Le cercle militaire
place de la République, puis place Bresson.(et réciproquement!)

Le Cercle Militaire avant et après la Conquête
Les Premiers Soldats réguliers indigènes
Une Caserne de Janissaires

par
H. KLEIN.
L'Afrique du nord illustrée du 3-10-1908 - Transmis par Francis Rambert

*** La qualité médiocre des photos de cette page est celle de la revue. Nous sommes ici en 1922. Amélioration notable plus tard, dans les revues à venir. " Algeria " en particulier.
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Le Cercle Militaire avant et après la Conquête
Les Premiers Soldats réguliers indigènes

Une Caserne de Janissaires

Par la disposition pittoresque de ses bâtiments, par le caractère original de chacune de ses parties, le Cercle Militaire d'Alger ne ressemble, on peut le dire, à aucun établissement de cette catégorie.
Quel curieux et joli coup d'œil offre, du dehors, ce monument, avec ses terrasses à balustres, parées de verdure, s'élevant en gradins, en face de la coquette place de la République ! et au dedans, quel charme présentent aux divers étages, ces frais jardins, ces blancs et silencieux portiques mauresques émaillés, dont les lignes et la solennité évoquent le souvenir d'un cloître ! C'est près du Théâtre que se trouve l'entrée principale. Dans l'escalier d'honneur, qui conduit à la première terrasse, se trouve une plaque commémorant en ces termes la création du Cercle :

RÉUNION DES OFFICIERS D'ALGER.
AU GÉNÉRAL DE DIVISION WOLFF FONDATEUR,
LES OFFICIERS RECONNAISSANTS
15 JUIN 1878

Au-dessous de cette inscription, une délicieuse fontaine mauresque finement ciselée, en marbres polychromes. C'est, ensuite, sur un socle, une effigie de cette grande figure militaire, maintes fois rappelée en cette enceinte, du légendaire Maréchal Bugeaud. Puis, c'est le jardin du premier étage, charmant avec ses palmiers, son jet d'eau et son vieux cyprès géant " qui vit arriver les Français ". A l'entour du jardin disposés en deux étages : la buvette, les salles du restaurant, de billard, de réception. C'est dans ce jardin que, les soirs de musique, viennent se réunir les officiers avec leurs familles.

Au delà de la buvette, une cour à ogives. Ce sont les cuisines.

Au bas de l'escalier conduisant au deuxième étage, apparaît une cloche chinoise. C'est un souvenir rapporté du pays jaune en 1887. Au haut, c'est la Cour mauresque, d'un si beau caractère architectural, et à qui donnent tant de séduction ces majestueux ficus au travers desquels filtre une lumière verte. Au centre, un bijou artistique, une précieuse pièce historique aussi : une fontaine, toute de marbre, à quatre colonnes torses, couronnée d'une coupole. Cette fontaine se trouvait jadis au Palais de la Casbah, sous le porche d'entrée. Ce fut sur le rebord de sa vasque que, sur l'ordre du Dey, fut décapité, en 1830. l'interprète militaire Georges Garoué, syrien de naissance, autrefois trésorier du Pacha de Damas, et qui, malgré les représentations de ses amis, se rendit (muni d'une autorisation du général en chef), parmi les contingents arabes qu'il espérait amener à faire cause commune avec les Français contre les Turcs. Sa tète, ainsi que celle d'autres victimes, fut exposée sous le porche de la Casbah.

Tout autour des portiques de la cour se remarquent des bandeaux de faïence, aux jolis tons bleus, des grilles de cuivre travaillé, des portes à compartiments multicolores.

A l'étage supérieur : la Bibliothèque, riche d'environ 20,000 volumes, dont un grand nombre de haute valeur. Dans les salles de lectures, divers tableaux représentant des généraux, des officiers supérieurs et certains événements relatifs à la conquête de l'Algérie. Citons les portraits du duc de Nemours, des maréchaux de Bourmont, Bugeaud,Saint-Arnaud, Randon, Canrobert (avec autographe); des généraux Létang, d'Arbouville, Levasseur, Bosquet, Gentil, Cavaignac, Lamoricière, Mustapha ben Ismaël, le Flô, de la Hitte ; des lieutenants-généraux Négrier, Daunas, le Pays, de Bourjolly. Bedeau ; du colonel Ladmirault ; du lieutenant-colonel Eynard. Mentionnons encore le portrait du capitaine de Géreaux, avec inscription relatant le fait d'armes de Sidi-Brahim.

A signaler, également, une inscription arabe, sur bois, surmontant autrefois la porte de Tazza, ville prise par les troupes que commandaient le général Baraguay-d'Hilliers et le duc d'Aumale. En voici la traduction :
" Louange à Dieu, la bénédiction et le salut soient sur l'apôtre de Dieu. Cette ville de Tazza a été relevée, bâtie et peuplée par l'Emir des Croyants, notre seigneur El-Hadj Abd-el-Kader (que Dieu l'assiste). Lorsqu il fit son entrée, il prit Dieu à témoin de ses actes et de ses intentions ; il dit : " Dieu sait bien que ceci n'est point de ma part l'indice de longues espérances : certes, la mort est prochaine et, bientôt, je serai couché misérablement sous la terre. Le comble de mes vœux est d'être agréable à Dieu et de laisser après moi une œuvre durable et utile aux hommes ". Année hégirienne 1255 (1839). " Citons encore deux tableaux, avec autographes, don du Comte de Paris, représentant : l'un, le passage des Portes-de-Fer (18 octobre 1838) ; l'autre, le combat du Ténia de Mouzaïa (12 mai 1840).

Voici maintenant la Salle d'Honneur, dite " des Maréchaux ", qui représente en quelque sorte le sanctuaire de cet intérieur militaire. C'est là que se font les conférences, qu'ont lieu les grandes réunions.

Au, pourtour : une galerie surélevée, bordée d'une balustrade orientale d'un fin travail. C'est en cette partie que se tiennent, au cours des séances, le Chef du XIXème Corps, les généraux, les officiers supérieurs. Le parterre est réservé aux officiers subalternes. Une élégante coupole vitrée éclaire la salle.
Tout autour, appendus aux murs, de grands tableaux à l'huile représentant les différents gouverneurs militaires : le duc d'Aumale, Bugeaud, Randon, Lamoricière, Pélissier, etc., puis l'amiral Duperré, chef de la flotte en 1830. Signalons encore deux toiles : le Passage de Guadarrama par Napoléon, en 1808 (de Bellanger) et l'Arrivée du duc d'Aumale à Alger, en 1846, avec la physionomie ancienne du pavillon de l'Amirauté, dont le balcon apparaît couvert de toilettes pittoresques de l'époque.

Des trophées d'armes, des panoplies complètent la décoration de ce magnifique Musée d'Histoire.
Il faudrait encore décrire d'autres salles, telles que celles de chimie, d'escrime, les logements des officiers de passage, du Trésorier du Cercle (qu'habita, en 1890, le général Roger, alors commandant), puis les bâtiments réservés à la Gérance, aux hommes de service ; nous nous contenterons d'en faire mention, ayant encore à parler du passé de cette demeure.

Il y eut là, pendant bien des années, de la troupe : des soldats du Génie, dans la partie supérieure, des ouvriers d'Administration dans la partie inférieure.

Les deux portes sculptées, surmontées d'inscriptions, qui donnent dans la rue Médée, correspondent aux deux casernes d'autrefois, qu'on dénommait : " Médée Supérieure " et " Médée Inférieure ".

Dans le mur extérieur de ces casernes étaient encastrées (elles le sont encore aujourd'hui) des échoppes d'artisans que l'autorité militaire respecta. Le morcellement de la propriété indigène a produit de nombreuses curiosités de ce genre à Alger. Nous citerons comme autre exemple, la pharmacie de l'angle des rues Philippe et Bab-el-Oued, qui se trouve enclavée dans un bâtiment du Génie.

Le luxe des Casernes Médée n'était assurément pas celui du Cercle actuel. Le Coin mauresque et la terrasse du bas étaient alors pavées en grès bleu. Celle-ci, dégagée aujourd'hui, était entourée d'une galerie à ogives. Le cyprès qui s'y trouve avait, à cette époque, un frère jumeau dans la Cour mauresque, non encore complantée de ficus.

Près de cette cour s'élevait une mosquée, dite d'Ali-Pacha, construite par Ali Pacha sur l'emplacement d'une autre, connue sous le nom de Zawiat-Sidi-Akhal.

Dans ces casernes, de l850 à 1860, furent logés des soldats autrichiens, faits prisonniers au cours de la campagne d'Italie. Ajoutons que, dans la suite, une école religieuse fut, sous les auspices de l'archevêque Lavigerie, installée dans une partie des locaux de l'établissement, devenus vacants après le départ des troupes, logées en de nouvelles casernes. Ce ne fut qu'en 1878 que fut établi là le Cercle Militaire.

Voilà pour la période française.

A l'époque turque, il y avait, en ce groupe d'édifices, deux casernes de janissaires : " El-Foukania ", la supérieure, et ". Esfelania ", l'inférieure. Toutes deux étaient désignées sous le nom de ". Casernes des Janissaires des marchands de légumes ", en raison de la proximité d'un marché.

Les soldats de la première étaient surnommés " Daïlaren " (gens de bien). Sous le porche, nous dit Berbrugger. étaient un canon, un vaisseau et de grandes côtes que l'on attribuait à des géants païens, et qui n'étaient, en réalité, que des côtes de cétacés. Des chaînes pendaient devant la porte. Si un criminel parvenait à les saisir et s'écriait : ". Cher'a illa ia soultan ! " il était sauvé. Chaque caserne était, en effet, un lieu d'immunité. Les soldats de l'autre caserne avaient le surnom de " Jeteurs de balles d'argent ", à cause de leur adresse qui leur valait, au tir à la cible, de nombreuses récompenses en numéraire. Ce tir s'exécutait à Rahbat-el-Fham, marché au charbon, sur une élévation, rasée aujourd'hui, où s'élève notre Théâtre municipal.

Chacun des embellissements de ces casernes fut pompeusement célébré par l'épigraphie. Voici quelques échantillons de cette prose lapidaire dont nous devons la traduction à M. le professeur Colin.
- Pour la construction d'une porte à la caserne supérieure, par Mustapha Pacha, gouverneur en 1595 :
" Que Dieu comble, en tous temps, le désir de Mustapha Pacha, le fasse parvenir à son but. Il a construit une porte pour les guerriers de la religion. Il n'est rien de semblable pour offrir un sujet d'admiration si parfait. Une voix mystérieuse a dit : Allons, regarde, toi qui demandes quelle est la date. Le nom de celle-ci est : Porte de l'Assistance de Dieu ! "
- Pour la création d'une fontaine :
" L'abondance de cette fontaine est due à Ali Pacha. O notre maître, fais que ses efforts soient l'objet des éloges ! Bois de son eau, et lis la date. Une boisson pure rend la vie agréable ". - 1174 (1760-61 ".

Ces inscriptions ont été déposées au Musée d'Alger.

Les deux suivantes sont encore en place, rue Médée, au-dessus des portes d'entrée.

Caserne du bas :
" La construction d'une maison, au nombre des plus belles, a été achevée avec bonheur et prospérité pour les nobles soldats, à l'époque de l'obtention des désirs, sous le règne de notre Maître Mourad (Amurat IV, sultan de Constantinople), au temps du pacha Hassein - puisse-t-il avoir toujours les deux mains ouvertes - (pour faire le bien) - et par les soins de Mousa l'Yasriy l'Andalousy l'Himyary, en trente et mil et sept (1728). Tant qu'Alger durera, les soldats l'habiteront ! "
Cet architecte Mousa était un réfugié andalous, qui fit plusieurs monuments à Alger. La dénomination d'Himyary indique que sa famille était originaire de l'Arabie Heureuse (Colin).
La caserne du haut fut bâtie, dix ans plus tard, par son fils. Voici la traduction de l'inscription de sa porte d'entrée :
" Cette construction florissante a été terminée par autorisation de la milice victorieuse, sous le
gouvernement de notre maître auguste, l'illustre Pacha Abou l'Hasan Aly, représentant de notre
maître le padischah (que Dieu perpétue pour nous son règne dans la joie), par les soins du
fidèle sieur Aly, fils du sieur Mousa, le constructeur dans les premiers jours du mois de
Rebi lawwel de l'année parfaite sept et quarante et mil (1738). "

Peut-être serait-il intéressant, en ce moment où il est question de la conscription des indigènes, d'étudier ce qu'était la vie de ces terribles janissaires auxquels, sans nul doute, nos nouveaux soldats musulmans ne chercheront à ressembler que par la bravoure.

D'anciens documents nous apprennent que leurs casernes étaient au nombre de sept à Alger. Elles se trouvaient dans les rues Médée, Bab-Azoun, des Consuls, Macaron et à la Porte-deFrance. Chacune contenait environ 600 hommes.

Ces janissaires recrutés, pour la plupart, en Asie-Mineure, atteignirent le nombre de 6.000. Ils n'étaient plus que 4.000 en 1830.

Chaque homme, dit Venture-Paradis, recevait, à son arrivée à la caserne, une chemise de toile grossière, un manteau de gros drap, un pantalon de coton, une chéchia, une ceinture rouge, une foutah verte, une paire de souliers et une couverture de laine, très courte et très étroite ; enfin, une natte devant lui servir de lit.

Les armes qu'on lui prêtait étaient : un mousquet, un yatagan, une paire de pistolets dont le prix, en cas de perte, était retenu sur sa paye. Une livre de plomb lui était fournie, dont il devait faire des balles. L'achat de la poudre lui incombait. Il touchait chaque jour, quatre pains de 6 à 7 onces chacun.
Les janissaires logeaient par trois dans des chambres spacieuses. Des esclaves les servaient et prenaient soin de leur caserne. Lorsqu'ils étaient destinés aux camps ou aux garnisons éloignées d'Alger, ils recevaient une paire de semelles pour le raccommodage de leurs souliers.

Le service était d'un an, suivi d'un congé d'égale durée ; il recommençait ensuite, dans les mêmes conditions, tant que l'homme était valide.

La solde, touchée tous les deux mois, était de quarante sols au début. Elle doublait après six mois. La solde du colonel correspondait à 20 livres tournois, environ. Selon Shaller, la haute paie, en 1826, n'était que de trois piastres (16 francs), pour deux mois.

Le janissaire avait, en outre, une part sur les prises maritimes, quand il était embarqué sur les vaisseaux corsaires. Par suite des libéralités d'anciens miliciens, parvenus à de hauts emplois, certaines chambrées de janissaires se trouvaient propriétaires d'immeubles mis en valeur par des oukils nommés par ces chambrées. Ceux-ci disposaient des revenus pour améliorer la situation, des janissaires.

Le retour d'une grande fête, ou encore un changement de Dey, valait à chaque soldat une augmentation de salaire. Aussi l'appât d'une meilleure solde fit-il égorger plus d'un Dey.

Cette milice redoutable, dont les principaux officiers faisaient partie, de droit, du Divan, était véritablement maîtresse à El-Djezaïr. Au moindre mécontentement, les janissaires allaient manifester à la porte du palais de la Jénina, où ils portaient leurs marmites renversées. Bien souvent l'équipée tournait au drame, et se terminait par regorgement du Dey.

L'avancement, en ce corps, étant donné à l'ancienneté et à l'élection, le dernier des miliciens pouvaient prétendre aux plus hauts grades. Quelques-uns arrivèrent à la dignité suprême de la Régence. Leur haute fortune ne leur faisait pas oublier leur passé, et chacun de ceux devenus deys, faisait, suivant la tradition, réparer et enjoliver sa chambre de soldat, ainsi que le prouvent diverses inscriptions du genre de celle-ci, qui fut retrouvée au Cercle militaire :
" Achji Hasan a fait inscrire cette date : 1205 (1791) et a réparé et restauré sa chambre. "
Cet Hasan devint dey, le 12 juillet 1791.

L'Achji (cuisinier) goûtait les mets du pacha ; il était aussi directeur du personnel de celui-ci et, parfois, des prisons militaires.

Les archives relatives aux casernes " Médée " nous renseignent sur les dénominations qu'y avaient certaines chambres :
C'étaient par exemple :
La chambre d'El-Hadj Ali, agha des spahis.
La chambre Soliman Raïs.
La chambre Osman Bey,
La chambre Ahmed Pacha ben Ali.
La chambre du pacha Ahmed.
La chambre...

Mais nous nous apercevons que la place nous manque pour continuer. Nous arrêterons donc, ici, cette causerie que nous nous proposons d'ailleurs de reprendre une autre fois.

Maintenant, il est une question qu'ont pu se poser les amis de l'ancien El-Djezaïr : Cet intéressant monument, si pieusement conservé par nos officiers, demeurera-t-il longtemps ce qu'il est en ce moment ? La fièvre des transformations qui bouleversa tant de choses dans le Vieil Alger, et y fit détruire tant de documents archéologiques, ne fera-t-elle pas disparaître aussi les dernières casernes des Janissaires ? Ce serait, certes, une perte à jamais regrettable pour l'Histoire !

Il faut espérer que les Algérois de l'avenir auront la sagesse de garder intact ce précieux souvenir du passé et de lui conserver sa destination militaire qui a été jusqu'à présent sa sauvegarde,. Et en terminant, nous exprimerons le vœu que la prophétie faite en ce lieu, par la pierre, s'accomplisse, qui annonça que :
Tant qu'Alger vivra, les soldats l'habiteront !

H. KLEIN.