Alger,
Dély-Ibrahim, premier village d'Algérie
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------C'est
dans l'espace vallonneux que forme le sahel algérois que ce petit
village a été édifié par des émigrés
alsaciens. ------Pour en situer l'époque, certains écrits indiquent que son église a été consacrée le 21 mars 1841 par le premier évêque d'Algérie: Monseigneur DUPUCH. ------Au départ d'ALGER, distant d'une dizaine de kilomètres, il est accessible en empruntant les tournants ROVIGO, en longeant la prison civile " BARBEROUSSE " et la caserne d'Orléans ou alors la rue Michelet et le boulevard Galiéni, ces deux itinéraires rejoignant EL-BIAR, point de passage obligé. ------Non loin de là, CHATEAUNEUF, carrefour des routes de BOUZAREAH, CHERAGAS et SAINT-FERDINAND, MAHELMA, cette dernière conduit, par le " Retour de la chasse " à BEN AKNOUN (et son lycée, vivier de bien beaux esprits). Un parcours ombragé mène ensuite au hameau des " DEUX BASSINS ". ------S'amorce alors une côte sinueuse qui rencontre l'embranchement d'EL-ACHOUR avec en contre-haut, dissimulée dans d'épaisses frondaisons, la ferme BOYER. -----Enfin, au sortir d'un virage, la route, bordée d'eucalyptus, laisse entrevoir un cimetière militaire anglais (marque de la seconde guerre mondiale), avant de s'engager dans l'agglomération de DELY-IBRAHIM où les maisons étagées à flanc de coteaux entourent l'église. -----Dans la partie inférieure du village, bordant de part et d'autre l'axe conduisant vers OULED FAYET, s'alignent entre autres demeures, l'unique boulangerie du pays (SEMPERE), l'auberge du " BON CANARD " (AUBIS), réputée pour une certaine gastronomie, le monument aux morts, le Café de France (PICOT), la Mairie, l'épicerie HUGOU, véritable caverne d'Ali-Baba. -----À la sortie du village, vers la colline du " Grand Vent ", juché sur un sommet voisin surplombant EL-ACHOUR, le cimetière caractérisé par ses stèles dont les inscriptions indiquent les dates les plus anciennes de la présence française. -----Revenant sur la partie supérieure du village, la poste et ses dépendances occupent une position dominante. La route, vers CHERAGAS, sur son tracé, le long de la crête balayée par les vents, offre un vaste point de vue sur l'étendue des cultures, blondes et ondoyantes au moment des moissons. -----Dans le lointain, masqué par aucun relief en cet endroit, le " PETIT STAOUËLI ", le domaine viticole BORGEAUD, et au-delà se dessine par temps clair la plage de SIDI FERRUCH avec, pour les témoins de l'époque, l'inoubliable vision de l'armada Anglo-Américaine débarquant le 8 novembre 1942. -----En poursuivant vers CHERAGAS, le " Bois des Cars " devient visible. C'est un bel endroit agréablement odorant dont les essences principales sont: le pin d'alep, le cèdre et le cyprès. -----Les chemins qui le sillonnent se raccordent à une clairière centrale au milieu de laquelle a été érigé, en 1912, un monument à la mémoire des combattants du corps expéditionnaire de l'Armée d'Afrique de 1830. Cet ouvrage est surmonté du buste du lieutenant général " DUC des CARS " qui s'illustra dans diverses activités glorieuses. -----Face à cet édifice, la guinguette du père MARI et, à proximité, le boulodrome, haut lieu de divertissement sportif où villageois et autres Algérois se mesurent avec passion dans d'âpres concours de " longue ", toujours clôturés par de copieux arrosages à la guinguette d'à côté. Aux abords du bois, dans la partie opposée à la route de CHERAGAS, la tribu de la ZOUAOUA (ou ZOUAVA) est un groupement de familles autochtones qui, selon des dires, aurait été créé par les autorités pour y accueillir les anciens " enrôlés " dans les régiments de zouaves. Jouxtant toujours le bois, la ferme KASTLE, dont le maître des lieux, un solide cultivateur attaché à sa terre, est un authentique descendant des pionniers alsaciens. -----Dans le voisinage du village, sur une hauteur, existe un orphelinat de confession protestante avec, attenant, un temple d'allure simple, sans faste ni éclat. Vivant très discrètement, dans un milieu aux pratiques très austères, les pensionnaires n'ont de contact avec l'extérieur que sur les bancs de l'école. -----Dans le prolongement de cet établissement, surplombant le village, se dresse la colonne BOUTIN, du nom d'un colonel du génie qui, sous les apparences d'un paisible pêcheur, avait sondé les fonds marins autour d'ALGER pour conclure que le meilleur endroit pour un débarquement militaire se trouvait à SIDI-FERRUCH. ----À la vérité, les descriptions de ce paysage, à l'exception de l'aspect géographique, ne correspondent pas, hélas, à la réalité d'aujourd'hui. -----Autour des années 1938-1954, il était agréable de vivre dans cet îlot champêtre. L'air y était salubre et souvent recommandé par le corps médical. -----Chacun y avait sa place dans des activités diverses. ------Les cultivateurs, les plus nombreux, exploitaient leurs terres dans les domaines céréaliers, viticoles, maraîchers et dans la production laitière. D'autres exerçaient leur métier à la ville. -----Les plus âgés, retirés de la vie active, coulaient des jours tranquilles au rythme du carillon de l'église qui égrenait ses notes (accordées à trois tons) tous les quarts d'heure. -----Pour toute force de police, un garde champêtre, en képi à épis de blé, assurait une surveillance relative, assisté, en cas de besoin, par la brigade de gendarmerie de CHERAGAS. Dans cette fonction, les CAZERTE et ROUX, entre autres, s'y sont, tour à tour, distingués. ------Rémy CORBI, le cantonnier, entretenait assidûment la voirie avec, également la tâche ingrate de creuser les fosses au cimetière. ------De cette population émergeait une personnalité marquante: l'abbé CERALTA, curé de la paroisse, successeur du bon père DAIGNIERE. ------Homme d'une grande force physique, à la barbe drue et à la voix retentissante, il était très influent dans le cadre de son ministère. D'une rare érudition dont il faisait profiter son entourage, il n'hésitait pas à " tomber " la soutane pour prodiguer à la jeunesse ses conseils sportifs . ------Cette jeunesse s'épanouissait dans une saine ambiance à l'abri des tentations nocives qui existent de nos jours. ------Les jeunes filles, aux habitudes plutôt casanières, se montraient dans l'éclat de leur fraîcheur lors des sorties dominicales et autres événements festifs aussi bien qu'aux offices religieux et à la chorale de l'église. Les jeunes garçons, plus enclins au vagabondage, se répandaient dans le village et les environs, dans leurs jeux enfantins. Les espiègleries n'étaient pas exclues et certains villageois en faisaient souvent les frais. Plus tard, en grandissant, ils allaient exprimer leurs ardeurs juvéniles, hors du village, vers d'autres centres d'intérêts. ------Tout ce monde fréquentait l'école communale, limitée en deux ou trois classes, à l'enseignement primaire. ------Suzanne SCHILTZ, la directrice, tenait son cours de fin de cycle élémentaire avec une autorité sans faille. Aucun désordre n'était toléré. La morale et l'instruction civique enseignées, complétées par l'éducation parentale, produisaient des effets bénéfiques. Les quelques cancres, toujours en fin de classement (il en fallait bien) étaient " vigoureusement cadrés ". Honteux aveu, l'un d'entre eux n'était autre que le narrateur de ce fait. ------Les cours inférieurs étaient assurés par l'instituteur BUSTON, personnage au comportement curieux et d'une sévérité excessive. Son attitude lui valait d'être irrespectueusement raillé par les jeunes, en dehors de la classe bien sûr. ------Comme dans tous les petits villages aux moeurs rurales, l'organisation de la vie sociale était soumise aux obligations rigoureuses du travail de la terre et de l'élevage au détriment des loisirs. L'ennui planait souvent sur le village. Les distractions étaient comptées. ------Le jeu de boules était roi, les rencontres au bistro pour un verre (ou plusieurs), ou pour une partie de cartes, étaient fréquentes. Les courses cyclistes où brillaient les champions ZAAF et KEBAÏLI, ainsi que les locaux ODILON et Louis MAILLOT, créaient de l'animation. Le cross-country avait aussi ses adeptes. Certains ont même eu la fierté, lors d'une course internationale sur l'hippodrome du CAROUBIER (ALGER), de figurer au côté... au départ... du légendaire Emil ZATOPEK. ------Le Bois des Cars, par l'attrait qu'il suscitait, créait également du mouvement. ------Tous les week-ends et jours fériés de beau temps, il foisonnait d'amateurs de " grand air " et la guinguette du père MARI ne désemplissait pas d'une clientèle citadine. Plus discrètement, en semaine, la clientèle était toute autre: des " dames " exerçant dans les maisons spécialisées algéroises venaient de loin en loin y prendre quelque repos réparateur. ------La fête du village, annuelle, donnait lieu à un bal sur la place centrale ombragée de palmiers. Un orchestre entraînait tout le bon peuple aux rythmes des tangos langoureux et des rumbas lascives, tandis que les " marnas ", assises en bord de piste, surveillaient d'un regard attendri, mais non moins attentif, les évolutions de leur progéniture... féminine. ------1939. Evoquant l'épisode de la guerre, les images surviennent: le recensement et la réquisition des chevaux au profit de l'armée. La mobilisation et le départ des hommes valides pour l'inconnu. ------Puis 1942. La présence des troupes américaines. Les alertes aériennes (elles étaient annoncées, non par une sirène, mais à l'initiative du receveur des Postes M. TEULE, par un vieil avertisseur de voiture émettant un bruit de crécelle, actionné par manivelle). ------Lors d'un bombardement, un projectile a atteint une maison d'habitation au coeur de l'agglomération. La providence a bien voulu épargner les occupants. Dans ce cours des choses, certaines jeunes filles en ont tiré avantage, en trouvant " chaussure à leur pied " parmi les jeunes soldats en garnison passagère. ------La guerre terminée, les combattants sont rentrés avec pour certains, de graves blessures (comme Raymond BEKER). ------Après que les noms des: Jacques GUTHE, Georges ROLAND et l'un des fils PONS, aient été ajoutés sur la colonne du monument aux morts, le village a retrouvé, pour un temps, son visage et ses habitudes d'antan. ------Pour un temps, en effet, jusqu'au jour où le vent de la révolte et sa folie meurtrière a soufflé. ------Alors, de la si paisible communauté villageoise a surgi une jeune fille, sans mal-être apparent, mais secrètement nourrie du ferment de la haine. Dans les moments les plus tragiques de la rébellion, elle a basculé dans le terrorisme le plus cruel. Les carnages provoqués par les bombes déposées dans ALGER, notamment au MILK BAR et au bar OTOMATIC (foyer des étudiants), en sont le sanglant témoignage. ------Progressivement, témoins et victimes de cette tragédie barbare s'en sont allés vers des horizons nouveaux, parfois incertains, laissant à d'autres le soin d'exercer leur emprise. ------Ainsi la voix du " muézin " s'est substituée à la cloche pour l'appel des fidèles à la prière et le drapeau à la mairie a changé de couleur et de signification aussi. IL reste que, tout là-haut, isolé sur une colline, le petit cimetière conserve jalousement la trace des artisans d'un passé florissant. ------Voilà une petite histoire racontée au travers des souvenirs de quelqu'un qui a vécu dans ce lieu une heureuse jeunesse. ------Puisse ce récit raviver la mémoire de ceux qui ont suivi ce même itinéraire. C'est dans cet esprit que ces pages sont écrites. |