous empêcher de continuer à jouer qu'un bassin a été installé à cet emplacement ? -----Mon immeuble : c'était un des plus bel immeuble du quartier. L'entrée était entourée d'une enceinte de piliers blancs et reliés par des barres cylindriques noires ; à l'intérieur une cour carrelée dans laquelle nous jouions lorsque nous étions encore en maternelle. Dans cette cour se trouvait une épicerie et juste à côté l'entrée de l'immeuble. Un grand portail en fer forgé noir, vitré avec des anses métallisées pour tirer cette imposante porte que l'on fermait dès 22 heures. Quand on passait le portail, neuf marches de marbre séparaient deux séries de boites aux lettres, et un gros pilier recouvert de mosaïques partageait l'accès aux escaliers A et B. Les plafonds étaient très hauts. Pour chaque escalier un ascenseur permettait l'accès jusqu'au 7ème étage. Nous, nous habitions au 1er et nos fenêtres donnaient dans une cour et sur un terrain en friche où enfants nous jouions souvent. C'est là que j'ai découvert les orties et les chardons, les papillons, les chenilles, les coccinelles, les fourmis Ce terrain fut clôturé par la suite d'un grillage, ce qui ne nous empêcha pas d'y accéder avec mes copains de la Rue Duc des Cars. -----La rue Duc des Cars et les escaliers de la rue Lacanaud étaient desservies par le trolleys "G" qui partait de la Grande Poste, passait rue du Docteur Trolard, et empruntait la rue Duc des Cars et une fois sur deux il faisait un arrêt supplémentaire devant le virage du parapet où nous passions une partie de notre journée. Dans ce virage les gaules de cet engin s'échappaient souvent de la ligne électrique et le receveur descendait pour rebrancher le système ; il continuait sur le boulevard du Télemly et rejoignait le Boulevard Saint-Saëns, reliait la rue Michelet et arrivait à la Grande Poste. -----Quand nous avions aux pieds nos patins à roulettes, nous descendions la rue Duc des Cars, empruntions la rue Serpaggi et arrivions devant la Salle Pierre Borde pour aboutir sur le large trottoir qui se trouvait au bas du forum ce trolleybus servait aussi de remonte-pente au bas de la rue Trolard, et nous évitait la difficile ascension. -----Mais il y avait aussi la solution plus facile qui consistait à faire du roller sur la place du forum. -----C'est vers 6 ans que je commence à couper le cordon ombilical. Je m'ennuie, je reste devant la fenêtre regardant le spectacle de la rue Duc des Cars, je demande l'autorisation à ma grand-mère qui me garde et me voilà dans la rue rejoignant un groupe d'enfants qui deviendront mes copains, pour certains jusqu'à mon départ d'Algérie, pour d'autres, plusieurs années après. -----Nous organisons des courses à
pied autour du quartier. Nous jouons aussi au football d'abord entre nous,
par la suite contre d'autres quartiers. -----De temps en temps nous nous installons devant un immeuble et nous jouons à la belote mais ces jeux statiques ne m'intéressaient pas vraiment, je préfèrais des jeux plus actifs. -----Dans le quartier des constructions d'immeubles s'élèvent. Une nouvelle résidence "Le Belvédère" doit se construire, les fondations débutent, un grand bruit se répercutent dans la douceur de la nuit et un pan de la rue Duc des Cars disparaît vingt mètres plus bas, rue du Docteur Trolard. Cet éboulement n'a fait aucune victime mais la rue Duc des Cars a été fermée à la circulation pendant plusieurs années, ce qui nous a permis d'utiliser la partie sauvegardée et d'en faire un terrain de jeu pendant toute cette période, au grand dam de certains adultes qui préféraient le bruit de la circulation pas trop importante à cette époque à nos cris pendant les matches de football ou de pelote basque. -----Cette rue Duc des Cars était coupée par les escaliers Lacanaud qu'on nommait" Rue". -----L'école de la rue Duc des Cars avait aussi son entrée rue Lacanaud, et je n'avais pas un long chemin à parcourir pour me scolariser, mon immeuble se trouvant à l'étage inférieur à cette école ; un peu plus haut rue d'Estonie, c'était l'école de filles et la classe maternelle de Madame Picorini où je fis mes premiers essais d'école qui devaient durer jusqu'à 55ans. -----Puis ce fut les classes de Mlle Lamouche, de Mlle Sylvani (que je supportais pendant 2 ans C.E1 et C.E2) Monsieur Lambert et ensuite le Directeur Monsieur Brunet. -----Chaque après-midi avant d'entrer à l'école, l'épicerie de la Rue Duc des Cars nous permettait quand nous avions quelques pièces à dépenser d'acheter des friandises. -----Quand nous étions en vacances nous nous rassemblions aux barres (non pas au bar) comme leur non l'indique c'était des barres rondes qui reliaient 2 piliers et qui nous permettaient de nous asseoir pour discuter avant de passer aux choses sérieuses, souvent une partie de foot. La rue Lacanaud en plus des escaliers possédait ces piliers et ces barres à chaque étage. -----Si le quartier de la rue d'Estonie
alimentait le RUA, la rue Duc des Cars était un vivier pour l'équipe
de basket-ball du Red Star. -----N'en déplaisent aux Dordoriens pour qui j'ai beaucoup d'amitié. Jean-Paul Wurtz ( Alger 1942 - 1962 )
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